00:00:04 Introduction d’Olivier Ezratty et son expérience chez Microsoft.
00:01:32 Sujet : Réalité vs mythe dans les startups.
00:03:38 Surpromesse et confiance dans les relations startup-entreprise.
00:05:01 Dynamique et pièges dans la supply chain.
00:06:40 Big data, deep learning dans les prévisions.
00:08:00 Idées fausses sur le financement des startups.
00:08:22 Étude de cas : Startups surfinancées, Theranos et Magic Leap.
00:09:35 Comportement des investisseurs motivé par la peur de rater une opportunité.
00:12:29 Nécessité de la due diligence dans les investissements.
00:14:18 Importance de la connaissance technologique et du marché.
00:16:00 Rôle et défis de l’innovation dans la mise à l’échelle.
00:16:37 Débat : Compréhension de l’innovation en entreprise sur le marché.
00:17:56 Rôle de l’IA dans les entreprises.
00:19:41 Complexités de l’optimisation de la supply chain.
00:22:02 Mythes sur les prévisions dans la supply chain.
00:23:55 Évaluation des startups : équipe, compétences, gestion de l’incertitude.
00:25:02 Équilibre de l’entrepreneur : être visionnaire vs être pratique.
00:27:13 Conseils pour les entrepreneurs ; le parcours de Joannes chez Lokad.
00:29:57 S’attaquer aux problèmes “pas cool” : déchets et recyclage.
00:30:52 Défis des startups : transition du service au produit.
00:32:31 Réflexions finales.

Résumé

Dans un épisode de Lokad TV, Olivier Ezratty, auteur du “Guide des Startups”, et Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, discutent de la réalité par rapport aux mythes des startups. Ils abordent les difficultés auxquelles sont confrontées les startups, notamment la pression de promettre trop, les ressources limitées et les cycles de vente longs, en particulier dans les logiciels B2B. La conversation explore comment les grandes entreprises externalisent les risques grâce à des partenariats avec des startups. Elle met également en évidence les conséquences des idées fausses sur le financement et la livraison de produits dans l’entrepreneuriat, l’impact du FOMO des investisseurs sur les stratégies de financement, et la nécessité d’une culture technologique chez les investisseurs et les entrepreneurs. La discussion se conclut par des conseils pour les startups, soulignant l’importance de la compréhension des problèmes, de la focalisation sur le client et du développement discipliné des produits.

Résumé détaillé

Dans le dernier épisode de Lokad TV, l’animateur Kieran Chandler accueille deux vétérans de l’industrie technologique, Olivier Ezratty, l’auteur du “Guide des Startups”, et Joannes Vermorel, le fondateur de Lokad. Ils discutent des “Mythes versus Réalité dans les Startups”.

Ezratty commence par partager son parcours, passant d’ingénieur logiciel au marketing chez Microsoft, pour finalement devenir un business angel en 2005-2006. Tout au long de cette transition, il observe le monde des capital-risqueurs, les facteurs clés de succès et les flux financiers, ce qui l’amène à écrire le “Guide des Startups”.

Vermorel se joint à la conversation, reconnaissant les défis de la gestion d’une startup : des ressources limitées, une pression constante et un produit qui n’est jamais assez prêt. Il observe que ces difficultés poussent souvent les startups à promettre plus qu’elles ne peuvent tenir.

En parlant de logiciels B2B, Vermorel explique que la situation peut être complexe en raison des cycles de vente longs. Il souligne l’engagement de Lokad à rester fidèle à ses capacités et à ses promesses, en discutant régulièrement des essais et des erreurs sur leur blog.

Au fur et à mesure de la conversation, Vermorel interroge Ezratty sur les mots à la mode des startups et les revendications de “pilules magiques” ou de perturbation. Il est curieux de savoir comment les startups parviennent à rester fidèles malgré ces contraintes.

En accord avec la tendance des startups à revendiquer plus qu’elles ne peuvent offrir, Ezratty le justifie en appelant les startups des “entreprises de rêve”. Il croit que les vrais innovateurs sont ceux qui changent le marché et prennent des risques, en testant simultanément différentes options. Il discute de la façon dont les grandes entreprises interagissent avec les startups, suggérant que le véritable motif est l’externalisation du risque.

Partageant son observation sur les startups, en particulier dans les logiciels B2C, Vermorel note qu’elles exagèrent souvent leurs capacités, ce qui entraîne une méfiance des clients. Il souligne comment Lokad a initialement rêvé de créer des prévisions sophistiquées en utilisant des données multi-industrielles, mais que la réalité a nécessité une plus grande importance accordée à l’obtention de plus de données.

Ezratty aborde les mythes de l’entrepreneuriat, notamment le financement facile et la livraison rapide du produit. Il identifie différentes sources de financement pour les startups, telles que le financement public, le capital-risque, les ventures corporatifs et le domaine émergent des cryptomonnaies.

La discussion se tourne vers les entreprises qui ont reçu un financement excessif mais n’ont pas réussi à livrer, comme Theranos et Magic Leap. Malgré ces échecs, ils examinent des success stories comme Facebook qui justifient les stratégies d’investissement à haut risque.

Passant à la compréhension de la technologie, Vermorel souligne l’importance de la due diligence, compte tenu des sommes d’argent investies. Ezratty exprime sa préoccupation quant à la méconnaissance de l’IA dans le monde de l’entrepreneuriat, exhortant à une meilleure compréhension de la part des investisseurs et des entrepreneurs.

Ils discutent de certains mythes courants dans l’industrie de la supply chain, principalement la survalorisation de l’intuition humaine par rapport aux prévisions statistiques ou basées sur l’IA. Ezratty souligne que de nombreuses entreprises disposent de données importantes mais d’objectifs peu clairs pour leur utilisation, soulignant l’importance de prendre en compte les dynamiques du marché, la concurrence, les changements de comportement des consommateurs et les avancées technologiques.

Passant aux critères d’évaluation des startups, Ezratty souligne l’importance d’une équipe compétente et à l’écoute, de la capacité des entrepreneurs à équilibrer les visions à long terme avec la gestion à court terme, et de la qualité de la solution proposée par la startup. Vermorel conseille aux fondateurs de startups de se concentrer sur des problèmes fondamentaux et stables plutôt que sur des problèmes transitoires, en soulignant le potentiel de s’attaquer à des problèmes “peu cool” qui peuvent être sous-évalués.

Pour conclure, Ezratty souligne le défi pour les startups de créer un produit plutôt qu’un service, ce qui nécessite un mélange unique de compréhension des besoins des clients, de la scalabilité commerciale et de la faisabilité technologique. Il préconise d’apprendre ces compétences essentielles pour réussir dans le monde des startups.

Transcription complète

Kieran Chandler: Bonjour à tous, bienvenue sur Lokad TV. Aujourd’hui, je suis ravi de vous annoncer que nous sommes accompagnés d’Olivier Ezratty, qui compte plus de 30 ans d’expérience dans l’industrie technologique, dont 15 ans chez Microsoft. Il est également l’auteur du “Guide des Startups”, qui en est maintenant à sa 22e édition ici en France. Olivier, merci de nous rejoindre sur Lokad TV aujourd’hui. Pour commencer, pourriez-vous vous présenter brièvement ? Comment vous êtes-vous intéressé aux startups ?

Olivier Ezratty: J’ai commencé à m’intéresser aux startups il y a environ trente ans. Mais avant tout, je suis ingénieur en informatique. Avant de faire du marketing chez Microsoft, j’ai été ingénieur en informatique pendant environ quatre ou cinq ans. Après avoir été directeur marketing, géré diverses relations et créé l’écosystème de relations avec les startups au sein de Microsoft, j’ai pensé qu’il serait intéressant de transmettre certaines compétences aux startups de l’écosystème français. Ainsi, vers 2005 et 2006, je suis devenu business angel. J’ai eu quelques petites entreprises qui m’ont aidé à comprendre le monde des VC et les facteurs clés de succès. Mon objectif était d’apprendre et de partager, c’est pourquoi j’ai écrit ce guide et l’ai continuellement mis à jour depuis.

Kieran Chandler: C’est fascinant. Comme toujours sur Lokad TV, nous sommes accompagnés de Joannes Vermorel, le fondateur de Lokad, qui en connaît peut-être un rayon sur les startups. Aujourd’hui, notre sujet est “Mythe contre Réalité dans les Startups”. Joannes, que voulez-vous dire par les mythes que nous voyons dans les startups ?

Joannes Vermorel: En tant qu’entrepreneur de startup moi-même, je peux dire que nous sommes toujours confrontés à des situations difficiles. Notre produit n’est jamais assez prêt, et nous n’avons jamais assez de temps ou de fonds. Il y a donc toujours une pression et une urgence pour mettre quelque chose sur le marché. Cela nous met dans une situation où les incitations à exagérer la vérité sont fortes, présentant souvent quelque chose qui est un peu plus que ce que nous pouvons réellement livrer. Dans le cas des logiciels B2B, la situation peut même être pire car les cycles de vente sont très longs. Ainsi, on pourrait exagérer la vérité, et au moment où l’accord est conclu, l’entreprise a peut-être réellement eu le temps de livrer ce qui avait été initialement promis, en raison du long cycle de vente. Nous avons essayé de rester très proches de ce que nous faisons chez Lokad et avons largement discuté de nos essais et tribulations dans nos articles de blog. Cependant, je trouve intéressant d’entendre Olivier, que je considère comme l’un des plus grands experts de l’écosystème des startups françaises. Olivier, quel est votre avis sur ces différents domaines, mots à la mode et startups qui essaient de revendiquer leurs propres “pilules magiques” ou “facteurs de disruption” ? Êtes-vous d’accord pour dire que les startups ont tendance à promettre plus qu’elles ne peuvent réellement livrer ?

Olivier Ezratty: Oui, je suis d’accord, les startups prétendent souvent pouvoir faire plus qu’elles ne le peuvent. Elles ont besoin de le faire car une startup est une entreprise de rêve. Elles rêvent du futur, de créer des choses qui n’existent pas encore nécessairement. Nous savons qu’il y a un taux d’échec élevé, donc un entrepreneur qui ne repousse pas suffisamment les limites n’est pas un véritable entrepreneur. Les véritables innovateurs sont ceux qui changent le marché, et cela implique des risques. Vous devez tester différentes options simultanément. Les grandes entreprises travaillent souvent avec des startups pour externaliser ce risque. Le mythe est que cela aidera les grandes entreprises à innover, mais la réalité est qu’elles continuent d’innover en interne.

Kieran Chandler: Trop lourd, trop compliqué, ils demandent simplement à d’autres personnes de prendre le risque et de s’en décharger. D’accord, une autre question. Y a-t-il d’autres incitations ou raisons pour lesquelles les startups pourraient ne pas être entièrement honnêtes ? Joannes, qu’en pensez-vous ?

Joannes Vermorel: Oui, l’un des points que je vois, en particulier dans les logiciels B2C qui traitent de systèmes complexes tels que les chaînes d’approvisionnement, est que l’innovation significative nécessite plusieurs années d’efforts. Les startups peuvent exagérer leurs capacités, ce qui peut conduire à une relation dysfonctionnelle entre la startup et l’entreprise qui essaie d’adopter la technologie. Ce déséquilibre peut entraîner un échec pour de mauvaises raisons, telles que la destruction de la confiance avant d’avoir eu le temps de peaufiner et de perfectionner le système.

J’ai constaté cela notamment dans les chaînes d’approvisionnement où il y a une complexité inhérente, avec de nombreux pays et systèmes qui doivent interconnecter. En ce qui concerne les logiciels B2B d’entreprise, c’est la complication à l’état pur. Les grandes entreprises passent souvent d’une solution de startup potentielle à une autre tous les deux ans, mais semblent toujours échouer deux ans avant de pouvoir déployer la solution.

Cette situation crée une sorte d’hiver de l’IA, où les entreprises essaient de déclarer quelque chose comme un échec prématurément parce que cela prenait plus de temps que prévu.

Cependant, des deux côtés de cette équation, il est nécessaire de rêver et d’imaginer beaucoup de choses. Par exemple, dès le début chez Lokad, nous avions l’idée d’avoir un modèle de prévision qui pourrait exploiter de nombreux ensembles de données provenant de diverses industries. L’idée était que cela nous permettrait d’affiner notre modèle de prévision.

Nous avons finalement réussi à mettre en œuvre cela, mais cela a pris huit ans et s’est avéré différent du concept initial. L’idée initiale était de capturer les tendances précoces de la mode pour prédire la consommation d’électronique grand public. Cela n’a pas fonctionné. Ce qui a fonctionné, c’était l’exploitation des données de différents secteurs pour améliorer la précision des prévisions, principalement en ayant plus de données pour l’apprentissage profond et la descente de gradient, ce qui l’a rendu plus stable. Cela nous a permis d’utiliser plus de paramètres et d’améliorer finalement les performances, même sans transferts d’informations spécifiques au domaine.

Olivier Ezratty: La fausse idée commune dans l’entrepreneuriat est celle de la facilité. Il y a ce mythe selon lequel il est facile d’obtenir des financements, facile d’acquérir des clients, facile de livrer un produit à temps. La plupart du temps, cette idée fausse est liée à un manque d’expérience. Lorsqu’une personne sort de l’école et lance une startup, elle manque d’expérience et a tendance à être trop optimiste. Elle fait de son mieux, embauche les meilleures personnes qu’elle peut trouver.

Kieran Chandler: Parlons des financements. D’où proviennent ces financements ? Qui finance réellement ces startups ?

Olivier Ezratty: Il y a plusieurs sources. En France et dans certaines parties de l’Europe, il y a des financements publics. Il y a aussi des sociétés de capital-risque, des offres initiales de jetons (ICO) et des financements d’entreprises. Les ICO sont un peu incertaines ; généralement, elles sont soutenues par la valeur du Bitcoin provenant de particuliers qui ont investi dans des bitcoins et choisissent d’investir dans des entreprises de blockchain.

Le financement d’entreprise a connu une forte augmentation au cours des trois dernières années, ce qui n’existait pas il y a dix ans. Par exemple, SoftBank du Japon a levé plus de trois cents millions de dollars ou d’euros, dont une part importante provient d’autres sociétés comme Samsung, Total et d’autres.

Kieran Chandler: Joannes, qu’en pensez-vous ? Nous discutons d’exemples d’entreprises repoussant les limites, et il y a plusieurs exemples dans le monde réel où les entreprises ont peut-être poussé un peu trop loin. Elles ont pris des financements excessifs pour développer une technologie qui n’a pas vraiment fonctionné. Je pense que vous avez plus d’expertise dans ce domaine que moi, pourriez-vous donner quelques exemples notables ?

Joannes Vermorel: Bien sûr, un exemple qui me vient à l’esprit est Theranos. Cette entreprise est allée trop loin avec beaucoup trop d’argent. Au final, elle a levé environ 2 milliards de dollars, ce qui est une somme importante.

Kieran Chandler: Cette histoire est en effet remarquable, et la plupart des gens en ont entendu parler. C’était une entreprise de santé, une entreprise de medtech, et la fondatrice, Elizabeth Holmes, avait un rêve de produire un produit mais pas de plan concret sur la façon de le réaliser. L’idée était une sorte de test sanguin bon marché. Elle a réussi à réunir des fonds auprès d’investisseurs qui ne connaissaient pas très bien ce marché, y compris des politiciens américains et des personnalités connues comme Henry Kissinger et James Mattis. Cependant, malgré ses efforts, cela s’est finalement transformé en une escroquerie.

Olivier Ezratty: Ce qui est intéressant, c’est qu’il y avait un journaliste français qui a écrit un article dans le Wall Street Journal sur cette escroquerie il y a deux ou trois ans. Malgré cette révélation, l’entreprise a réussi à doubler ses financements, passant d’environ 762 millions de dollars à 2 milliards de dollars, même après le début du scandale. Un autre exemple moins connu est Magic Leap, qui a réuni 2 milliards de dollars pour un casque de réalité augmentée, bien qu’il soit incertain que cela vaille cet investissement.

Kieran Chandler: Alors pourquoi les investisseurs sont-ils si désireux de financer ces projets ?

Olivier Ezratty: Cela se résume à la peur de passer à côté. Les grands investisseurs, notamment aux États-Unis, veulent être certains de ne pas manquer l’opportunité d’investir dans le prochain Facebook ou une autre entreprise mondiale à succès. Donc, lorsqu’ils repèrent une entreprise ayant le potentiel de perturber tout un secteur comme la santé ou les transports, ils investissent massivement. Ils veulent envoyer un message aux autres investisseurs pour leur dire qu’ils n’ont pas besoin d’investir ailleurs. C’est une sorte de guerre, un signal qu’ils envoient aux autres. Parfois, cela échoue, comme nous l’avons vu dans les deux exemples mentionnés. Cependant, parfois cela fonctionne. Par exemple, Facebook a levé environ un demi-million de dollars avec de l’argent russe avant son introduction en bourse, et cela s’est avéré être un succès.

Kieran Chandler: Joannes, comment les investisseurs peuvent-ils améliorer la clarté de ce dans quoi ils investissent ?

Joannes Vermorel: Cette question me rappelle ce qu’Olivier a fait à travers son blog, que je lis depuis une décennie. Olivier passe en revue de manière approfondie le paysage des mots à la mode tels que l’IA, la blockchain, l’informatique quantique, la génomique, etc. Bien que je dirige Lokad en tant qu’activité secondaire, il m’arrive parfois d’effectuer des missions de diligence raisonnable technique financées par des sociétés de capital-risque, qui me demandent de réaliser un audit technologique de certaines entreprises de logiciels. Cependant, je suis toujours perplexe face au niveau apparent d’amateurisme en ce qui concerne la quantité de diligence raisonnable, qui semble ne pas correspondre au volume d’argent investi. Parfois, cela fonctionne parce que les faibles chances de succès suffisent pour que cela en vaille la peine, mais il y a certainement place à plus de rationalité sur le marché.

Kieran Chandler: C’est comme de la magie que vous ne pouvez pas comprendre, quelle est la physique derrière tout ça, vous savez ? Quelle est votre perception de l’éducation du marché dans son ensemble et de l’adoption de ces sujets, plutôt que de dire : “Je vais faire confiance aux experts” ?

Olivier Ezratty: C’est difficile car nous voyons apparaître chaque année différents sujets. La blockchain est assez récente, par exemple. Nous sommes confrontés à des sujets de plus en plus complexes, donc vous avez besoin de plus d’expertise et de plus de temps pour comprendre toutes ces nouvelles techniques. L’IA fait partie de plusieurs idées fausses. Par exemple, les gens pensent que le deep learning fait tout, alors qu’il ne représente que 25% de ce que vous pouvez faire avec l’IA. Il y a beaucoup de malentendus car les gens manquent de connaissances.

Le monde de l’entrepreneuriat, et je ne suis pas sûr des variations entre les pays, mais au moins en France, est un mélange d’ingénieurs et de scientifiques, mais aussi de beaucoup de personnes non scientifiques. Ils n’ont souvent aucune idée de tout cela, ce qui conduit à un manque de compréhension de la science pour bon nombre de ces sujets. Je sais que beaucoup d’entreprises ont été créées sur la base de l’IA par des personnes qui ne connaissent rien à l’IA. Ils pensent qu’ils peuvent simplement faire quelque chose, donc ils disent : “Ok, j’ai une idée, nous allons créer un chatbot pour n’importe quoi”, puis ils embauchent des gens mais ils ne savent pas si c’est possible de le réaliser.

Prenons Elizabeth Holmes par exemple, elle venait de Stanford, elle n’avait qu’un an de diplôme en santé, et puis elle a dit : “nous allons faire des tests sanguins”. Elle n’avait aucune idée. C’est un peu fou. Les gens créent des choses mais ils n’ont pas assez de connaissances scientifiques.

Ce que j’essaie de promouvoir sur le marché, c’est : élevez votre compréhension de la science. Vous devez le faire pour deux raisons. Premièrement, si vous êtes un investisseur, vous devez être capable de réaliser le processus de diligence raisonnable de ces entreprises. Et deuxièmement, vous allez comprendre ce qui se passe. Vous aurez une idée de ce que vous pouvez faire en matière d’innovation. Je pense que cela va être très utile pour créer des entreprises mondiales.

Si vous pensez que vous ne faites qu’une entreprise intermédiaire sur place, il est très difficile de se développer à l’échelle mondiale car les entreprises américaines auront plus d’argent que vous. Vous ne pouvez pas facilement créer un Facebook basé en France. Cependant, vous pouvez créer une entreprise mondiale si vous avez une technologie qui peut perturber, où il y a une certaine magie à l’intérieur de la technologie que personne ne connaît.

Kieran Chandler : Eh bien, ce que je comprends vraiment ici, c’est que ce n’est pas vraiment dans l’intérêt d’une entreprise d’améliorer ce genre de compréhension sur le marché si elle gagne de l’argent et si elle est investie, n’est-ce pas ? Pourquoi est-ce dans leur intérêt d’améliorer la compréhension ?

Olivier Ezratty : Eh bien, cela dépend de l’étape où vous en êtes dans le cycle de vie de votre produit. Si vous créez une nouvelle catégorie de produits et que vous avez besoin d’éduquer le marché, peut-être devez-vous expliquer un peu le fonctionnement interne de vos produits et de votre technologie. Si vous êtes un leader et que vous n’avez pas beaucoup de concurrence, vous pouvez protéger une partie de votre PI avec des secrets industriels. Donc vous n’expliquez pas comment ça marche, c’est un tour de magie.

Mais si vous avez beaucoup de concurrence, si vous n’êtes pas en tête et que vous avez une certaine différenciation, mais que vous devez l’expliquer, alors vous devez expliquer d’où viennent les éléments de votre produit. C’est très intéressant car, avec l’IA, de nombreuses grandes entreprises ont traversé ces étapes. Au début, elles publiaient quelques articles de recherche, Google l’a beaucoup fait au tout début pour gagner en visibilité et embaucher plus de personnes. Ensuite, elles ont mis l’accent sur leur secret de fabrication, puis, à un stade plus mature, elles ont recommencé à publier car il y a tellement de concurrents qu’elles veulent simplement remporter la bataille de l’esprit, des cœurs et des esprits. Elles veulent que les gens pensent à elles, construisent autour de leur produit et utilisent leurs unités de traitement et tout le reste.

Kieran Chandler : Il y a une grande confusion à propos de l’IA. La plupart des connaissances sur l’IA sont publiques. C’est dans le domaine public. Vous pouvez trouver n’importe quoi dans les articles de recherche. Je pense que seulement deux ou trois pour cent manquent. Mais vous avez besoin des compétences pour comprendre les outils et les appliquer pour trouver une solution. La connaissance de l’IA dans une start-up consiste à savoir comment assembler tout cela. Une autre idée fausse est que l’IA est un produit. Ce n’est pas vrai. L’IA est une boîte à outils avec de nombreux outils.

Joannes Vermorel : C’est comme des Lego avec toutes ces pièces différentes. Vous dites : “Je crée un dinosaure en 2D, ou je crée une navette spatiale.” Mais ça va être compliqué. La compétence avec l’IA, c’est comment assembler toutes ces briques, comme l’apprentissage automatique, le deep learning, le traitement du langage naturel. Cela nécessite beaucoup de connaissances, et l’intégration nécessite beaucoup de connaissances. Les gens pensent que c’est magique et que ça a beaucoup de valeur.

Ensuite, vous avez besoin de vos données. Vous devez les mettre à jour, vous devez vérifier la qualité des données. Cela nécessite beaucoup de connaissances, et vous devez connaître exactement le métier de vos clients.

Dans le cas spécifique de la supply chain, il y a une difficulté supplémentaire. Vous devez définir ce que vous optimisez. Vous extrayez des données de votre ERP ou de vos systèmes d’entreprise pour effectuer une sorte d’optimisation. Mais vous ne voulez pas seulement optimiser des pourcentages, vous voulez optimiser des résultats. Vous devez écrire la formule de ce que vous optimisez. Pour la plupart de nos clients, c’est la première fois de leur histoire qu’ils doivent avoir une optimisation financière explicite[/fr/manifeste-supply-chain-quantitative/].

Le problème est que vous pouvez vous tromper en étant très court-termiste. Vous devez penser à une formule qui reflète votre véritable mix stratégique et pas seulement des objectifs à court terme. Par exemple, si vous voulez optimiser le prix en magasin, une analyse statistique naïve vous dira que n’importe quel magasin à Paris peut augmenter le prix de 20 %, et votre marge explosera pendant quelques semaines. Mais ensuite, les gens iront ailleurs parce qu’ils apprendront que vous êtes beaucoup trop cher.

Kieran Chandler : Parlons de l’industrie de la supply chain. Quels mythes voyez-vous sur le marché que d’autres entreprises propagent ?

Joannes Vermorel : Un mythe, spécifiquement pour Lokad, c’est qu’il y a quelque chose de très spécifique à l’esprit humain lorsqu’il s’agit de prévoir l’avenir du point de vue de la supply chain. Imaginez que vous avez une entreprise avec 100 000 SKUs. La plupart de ces produits sont vendus de manière intermittente ; c’est très erratique, super bruyant.

Même si nous avons quelques décennies de méthodes statistiques pour faire cela, nous avons encore beaucoup de personnes qui ne croient pas en la statistique. Et la réalité est qu’il y a eu beaucoup de start-ups qui ont fait de très mauvaises statistiques, ce qui est encore pire qu’un humain qui est juste approximativement correct. Lorsque vous faites de mauvaises statistiques, vous êtes exactement dans l’erreur, ce qui est encore pire.

De plus, nous avons eu plusieurs vagues d’innovation qui ont simplement ajouté des complications. Par exemple, le big data. Beaucoup d’entreprises de la supply chain ont beaucoup de données. Elles sont passées à des systèmes de big data, mais pas vraiment avec des objectifs très clairs sur ce qu’elles veulent en faire. Elles se sont donc retrouvées avec beaucoup de clusters Hadoop à des fins floues.

Olivier Ezratty : Je suis d’accord avec ce que vous dites. L’IA n’est pas un produit, c’est une partie de la boîte à outils. Le big data était un peu pareil. Ce que je vois plus généralement, pas spécifiquement dans le secteur de la supply chain, c’est une sorte d’effet miroir biaisé lorsque vous utilisez vos données. Ce sont des données du passé, mais elles doivent être utilisées correctement.

Kieran Chandler : La plupart des entreprises veulent prédire l’avenir avec des données du passé, mais il y a un danger avec cela. C’est comme conduire en regardant le rétroviseur - vous pourriez ne pas voir l’arbre devant vous et finir par le heurter. Donc, prenons l’exemple de Canal+ en France. Peut-être qu’ils font des enquêtes, mais ils ont Netflix. Et quand Netflix est sorti en 2014, ils ont dit que ce serait facile de les battre. Maintenant, Canal+ a arrêté la VOD et Netflix a le marché. Donc, il est intéressant de voir que si vous n’avez pas une bonne stratégie de marketing produit dans votre entreprise et que vous croyez seulement aux données, vous ne regardez pas la concurrence, vous ne voyez pas comment les comportements des gens changent avec les nouvelles technologies et les services, vous manquez tout et les données ne vous le diront pas. Alors, comment évalueriez-vous cette startup, Joannes, et comment évalueriez-vous, Olivier, une entreprise comme Lokad ?

Olivier Ezratty : Dans la supply chain ou de manière générale, il n’y a pas de recette magique. Je regarde tout. D’abord, il y a l’équipe. Qui sont-ils, d’où viennent-ils ? Sont-ils des personnes compétentes ? Sont-ils à l’écoute ? Les compétences d’écoute d’un entrepreneur sont très importantes. Lors d’un appel commercial, une personne compétente écoute plus qu’elle ne parle. Mais à part ça, il est très important de comprendre, d’écouter. Et l’une des choses pour un entrepreneur est de gérer sa double nature. Un entrepreneur est un peu schizophrène, car il doit rêver grand et viser à changer le marché, mais il doit aussi garder les pieds sur terre. Il doit comprendre son compte de résultat, il doit embaucher et gérer des personnes, les récompenser. Ce sont des tâches de gestion très traditionnelles. Donc, l’équilibre entre la vision à long terme, à court terme et la gestion pratique est difficile. Si vous parlez à un entrepreneur, vous pouvez le voir dans sa psychologie. Vous voyez s’il est capable de passer d’une dimension à l’autre.

Ensuite, il y a l’idée. Il y a tellement de mauvaises idées dans l’écosystème. Vous allez à une foire aux startups, sur 1000 entreprises présentes, je dirais que 80% sont mauvaises. Donc, il y a tellement de mauvaises idées, même avec de bonnes équipes. Certains investisseurs disent : “D’accord, c’est une mauvaise idée, mais l’équipe est bonne, alors allons-y.” Je dis non. Vous avez besoin d’une bonne idée et d’une bonne équipe. Alors, qu’est-ce qu’une bonne idée ? Une bonne idée résout un problème qui existe pour un nombre significatif de personnes, avec une capacité de mise à l’échelle, une différenciation et une compréhension d’où vient la douleur. La douleur vient-elle de l’absence de solution, des solutions existantes ou du coût de l’intégration ? Les bons entrepreneurs ont une compréhension approfondie de ces choses, des problèmes. J’ai lu beaucoup de livres, parlé à de nombreux entrepreneurs à succès, et ceux qui ont passé plus de temps à comprendre le point douloureux qu’ils essayaient de résoudre plutôt qu’à concevoir une solution à partir de zéro ont été les plus réussis. C’est une excellente observation.

Kieran Chandler : Donc, c’est peut-être notre dernière question. Joannes, en tant que quelqu’un qui a déjà vécu cela, quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui démarre avec une startup ?

Joannes Vermorel : Je ne sais pas si je peux vraiment donner des conseils. Lokad a connu un succès modéré, mais nous ne sommes pas encore Google. Mais bon, ma démarche spécifique était de chercher des problèmes anciens et non résolus. Quand j’ai commencé Lokad, c’était avec des problèmes de supply chain qui étaient non résolus, mais aussi très fondamentaux et basiques.

Kieran Chandler : Juste décider combien produire, où produire, où accumuler votre inventaire est quelque chose de très basique. Je veux dire, même si nous nous dirigeons vers une économie relativement numérique où les actifs numériques ont beaucoup d’importance, les gens ont toujours besoin de manger. Donc fondamentalement, il y a des choses physiques qui doivent être déplacées. Si c’est périssable et que vous stockez trop, vous aurez des problèmes de date d’expiration. Vous devrez jeter votre inventaire. Et parce que le monde est devenu mondialisé, l’inconvénient de cela est que les chaînes d’approvisionnement sont devenues incroyablement complexes.

Joannes Vermorel : Absolument. Si vous décidez de produire chaque appareil électronique grand public dans 20 pays différents, cela va être complexe. Et il y a beaucoup d’inefficacités. Mon objectif était d’identifier des problèmes relativement fondamentaux, qui ne changent pas tant que ça. La physique de l’impression 3D est géniale, mais ce n’est pas encore ça. Nous n’imprimons toujours pas des voitures entières en 3D. Cela fonctionne en B2B et dans l’industrie, mais cela ne fonctionne pas très bien dans l’espace grand public.

Kieran Chandler : Aujourd’hui, l’impression 3D n’est toujours pas très compétitive.

Joannes Vermorel : Correct. Donc, en fin de compte, j’essaie d’identifier des problèmes relativement fondamentaux qui ne changeront pas tant que ça. Peut-être que la solution au problème changera parce que vous avez des vagues de nouvelles théories d’IA qui remettraient en question la façon dont vous pouvez aborder le problème. Mais d’abord, je me suis dit, identifions un problème qui est lui-même relativement stable. Si vous vous concentrez et répétez vos efforts, vous avez une chance d’avoir un problème qui ne vous échappera pas simplement parce que le problème a disparu.

Kieran Chandler : Quel serait l’opposé de votre approche ?

Joannes Vermorel : L’opposé serait des entreprises qui essaient de créer une application Twitter, ce qui était l’opposé absolu de ce que j’essayais de résoudre. Mais encore une fois, c’est une question de goût. J’ai l’impression que les problèmes basiques et peu cool sont encore relativement sous-évalués dans le monde des startups. Par exemple, il y a beaucoup de startups qui essaient de créer des produits lifestyle, mais peu qui améliorent notre cycle de collecte des déchets ou le traitement des déchets. Pourtant, pour la santé de l’économie mondiale, se débarrasser des déchets de manière sûre, respectueuse de la santé et de l’environnement est une énorme chose.

Olivier Ezratty : Je suis d’accord, dans l’espace B2B ou l’espace entreprise, créer un produit est la chose la plus difficile à faire. C’est une compétence qui n’est pas si largement enseignée et connue. Il est compliqué de créer des produits. Beaucoup de startups pensent qu’elles créent un produit, mais en fin de compte, elles proposent un service. Elles ont des consultants et travaillent sur une base de projet pour chaque client. Donc, le grand défi et la discipline à comprendre, c’est que créer un produit est une discipline qui mélange une compréhension de votre client, du marketing et des affaires, et une compréhension de la technologie que vous utilisez pour créer le produit.

Kieran Chandler : Pourquoi y a-t-il très peu d’entreprises qui le font bien ?

Olivier Ezratty : Une des raisons est que c’est difficile à financer car vous avez besoin de financements importants pour créer un produit où vous ne générez pas de revenus pendant un certain temps. Et puis peut-être qu’après un ou trois ans, vous générez des revenus. Si vous n’avez pas suffisamment de revenus, vous vendez un produit inachevé et vous avez besoin de plus de services pour le vendre à vos premiers clients. Mais ensuite, vous devenez une entreprise de services. Il y a donc une sorte de lien entre la façon dont vous pouvez lever suffisamment d’argent, peut-être en dehors de votre propre pays si vous voulez vous développer, comme obtenir de l’argent des États-Unis, et la façon dont vous créez un produit.

Kieran Chandler : Votre travail ressemble beaucoup à ce que nous faisons ici. Mais je crains que nous devions conclure aujourd’hui. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous parler aujourd’hui.

Joannes Vermorel et Olivier Ezratty : Merci.

Kieran Chandler : D’accord, c’est tout pour l’épisode de cette semaine. Nous serons de retour la semaine prochaine. D’ici là, au revoir pour le moment.