00:00:43 Introduction de Pierre Pinson
00:01:25 Le parcours de Pierre Pinson et son travail dans la conception centrée sur les données et la prévision.
00:02:20 Comment Pierre s’est intéressé à la prévision probabiliste et à ses applications dans l’énergie, la logistique et l’analyse commerciale.
00:04:17 Évaluation de la qualité des prévisions, son importance dans la prise de décision et sa relation avec la valeur des prévisions.
00:07:41 Premières réactions à la prévision probabiliste.
00:08:27 Le problème de la surconfiance.
00:10:00 La critique de Claude Bernard sur les statistiques et les probabilités.
00:13:00 Déterminisme vs comportements stochastiques dans le monde.
00:14:37 Faire le lien entre la météorologie et les affaires avec la prévision probabiliste.
00:15:11 L’importance de la prévision météorologique et ses implications culturelles.
00:16:46 Expliquer les probabilités et comprendre les prévisions.
00:18:58 Les défis de la surcharge d’informations et de la prise de décision.
00:20:31 Transformer les probabilités en évaluations des risques.
00:22:14 Équilibrer la prise de décision automatisée et la confiance de l’utilisateur.
00:23:36 L’importance des prévisions météorologiques dans les affaires et la logistique.
00:25:01 Les prévisions de vent et leur importance dans le secteur de l’énergie.
00:26:00 Utilisation des données météorologiques dans la prévision de la demande d’énergie et les situations de la chaîne d’approvisionnement.
00:30:25 Différences dans l’application de la prévision probabiliste dans les contextes météorologiques et logistiques.
00:32:46 Discussion des défis de la traduction de prévisions probabilistes complexes pour les clients.
00:33:32 Préoccupations liées au coût de l’informatique en nuage et à l’hébergement de grandes quantités de données.
00:35:02 Utilisation des histogrammes bidimensionnels et leur impact sur la mémoire et le coût.
00:37:19 Enseignement de la prévision probabiliste et les défis auxquels les étudiants sont confrontés.
00:40:00 Rendre la prévision probabiliste plus facile et comprendre la vérification des modèles.
00:42:40 Inefficacité dans les processus et les méthodes de transport.
00:43:57 Le défi de l’élimination des incertitudes de la chaîne d’approvisionnement.
00:45:20 Le coût de l’élimination des incertitudes et son impact sur diverses industries.
00:47:00 L’évolution de la prévision et son passage des mathématiques appliquées à l’économie.
00:50:53 Convergence de différents domaines dans la prévision et la prise de décision en situation d’incertitude.
00:52:30 Adapter l’explication de la prévision probabiliste à différents contextes.
00:53:21 Appliquer la prévision probabiliste à différentes entreprises et ses avantages.
00:55:53 L’attrait des prévisions probabilistes visuellement intéressantes et les histoires de violation de droits d’auteur.
00:58:03 Les limites des diagrammes circulaires dans la transmission d’informations et leur utilisation dans les phases de prévente.
01:00:01 Accepter l’incertitude dans les carrières professionnelles et comprendre la perspective probabiliste.
01:02:23 Approche interdisciplinaire et incertitude dans diverses industries.
01:04:27 Importance de l’éducation et impact des nouvelles générations sur l’industrie.
01:07:00 Courbe d’adoption de la prévision probabiliste dans différents domaines.
01:08:33 Point de vue de Joannes sur une perspective temporelle d’un siècle pour accepter l’incertitude.
01:10:37 Défis liés à l’adoption de nouvelles idées et lenteur du changement dans certains domaines.
01:12:14 Importance des mathématiques dans la technologie de prévision.
01:13:26 Avancées futures dans la science et la technologie de la prévision.

Résumé

Dans une interview avec Conor Doherty, Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Pierre Pinson, président de Data-centric Design Engineering à l’Imperial College London, discutent de la prévision probabiliste et de ses applications dans divers domaines. Ils soulignent l’importance de comprendre l’incertitude dans la prévision et la nécessité d’une éducation continue dans ce domaine. Les trois conviennent que l’innovation se produit plus rapidement que les gens ne peuvent l’accepter, et ils encouragent à se tenir au courant des nouveaux développements dans le domaine et à se préparer aux avancées à venir.

Résumé étendu

Dans cette interview, l’animateur Conor Doherty discute de la prévision probabiliste avec les invités Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Pierre Pinson, président de Data-centric Design Engineering à l’Imperial College London. Pinson a une vaste expérience en ingénierie de conception axée sur les données et s’est concentré sur divers domaines d’application, notamment l’énergie et la logistique. Vermorel, quant à lui, aborde la prévision probabiliste d’un point de vue de la chaîne d’approvisionnement.

Pinson s’intéressait initialement à la météorologie et aux énergies renouvelables et s’est vu proposer un doctorat sur la prévision pour les parcs éoliens. Il souligne l’importance de comprendre l’incertitude d’une prévision et la plage potentielle des résultats. Le parcours de Vermorel vers la prévision probabiliste a commencé par la réalisation que de nombreuses prévisions de chaîne d’approvisionnement étaient principalement nulles. Il a découvert que bien que tout soit possible, tout n’est pas également probable, et comprendre la structure des inexactitudes des prévisions peut être précieux.

La météorologie utilise diverses mesures pour évaluer la qualité des prévisions, telles que la distance entre les prédictions et les résultats réels, et la moyenne des différences absolues entre les deux. Cependant, ces mesures ne permettent pas toujours de déterminer si une prévision est bonne ou mauvaise pour une application spécifique. Vermorel ajoute que la prévision probabiliste peut aider à fournir un avis éclairé sur le domaine des possibilités.

Un défi auquel sont confrontées les personnes travaillant avec la prévision probabiliste est de convaincre les autres d’accepter et d’adopter l’idée de quantifier l’incertitude. Les gens préfèrent généralement des prévisions déterministes en raison de biais cognitifs qui favorisent la surconfiance. Les prévisions probabilistes, cependant, fournissent une représentation plus transparente et équitable des résultats potentiels. Utiliser des prévisions probabilistes dans la prise de décision peut conduire à de meilleurs résultats, mais les gens doivent être ouverts à l’idée de l’incertitude.

Claude Bernard, physiologiste français du XIXe siècle, s’est opposé à l’utilisation des statistiques et des probabilités dans les expériences scientifiques, suggérant que la variabilité était le résultat d’une compréhension incomplète ou d’une science paresseuse. Cependant, Pinson estime que si les approches déterministes peuvent bien fonctionner pour certains problèmes, le monde n’est pas fondamentalement déterministe. La prévision probabiliste est précieuse pour les situations présentant un comportement stochastique inhérent et de l’incertitude.

L’un des principaux défis de la prévision probabiliste est la surcharge d’informations. Les gens ont déjà beaucoup d’informations à traiter, et l’ajout de données probabilistes peut rendre encore plus difficile la compréhension de tout. Cela peut être particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de traiter de grands ensembles de données, tels que la prévision pour des millions de produits dans une chaîne d’approvisionnement.

Pour résoudre ce problème, certaines entreprises se sont tournées vers la prise de décision automatisée ou l’évaluation des risques pour aider les utilisateurs à comprendre les prévisions probabilistes. En transformant les données probabilistes en risques quantifiés, les utilisateurs peuvent mieux comprendre les conséquences potentielles de leurs décisions sans être submergés par la complexité des données.

Dans le domaine de la météorologie, la prévision probabiliste s’est révélée utile pour prédire des variables telles que la température, les précipitations, la vitesse du vent et le rayonnement solaire. Ces variables peuvent avoir un impact significatif sur divers aspects de la vie quotidienne et des affaires, tels que la production et la consommation d’énergie. Dans certains cas, l’utilisation de données météorologiques dans la prévision de la chaîne d’approvisionnement peut conduire à des prédictions plus précises, en particulier lorsqu’il s’agit de changements soudains dans les conditions météorologiques.

Cependant, les interviewés reconnaissent également que l’intégration de données météorologiques dans la prévision de la chaîne d’approvisionnement a été difficile, avec peu d’exemples réussis. Un exemple a consisté à utiliser des données météorologiques pour améliorer les prévisions de la demande d’énergie pour un fournisseur d’électricité en Europe. En incorporant des données météorologiques dans leurs prévisions, l’entreprise a pu réduire les inexactitudes causées par les changements rapides de météo.

Vermorel partage ses expériences avec Lokad, qui a obtenu une précision impressionnante dans ses modèles de prévision, malgré leur simplicité. Un exemple qu’il donne est un projet avec un vendeur de crème glacée qui souhaitait prévoir les pics de demande en fonction des conditions météorologiques. Bien que l’analyse post-mortem ait permis de déterminer les raisons de l’augmentation des ventes, la prévision de la demande s’est avérée plus difficile en raison des longs délais d’approvisionnement impliqués dans la chaîne d’approvisionnement. Vermorel souligne que malgré les défis auxquels ils ont été confrontés, il existe encore un potentiel de réussite de la prévision probabiliste dans divers secteurs industriels.

Pinson discute des différences entre l’application de la prévision probabiliste dans les contextes météorologiques par rapport aux contextes logistiques et commerciaux. Il explique que le principal défi consiste à déterminer le bon produit de prévision à utiliser comme entrée pour les processus de prise de décision. Il mentionne que les scénarios, les intervalles et les quantiles sont quelques-unes des options qui peuvent être envisagées, mais cela dépend finalement des besoins spécifiques du client ou du client.

Vermorel souligne également l’importance de prendre en compte les coûts informatiques lors de la mise en œuvre de techniques de prévision probabiliste. D’après son expérience, les histogrammes et les densités de probabilité fournissent les informations les plus détaillées, mais peuvent être coûteux en termes de calcul, surtout lorsqu’il s’agit de données de haute dimension. Par conséquent, Lokad utilise souvent un mélange de techniques pour rendre les coûts gérables et les calculs efficaces.

Lorsqu’il enseigne aux étudiants la prévision probabiliste, Pinson constate que le plus grand défi n’est pas de les convaincre des mérites du concept, mais plutôt de les aider à comprendre les aspects pratiques de l’application de ces techniques dans des situations réelles. Vermorel ajoute qu’il est crucial pour les praticiens d’équilibrer les aspects théoriques de la prévision probabiliste avec les considérations pratiques de coût et d’efficacité de calcul.

Vermorel partage ses difficultés à enseigner à des personnes qui ont déjà reçu une éducation de consultants prônant les mouvements lean et l’élimination de l’incertitude des chaînes d’approvisionnement. Il estime que certaines incertitudes peuvent être éliminées, mais que d’autres sont acceptables et doivent être gérées avec les outils appropriés.

Pinson souligne que l’élimination de l’incertitude peut être coûteuse et qu’il est préférable de l’accepter et de la gérer de manière avisée. Il donne l’exemple de l’énergie renouvelable, où développer des systèmes de stockage pour gérer une quantité infinie d’énergie serait extrêmement coûteux et irréalisable. Au lieu de cela, accepter l’incertitude et la prévision peut être plus rentable et pratique.

La discussion porte sur les aspects historiques et culturels de la prévision, où les gens ont toujours cherché à vivre dans un monde déterministe et à éliminer l’incertitude. Ils discutent également de la convergence de différents domaines, tels que les sciences naturelles, les sciences sociales et l’économie, dans la prévision et la prise de décision en situation d’incertitude.

Pinson parle des défis d’enseigner la prévision probabiliste à des personnes ayant des parcours différents et de la nécessité d’une version abrégée pour ceux qui n’ont pas de solides connaissances en mathématiques. Il suggère de commencer par des exemples simples et de progressivement augmenter la complexité, tout en soulignant l’importance de comprendre les principes et concepts sous-jacents.

Vermorel partage son expérience de violation du droit d’auteur, car certains graphiques de son entreprise ont été réutilisés sur LinkedIn sans autorisation. Cependant, ces graphiques attrayants peuvent attirer l’attention de clients potentiels et donner l’impression que l’entreprise est plus technologiquement avancée.

Pinson parle de la présence de l’incertitude dans tous les aspects de notre vie et de l’importance de la comprendre et de la gérer pour les professionnels de divers domaines. L’éducation joue un rôle clé dans la promotion de cette compréhension, car les étudiants qui apprennent la prévision probabiliste peuvent mettre ces compétences au service de leur entreprise et faire la différence.

Pinson croit que l’adoption de la prévision probabiliste continuera de croître dans différents secteurs, à mesure que de plus en plus de personnes se familiariseront avec cette méthode et que les entreprises chercheront inspiration et idées les unes chez les autres. Il cite l’industrie du transport maritime comme exemple d’un secteur qui a tardé à adopter la prévision probabiliste mais qui cherche maintenant à s’inspirer d’autres domaines pour l’intégrer à ses opérations.

Vermorel souligne l’importance de comprendre l’incertitude dans la prévision, citant l’exemple de la bataille du XIXe siècle, où il a fallu près d’un siècle aux gens pour admettre que la chimie était pertinente pour la médecine. Il suggère que l’innovation se produit plus rapidement que les gens ne peuvent l’embrasser, et l’éducation joue un rôle crucial dans ce processus. Vermorel mentionne également la citation de Niels Bohr : “La science progresse un enterrement à la fois”, soulignant que des progrès significatifs peuvent se produire rapidement, mais qu’il faut apparemment une éternité pour en comprendre les implications.

Pinson discute des applications de la prévision probabiliste en météorologie, mentionnant que bien que les mathématiques derrière la technologie de prévision ne soient pas la partie la plus pertinente de la discussion, il est essentiel de reconnaître les développements en mathématiques appliquées. Il explique que la conception de machines pour prévoir des millions de séries temporelles en parallèle pose des défis, mais que les chercheurs développent continuellement de nouveaux modèles et technologies pour l’avenir.

Vermorel et Pinson conviennent tous deux qu’il reste encore beaucoup de progrès à faire dans la prévision et la prévision probabiliste, ainsi que la nécessité d’une éducation continue et d’une compréhension de l’incertitude. Ils encouragent à se tenir au courant des nouveaux développements dans le domaine et à se préparer aux avancées à venir.

Transcription complète

Conor Doherty : Bienvenue sur LokadTV ! Je suis votre hôte, Conor, et comme toujours, je suis accompagné de Joannes Vermorel, fondateur de Lokad. Notre invité aujourd’hui est Pierre Pinson, rédacteur en chef de l’International Journal of Forecasting et scientifique en chef chez Half Space. Aujourd’hui, il va nous parler de plusieurs applications intéressantes de la prévision probabiliste. Bienvenue sur Lokad, ravi de vous rencontrer.

Pierre Pinson : Merci de m’accueillir aujourd’hui.

Conor Doherty : Et merci beaucoup de nous rejoindre. Nous sommes tous les deux très heureux de vous avoir ici. Maintenant, Pierre, j’ai donné une très brève introduction ; vous avez en réalité un CV assez étendu. Tout d’abord, pourriez-vous donner à tous un aperçu de votre parcours et de ce que vous faites, car je sais que vous êtes impliqué dans plusieurs projets dans plusieurs domaines ?

Pierre Pinson : Oui, merci beaucoup. Tout d’abord, je suis actuellement professeur à l’Imperial College de Londres. Je dirige une chaire axée sur la conception d’ingénierie centrée sur les données. Comme nous avons de plus en plus de données qui circulent de nos jours, nous devons en tirer de la valeur, et c’est l’objectif de mes recherches et de mon enseignement. Évidemment, l’une des applications les plus intéressantes et les premières auxquelles nous pensons avec les données est la prévision, c’est donc quelque chose que je fais depuis les 20 dernières années, en me concentrant sur différents types de domaines d’application, principalement l’énergie car il y a tellement de prévisions pertinentes et nécessaires pour l’énergie aujourd’hui, mais aussi pour la logistique, l’analyse commerciale, etc.

Conor Doherty : Il y a beaucoup de domaines intéressants et beaucoup de chevauchements avec ce que nous voulons faire. Tout d’abord, comment êtes-vous arrivé à la prévision probabiliste ?

Pierre Pinson : Eh bien, je n’ai jamais voulu faire de prévision probabiliste en premier lieu, je dois l’avouer. J’étais très intéressé par la météo et les énergies renouvelables, et on m’a proposé de faire un doctorat sur la prévision pour les énergies renouvelables, pour les parcs éoliens, vous savez, combien les parcs éoliens vont produire demain. Le problème, c’est qu’un prévisionniste se trompe toujours, et mon directeur de thèse a dit : “Eh bien, nous aimerions savoir à quel point ils se trompent, mais cela ne devrait pas être juste une mesure, n’est-ce pas ? Comme une prévision est bonne ou mauvaise en moyenne. Nous aimerions savoir, dès maintenant, en regardant vers demain, si ma prévision sera bonne ou non ?” Et c’est ainsi que je me suis tourné vers la prévision probabiliste, car alors vous avez cette idée, conditionnellement à ce que je sais aujourd’hui, en me projetant demain, et comment puis-je décrire en quelque sorte l’incertitude de ce qui peut se produire et peut-être dire quelle est l’issue la plus probable, quelle est l’issue attendue, et quelle serait peut-être une certaine intervalle pour ce qui peut se produire.

Conor Doherty : Eh bien, c’est intéressant, et je vais vous poser une question à ce sujet, Joannes, dans un instant, mais lorsque vous parlez de ce qui fait une bonne prévision en météorologie, quels sont les indicateurs que vous utilisez pour évaluer l’efficacité ? Ce ne peut pas être simplement “eh bien, il n’a pas plu aujourd’hui, donc c’était à 100% exact”. Quels sont les indicateurs pour cela ?

Pierre Pinson : Oui, c’est pourquoi c’est en fait une science en soi, vous savez, comment évaluer une prévision et décider si c’était une bonne prévision ou non. En principe, lorsque vous avez une prévision pour une variable continue, comme la vitesse du vent ou la température, nous pensons que la qualité de la prévision est liée à une distance entre ce que vous avez prédit et ce qui s’est réellement passé. Ensuite, il existe différentes façons de manipuler cette distance. Vous pouvez prendre une somme de distances au carré ou d’erreurs au carré, vous pouvez regarder la moyenne de la différence absolue entre les deux, etc. Donc, il y a beaucoup d’indicateurs qui indiquent à quel point la prévision est bonne ou mauvaise. Le problème, c’est que ce n’est qu’un nombre. Donc, si je vous dis qu’en moyenne ma prévision est fausse de deux, vous pourriez dire : “D’accord, super”, mais est-ce que cela fait une bonne ou une mauvaise prévision pour mon application ? Et c’est très souvent le problème au cours des dernières décennies de développement de la prévision, c’est que nous devons relier la qualité de la prévision, donc à quel point vous êtes bon en termes de cette distance, à la valeur de la prévision, à quel point cela va être bon si j’utilise cette prévision pour mes problèmes de prise de décision.

Conor Doherty : Y a-t-il des similitudes avec notre approche ?

Joannes Vermorel : C’est très intéressant car chez Lokad, nous sommes arrivés à la prévision probabiliste par un chemin complètement différent, et ce que vous décrivez est beaucoup plus proche de l’opinion éclairée que j’ai acquise après quelques années, par opposition au point de départ. Ma première approche était quelque chose de beaucoup plus banal. C’était le fait que, en réalité, nous prévoyions beaucoup de choses dans les chaînes d’approvisionnement, et nous ne faisions que prévoir des zéros. J’ai raconté cette anecdote plusieurs fois car lorsque nous avons fait nos premières tentatives de prévision des ventes pour les mini-marchés, où la plupart des produits sont vendus zéro fois par jour en moyenne, c’est la chose la plus proche que vous puissiez arrondir à l’entier le plus proche. Vous avez environ 95% des produits dans votre mini-marché typique qui se vendent à zéro unité un jour donné. Et le problème était littéralement que nous avions ce problème, et donc nous avons commencé à avoir un biais de prévision qui nous a conduit aux quantiles. Et alors que nous jouions avec les quantiles, nous avons réalisé que nous devrions probablement avoir tous les quantiles en même temps, et nous sommes passés aux prévisions probabilistes. Mais de nos jours, lorsque je dois expliquer pourquoi les prévisions probabilistes sont importantes, je pense que la façon dont nous l’abordons est que, oui, votre prévision est désespérément imprécise, nous le savons. Ma prévision, dans le cas où je suis un fournisseur, est désespérément imprécise, mais ce n’est pas la même chose que de dire que je n’ai absolument aucune idée de ce que seront ces imprécisions. En réalité, j’ai une opinion assez éclairée sur le domaine des possibilités. Tout est possible, mais tout n’est pas également probable. Dans votre opinion éclairée sur le domaine des possibilités, tout est possible mais pas également probable, et il y a une structure pour analyser l’erreur. Pouvez-vous développer cela ?

Pierre Pinson : L’aspect le plus bizarre et intrigant pour les gens est l’idée qu’il y a une structure dans cette analyse de l’erreur. Les gens pensent intuitivement que l’incertitude découle du fait de ne pas savoir les choses, et puis vous leur dites qu’il y a une structure dans ce qu’ils ne savent pas. Cela semble confus. Lorsque j’ai commencé à plaider en faveur des prévisions probabilistes, la réaction initiale que j’ai eue était que peu importe ce qui se passe, je ne pourrais jamais avoir tort car ma prévision tiendrait toujours compte de la possibilité que quelque chose se produise. Les gens le voyaient comme le mécanisme de défense ultime pour le fournisseur.

Joannes Vermorel : C’est intéressant d’entendre vos anecdotes, mais vous pouvez aussi le voir sous un autre angle. Il y a le “paradoxe de la grosse souris” en psychologie et en marketing, où les personnes trop confiantes dans une pièce sont plus créditées, même si elles peuvent avoir tort. La plupart des gens préfèrent une prévision déterministe car cela leur donne une sensation de confiance, même s’ils savent que cela va être faux. Fournir une prévision probabiliste, c’est en réalité être plus transparent et équitable, mais les gens doivent l’accepter et aller à l’encontre de leur biais cognitif pour le déterminisme.

Lorsque nous confessons que nous ne pouvons pas être exacts, mais que nous pouvons donner une assez bonne idée de la plage de possibilités, nous sommes plus transparents et peut-être meilleurs en termes de qualité de prévision. Le plus gros problème pour ceux d’entre nous qui travaillent avec des prévisions probabilistes est de convaincre les gens d’accepter l’idée d’embrasser l’incertitude et de l’utiliser dans la prise de décision. Cela va en réalité conduire à de meilleurs résultats. Ce genre de déterminisme dans votre vie est un gros problème pour nous qui travaillons avec des prévisions probabilistes. Nous devons d’une manière ou d’une autre amener les gens à accepter qu’ils doivent se détendre avec cette idée qu’ils veulent que ce point unique soit informatif et vrai. Ils doivent accepter le fait que tant que vous pouvez quantifier l’incertitude et l’utiliser dans la prise de décision, cela va être mieux. Vous ne pouvez faire que mieux.

Conor Doherty : Qu’en pensez-vous, Joannes ?

Joannes Vermorel : C’est très intéressant, cette idée d’admettre sa propre faiblesse. Si l’on remonte dans le temps à Claude Bernard, qui a inventé l’expérience de contrôle, il a fait tout un argument contre l’utilisation des statistiques et des probabilités. Son point de vue est en réalité très bien formulé. Il soutenait que si quelque chose varie, cela signifie simplement que vous avez une mauvaise expérience et que vous ne contrôlez pas suffisamment les choses. Il était dans le domaine de la médecine et disait que s’il y a de la variabilité, il y a une troisième variable qui l’explique. Ainsi, il était contre l’idée d’utiliser les statistiques et les probabilités car, selon lui, c’était une admission d’une compréhension incomplète et d’une paresse scientifique. On se retrouve avec ces statistiques sophistiquées qui ne sont qu’une excuse pour nos propres lacunes. Quel est votre point de vue sur cette objection, Pierre ?

Pierre Pinson : Je suis d’accord que c’est vrai pour certains problèmes où l’on ne se base que sur les lois de la physique, dans un environnement très contrôlé, et où l’approche déterministe devrait être suffisante. On ne devrait pas trop se soucier de toutes ces incertitudes et d’un cadre probabiliste. Mais si l’on regarde le cas plus général, c’est presque une déclaration philosophique sur le monde. Croyons-nous que le monde est fondamentalement déterministe pour tout ce qui se passe ? Ou y a-t-il en réalité une sorte de comportement stochastique autour de nous ? Vous savez, certaines règles stochastiques, ce qui rend l’idée très basique du déterminisme pas toujours applicable. Nous le constatons pour la météo, et nous avons essayé de réfléchir, vous savez, si nous avons de plus en plus de mesures, si nous sommes meilleurs avec les lois de la physique, nous devrions être en mesure de le considérer comme un processus déterministe et de le prédire. Et c’est un bon espoir, mais il y a eu, je pense, des expériences répétées au cours des 100 dernières années où nous réalisons finalement que peut-être tout ne peut pas être déterministe, et même ces arguments que vous avez mentionnés, cette connaissance incomplète, je pense qu’il y a tellement de choses que nous devons modéliser et prédire où nous n’aurons jamais assez de connaissances pour nous placer dans un cadre déterministe. Ce n’est tout simplement pas possible.

Conor Doherty : Eh bien, si je peux intervenir à ce moment-là, car une question que je voulais poser il y a un instant était de relier l’idée des affaires et de la météorologie, car il y a un pont intéressant entre ces deux points, surtout compte tenu de votre expérience ici, car, encore une fois, vous avez une expérience dans les affaires et la météorologie. Donc, vous vous êtes probablement retrouvé dans une situation où vous avez appliqué des prévisions probabilistes à un problème commercial, peut-être rencontré une certaine résistance, du genre “oh, je ne veux pas utiliser des prévisions probabilistes, c’est de la magie noire”, mais cette même personne sort son iPhone 10 secondes plus tard et dit : “oh, 60% de chances qu’il pleuve plus tard, je ferais mieux de prendre un parapluie”. Comment traversez-vous à ce moment-là cette sorte de dissonance cognitive ?

Pierre Pinson : C’est un très bon point, et il y a un problème culturel là-dedans. Je pense que nous avons constaté cela, vous avez mentionné les prévisions météorologiques comme un domaine important car elles sont partout, tout le monde utilise les prévisions météorologiques et y est sensible. C’est sensible à cette information, donc c’est en fait un domaine où l’on a constaté que si nous changeons la manière dont nous communiquons les informations de prévision, il y a des choses qui fonctionnent, il y a des choses qui ne fonctionnent pas. Il est parfois difficile pour les gens d’évaluer vraiment de quoi parle l’information, mais nous la trouvons utile quoi qu’il arrive. Nous savons que nous la trouvons utile, mais c’est un processus, et je pense que nous devons traverser le même processus dans différents domaines. Cela peut être dans les affaires, cela peut être dans les problèmes d’ingénierie, cela peut être dans les assurances, il peut y avoir tellement de choses où en fait, nous en tant que scientifiques ou fournisseurs de prévisions, l’écosystème industriel, ils doivent contribuer à changer la culture pour que les gens, les clients ou les utilisateurs en général, réalisent réellement que nous pouvons penser différemment et qu’il y a des avantages.

Conor Doherty : Eh bien, juste pour rebondir là-dessus, car vous avez dit que vous avez constaté, si j’ai bien compris, qu’il y avait certains mécanismes pour transmettre des informations, des informations météorologiques ou des prévisions météorologiques, qui résonnaient avec les gens, et il y avait des mécanismes qui ne le faisaient pas. Pourriez-vous développer un peu plus là-dessus, s’il vous plaît, ou donner peut-être un exemple pour que les gens puissent comprendre ?

Pierre Pinson : Il y a eu différentes études réalisées par des psychologues travaillant avec des prévisionnistes météorologiques. Par exemple, si vous deviez faire une déclaration parlant de la probabilité de pluie, en disant qu’il y a 60% de chances de pluie sur Londres dans les deux prochaines heures, les gens interprètent cela différemment. Certaines personnes pensent que cela signifie qu’il va pleuvoir 60% du temps sur Londres, tandis que d’autres croient que cela signifie qu’il y a 60% de chances de pluie à un endroit donné à Londres. Les gens ont du mal à comprendre ce que signifie fondamentalement la probabilité.

Joannes Vermorel : Oui, nous avons également constaté ce problème lors de notre travail avec des utilisateurs ou des clients. Il y a un travail important à faire pour développer une méthodologie de prévision probabiliste et examiner comment elle pourrait être utilisée dans la pratique. Mais il y a aussi beaucoup de travail à faire pour aider les gens à comprendre ce que signifient réellement les informations et comment elles peuvent influencer leur prise de décision. Le défi consiste à amener les gens à comprendre comment passer d’une prévision probabiliste à une décision qui est meilleure que si ils avaient utilisé des prévisions déterministes. S’ils ne le comprennent pas, ils ne l’accepteront pas.

Conor Doherty : Comment le clarifiez-vous ? Utilisez-vous une approche de boîte blanche ?

Joannes Vermorel : Nous faisons quelque chose qui est à la fois similaire et différent en même temps. Mon problème, venant d’un milieu de la chaîne d’approvisionnement, est de faire face à une surcharge d’informations. Les gens ont déjà trop d’informations. Même les prévisions déterministes peuvent être accablantes, car elles sont souvent très agrégées et posent divers problèmes. Lorsque vous passez dans le domaine des prévisions probabilistes, cela devient deux ordres de grandeur pire, avec des histogrammes pour chaque point de données et encore plus de complexité si vous considérez des probabilités multidimensionnelles.

Au départ, nous avons essayé d’améliorer la visualisation et d’autres aspects, mais finalement, nous avons convergé vers une solution où nous supprimons les probabilités du point de vue de l’utilisateur. Nous prenons des décisions basées sur les probabilités, mais nous les transformons en évaluations des risques exprimées en monnaie. Par exemple, nous pourrions dire à un client que le risque de surstock est d’un montant X, et le risque de rupture de stock est d’un montant Y. Nous quantifions les classes de risques et les perspectives, la prévision probabiliste sous-jacente étant la “plomberie” de ces évaluations.

Bien sûr, ce n’est pas la solution parfaite, mais cela fonctionne pour nos clients. Parfois, les équipes de data scientists adorent travailler avec des probabilités, mais les experts en chaîne d’approvisionnement qui sont moins versés dans les probabilités trouvent cette approche plus accessible. Je dirais que l’expert en chaîne d’approvisionnement, qui est incroyablement compétent en chaîne d’approvisionnement mais moins versé dans les probabilités, trouve très difficile de susciter leur intérêt, simplement en raison de la surcharge d’informations que cela demande. Très rapidement, ces gestionnaires doivent évaluer si ces histogrammes valent même la peine d’être regardés. C’est un argument de vente très difficile chaque fois que vous commencez à parler à des personnes qui accordent une grande valeur à leur temps.

Pierre Pinson : D’accord, je suis tout à fait d’accord. Il y a des trajectoires très différentes. Comme vous l’avez mentionné, il existe différentes façons d’essayer de prendre en compte ce problème de surcharge d’informations. Je suis tout à fait d’accord avec votre stratégie ici. Je pense qu’essayer d’avoir une prise de décision automatisée, ou suggérer des décisions optimales, en ayant compris le rapport coût-perte de l’utilisateur, etc., est quelque chose de bien. Mais encore une fois, ils doivent comprendre comment vous en êtes arrivé là et pourquoi ils devraient lui faire confiance en premier lieu, ce qui est drôle parce que lorsqu’il était déterministe, ils lui faisaient confiance. Et maintenant qu’il y a le mot probabilité, ils ne lui font plus confiance. Mais c’est une autre histoire. La beauté d’avoir des informations probabilistes, c’est que vous pouvez donner cette couche supplémentaire d’évaluations très basiques, d’évaluations des risques, ce qu’ils veulent vraiment quand ils disent qu’ils acceptent le probabiliste. Dites-moi s’il vous plaît quel risque je cours. C’est le type d’information le plus simple que vous pouvez fournir qui offre les avantages des prévisions probabilistes sans cette surcharge d’informations dont vous avez parlé. Donc, je pense vraiment que c’est une très bonne stratégie.

Conor Doherty : Eh bien, nous avons commencé à fusionner les sujets, comme la météorologie et les affaires. Donc, à ce sujet, Pierre, parce que vous avez beaucoup d’expérience dans les deux domaines, quels sont quelques exemples de prévisions météorologiques clés ou de données météorologiques que vous avez prises et appliquées dans un contexte commercial ou logistique ?

Pierre Pinson : Les informations de prévision météorologique que vous souhaitez utiliser comme entrée pour la prise de décision ont très peu de variables qui sont extrêmement importantes, et ensuite l’importance de la variable diminue rapidement. Les variables les plus importantes sont la température, qui influence tant d’autres processus dans nos vies, et ensuite il y a les précipitations. Plus récemment, il y a le vent car, il y a 30 ans, lorsque les prévisionnistes météorologiques parlaient du vent, ils produisaient des prévisions de vent presque pour le plaisir, car personne ne s’en souciait vraiment. C’est juste, est-ce que cela va être venteux ou non ? Et peut-être que si vous faites de la voile, vous êtes un peu plus intéressé. Mais aujourd’hui, en raison des applications énergétiques, les prévisions de vitesse du vent sont extrêmement importantes car une petite erreur de prévision de la vitesse du vent se traduit par de grandes erreurs de prévision de l’énergie qui sera disponible demain. Donc, pensez à un pays comme le Danemark, où en moyenne, la moitié de l’énergie provient du vent. Il est très important d’avoir de bonnes prévisions de vent. Ce sont les variables les plus pertinentes, et maintenant cela va aussi vers l’irradiance solaire en raison de l’énergie solaire. Mais je dirais que ce sont les variables les plus importantes, et après cela, en termes d’impact, ces variables météorologiques sont utilisées partout aujourd’hui. Je veux dire, lorsque vous regardez l’importance de la prévision météorologique et la qualité des prévisions météorologiques dans notre vie quotidienne, tant dans un contexte commercial que dans notre vie quotidienne, c’est extrêmement important.

Conor Doherty : Bien sûr, en ce qui concerne les délais de livraison des marchandises en provenance de l’étranger, je veux dire, comprendre ce que Pierre vient de décrire, cela doit entrer en jeu dans les prévisions probabilistes pour les chaînes d’approvisionnement, par exemple.

Joannes Vermorel : Dans toute l’histoire de Lokad, je pense que nous n’avons eu que deux cas où nous avons réellement réussi à utiliser des données météorologiques dans des situations de chaîne d’approvisionnement. Encore une fois, cela peut être un manque de talent, un manque de dévouement ou de nombreuses autres choses. Mais en fin de compte, pour prévoir, nous avions un grand fournisseur d’électricité européen il y a une décennie, et nous avions un contrat pour améliorer leur prévision de la demande d’électricité en tenant compte de la météo. Et c’est le seul cas où il y avait un gain très clair dans l’utilisation des données météorologiques. Cela fonctionne, et en fin de compte, nous examinions des prévisions qui étaient déjà assez agrégées, essentiellement par régions. Donc, la prévision même sans la météo était déjà très précise, je veux dire, précise à 2% car elles étaient très agrégées. Mais soit dit en passant, il s’agissait uniquement de la demande d’électricité, pas seulement, et de la demande d’électricité uniquement d’un jour à l’autre. Donc, vous regardiez juste 24 heures à l’avance, et les régions agrégées seraient, disons, un pays comme la Belgique, ou peut-être la France divisée en cinq zones, à un niveau assez élevé.

Sans la météo, vous auriez une prévision, une prévision de séries temporelles qui était précise à 2%, et la plupart des imprécisions étaient causées par des changements rapides de météo. Lorsqu’il fait froid, cela a tendance à rester froid, mais lorsque soudainement vous avez un changement de météo, vous avez ce saut et vous ne le voyez pas. Donc, c’était plus comme si vous aviez une prévision qui était précise à 0,5% en moyenne, mais ensuite vous accumuleriez peut-être 5 ou 6% d’imprécision le jour où la météo changeait. Et en introduisant la météo, ils avaient déjà atteint quelque chose comme une précision de 0,5%, et avec Lokad, nous avons atteint à peu près la même sorte de précision mais simplement avec des modèles qui étaient en réalité beaucoup plus simples et plus gérables en termes de logiciel informatique. Donc, c’était un type spécifique d’entreprise.

C’était la première chose où j’ai dit que ça fonctionne vraiment bien. La deuxième était avec des marques de produits de grande consommation qui voulaient prévoir essentiellement des pics de demande en utilisant des prévisions météorologiques. Malheureusement, les résultats étaient principalement négatifs. Ce qui fonctionnait très bien, et je ne vais pas donner le nom de la marque, mais disons que c’était un vendeur de glaces, c’était simplement savoir ce qui fonctionnait très bien après l’été. La question était de savoir si nous avons vendu plus de glaces parce qu’il faisait très chaud ou parce que le marketing était très bon. En tant que technique post-mortem pour expliquer la situation, cela fonctionnait bien. Cependant, le problème lorsqu’il s’agit de prévoir est que les délais de livraison impliqués dans la plupart des situations de la chaîne d’approvisionnement sont importants. Par exemple, si vous produisez des glaces, vous devez commander des matières premières et préparer votre planning de production environ six semaines à l’avance. À ce stade, la précision des prévisions météorologiques a tendance à revenir aux moyennes saisonnières, qui ne sont pas suffisamment meilleures que la moyenne saisonnière pour changer votre décision. Dans notre expérience, cela s’est avéré incroyablement difficile, et nous avons eu peu de succès, mais cela a été très instructif à bien des égards.

Conor Doherty: Pierre, en ce qui concerne l’application de la prévision probabiliste dans un contexte météorologique, comment cela se traduit-il dans un contexte logistique ou commercial ? Y a-t-il des similitudes en termes de contraintes ou de processus ?

Pierre Pinson: L’un des principaux problèmes clés lorsque nous pensons à différentes applications, que ce soit la météorologie ou les secteurs sensibles à la météo, est le type de produit de prévision qui est utile en tant qu’entrée pour la prise de décision. Typiquement, les prévisions météorologiques utilisent des prévisions d’ensemble, qui consistent en plusieurs trajectoires ou futurs potentiels. Par exemple, le Centre européen dispose de 51 scénarios alternatifs. Cependant, il existe de nombreux types de processus de décision où différents produits de prévision sont nécessaires.

Dans le trading, par exemple, les gens préfèrent utiliser des densités, qui sont des descriptions complètes de la fonction de densité de probabilité. Certaines personnes préfèrent des intervalles et des niveaux de confiance prédéfinis comme entrée pour la prise de décision. D’autres demandent des quantiles spécifiques en fonction de leurs considérations de coûts et de pertes. Donc, la principale différence que j’ai constatée entre la météorologie et d’autres domaines est que nous devons passer beaucoup de temps à réfléchir au bon produit de prévision à utiliser en tant qu’entrée. Nous devons nous projeter dans le monde de nos clients et trouver la meilleure façon de rendre les informations complexes des prévisions probabilistes en ce qui est le plus utile pour eux. Donc, la prévision devrait être utile pour les clients, et votre approche se concentre également là-dessus. Pouvez-vous en dire plus sur les préoccupations liées aux coûts du cloud computing et sur la façon dont cela affecte votre travail ?

Joannes Vermorel: Oui, en tant que fournisseur de logiciels d’entreprise, l’une des principales préoccupations est le coût du cloud computing, de manière très banale. Juste pour vous donner une idée de l’échelle, la base de clients de Lokad gère environ un pétaoctet de données, et c’est ce que nous payons actuellement à Microsoft, notre fournisseur d’hébergement cloud. C’est une bonne affaire pour Microsoft et pour Lokad, mais il y a des coûts impliqués. La plupart de ce que nous examinons est motivé par l’efficacité des coûts que nous pouvons avoir en termes de matériel informatique.

Les histogrammes et les densités de probabilité sont généralement les meilleurs. Ils sont très riches, très agréables et très faciles à utiliser. Mais le problème, c’est que dans une dimension, c’est correct. Vous avez un coût fixe, donc vous gonflez la quantité de données de, disons, 100 et vous avez un bel histogramme. Mais ensuite, si vous passez à deux dimensions, parce que vous voulez avoir une matrice de probabilités, cela devient plus compliqué. Par exemple, vous voudrez peut-être examiner les probabilités d’avoir une demande spécifique pour un produit et les probabilités d’avoir la même demande pour un autre produit, mais conjointement. La raison en est que ces produits sont concurrents, et lorsque la demande augmente pour un produit, cela tend à être dû à la cannibalisation de l’autre. Vous voulez donc des probabilités qui reconnaissent le fait que très probablement, si la demande d’un produit augmente, cela signifie que la demande d’un autre produit va diminuer, et vice versa. Maintenant, si vous le faites avec une matrice, vous avez un histogramme bidimensionnel, et la mémoire requise augmente considérablement. Cela empire à mesure que vous augmentez le nombre de dimensions, ce qui rend les choses très coûteuses.

De même, lorsque vous voulez passer à des simulations de style Monte Carlo, qui sont très efficaces pour traiter des choses multidimensionnelles, le problème est que vous avez des rendements décroissants avec de nombreux scénarios. Vous pouvez avoir besoin de beaucoup de scénarios pour pouvoir observer un risque qui est un peu rare, comme 10 000 instances. La plupart de nos considérations sont dues au fait que nous devons rendre les coûts de calcul gérables. Ce n’est pas seulement le coût que nous payons à Microsoft, mais aussi le fait que lorsque vous utilisez quelque chose de plus complexe, les calculs prennent plus de temps, et les gens doivent attendre que la prévision soit terminée avant de pouvoir poursuivre leurs tâches.

Pour les techniques de séries temporelles déterministes, en particulier celles pré-ML qui étaient utilisées jusqu’aux années 90, vous pouvez presque les avoir en temps réel, même si vous avez des cyclicités et autres. Ils sont très rapides, et vous pouvez obtenir rapidement des résultats avec des méthodes comme ARIMA ou lissage exponentiel, toutes ces choses peuvent être faites en temps réel, même si vous avez des cyclicités et autres. Mais si vous optez pour quelque chose de très sophistiqué, comme un réseau d’apprentissage profond, cela peut prendre des heures à former, et pour nous, cela représente un coût important. De plus, de notre point de vue, ce qui tend à dominer, c’est la praticité de la chose, et c’est une grande préoccupation.

Conor Doherty: Pierre, l’une des choses que vous faites est d’enseigner à l’Imperial College London, et vous rencontrez des étudiants qui viennent à votre cours pour apprendre la prévision probabiliste pour la première fois. Avec des personnes qui ont déjà des connaissances en mathématiques et qui sont déjà convaincues de l’idée d’embrasser l’incertitude, selon votre expérience, quel est le plus grand défi qu’ils rencontrent en termes d’apprentissage de ces compétences, en suivant votre exemple essentiellement?

Pierre Pinson: En ce qui concerne l’enseignement de la prévision, j’ai fait cela principalement lorsque j’étais basé au Danemark, avec une forte orientation vers l’énergie. Je pense que les problèmes sont toujours les mêmes. L’un des premiers problèmes est celui dont nous avons déjà parlé ; il s’agit de l’acceptation. Pourquoi devrais-je adopter une approche probabiliste en premier lieu ? Je dois dire que normalement, je passe beaucoup de temps à décrire des problèmes, des problèmes de prise de décision, et à montrer aux étudiants que l’on ne peut prendre de meilleures décisions que si l’on adopte une approche probabiliste. Il est très important pour un développeur ou un utilisateur d’une prévision, un client des deux côtés, de comprendre que l’on ne peut faire mieux qu’en adoptant une approche probabiliste. Cela va vous coûter quelque chose, mais si vous l’acceptez, cela ira mieux. Il faut beaucoup de travail pour se convaincre et réaliser et comprendre pourquoi. Si vous ne comprenez pas pourquoi cela serait mieux, vous risquez d’avoir des difficultés à l’accepter. Nous passons donc beaucoup de temps à faire cela.

Ensuite, je veux qu’ils comprennent que ce n’est pas difficile de produire ces prévisions. Vous avez mentionné certains des modèles classiques, mais vous pouvez même le penser en termes de variables aléatoires de base. Si vous voulez faire une prévision probabiliste pour quelque chose qui est gaussien, lorsque nous faisons la prévision ponctuelle classique, nous prédisons simplement la moyenne. Et maintenant, lorsque nous disons que nous voulons adopter une approche probabiliste, nous devons simplement prédire la variance en plus, et nous avons alors une prévision probabiliste complète. Même si vous ne voulez pas adopter une approche paramétrique, si vous voulez prédire des quantiles, vous pouvez utiliser les mêmes modèles que pour le cas déterministe, il vous suffit de changer la fonction de perte lors de votre entraînement, et voilà, vous avez une prévision de quantile. Un aspect important est que j’enseigne aux étudiants que ce n’est pas quelque chose qui est des ordres de grandeur plus complexe à apprendre et à gérer.

La dernière partie est la vérification, car nous avons également discuté précédemment du fait que certaines personnes ont cette idée que vous pouvez prendre les choses à la légère maintenant, n’est-ce pas ? Parce que si vous adoptez une approche probabiliste, vous pourriez dire n’importe quoi, et d’une manière ou d’une autre, vous allez me dire par la suite que vous ne vous trompez jamais. Mais il existe des cadres très rigoureux pour vérifier les prévisions probabilistes et montrer en réalité que celles-ci ont du sens, que vos probabilités sont correctes, et que vous essayez de concentrer l’information, etc. Ce sont les principaux éléments que je parcours avec mes étudiants, et mon expérience montre que ce sont les bases dont vous avez besoin si vous devez gérer des prévisions probabilistes dans votre travail.

Joannes Vermorel: Mon combat est amusant car vous êtes probablement privilégié dans le sens où vous avez vos étudiants. Mes prospects ont généralement déjà reçu une éducation sous la forme de ce que les consultants leur disent. Faisons-nous des ennemis aujourd’hui. Le problème est qu’il y a une opposition, comme le mouvement lean. Le mouvement lean et l’idée, par exemple, que nous devrions gaspiller moins. Je veux dire, en principe général, oui, il est préférable d’éviter le gaspillage. Par définition, le gaspillage est quelque chose de désirable, donc c’est tautologique en termes d’énoncé. Personne ne dit “produisons du gaspillage pour le plaisir”, mais cela fait partie du mouvement de fabrication lean et du mouvement de supply chain lean. Le problème avec cette façon de penser, c’est que vous vous retrouvez avec des choses comme, par exemple, si vous avez des processus gaspilleurs comme des délais de livraison longs, vous voulez les éliminer. Mais à un certain moment, vous pouvez avoir un processus qui n’est pas nécessairement très gaspilleur mais très inefficace néanmoins, en raison du fait que vous avez essayé de compresser vos délais de livraison autant que possible. Par exemple, si vous voulez déplacer des choses aussi rapidement que possible, un avion est le meilleur moyen, mais l’efficacité d’un avion en termes de carburant est terrible par rapport aux trains ou aux cargos. Donc, en soi, aller directement à l’essentiel en termes de choses comme zéro stock, zéro retard, zéro gaspillage, ce qui est la perspective générale préconisée par certains mouvements, est une tentative de supprimer entièrement l’incertitude. Si vous avez un délai de livraison nul, pourquoi prévoir ? Vous n’avez besoin de gérer que ce qui est juste devant vous. Si vous n’avez aucun stock, pourquoi avez-vous besoin de gérer le risque potentiel de surstockage ou autre ? Donc, mon point de vue intéressant est que l’un des défis est que les personnes qui n’ont pas bénéficié dans les premières années d’un cours qui démontrait la supériorité de la pensée probabiliste ont traversé une ou deux, voire trois ou quatre décennies d’opinions d’experts de consultants pour éliminer toutes sortes d’incertitudes de leur supply chain. Certaines des incertitudes, je dirais, sont accidentelles, où vous avez simplement des incertitudes qui émergent en raison d’un processus médiocre - celles-ci, oui, vous devriez les éliminer. Si les gens, par exemple, n’ont pas les compétences nécessaires et que certaines personnes font simplement du travail médiocre, ce n’est pas le genre d’incertitude que vous voulez. Mais vous avez d’autres incertitudes, comme le fait que peut-être les cargos sont un peu plus lents en raison du temps, donc ils n’iront pas à la même vitesse à chaque fois. Mais il est parfaitement acceptable de tolérer cette incertitude si vous avez les outils pour y faire face de manière sensée.

Pierre Pinson: Tu as raison. En général, nous abordons ce problème comme une question de coût car, d’une certaine manière, pour éliminer les incertitudes, il y a un coût. Si vous disposez d’une somme d’argent infinie que vous êtes prêt à investir pour éliminer toutes les incertitudes, vous pourriez le faire. Mais toute sorte d’incertitude, en dehors de celles causées par des erreurs ou des inefficacités, toute incertitude plus fondamentale dans votre processus que vous souhaitez éliminer, cela va vous coûter beaucoup, très probablement. Donc, c’est un problème typique où l’on dit : “D’accord, vous voulez éliminer toutes les incertitudes comme si cela était gratuit. Si c’était gratuit, nous l’aurions fait aussi.” Donc, ce coût est quelque chose que nous devons décider si nous pouvons le supporter. Nous avons un parallèle, qui est très intéressant dans le domaine de l’énergie. Par exemple, je travaille beaucoup avec les énergies renouvelables. Si nous développons du stockage pour avoir une quantité infinie d’énergie que nous pouvons stocker à tout moment et aussi longtemps que nous le souhaitons, d’une certaine manière le problème serait résolu. Certaines personnes disent que nous n’aurions pas besoin de prévisions, que nous n’aurions pas à nous inquiéter. Mais développer et déployer des batteries à cette échelle