La SCOR de Supply Chain Appartient à l'Histoire
Il fut un temps où un seul tableau de bord promettait la discipline pour un monde qui paraissait indiscipliné. Le modèle Supply Chain Operations Reference — SCOR — codifiait les processus, organisait les indicateurs, et enseignait à une génération comment nommer ce qu’elle faisait. Pour cette contribution, il mérite le respect. Pourtant, le succès même de SCOR a encouragé une manière de penser : gérer le supply chain en gérant ses attributs, et l’excellence émergera de l’alignement et du benchmarking. Cette habitude avait du sens à une époque où le calcul était rare et les données étaient fragiles. Cela a moins de sens quand les décisions peuvent être recalculées en millisecondes et testées face aux réalités de demain avant même qu’un camion ne bouge.
APICS—aujourd’hui ASCM—définit gestion de la supply chain comme la conception, la planification, l’exécution, le contrôle et le suivi des activités de supply‑chain afin de créer une valeur nette, construire une infrastructure, optimiser la logistique, synchroniser l’offre et la demande, et mesurer la performance à l’échelle mondiale. Il s’agit d’un programme managérial, et non scientifique, et il est explicite quant à son périmètre.1 Ailleurs dans la tradition APICS, une supply chain est décrite comme le réseau mondial qui livre des produits et services, depuis les matières premières jusqu’aux clients finaux, à travers un flux conçu d’information, de biens physiques et de liquidités.2 SCOR organise ensuite la performance en cinq attributs — fiabilité, réactivité, agilité, coût et efficacité de gestion des actifs — et déploie des centaines d’indicateurs pour évaluer les progrès.3 Le “SCOR Digital Standard” moderne va plus loin : il rend le cadre en accès libre, ajoute la durabilité, et évoque la transition d’une chaîne linéaire vers un réseau synchronisé.4 La promesse reste cohérente : adopter un langage de processus commun, mesurer ce qui compte et s’améliorer de manière coordonnée.5
J’aborde le sujet différemment. Dans Introduction to Supply Chain j’ai commencé par une définition conçue pour être falsifiable par les résultats, et non par la conformité : le supply chain est la maîtrise des options en situation d’incertitude dans le flux de biens physiques (Chapitre 1). Le but de cette formulation est de mettre en avant les décisions et leurs conséquences. Si deux politiques utilisent les mêmes camions et entrepôts mais génèrent des flux de trésorerie différents dans un an, le meilleur supply chain est celui dont les choix ont créé le meilleur avenir. Ce n’est pas une préférence esthétique ; c’est l’arithmétique fondamentale de l’entreprise (Chapitres 1 et 4).
Ici, l’écart avec SCOR ne réside pas dans les valeurs, mais dans la méthode. SCOR est, par conception, multi‑attribut. Il vous invite à équilibrer la fiabilité, la réactivité et l’agilité — des concepts tournés vers le client — contre le coût et les actifs — des notions internes — et à comparer votre mix avec celui de vos pairs.6 Ma méthode est single‑ledger. Valorisez tout ce qui compte en termes monétaires, y compris les promesses de service et le risque, et sélectionnez la politique offrant le meilleur rendement attendu, ajusté en fonction du risque, sur l’horizon qui vous engage réellement (Chapitres 4 et 12). Si vous souhaitez obtenir des taux de service plus élevés le trimestre prochain, financez-les explicitement : détenez plus de stock, achetez davantage d’options sur la capacité, ou réduisez les délais moyennant un coût. Si vous désirez de l’agilité, payez pour les travaux de préparation qui créent des alternatives lorsque les prévisions se trompent. En mettant chaque levier sur le même ledger, les compromis cessent d’être des vertus en quête d’équilibre et deviennent des investissements en quête de rendement.
SCOR est également axé sur la cérémonie. Il prospère dans des environnements où le succès signifie que le rythme de planification a été respecté et que l’arbre des KPI a été mis à jour. Son rituel de prédilection est le S&OP : planifier la demande, planifier l’offre, réconcilier, recommencer. ASCM reste un fervent défenseur de cette cadence, promettant l’élimination des « surprises » grâce à un ensemble unique de chiffres et à un consensus transversal.7 Je préfère commencer avec le futur tel qu’il se présente réellement : de manière irrégulière, bruyante et souvent peu coopérative. Dans le livre, je mets en contraste une vision téléologique — fixer demain par un plan — avec une vision robuste — conserver une marge de manœuvre et agir lorsque l’option d’attendre a perdu sa valeur (Chapitre 7). Le rituel n’est pas l’essentiel ; ce sont les décisions qui importent. Si une réunion mensuelle est le moyen le plus rapide de changer de cap, c’est que vous n’allez pas assez vite.
Les ordinateurs accentuent le désaccord. SCOR se concentre sur les processus, les personnes, les pratiques et les indicateurs ; même dans son standard digital, le calcul est présenté comme un facilitateur d’un modèle dont le cœur est organisationnel plutôt qu’algorithmique.3 Cette posture avait du sens lorsque les logiciels se contentaient d’enregistrer et de résumer les transactions. Mais le logiciel moderne peut faire mieux que décrire hier. Il peut énumérer les alternatives que vous ignorez, simuler leurs conséquences, et exécuter automatiquement les choix lorsque les preuves sont suffisantes. Dans le livre, je défends une nette séparation entre les systèmes qui se souviennent de ce qui s’est passé et ceux qui décident de ce qui doit se passer ensuite, ces derniers étant conçus pour fonctionner sans surveillance une fois validés (Chapitres 5–6 et 8). Le jugement du planificateur n’est pas supprimé ; il se concentre en amont, là où nous choisissons politiques et contraintes, et en aval, là où nous auditons les résultats et révisons le plan d’action. Au centre, l’ordinateur fait ce qu’il sait de mieux : il explore des millions de versions du “what if” sans se lasser ni devenir politique.
Je ne veux pas dire que SCOR est inutile. Il est utile de la même manière qu’une grammaire l’est : elle aide les nouveaux locuteurs à éviter des erreurs évidentes et permet aux organisations de communiquer entre elles. Mais les grammaires n’écrivent pas de romans, et SCOR ne choisit pas. Une entreprise vit ou meurt selon les choix qu’elle fait en situation d’incertitude avec des ressources limitées. C’est pourquoi le livre consacre tant d’attention aux mécanismes simples du choix économique — flux de trésorerie, taux de retour, synchronisation et le prix des options — car ces mécanismes tranchent en fin de compte entre la « bonne pratique » et de bons résultats (Chapitres 4 et 12).
Si votre organisation maîtrise SCOR, conservez ce vocabulaire. Gardez les définitions de fiabilité et de réactivité si elles aident vos collègues à vous retrouver là où vous êtes. Puis, inscrivez ces mots sur un single‑ledger et demandez-vous combien coûte chacune de ces promesses et ce qu’elle procure. Utilisez vos réunions de planification pour tester des politiques face à des alternatives, et non pour sanctifier un chiffre. Laissez l’ordinateur faire émerger plus d’options que vous n’en voyez, et supposez que bon nombre d’entre elles seront trop petites ou trop fréquentes pour qu’un humain puisse les gérer manuellement. Lorsque cela se produit, vous vous rapprochez de ce que j’appelle l’artisanat : non pas gérer un supply chain, mais façonner un flux de décisions qui échange continuellement la certitude d’aujourd’hui contre le gain de demain (Chapitres 1, 7 et 8).
SCOR nous a appris à mesurer. L’histoire lui sera reconnaissante pour cela. Mais mesurer ne signifie pas décider, et le supply chain, en fin de compte, est une discipline de prise de décision.
References to my book are to Introduction to Supply Chain by Joannes Vermorel: Chapter 1 (definition and framing of supply chain), Chapter 4 (the economics and goal of supply chain), Chapters 5–6 (enterprise software and the role of automation), Chapter 7 (visions of the future and the value of waiting), Chapter 8 (decision‑making), and Chapter 12 (rate of return and discounted cash flows). For the SCOR and ASCM material, see the ASCM definition of supply chain management, SCOR performance attributes and metrics, SCOR Digital Standard and guidance, and ASCM’s description of S&OP.1