Pourquoi les praticiens ont raison d'ignorer cette vision « ère de l’IA » pour supply chain
Lorsque une quarantaine de professeurs et de figures de l’industrie publient une « déclaration de vision » pour supply chain à l’ère de l’IA, on pourrait s’attendre à quelque chose qui aide un véritable professionnel de supply chain à prendre de meilleures décisions dès lundi matin.
L’article auquel je pense est Supply Chain Management in the AI Era: A Vision Statement from the Operations Management Community par Maxime Cohen, Tinglong Dai, Georgia Perakis et trente‑neuf coauteurs. Il annonce, dans son résumé, que la communauté de management des opérations (OM) a « un rôle et une responsabilité importants » non seulement pour façonner la manière dont l’IA transforme les supply chains, mais aussi pour garantir que les supply chains qui permettent à l’IA soient « durables, résilientes et équitables ». Il développe ensuite un cadre en cinq couches — intelligence, exécution, stratégie, humain, infrastructure — et passe en revue un vaste corpus de littérature OM et IA à travers ce prisme.
Sur le papier, cela semble prometteur. En pratique, c’est une illustration presque parfaite de la raison pour laquelle les praticiens de supply chain ont raison d’ignorer la majeure partie de la production académique dans notre domaine.
Dans mon récent livre Introduction to Supply Chain, je définis supply chain comme la maîtrise des options dans l’incertitude du flux des biens physiques et j’affirme que, dans une économie de marché, le objectif pratique de supply chain est d’accroître le taux de rendement ajusté au risque de chaque ressource rare qu’elle touche — capital, capacité, temps, goodwill. Tous les desiderata habituels — taux de service plus élevés, délais de livraison plus courts, transport plus écologique, employés plus satisfaits — ne comptent que dans la mesure où ils contribuent au profit à long terme exprimé en devise forte. Supply chain n’est pas une philosophie morale; c’est une économie appliquée qui survit ou périt selon le bilan.
À la lumière de ce critère, cette « déclaration de vision » coche presque toutes les cases d’avertissement que j’en suis venu à mépriser dans l’écriture académique sur supply chain : le signalement de vertu supra‑économique, des cadres qui ne touchent pas aux décisions concrètes, une avalanche de citations autoréférentielles, et la croyance persistante qu’une autre couche de modélisation des séries temporelles combinée à l’IA moderne redonnera d’une manière ou d’une autre le paradigme de planification qui a déjà laissé les praticiens pour compte pendant des décennies.
Laissez-moi expliquer pourquoi.
Vertus supra‑économiques et l’éthique des bilans d’autrui
La phrase la plus révélatrice de l’ensemble de l’article apparaît dans le résumé :
“La communauté OM a un rôle et une responsabilité importants pour guider non seulement la manière dont l’IA transforme les supply chains, mais aussi la façon dont les supply chains qui permettent à l’IA sont conçues pour être durables, résilientes et équitables.”
La conclusion répète ce même trio de vertus, déclarant que l’OM devrait nous guider vers des supply chains qui sont « plus intelligentes, équitables et durables ».
Remarquez ce qui se passe ici. Avant de nous dire à quoi servent les supply chains, les auteurs nous indiquent quels adjectifs elles doivent satisfaire : durables, résilientes, équitables. Aucun objectif économique explicite n’est jamais énoncé. Le profit, la productivité du capital, le rendement ajusté au risque — ne figurent, le cas échéant, qu’indirectement. L’article suppose tout simplement que « l’efficacité » et « la résilience » coexistent avec un ensemble d’objectifs moraux privilégiés, et qu’il incombe à la communauté OM de les promouvoir tous simultanément.
Dans le chapitre 4.4.5 de mon livre, “Objectifs supra‑économiques”, j’utilise ce terme — supra‑économique — pour désigner précisément ce schéma : des appels à des finalités qui seraient censées primer sur de “simples” considérations monétaires et ainsi justifier de passer outre la discipline des prix, des coûts et des coûts d’opportunité. Parfois, le ton est moralisateur (“l’entreprise devrait porter un programme social au-delà du service aux clients”); parfois, il est apocalyptique (“une catastrophe imminente exige un sacrifice immédiat de la rentabilité”). Dans les deux cas, la démarche est la même : le calcul économique est discrètement dévalorisé, tandis que la préoccupation privilégiée de l’auteur est élevée au-dessus.
Le problème n’est pas que la durabilité ou l’équité seraient sans importance. Le problème est que la rareté ne disparaît pas simplement parce que nous les invoquons. Chaque palette, heure‑homme et pièce consacrée à un objectif est retirée d’un autre. Comme je le dis dans le livre : invoquer une finalité supérieure “ne dissout pas la rareté; cela se contente de rebaptiser les compromis … il n’y a pas d’alternative aux profits et aux pertes.”
Si les émissions de carbone comptent, elles doivent être intégrées au calcul sous forme de coûts — via des prix du carbone, des réglementations, le comportement des clients ou le risque pour la marque — afin que des décisions alternatives puissent être comparées dans une unité commune. Si l’équité importe, nous devons préciser à qui se réfère cette équité, à quel prix, et avec quelles conséquences, toujours de manière à pouvoir être reflétée dans les décisions et vérifiée ultérieurement. Sinon, nous ne faisons que décorer la discussion avec des adjectifs.
Pourtant, l’article de vision AI Era se contente de déclarer que les supply chains “doivent” être durables et équitables, sans jamais préciser ce que ces termes signifient opérationnellement, qui en finance le coût, et à quel degré. Dans la section sur la santé, par exemple, il est indiqué que les supply chains de livraison doivent fonctionner sous des “contraintes strictes de sécurité et d’équité”. D’un point de vue éthique, cela peut sembler rassurant; d’un point de vue supply chain, c’est vide. À quel point “assez sûr” est-il vraiment sûr? L’équité pour quels groupes de patients, à quel coût en termes de débit non réalisé, et par rapport à quelles alternatives? Aucun chiffre, aucun prix, aucun compromis.
Pire encore, l’article présente ces objectifs supra‑économiques comme une responsabilité de la communauté OM sur les bilans d’autrui. Il est une chose qu’un parlement fixe des impôts ou des normes de sécurité après un débat démocratique. Il est tout autre que des universitaires disent aux dirigeants qu’ils ont l’obligation de concevoir des supply chains “équitables” sans aucune quantification explicite de ceux dont ils redistribuent les ressources. Le premier relève de la politique; le second est, au mieux, du paternalisme et, au pire, une invitation discrète à trahir le devoir fiduciaire envers les actionnaires, obligataires, employés et clients qui ne partagent peut-être pas les mêmes priorités.
Une fois que vous acceptez que toute cause puisse revendiquer une priorité supra‑économique, il n’existe aucun principe limitant. Comme je le mentionne dans le livre, l’histoire est jonchée d’entreprises qui se sont alignées avec enthousiasme sur des causes par la suite reconnues comme désastreuses — allant du recrutement ouvertement discriminatoire au soutien caritatif à l’eugénisme —, armées à l’époque d’un impressionnant “consensus scientifique”. Dans chaque cas, le calcul économique a été subordonné à la rhétorique supra‑économique; dans chaque cas, des ressources ont été gaspillées alors qu’elles auraient pu être utilisées pour mieux servir les clients.
Le signalement de vertu supra‑économique n’est pas une simple parure inoffensive. C’est un échec éthique en soi, car il obscurcit le jugement sur les compromis tout en dépensant des ressources qui n’appartiennent pas aux auteurs pour être allouées. Une “vision” pour supply chain qui commence et se termine par un tel signalement apprend à la prochaine génération de praticiens qu’ils devraient optimiser pour des adjectifs plutôt que pour les conséquences en devise forte que leurs décisions entraîneront.
Cadres, Couches et l’Apparence de Profondeur
Le deuxième trait distinctif de cet article est son engouement pour les cadres et les références.
Après le résumé, les auteurs annoncent qu’ils structureront leur discussion autour de cinq “couches” d’interaction entre l’IA et la gestion de supply chain : intelligence, exécution, stratégie, humain et infrastructure. Chaque couche se voit ensuite attribuer sa propre section, et le reste de l’article est organisé selon cette classification.
Il n’y a rien d’intrinsèquement erroné dans la taxonomie. La question est toujours : quelles décisions changent parce que nous disposons désormais de cette taxonomie particulière plutôt qu’une autre? Si, demain, nous réduisions les cinq couches à trois, ou les divisions en huit, une seule commande d’achat, un transfert ou un prix seraient-ils différents? Les auteurs n’essaient jamais de répondre à cela. Le cadre agit comme un classeur pour des idées préexistantes; il ne devient pas un instrument de choix.
Les praticiens ont déjà vu ce film. Dans Introduction to Supply Chain je consacre quelques pages à la façon dont la “planification” est devenue la bannière marketing des systèmes d’entreprise dans les années 1990, même lorsqu’ils ne contenaient guère plus que de la prévision des séries temporelles et des formules de stock de sécurité de base. Les fournisseurs d’ERP, suivis par ceux d’APS, ont rebaptisé la tenue de registres générique en “planification intégrée”, puis en “planification avancée”, et, plus récemment, en “jumeaux numériques” et “tours de contrôle”. La terminologie a changé; les tableurs et les flux de travail administratifs en dessous n’ont pas changé.
L’architecture à cinq couches dans cet article donne l’impression d’une profondeur, mais il n’y a aucune preuve que cela conduise à des décisions différentes, une meilleure automatisation ou une économie améliorée. Une taxonomie qui n’altère pas ce qui se passe sur le plancher de l’entrepôt ou lors de la gestion des approvisionnements est, du point de vue d’un praticien, une décoration, et non un progrès.
Il en va de même pour la liste de références et la manière dont elle est utilisée. L’article souligne qu’il est issu d’un “vaste processus collaboratif” impliquant 42 chercheurs, praticiens et leaders technologiques, dont beaucoup contribuent également au prochain livre des auteurs AI in Supply Chains: Perspectives from Global Thought Leaders. Les références s’appuient alors fortement sur ce même cercle : de multiples citations de Cohen, Dai, Perakis et de leurs coauteurs, ainsi qu’un ensemble de documents de travail récents et d’articles sous presse par l’équipe d’auteurs.
Encore une fois, il n’y a rien d’illégitime à citer ses propres travaux. Le problème est que la simple étendue de la liste est présentée comme une forme de preuve en soi. Les praticiens se voient proposer un défilé de titres — “How machine learning will transform supply chain management,” “Using AI to detect panic buying,” “Large language models for supply chain optimization” — sans qu’on leur dise comment l’une ou l’autre de ces études fonctionne lorsqu’elle est appliquée à des données d’entreprise complètes, désordonnées, générant des décisions non surveillées et étant jugée sur la base de profits et de pertes réels.
Si vous dirigez un réseau d’usines et d’entrepôts, vous ne vous souciez pas du nombre de publications existant sur un sujet. Ce qui vous importe, c’est de savoir s’il existe une recette numérique que vous pouvez déployer sur vos enregistrements, dans vos contraintes, qui rendra les commandes d’achat, les transferts et les prix de demain meilleurs en termes de liquidités que ceux d’hier. Pour cela, une mise en œuvre sur le terrain bien documentée, avec des résultats économiques complets et des limitations claires, vaut plus d’une dizaine de déclarations de vision et cinquante citations.
L’article AI Era offre le premier cas sous une forme seulement approximative et anecdotique. Une section sur “Optimal Machine Learning” mentionne deux études de cas Fortune‑150 où une société de conseil aurait amélioré les taux de service et réduit les coûts de stocks. Le lecteur n’obtient ni référence de base, ni contre‑factualité, ni détail sur le capital total employé ou le profil de risque avant et après. Dans d’autres “spotlights” industriels, on nous dit que JD.com a constitué une solide équipe d’analytique et utilisé l’IA pour expliquer les prévisions à la direction, ou que des organisations humanitaires peuvent utiliser l’IA pour un meilleur prépositionnement des stocks. Tout cela est peut-être vrai; rien ne va au-delà du niveau d’une brochure publicitaire.
De l’extérieur, cela ressemble à un circuit fermé: un cercle d’auteurs se citant mutuellement, ainsi que leurs étudiants, en soutien à un cadre sur lequel ils s’étaient déjà mis d’accord, avec, par intermittence, une anecdote de praticien parsemée. Pour les universitaires, cela peut être la manière dont un domaine signale son activité. Pour les praticiens, cela signifie que rien ici ne les aidera à décider combien acheter la semaine prochaine.
IA, Prévision et l’Ancien Équilibre de Planification
Le cœur de l’article — la “couche d’intelligence” — est consacré à l’IA elle-même. Ici, les auteurs décrivent comment le machine learning améliore la prévision, comment le reinforcement learning peut être utilisé pour le contrôle des stocks, comment un paradigme émergent appelé “decision‑focused AI” intègre des objectifs d’optimization dans la fonction de perte, et comment de grands modèles de langage (LLMs) pourraient fournir des interfaces en langage naturel et un “agentic reasoning via chain‑of‑thought” pour des problèmes complexes de supply chain.
Beaucoup de cela est techniquement exact dans un sens étroit. Le machine learning peut, en effet, intégrer de nombreuses fonctionnalités; le reinforcement learning peut, en effet, apprendre des politiques sous simulation; les LLMs peuvent, en effet, analyser et générer du texte autour des modèles d’optimization. Le problème n’est pas de savoir si ces outils existent; il s’agit de savoir si leur utilisation, telle que présentée dans l’article, répond aux véritables faiblesses structurelles du paradigme de planification en supply chain.
Ce n’est pas le cas.
La prévision en est un bon exemple. Les auteurs écrivent que le machine learning “améliore la précision de la prévision,” et que des prévisions de demande avancées peuvent s’appuyer sur “des centaines de variables dynamiques issues à la fois de jeux de données internes et externes.” Plus tard, dans leur discussion sur le “decision‑focused AI”, ils reconnaissent que les chaînes traditionnelles de “prédire‑puis‑optimiser” peuvent désaligner la prévision et la décision, et proposent d’entraîner les modèles directement sur les coûts des décisions en aval.
Tout cela se déroule comme si le problème fondamental de la prévision de supply chain était le manque de sophistication des modèles de séries temporelles. Ce n’est pas le cas.
Dans le livre, je consacre une section entière à expliquer pourquoi le paradigme des séries temporelles est structurellement inadapté aux décisions commerciales. Une série temporelle condense un historique de transactions en une séquence de nombres indexée par des intervalles de temps. Cette représentation perd de l’information de manière significative. Deux structures de demande peuvent produire des séries de ventes hebdomadaires identiques — l’une où un millier de clients indépendants achètent chacun une unité par semaine, et l’autre où un seul grand compte achète les mille unités. Dans le premier cas, la demande se décline lentement; dans le second, elle peut s’effondrer du jour au lendemain. La série temporelle hebdomadaire ne les distingue pas, mais le risque de stocks est radicalement différent.
De même, un produit qui se vend dix unités par semaine pourrait correspondre à dix petits paniers ou un grand panier. La série temporelle est identique; la position de stocks sensée diffère d’un facteur de quatre ou plus. La prévision des séries temporelles, si sophistiquée soit-elle, ne peut pas récupérer l’information que l’agrégation a elle-même détruite. Il ne s’agit pas d’ajouter plus de caractéristiques ou de réseaux plus profonds; la représentation est inadaptée à la décision.
Le document ne s’engage jamais dans cette critique structurelle. Il part tout simplement du principe, comme l’ont fait d’innombrables documents avant lui, qu’une meilleure prévision des séries temporelles est un goulot d’étranglement central dans supply chain et que le machine learning est la réponse naturelle. Le bref clin d’œil aux pertes orientées décision est incrémental : les modèles optimisent désormais une fonction de perte plus pertinente, mais ils sont toujours entraînés sur le même objet appauvri.
Pire encore, lorsque le document aborde des critères de décision spécifiques, il se tourne vers les suspects habituels : les taux de service et les coûts de stocks. OML est loué pour avoir « significativement » amélioré les taux de service et réduit les coûts de stocks dans des études de cas. La question économique sous-jacente — combien de capital devrait être engagé pour quelles options, sous quel profil de risque — n’est jamais formulée explicitement.
Dans le livre, j’appelle les formules de stock de sécurité « stocks dangereux » et je note qu’elles fournissent un test décisif de l’incompétence flagrante en supply chain. Ces formules reposent sur le choix d’un taux de service cible — disons, 95 % — et sur le traitement de ce pourcentage comme s’il avait un lien intrinsèque avec le profit. Ce n’est pas le cas. Le taux de service est un substitut pour un compromis monétaire entre la douleur d’une rupture de stock et le coût de détention des stocks. À moins de fixer des prix des deux côtés et de calculer explicitement le compromis, viser « 95 % » ou « 97 % » relève de la numérologie. Comme je le souligne également, le taux de service est devenu un KPI « évadé » classique : un proxy qui s’est affranchi de ses racines économiques et qui commande désormais l’organisation, alors que personne n’est contraint d’indiquer les prix réels.
Le document AI Era ne remet jamais en cause cette culture des KPI ; il y intègre l’IA. Les prévisions sont améliorées ; les politiques de stocks peuvent être ajustées ; les taux de service deviennent un peu plus élevés et les stocks un peu plus faibles — et on nous affirme que cela constitue un progrès. Il n’est fait aucune mention des taux de rentabilité ajustés en fonction du risque, de la manière dont les options sont évaluées face à une contrainte de fonds de roulement, ou de la manière dont la performance des modèles est jugée à la limite où les recommandations sont réintégrées dans l’ERP et où l’argent circule réellement.
Le traitement des grands modèles de langage est un autre exemple. Le document suggère que les LLMs « promettent de rendre les outils de planification avancée plus accessibles » et qu’ils peuvent fournir des interfaces en langage naturel qui « démocratisent l’accès aux outils de prise de décision avancée ».
Dans le livre, je soutiens que les modèles de langage consomment généralement des ordres de grandeur de calcul plus importants que les algorithmes spécialisés effectuant le même travail et qu’ils sont peu susceptibles d’être compétitifs pour le traitement de données numériques. Leur rôle légitime en supply chain est étroit : accélérer la rédaction et la maintenance des recettes numériques et de la documentation, et extraire des caractéristiques à partir de textes non structurés. Les utiliser comme moteurs de prévision est explicitement contre-productif : ils sont « inadaptés à la prévision des séries temporelles — ou à tout travail numérique de quelque nature » et performent mal, à un coût élevé, comparativement aux modèles statistiques de base.
Le document de vision, encore une fois, se conforme à la mode : les LLMs deviennent des résolveurs de problèmes « agentiques » capables d’aider à ajuster les politiques d’apprentissage par renforcement et de raisonner via la chaîne de pensée au sujet de décisions complexes en supply chain. Il n’y a aucune discussion sérieuse sur la fiabilité numérique, le coût, ou sur le point fondamental que les générateurs de texte stochastiques constituent une base bien médiocre pour des engagements non supervisés impliquant des millions de dollars de stocks.
Dénuée de son vernis IA, ce que propose le document est le même équilibre de planification qui a dominé pendant des décennies : des prévisions sous forme de séries temporelles, des plans sous forme de regroupements de séries temporelles, des taux de service comme talismans, des humains validant les résultats. L’IA est invitée à se placer au sommet de cette pile en tant qu’amplificateur, et non pour contester ses prémisses.
Pourquoi les praticiens vont (et devraient) détourner le regard
Rien de tout cela n’aurait autant d’importance si le document n’était qu’un exercice académique. Mais il est explicitement présenté comme un guide pour les praticiens et les éducateurs. Ses auteurs concluent en lançant des appels aux chercheurs, aux dirigeants de l’industrie et aux universités, les exhortant à construire des programmes d’études axés sur la collaboration homme–IA, à développer des cadres de gouvernance pour des déploiements d’IA « éthiques », et à concevoir des supply chains qui renforcent la « résilience, la productivité et le bien-être social ».
La difficulté est que le modèle mental sous-jacent ne quitte jamais le confort de la salle de séminaire.
Il n’est pas exigé que les techniques soient testées sur des ensembles de données d’entreprise complets et désordonnés, produisant des décisions non supervisées et étant évaluées par rapport à une référence en espèces. Il n’est pas exigé que les préoccupations supra-économiques soient traduites en prix, réglementations ou risques quantifiés avant d’être autorisées à primer sur le profit. Il n’est pas exigé que les cadres soient justifiés par les changements concrets qu’ils induisent dans ce qui est acheté, déplacé et tarifé — et non par le nombre de diapositives qu’ils peuvent remplir.
Dans le chapitre 6.2 de mon livre, en discutant de l’intelligence générale et du rôle des logiciels en supply chain, je souligne que de nombreux modèles publiés traitent les choix de conception cruciaux — objectif, contraintes, options admissibles — comme implicites. Ils opèrent au sein d’énigmes ordonnées et délimitées tout en laissant de côté la partie désordonnée, la partie pour laquelle les entrepreneurs sont réellement rémunérés. Le remède est conceptuellement simple, bien que difficile en pratique : formuler l’objectif économique en termes monétaires, énumérer les options admissibles, définir les conditions d’arrêt, puis décomposer le travail en sous-problèmes délimités que les machines peuvent résoudre.
La déclaration de vision de AI Era ne fait pas cela. Elle part d’adjectifs sans prix, s’empile en classifications, passe en revue une littérature principalement rédigée par ses propres auteurs et leurs pairs, puis appelle à davantage de la même chose sous la bannière de l’IA. Elle est éloquente, sincère, et, pour quiconque tente de gérer une supply chain, presque entièrement à côté de la plaque.
C’est pourquoi les praticiens ignorent ce type de travaux. Non pas parce qu’ils sont anti-intellectuels, mais parce qu’ils ont appris, souvent à la dure, que des cadres dépourvus de fonctions objectives, des prévisions sans discussion honnête des limites de la représentation, une IA sans repère économique, et une éthique sans prix convergent tous vers le même résultat : des présentations impressionnantes, des projets pilotes modestes, et aucune amélioration durable du taux de rentabilité de l’entreprise.
Si le monde académique veut redevenir pertinent en supply chain, il lui faudra inverser le schéma illustré aussi clairement par ce document. Commencez par l’économie, et non par des adjectifs. Traduisez les préoccupations — environnementales, sociales ou autres — en compromis explicites plutôt qu’en slogans moraux. Jugez les modèles en fonction de leur performance sur des données désordonnées, sous de réelles contraintes, avec des décisions non supervisées et de l’argent en jeu. Acceptez que la planification basée sur les séries temporelles est, pour de nombreux problèmes, une impasse, et que l’IA n’est pas un engrais magique pour un paradigme défectueux.
Jusque-là, les praticiens ne sont pas seulement justifiés d’ignorer de telles déclarations de vision. Ils font preuve de prudence.