Les supply chains sont des systèmes complexes, probablement parmi les plus complexes jamais conçus par l’humanité, englobant des personnes (nombreuses), des machines (diverses) et des logiciels (énormes). La perspective que j’ai récemment publiée sur DDMRP a généré une discussion animée vibrante. Cela m’a amené à réfléchir davantage aux différences fondamentales entre la gestion de la Supply Chain Quantitative (QSCM) et DDMRP. Au fond, ces deux visions divergent profondément sur le rôle des humains dans les supply chains.

Le QSCM est fermement ancré dans la vision IBM classique:

les machines doivent travailler; les gens doivent penser;

En revanche, DDMRP adopte une posture d’éducation de masse, résumée au mieux par sa devise:

conçu pour les gens et non pour la perfection;

Bien que la posture philosophique envers les humains dans les supply chains n’explique pas toutes les différences entre le QSCM et le DDMRP, elle éclaire pourquoi ces deux perspectives sont en partie irréconciliables.

power of (wo)man

Pénurie vs abondance de praticiens supply chain

Les praticiens supply chain sont reconnus comme une ressource précieuse pour l’entreprise tant par le DDMRP que par le QSCM. Cependant, les deux approches diffèrent nettement dans la manière dont cet angle est intégré dans leur méthodologie respective.

Le QSCM part de l’hypothèse que chaque décision supply chain banale doit être automatisée1. Cette perspective souligne que les praticiens supply chain compétents sont considérés comme trop rares et trop chers pour passer leur temps à générer des décisions de gestion des stocks, d’achat ou de tarification. Toutes ces décisions peuvent et doivent être automatisées, afin que les praticiens puissent se concentrer sur l’amélioration de la recette numérique elle-même. D’un point de vue financier, le QSCM transforme ces salaires de l’OPEX, où les journées-homme sont consommées pour faire tourner le système, en CAPEX où les journées-homme sont investies dans l’amélioration continue du système.

L’approche du DDMRP part de l’hypothèse que les praticiens supply chain compétents peuvent être formés en masse2, réduisant ainsi à la fois le coût pour l’employeur, mais aussi le bus factor associé au départ de tout employé. De plus, en adoptant des recettes numériques spécifiquement adaptées au traitement humain, les investissements OPEX peuvent eux-mêmes être réduits. Le DDMRP établit un processus pour générer des décisions supply chain banales, mais atteindre une automatisation complète est principalement un non-objectif3, bien que le DDMRP ne soit pas opposé à l’automatisation chaque fois que l’occasion se présente.

Il est intéressant de noter que l’orientation de l’industrie vers la perspective du QSCM ou du DDMRP devrait être observable dans une certaine mesure. Si la perspective du QSCM est adoptée plus largement, alors les équipes de gestion de la supply chain évolueront pour ressembler davantage à d’autres industries axées sur le talent, par exemple la finance avec ses quantitative traders où quelques individus exceptionnellement talentueux déterminent la performance de grandes entreprises. À l’inverse, si la perspective du DDMRP est adoptée plus largement, alors les équipes de gestion de la supply chain évolueront pour ressembler davantage à des franchises à succès - par exemple les managers de magasins Starbucks - où les individus exceptionnels ont peu d’effet sur le système - mais où une culture supérieure fait toute la différence entre les entreprises.

Transparence locale vs globale

Le QSCM et le DDMRP s’efforcent tous deux d’éviter l’effet boîte noire inhérent à toute tentative d’optimiser un système complexe. Les deux approches valorisent l’idée d’atteindre un certain degré de transparence supply chain; toutefois, en raison de prémisses initiales divergentes, elles aboutissent à des perspectives radicalement différentes sur ce que signifie la transparence.

Du point de vue du QSCM, la transparence doit être atteinte avant tout au niveau de la gestion grâce à des leviers économiques quantifiés de manière explicite4. Chaque décision produite par le système devrait être soutenue par une série de leviers - mesurés en montants monétaires (par exemple en dollars) - qui expliquent pourquoi cette décision est proposée. Par exemple, une décision d’achat est motivée par la marge supplémentaire qui sera générée par la détention d’un stock supplémentaire (plutôt que de ne pas en avoir), mais aussi impactée négativement par les coûts de détention et un risque accru de dépréciation des stocks. La direction maîtrise ces leviers économiques et, au niveau du système, le QSCM est hautement transparent : le système déploie simplement à grande échelle les implications complexes mais banales de ces leviers. Pourtant, l’inconvénient d’une telle optimisation à l’échelle du système est que déchiffrer les petits caractères de chaque décision donnée est compliqué, précisément parce que chaque décision est un équilibre complexe de nombreux leviers évalués face à de nombreux futurs possibles.

Du point de vue du DDMRP, la transparence est conçue et délivrée au niveau opérationnel. La simplicité des recettes numériques garantit que chaque décision peut être aisément évaluée comme correcte simplement en estimant à vue de nez le résultat attendu. De plus, reproduire les calculs dans un tableur demeure toujours possible. En outre, grâce aux listes de priorité, le DDMRP atténue la complexité inhérente des supply chains, en fournissant un mécanisme d’attention aux praticiens supply chain, afin qu’ils n’aient pas à revisiter manuellement tous les SKU en permanence. Cependant, l’inconvénient d’une stratégie d’optimisation locale telle que proposée par le DDMRP est que les résultats à l’échelle du système, lorsqu’ils sont mesurés en montants monétaires, sont opaques. Par exemple, le DDMRP n’offre aucun contrôle à la direction pour ajuster un compromis systémique tel que la résilience vs la croissance5 lorsqu’on considère le risque d’une perte abrupte d’un client important et en croissance qui, jusqu’à présent, commandait des produits divers en quantités diverses.

Il n’est pas possible d’avoir à la fois une transparence locale et globale : soit les décisions sont optimisées localement (comme dans le DDMRP) avec des recettes numériques simples, auquel cas, il n’y a aucun contrôle et aucune transparence sur ce qui se passe au niveau du système ; soit les décisions sont optimisées globalement, auquel cas toutes les décisions tendent à être numériquement imbriquées, comme c’est le cas avec le QSCM, rendant toute tentative d’atteindre la transparence lors du choix d’une décision isolée complexe.


  1. Voir le point 4 du manifeste↩︎

  2. Les recettes numériques proposées dans le DDMRP sont simples et accessibles avec peu ou pas de connaissances techniques requises. En revanche, les supply chains quantitatives s’appuient sur des Supply Chain Scientists qui nécessitent un ensemble de compétences assez exigeant combinant à la fois sens des affaires et compétences en programmation. ↩︎

  3. D’un point de vue numérique, le DDMRP suit un processus en deux étapes : d’abord, établir les points de découplage ; ensuite, déclencher les flux basés sur des priorisations numériques. Si l’automatisation complète était un objectif du DDMRP, alors les points de découplage seraient automatiquement calculés. Cependant, si les points de découplage étaient automatiquement calculés, il ne serait pas nécessaire de prêter la moindre attention à ces points, car ils ne seraient qu’un état transitoire du calcul global. Le DDMRP concrétise ses points de découplage précisément parce qu’ils ne résultent pas strictement d’une recette numérique. ↩︎

  4. Voir le point 3 du manifeste↩︎

  5. Une manière de rendre la supply chain plus résiliente face à la perte d’un grand client consiste à réduire les stocks uniquement pilotés par les commandes de ce client. Cependant, si ce grand client continue de croître, réduire les stocks mettra en péril la croissance future. Dans cette situation, il existe un compromis fondamental entre favoriser la résilience ou favoriser la croissance. Ce compromis a des ramifications sur presque chaque décision supply chain. ↩︎