00:00:08 Débat sur les affirmations et les avantages des jumeaux numériques dans l’industrie de la supply chain.
00:01:50 Différence entre les buzzwords avec du contenu et le jumeau numérique.
00:03:00 Manque d’innovation au cœur des jumeaux numériques.
00:05:07 Comparaison du jumeau numérique aux simulateurs supply chain glorifiés.
00:08:20 Avantages supposés des jumeaux numériques et approche de Locad.
00:09:34 Introduction aux jumeaux numériques et au concept de prévision.
00:11:29 Inquiétudes concernant la précision et le manque de métriques dans les jumeaux numériques.
00:15:00 Amélioration des jumeaux numériques et résolution des préoccupations principales.
00:16:05 Adéquation sémantique et représentation simplifiée des supply chains.
00:18:01 Comment les jumeaux numériques s’intègrent aux systèmes ERP classiques et la nécessité d’éclaircissements.
00:18:57 Discussion sur les limites des jumeaux numériques basées sur la précision des données et les approximations.
00:21:00 Critique de la communication marketing autour des jumeaux numériques par les concurrents.
00:22:48 Explication de ce qu’est réellement un jumeau numérique et sa connexion aux simulateurs Monte Carlo.
00:24:53 Analyse des affirmations sur les tableaux de bord intuitifs et l’importance de la précision dans les simulations de jumeaux numériques.
00:27:14 Comprendre la nature non intuitive des simulateurs et l’importance de la précision pour les applications supply chain.
00:28:33 Discussion sur l’idée d’un simulateur supply chain et sa précision.
00:29:32 Simulation à base d’agents et son haut degré de personnalisation.
00:30:31 La praticité et la valeur d’ajuster manuellement les paramètres de simulation.
00:33:12 Comparaison de différentes décisions basées sur un mur de métriques et les défis que cela présente.
00:35:34 Aborder la question de l’identification de la meilleure décision à l’aide d’un jumeau numérique.
00:37:35 Processus Monte Carlo de basse résolution dans la simulation supply chain.
00:38:07 Le jumeau numérique comme point de ralliement et l’ajout de qualifyers de temps réel et de synchronisation.
00:39:07 Importance d’une approche globale pour la supply chain et sa valeur.
00:39:47 Critique des jumeaux numériques : éléments manquants et focus sur des capacités bon marché.
00:40:58 Conclusion et remarques de clôture.
Résumé
Dans une interview, Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, discute des jumeaux numériques dans l’industrie de la supply chain. Vermorel souligne les limites des jumeaux numériques, les considérant comme un buzzword avec une innovation limitée. Il les compare à la détection de la demande et suggère qu’ils n’offrent que des améliorations incrémentales. Vermorel insiste sur l’importance de la précision dans les simulations de jumeaux numériques et sur le défi de les intégrer aux systèmes existants. Bien qu’il reconnaisse leur valeur potentielle dans le cadre d’une approche holistique et informatisée de supply chain management, Vermorel soutient que les jumeaux numériques seuls sont insuffisants pour apporter une amélioration significative et ne devraient pas être considérés comme une solution complète.
Résumé Étendu
Dans cette interview, Nicole Zint s’entretient avec Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, au sujet des jumeaux numériques dans l’industrie de la supply chain. Les jumeaux numériques sont généralement décrits comme des représentations virtuelles des supply chains pouvant simuler différents scénarios pour la prise de décision. Cependant, Vermorel fait part de son scepticisme quant aux affirmations des partisans des jumeaux numériques et souligne leurs limitations.
Vermorel explique que “digital twin” est devenu un buzzword dans le domaine de la supply chain, servant de point de ralliement pour les professionnels confrontés à des défis similaires ou recherchant des solutions semblables. Il soutient que le problème avec “digital twin” en tant que buzzword est son manque de profondeur et d’innovation, comparé à d’autres buzzwords tels que deep learning.
Vermorel affirme qu’il n’a pas constaté d’innovations significatives au cœur des jumeaux numériques. Il les compare à la détection de la demande, qu’il avait précédemment critiquée comme étant du vaporware, tout en concédant que les jumeaux numériques peuvent avoir une valeur légèrement supérieure. Toute innovation dans les jumeaux numériques sera toutefois probablement incrémentale plutôt que transformative.
La conversation aborde l’ambiguïté entourant les jumeaux numériques, car la plupart des vendeurs ne parviennent pas à définir clairement leur nature et leurs capacités. Vermorel explique que les jumeaux numériques sont essentiellement des représentations virtuelles des supply chains, souvent promues à l’aide d’astuces marketing et d’images futuristes. Il compare cette approche au rebranding de Facebook en Meta.
Les prévisions traditionnelles en supply chain management sont généralement limitées, car elles reposent sur des prévisions ponctuelles de séries temporelles. Bien que les jumeaux numériques puissent offrir des capacités de prévision plus polyvalentes, Vermorel remet en question leur précision, soulignant l’importance de la mesurer pour que la représentation virtuelle ait du sens.
Pour améliorer les jumeaux numériques, Vermorel recommande de s’attaquer à la précision et d’assurer une adéquation sémantique entre la représentation virtuelle et la supply chain réelle. Il reconnaît que même des simulations avancées restent très simplifiées par rapport aux supply chains réelles. Il souligne également le défi d’intégrer les jumeaux numériques aux systèmes d’entreprise existants, tels que ERPs, les systèmes de gestion de warehouse et les CRM, qui n’ont pas été conçus pour collecter des données scientifiquement précises pour les jumeaux numériques.
Vermorel exprime son scepticisme quant à la communication entourant les jumeaux numériques et leur praticité. Il note que les données historiques collectées via les systèmes ERP présentent souvent une vision déformée de la réalité de la supply chain. De plus, il remet en question l’utilité de faire fonctionner un jumeau numérique et de savoir si les insights et KPI générés justifient le coût d’emploi de personnes chargées de les interpréter.
Vermorel décrit les jumeaux numériques comme des simulateurs Monte Carlo glorifiés à des fins de supply chain, utilisant souvent la modélisation basée sur des agents. Cependant, il remet en question la précision de ces simulateurs et le niveau de confiance à accorder à leurs résultats. Vermorel reconnaît que les simulateurs peuvent produire des dashboards, visuellement attrayants, mais il insiste sur le défi de déterminer la précision et la fiabilité des données présentées. Il souligne également que les simulateurs sont par nature des boîtes noires complexes, et bien qu’ils puissent capter des phénomènes non linéaires dans les supply chains, ils peuvent générer des réponses inattendues lorsque les paramètres sont ajustés.
La conversation se concentre sur la praticité, la valeur et les limites de l’utilisation des jumeaux numériques dans la supply chain management.
Comme l’explique Vermorel, les jumeaux numériques sont une reconditionnalisation de concepts de simulation vieux de plusieurs décennies, en particulier les processus Monte Carlo, rendus possibles par des capacités de traitement bon marché et puissantes. Ces simulations peuvent désormais couvrir l’ensemble de la supply chain, suscitant un intérêt considérable dans l’industrie. Cependant, Vermorel insiste sur le fait que les jumeaux numériques doivent être considérés comme un ingrédient algorithmique parmi d’autres dans une solution supply chain complète, et non comme une solution totale en soi.
L’interview aborde les défis de la comparaison de différentes approches de la supply chain management, compte tenu de la multitude de variables impliquées. Vermorel note que les jumeaux numériques permettent de mesurer divers indicateurs, tels que les taux de service pour chaque SKU, les coûts de stocks pour les fournisseurs, ainsi que la qualité de service pour les clients. Le véritable avantage des jumeaux numériques réside dans leur capacité à simuler une supply chain de bout en bout, bien que des limites subsistent en raison de données incomplètes.
En définissant les jumeaux numériques comme une série de vendeurs repackaging de vieux concepts utilisant des processus Monte Carlo, Vermorel reconnaît leur attrait dans une approche globale de la supply chain management et la valeur de relier les silos. Cependant, il maintient que les jumeaux numériques doivent être considérés comme un ingrédient parmi d’autres dans une solution plus vaste.
La critique principale de Vermorel à l’encontre des jumeaux numériques découle davantage de ce qu’ils ne sont pas, plutôt que de ce qu’ils sont. Il estime que de nombreux éléments manquent dans le concept de jumeau numérique et, bien que les simulations Monte Carlo soient utiles, elles ne suffisent pas pour améliorer véritablement la supply chain management. Vermorel suggère que les jumeaux numériques peuvent être précieux comme cri de ralliement pour une approche plus holistique et informatisée de la supply chain management, mais qu’ils ne devraient pas être considérés comme le seul moyen d’obtenir des améliorations.
Joannes Vermorel partage ses réflexions sur les jumeaux numériques dans l’optimisation de la supply chain, en soulignant la nécessité d’une approche plus globale de la supply chain management. Il reconnaît la valeur potentielle des jumeaux numériques mais met en garde contre leur considération comme solution complète. La conversation met en lumière l’importance de comprendre les limitations et le potentiel des jumeaux numériques, ainsi que la nécessité d’une perspective plus large dans l’optimisation de la supply chain.
Le fondateur a partagé ses réflexions sur les jumeaux numériques dans la supply chain management. Vermorel a critiqué le concept de jumeau numérique pour ce qu’il manque, plutôt que pour ce qu’il offre. Il estime que, bien que les simulations Monte Carlo soient utiles, elles ne suffisent pas à apporter une amélioration significative dans la supply chain management. Il suggère que les jumeaux numériques peuvent être bénéfiques pour favoriser une approche plus holistique de la supply chain management, mais qu’ils ne devraient pas être perçus comme la solution unique.
Vermorel insiste sur la nécessité d’une approche plus globale de la supply chain management, impliquant l’intégration d’une variété d’outils et de techniques. Bien que les jumeaux numériques aient le potentiel d’ajouter de la valeur à cette approche, ils ne devraient pas être considérés comme le seul moyen d’obtenir des améliorations. Au lieu de cela, Vermorel suggère que les professionnels de la supply chain management devraient prendre en compte divers facteurs, notamment la data analysis, la simulation, l’optimisation et le machine learning, pour identifier et relever les défis clés auxquels leurs organisations sont confrontées.
Dans l’ensemble, les observations de Vermorel suggèrent que les jumeaux numériques ont un rôle à jouer dans la supply chain management, mais qu’ils ne constituent pas une solution miracle. Il prône une approche plus nuancée intégrant divers outils et techniques pour atteindre les résultats souhaités. L’accent qu’il met sur la nécessité d’une approche holistique et informatisée de la supply chain management devrait résonner auprès des professionnels de ce domaine qui cherchent à améliorer leurs opérations et à renforcer leur avantage concurrentiel.
Transcription complète
Nicole Zint: Maintenant, Joannes, à quoi ressemble réellement un jumeau numérique pour l’utilisateur à distance ?
Joannes Vermorel: Ma perception des jumeaux numériques est que c’est l’un de ces buzzwords où la forme prime sur le fond. Les communautés technologiques et scientifiques ont besoin de buzzwords comme points de ralliement, afin que les personnes qui regardent un problème de la même manière puissent se réunir et organiser quelque chose comme une conférence scientifique ou une stratégie d’entreprise. Par exemple, un buzzword avec du contenu derrière serait deep learning. C’est un ensemble complet d’initiatives scientifiques et technologiques. Cependant, avec le jumeau numérique, je vois le buzzword et une sorte de mécanismes à l’œuvre, mais lorsque nous commençons à creuser un peu ce qui se cache en dessous, ma perception jusqu’à présent est que c’est très superficiel. Il n’y a pas de grande révolution en informatique, pas de révolution mathématique, pas de révolution en machine learning, et il est très difficile d’identifier un aspect réellement innovant qui pourrait être à la base de ces jumeaux numériques.
Nicole Zint: Donc, tu dirais qu’il n’y a pas d’innovation de fond au cœur d’un jumeau numérique ?
Joannes Vermorel: Je n’en ai pas vu. Il se pourrait même qu’il soit un peu meilleur que la détection de la demande, que nous avons examinée il y a quelques mois et qui est du pur vaporware. Cependant, même s’il existe des moyens par lesquels je peux voir les jumeaux numériques progresser, ce sera très incrémental en termes d’innovation. Les fournisseurs qui vendent des jumeaux numériques le présentent comme un simulateur supply chain. Dirais-tu qu’il est censé être un simulateur ?
Nicole Zint: La plupart des fournisseurs qui sont en train de vendre des jumeaux numériques restent extrêmement vagues quant à ce qu’ils sont réellement. Ils diraient que c’est comme votre supply chain virtuelle, une représentation de votre supply chain. Qu’est-ce que la supply chain virtuelle ?
Nicole Zint: C’est virtuel, ce qui signifie essentiellement que ce n’est pas votre vraie supply chain. C’est essentiellement une représentation de votre supply chain. Jusqu’à présent, cela reste incroyablement vague. Un plan de bataille sur papier de votre supply chain pourrait être une représentation virtuelle de la supply chain. Typiquement, c’est associé à une représentation informatisée de votre supply chain. “Virtuel” a cette connotation cool et positive qui lui est attachée.
Joannes Vermorel: C’est aussi un peu surf sur les genres de mondes virtuels, de réalités virtuelles, un peu comme le rebranding de Facebook en Meta. Ce sont encore une fois les mêmes vibrations que je peux percevoir. L’important, c’est qu’en tentant de comprendre ce que c’est techniquement – au mieux, je peux évaluer parce que, encore une fois, la plupart de nos concurrents fournissent une quantité incroyablement réduite de détails techniques sur ce que c’est – cela ressemble à des simulateurs glorifiés de supply chains. Encore une fois, prouve-moi le contraire, mais je n’ai pas vu d’éléments qui me permettent de penser que ces jumeaux supply chain sont autres que de jolis simulateurs.
Nicole Zint: Donc tu dis que c’est un peu la même ambiance que Facebook changeant son nom en Meta. Que veux-tu dire par là, c’est la même ambiance ?
Joannes Vermorel: Je faisais simplement référence au type de style marketing, au style de communication associé à la promotion du produit – rien d’autre. C’est une manière de le mettre en valeur. On constate qu’à chaque décennie, lorsque les gens veulent projeter quelque chose de futuriste, ils n’utilisent pas les mêmes métaphores ou thèmes. Par exemple, dans les années 1950, tout tournait autour des robots humanoïdes. On voyait de nombreuses publicités futuristes où l’on imaginait à quoi pourrait ressembler le futur. On voyait des personnes littéralement déguisées en robots, avec des tenues qui paraissent aujourd’hui très démodées, où des gens étaient recouverts de plaques de métal en simulant des robots.
Et pour l’intelligence artificielle, on voyait de nombreuses personnes tenter de communiquer avec des technologies cognitives comme si elles imitaient le cerveau. Une partie de l’imagerie associée à l’IA consiste à représenter le cerveau, cet aspect cognitif, comme si l’esprit se trouvait dans la machine. Les digital twins jouent sur une autre idée. Ils misent sur l’idée des réalités virtuelles, du métaverse, sur une vision du futur à la Matrix. Encore une fois, je ne dis pas que c’est scientifique ; c’est simplement un coup de marketing. C’est la façon d’aborder le sujet. Et d’ailleurs, toute entreprise scientifique cherche à se vendre d’une certaine manière, même s’il s’agit de science pure.
Nicole Zint: Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, il est acceptable d’avoir certaines thématiques et imageries associées. Mais je pense qu’il est important, dans le monde des logiciels d’entreprise, d’identifier cela.
Joannes Vermorel: Pourquoi est-ce important ? Eh bien, parce que les gens essaient avant tout de vous vendre des choses. Ce n’est pas comme si nous le faisions pour célébrer la beauté de l’esprit humain. Avant tout, il s’agit d’une entreprise à but lucratif visant à améliorer supply chains.
Nicole Zint: Attendez, décomposons cela un peu. Quels sont donc les avantages supposés d’un digital twin, selon la communication de nombreux fournisseurs qui pourraient être qualifiés de concurrents de Lokad ?
Joannes Vermorel: Lokad ne vend pas de digital twins. Je pense que nous réalisons énormément de choses qui entrent clairement dans le cadre des avantages attendus des digital twins. Cependant, c’est un choix ; nous ne nous commercialisons pas en tant que digital twins. Prenez cela avec précaution. J’essaie essentiellement de décrire, de manière pas trop injuste, ce que nos concurrents tentent fondamentalement de vendre sous cette appellation.
Nicole Zint: Un commentaire sur Lokad et les digital twins, car ce que nous faisons ici chez Lokad, lorsque nous analysons notre prévision probabiliste, c’est que nous examinons l’ensemble des résultats attendus de toutes les décisions différentes que vous pouvez potentiellement prendre, afin de les comparer entre elles. Essentiellement, quand on évoque les prétentions d’un digital twin, il s’agit de la capacité de projeter toutes les décisions dans un scénario hypothétique et d’en observer ensuite l’impact. N’est-ce pas une façon assez similaire de faire, sauf qu’un digital twin est en quelque sorte plus ludique ?
Joannes Vermorel: Je pense que ce qui est mis en avant avec les digital twins, ce sont les prétendues capacités supérieures à offrir un degré d’expressivité bien plus élevé, vous permettant de voir une multitude de futurs possibles et leurs variations. Et je dirais qu’en termes d’intention, c’est acceptable. Cependant, ce qui me laisse perplexe, c’est qu’aussitôt que vous commencez à faire cela, en essence, si vous avez la moindre projection pour une supply chain virtuelle, la question de la précision se pose, car ce que vous faites, c’est une prévision.
Et je ne peux m’empêcher de penser à tous ces fournisseurs qui rencontrent d’immenses difficultés en matière de précision de leurs technologies de prévision, et qui, soudainement, via les digital twins, font disparaître le problème, du moins dans les brochures marketing. L’une des choses que je n’ai pas du tout vues dans ces discussions sur les digital twins, c’est que tout le monde s’emballe à l’idée que vous pouvez explorer tant de futurs possibles. Essentiellement, vous effectuez une prévision, et ensuite les gens diraient : “Non, non, ce n’est pas simplement une prévision. C’est bien plus polyvalent que cela.”
Je dirais, très bien, si c’est une prévision très polyvalente qui vous permet d’examiner une multitude de futurs possibles, ce que vous faites techniquement est reconnu dans la communauté scientifique, dans la communauté statistique, comme une prévision probabiliste. Vous regardez ainsi de nombreux futurs probables et, de manière orientée politique, vous pouvez même intégrer des constructions de niveau supérieur, telles que des politiques, votre politique de tarification, vos politiques de sanctions les plus sévères, et cetera.
Nicole Zint: Il y a cette question de la précision, et il me surprend que de nombreux fournisseurs qui promeuvent les digital twins ne semblent pas réaliser qu’il existe un énorme problème de précision. À votre avis, un digital twin est-il essentiellement une prévision, mais emballée différemment, de sorte que la problématique de la précision disparaisse ?
Joannes Vermorel: Le problème, c’est que le terme “prévision” dans les cercles de la supply chain est typiquement appliqué à un type de prévision incroyablement restreint, à savoir les prévisions de séries temporelles ponctuelles. Il existe toute une gamme de prévisions. Les digital twins ne sont pas des prévisions si vous définissez ces dernières à partir de la perspective des prévisions de séries temporelles ponctuelles – ils vont bien au-delà.
Nicole Zint: D’accord. Donc, les digital twins ne sont pas simplement des prévisions de séries temporelles ?
Joannes Vermorel: Permettez-moi de reformuler cela très clairement : les digital twins ne sont pas des prévisions si vous définissez les prévisions à partir de la perspective des prévisions de séries temporelles ponctuelles. Cependant, si nous adoptons une définition plus large des prévisions, en tant qu’énoncés non ambigus et quantitatifs sur l’avenir, alors les digital twins, du moins tels que présentés par nos concurrents, entrent pleinement dans cette catégorie. Ma première préoccupation est qu’aussitôt que vous disposez d’une prévision de quelque nature que ce soit, la question de la précision se pose. Si vous ne vous interrogez même pas sur ce point et ne développez pas les outils nécessaires pour mesurer votre précision, vous ne savez pas si ce que vous faites est valable. Vous pourriez simplement jouer avec de grandes quantités de chiffres, ce qui, soit dit en passant, est incroyablement facile avec les ordinateurs modernes. Vous pouvez utiliser beaucoup de puissance de calcul, des recettes numériques et des formules mathématiques, mais cela ne signifie pas que le résultat obtenu en combinant tout cela est scientifique ou même raisonnable. Ce que vous risquez d’obtenir, c’est une sorte d’illusion sur votre réalité virtuelle dépourvue d’une relation réelle et de qualité avec votre supply chain effective. Si vous ne mesurez même pas votre précision, quel que soit le type de prévision que vous avez, vous n’avez aucune idée de la pertinence de ce que vous faites.
Nicole Zint: Alors, comment améliorez-vous un digital twin existant ?
Nicole Zint: Mais je veux dire, c’est la première préoccupation que l’on constate entre ces systèmes. Si je regarde ce que font nos ordinateurs, il ne semble même pas y avoir de métriques. Donc, sans mesure, je ne suis pas vraiment sûr de ce qu’ils optimisent réellement.
Joannes Vermorel: Ce n’est pas la seule préoccupation. Ce n’était que la première. Vous voyez, je dis simplement que si nous voulons même prétendre que ce que nous faisons n’est pas qu’un simple mot à la mode vide de sens, nous devons aborder les préoccupations fondamentales. La première préoccupation fondamentale semble être complètement ignorée par les fournisseurs de supply chain qui vendent des digital twins, à savoir le problème de la précision. Mais ce n’est pas la seule. Nous avons une autre catégorie de préoccupations, une préoccupation d’une importance capitale, qui est l’adéquation, à un niveau sémantique, entre ce que vous faites en termes de représentation virtuelle de contreparties digitales et la réalité.
Parce que, vous voyez, ces digital twins ne sont pas comme dans Matrix, le vieux film où l’on peut recréer un univers parallèle presque impossible à distinguer du monde réel. Réaliser cela reste un exploit de pure science-fiction. Nous sommes à des décennies, voire à des siècles, de pouvoir faire quoi que ce soit qui ressemble à Matrix. Ainsi, chaque fois que nous voulons simuler ou disposer d’une contrepartie digitale d’une supply chain, nous avons fondamentalement quelque chose qui n’est qu’une vision extrêmement simplifiée de la supply chain.
Même chez Lokad, lorsque nous appliquons la méthode la plus avancée possible pour la supply chain, nous devons avoir l’humilité de reconnaître que même ce que nous considérons comme étant le nec plus ultra en matière de sophistication et de granularité de représentation, ou la contrepartie digitale de la supply chain, reste une vision incroyablement simplifiée de la supply chain.
De plus, les données dont nous avons besoin pour alimenter cette représentation virtuelle, cette représentation digitale, ne tombent pas du ciel. Les données que nous allons utiliser proviennent de systèmes d’entreprise, de systèmes de gestion, d’ERP, de systèmes de gestion d’entrepôt, de CRM, d’extraits EDI et de dizaines d’autres sources. Le fait est que ces systèmes ont tous été conçus pour faire fonctionner la supply chain, et non pour collecter des données scientifiquement précises sur la supply chain.
Nicole Zint: Alors, comment un digital twin s’intègre-t-il à un ERP classique ?
Joannes Vermorel: D’abord, nous n’avons même pas encore abordé ce qu’est réellement une supply chain digitale, un digital twin pour la supply chain. Vous voyez, les fournisseurs veulent éviter cette question. Ils souhaitent que le client saute directement aux bénéfices qu’il en retire, etc. Mais j’insiste sur le fait que nous devons d’abord énumérer toutes les préoccupations afin de savoir si ce que nous examinons est réellement authentique.
Il y aura une troisième catégorie de questions, portant sur le niveau d’expressivité que nous pouvons atteindre. Nous avons le problème de formuler une affirmation sur l’avenir basée sur des données qui ne sont pas véritablement en adéquation avec la réalité.
Nicole Zint: Quant à votre supply chain, une telle chose n’existe pas. Vous savez, ce que vous avez, ce sont les données historiques telles qu’elles apparaissent à travers l’ERP. Cela ne doit pas être confondu avec la réalité ; c’est simplement une vision très, très déformée. Certes, nous devons pouvoir travailler avec cela, mais ne vous méprenez pas, il existe d’immenses approximations, approximations qui peuvent être très préjudiciables par rapport à l’objectif d’améliorer la supply chain que nous pourrions atteindre en utilisant ce digital twin. Ensuite, nous avons probablement une troisième catégorie de préoccupations, à savoir : comment opérer réellement sur une telle représentation digitale de votre supply chain ? Il n’est pas évident que, simplement parce que vous disposez d’une contrepartie digitale, des retombées automatiquement positives pour votre supply chain en découleront, surtout quand on vous promet des KPI ou des insights clés. Je dirais, d’accord, vous obtenez des insights clés, mais essentiellement, jusqu’à preuve du contraire, ces insights signifient que l’entreprise devra payer des employés uniquement pour les analyser.
Joannes Vermorel: Donc, vous voyez, lorsque vous dites qu’un logiciel vous fournit des KPI et des insights, cela représente en fin de compte toujours un coût pour l’entreprise car, peu importe combien ces éléments peuvent être intéressants, ces chiffres impliquent que l’entreprise doit engager du personnel pour les examiner. Et jusqu’à présent, cela ne génère pas de retour sur investissement. Et, d’ailleurs, c’est un point que j’ai abordé dans l’un des épisodes précédents avec le noyau bureaucratique de la supply chain. Dans la supply chain, il est toujours très tentant de faire toutes sortes d’opérations de nature bureaucratique. C’est le problème d’avoir des personnes hautement spécialisées s’occupant de tâches assez techniques.
Nicole Zint: Donc, vous êtes très critique à l’égard des digital twins ?
Joannes Vermorel: Je ne suis pas critique des digital twins. Encore une fois, soyons précis. Ce que je dis, c’est que chaque fois que vous présentez un concept, nous devons être très spécifiques quant à l’ensemble des défis qui doivent être relevés. Et ma critique porte très précisément sur les communications associées aux digital twins telles que présentées par mes concurrents. Ainsi, la critique formulée jusqu’à présent ne porte pas sur les digital twins eux-mêmes. Nous pourrons y revenir dans une minute si vous le souhaitez, mais il s’agit de ce qui ressort en matière d’éléments de communication. Et jusqu’ici, je dirais que les éléments qui émergent me frappent, comme s’il manquait les éléphants dans la pièce. Et pas un seul éléphant, mais au moins trois éléphants majeurs semblent ignorés, écartés ou inexistants, si l’on peut dire. Et cela me fait douter qu’ils prêtent réellement attention à la réalité, à la véritable nature du problème à résoudre.
Nicole Zint: Très bien, mais revenons maintenant au digital twin lui-même.
Joannes Vermorel: Oui. L’une des affirmations que j’ai remarquées chez certains fournisseurs est que leur digital twin est capable de disposer d’un tableau de bord intuitif permettant de visualiser instantanément l’impact de différents scénarios hypothétiques. Qu’en pensez-vous ? Quelle serait, selon vous, votre première critique, et quels sont également les avantages que nous pouvons tirer d’un digital twin ?
Nicole Zint: Tout d’abord, je dirais : qu’est-ce qu’un véritable digital twin tel qu’implémenté par les fournisseurs qui vendent des digital twins ?
Nicole Zint: Pour poser la question, qu’est-ce que c’est techniquement ? Et ici, vous constatez qu’il y a un jugement de valeur, et je dirais qu’il s’agit de simulateurs glorifiés, plus précisément de simulateurs Monte Carlo.
Joannes Vermorel: Malgré le fait que la quantité d’informations techniques soit très limitée, comme le présentent beaucoup de nos concurrents, ils disposent néanmoins de quelques captures d’écran et de quelques bribes d’informations techniques. C’est sur ces éléments que je m’appuie pour formuler cette affirmation. Essentiellement, lorsque les gens disent qu’ils possèdent un digital twin, ce qu’ils détiennent, c’est un logiciel d’entreprise qui offre une sorte de capacité de modélisation. Ils offrent quelque chose de fortement orienté vers une approche de type Monte Carlo. Il va générer, avec un certain degré de bruit, des éléments censés représenter les futurs états de votre supply chain. Ils proposent généralement des éléments qui s’inspirent davantage de la modélisation basée sur des agents. Ils essaient de représenter le réseau de la supply chain comme un ensemble d’agents dotés de comportements préconfigurés, voire d’un comportement appris de façon limitée. Ensuite, ils lancent simplement le simulateur et collectent des métriques, comme si vous placiez des sondes à des emplacements spécifiques ou sur des schémas particuliers dans votre supply chain. Ainsi, d’un point de vue technique, un digital twin est une sorte de simulateur, un simulateur Monte Carlo destiné aux cas d’utilisation de la supply chain.
Nicole Zint: En ce qui concerne les affirmations, par exemple, à propos de posséder des tableaux de bord ?
Joannes Vermorel: Avec n’importe quel simulateur, vous pouvez placer des sondes partout pour mesurer les résultats de vos simulateurs, et il est très facile de collecter des milliers de chiffres. Si vous avez des milliers de chiffres, il est très facile de les compiler d’une manière visuellement agréable, comme un tableau de bord. Le principal problème est de savoir dans quelle mesure vous devez avoir confiance en ces chiffres, et cela me ramène à la question de la précision. Avoir des tableaux de bord sophistiqués est très certainement quelque chose que je fais confiance à mes concurrents de pouvoir réaliser. Mais soyons réalistes; il est possible d’obtenir des rapports très agréables avec Excel, et cela est possible depuis trois décennies. Donc, c’est très incrémental au mieux pour ce type de bénéfices.
Nicole Zint: Quelle serait alors votre idée d’avantages ? Remettons en question une autre qualité que vous avez mentionnée : intuitive.
Joannes Vermorel: C’est intéressant parce que ce n’est absolument pas mon expérience avec quoi que ce soit ressemblant à un simulateur. Les simulateurs sont pour le moins des boîtes noires, complexes par conception, et ils ne sont absolument pas le genre de recettes numériques qui se prêtent à une explication facile. D’ailleurs, Lokad utilise assez largement des processus Monte Carlo, des simulateurs et des générateurs, et c’est quelque chose qui a un très
Nicole Zint: Lokad a une forte affinité pour les prévisions probabilistes. Cependant, même si Lokad utilise ces méthodes, je reconnais qu’elles ne sont pas particulièrement intuitives, surtout en ce qui concerne les résultats. C’est à peu près par conception. Ce que vous voulez capturer avec un simulateur, c’est typiquement toutes les non-linéarités que vous ne pouvez pas capturer par d’autres méthodes. Mais dès que vous traitez des phénomènes dans votre supply chain qui sont très non linéaires, il devient très difficile et presque opaque de saisir ce qui se passe. Cela signifie que soudainement, vous ajustez à peine un paramètre, et vous obtenez une réponse énorme à l’autre bout du réseau, et c’était un peu inattendu.
Joannes Vermorel: Si le simulateur est précis, alors il est bon. Cela signifie qu’il vous offre un outil pour essentiellement prendre le contrôle et mieux comprendre les conséquences involontaires d’actions apparemment minimes dans votre supply chain. Cependant, tout dépend de la précision du simulateur. Ce ne sera pas quelque chose d’intuitif d’aucune manière. Ce sera, au mieux, très opaque. Et encore une fois, c’est bel et bien un modèle numérique complexe qui est en jeu lorsque vous simulez la supply chain mondiale. Cela ne rentre vraiment pas dans la catégorie des choses que je qualifierais d’intuitives.
Nicole Zint: Ainsi, un simulateur est essentiellement une prévision derrière le rideau du simulateur, où la précision est remise en question. L’idée est que nous pouvons voir la supply chain sur un seul écran et ajuster différents paramètres pour observer le résultat. Sur le papier, cela semble génial, comme une boule de cristal qui peut voir l’avenir. Mais, bien sûr, lorsque vous ne remettez pas en question la précision, c’est essentiellement ce que c’est.
Joannes Vermorel: Oui, et il y a aussi plein d’autres questions. Lorsque vous avez un simulateur, vous avez des agents, qui sont essentiellement les éléments constitutifs de votre simulation. Lorsque vous dites que vous exécutez une simulation à travers la supply chain, cela signifie que vous allez simuler chaque SKU afin d’associer, par exemple, un comportement de réapprovisionnement ou un comportement de consommation. Ainsi, nous avons plein de petits agents qui ont leurs propres comportements, et quand nous laissons le simulateur fonctionner, nous laissons simplement tous ces agents opérer et nous fournir un état futur potentiel de la supply chain. Nous pouvons faire cela de nombreuses fois.
Maintenant, en effet, par conception, cette simulation à base d’agents se prête à un haut degré de comparabilité. Vous pouvez intervenir sur chaque agent et les modifier. C’est quelque chose que vous pouvez faire, et en effet, vous pouvez obtenir votre mur de métriques simplement en ajustant les paramètres.
Nicole Zint: Lancer le simulateur maintenant soulève la question de savoir si c’est un exercice réaliste. Nous avons potentiellement des milliers de SKU, si nous parlons d’une supply chain à grande échelle. Est-ce qu’il a réellement du sens de payer des personnes pour ajuster manuellement le paramètre qui contrôle l’agent, c’est-à-dire la modélisation de chaque SKU, un par un ? Oui, vous pouvez faire cela, mais y a-t-il un intérêt ? Cela a-t-il de la valeur ?
Joannes Vermorel: C’est également une autre grande partie de la préoccupation. Absolument, vous pouvez faire cela, mais cela fait partie des capacités fournies qui découlent du design. Mais ensuite, il y a la question de savoir si vous devriez le faire. En procédant ainsi, vous obtiendrez des chiffres, mais comment décider qu’un ajustement est meilleur qu’un autre si nous pouvons simplement modifier quelque chose, par exemple, que se passe-t-il si je commande telle quantité de ce produit ? Essentiellement, vous ajustez quelque chose, puis vous voyez le résultat dans un seul scénario.
Nicole Zint: Ça me semble être des séries temporelles. Ainsi, tout d’abord, ce que vous n’obtiendrez typiquement pas, si vous exécutez un simulateur Monte Carlo, c’est un scénario unique ; c’est comme l’agrégation du résultat moyen sur de nombreux scénarios. Eh bien, attendez, mais ils prétendent que c’est une manière intuitive de voir le résultat de différents scénarios hypothétiques. Donc, si je commande telle quantité, je devrais obtenir une image instantanée de ce que serait l’avenir de cela, pas différentes images, juste une.
Joannes Vermorel: Oui, je veux dire, parce qu’essentiellement, ce que vous faites avec les simulateurs, c’est que vous moyenez les résultats. Ainsi, c’est une prévision des séries temporelles ; du moins, c’est un point de sortie. La différence est que ce genre de séries temporelles suppose que vous avez un vecteur d’informations qui est granulaire dans le temps, mais il y a un point. Cela vous donne essentiellement une estimation moyenne. Ce que vous obtiendrez, c’est une estimation ponctuelle de la conséquence de votre ajustement. À cet égard, c’est correct de faire cela. Vous ne pouvez pas maintenir toutes les possibilités futures jusqu’à la toute fin ; à un certain moment, vous devez dire “j’ai une décision, et je veux évaluer le résultat économique de cette décision”. Donc, cette partie est acceptable. Ce qui pourrait ne pas l’être, c’est si les utilisateurs doivent parcourir potentiellement des millions de paramètres manuellement. Alors, vous avez quelque chose de très impraticable, distrayant et chronophage, et les bénéfices que vous pourriez obtenir en identifiant de meilleures décisions peuvent ne pas suffire à couvrir le coût de rémunérer toutes les personnes qui doivent ajuster le simulateur.
Nicole Zint: C’est une catégorie de problème, et puis il y a une autre catégorie de problème, qui est que ce que vous obtiendrez d’un simulateur, c’est un mur de métriques, littéralement des milliers de chiffres. Alors, comment comparez-vous la décision A avec un mur de métriques, compte tenu du fait que vous avez des milliers de métriques, et la décision B avec un autre millier de métriques, sachant que certaines sont meilleures, d’autres moins bonnes, certaines sont dramatiquement pires et d’autres dramatiquement meilleures ? Ça a l’air…
Nicole Zint: … Comme dans un processus de RFP, d’une certaine manière, vous avez autant de variables différentes. Comment comparez-vous quand toutes les variables sont différentes plutôt que d’une seule ?
Joannes Vermorel: Oui, et cela crée une véritable question de comparaison. C’est pourquoi vous avez un mur de métriques, car lorsque vous avez un simulateur, vous pouvez mesurer chaque chose. Par exemple, vous pouvez mesurer le taux de service pour chaque SKU. Ainsi, le résultat de votre simulateur, lorsque vous moyennez sur des milliers et des milliers d’exécutions, est littéralement un taux de service pour chaque SKU, une qualité de service pour chaque client, et des coûts de stocks pour chaque fournisseur. Le véritable avantage de l’approche système des digital twins est de simuler non pas un SKU unique, mais l’ensemble de la supply chain de bout en bout, autant que vous pouvez exploiter les données dont vous disposez pour vos fournisseurs et autant que vous pouvez atteindre en aval pour la portion de la supply chain que vous contrôlez.
Nicole Zint: Mais il semble que la question demeure : quelle décision est la meilleure ?
Joannes Vermorel: Oui, et je dirais que c’est aussi un autre éléphant dans la pièce. Que faites-vous une fois que vous avez ces capacités ? D’après ce que je vois du digital twin, il me semble que c’est une question qui n’a pas de réponses. Il y a un tour psychologique utilisé par les fournisseurs d’entreprise en supply chain et par les fournisseurs d’entreprise en général : dès que les gens voient un logiciel avec lequel ils peuvent interagir et réaliser des actions, ils en deviennent familiers et, à un moment donné, ils aiment le logiciel. Même si l’interaction avec le logiciel comporte un élément ludique, le problème est que cet élément ludique signifie que les gens peuvent aimer le produit, mais cela ne prouve pas qu’il apporte quoi que ce soit de bénéfique à votre entreprise. Cela détourne l’attention du résultat. Par exemple, si je disais que, dans le cadre de la politique de l’entreprise, les gens devaient jouer aux cartes pendant deux heures par jour, je suis sûr qu’il y aurait beaucoup de personnes qui apprécieraient cette activité et diraient qu’ils l’adorent, mais cela ne signifie pas que cela crée une valeur ajoutée pour l’entreprise.
Nicole Zint: Pour conclure ici, si nous pouvons revenir à ce qu’est réellement un digital twin, pourriez-vous fournir votre définition ?
Joannes Vermorel: Ma perception est qu’un digital twin est essentiellement une série de fournisseurs reconditionnant des concepts datant de plusieurs décennies pour les simulateurs. Ce qui a changé, c’est que la puissance de calcul est désormais suffisamment bon marché pour que vous puissiez disposer d’un processus Monte Carlo à basse résolution qui couvre l’ensemble de la supply chain sans trop de difficulté.
Nicole Zint: Essentiellement, vous prenez une grosse machine avec beaucoup de CPU. Le Monte Carlo est très facile à paralléliser. C’est un problème embarrassamment parallèle, en termes techniques. Ainsi, de nombreux fournisseurs se retrouvent avec la capacité de créer un produit bon marché à mettre en œuvre qui simule un système à l’échelle de la supply chain. Vous savez, c’est ce qu’ils peuvent faire. Et puis, parce qu’ils peuvent le faire, ils peuvent le vendre. Et comme il n’y a pas d’innovation radicale en cours, ils ont trouvé dans le digital twin un cri de ralliement pour rendre ce produit plus attrayant, car si je vous disais que nous allions adopter une approche Monte Carlo basée sur des éléments découverts dans les années 1950, il y a 70 ans, soudainement les gens diraient : “Ah oui, vraiment ? C’est le cas ?”
Joannes Vermorel: Ainsi, essentiellement, ils font cela puis, pour rendre la chose encore plus attrayante, ils ajoutent davantage de qualificatifs tels que le temps réel et la synchronisation. Je dirais bien. Cependant, avec le simulateur par conception, vous n’obtiendrez jamais rien de temps réel, sauf si votre simulateur est incroyablement superficiel en termes de sophistication. C’est vraiment quelque chose de discutable. Néanmoins, je vois la raison pour laquelle ce produit gagne du terrain : il y a un élément clé de vérité, qui est une approche à l’échelle du système pour la supply chain qui mérite vraiment un examen très, très sérieux. Il s’agit donc d’une entreprise très valable pour dire que nous ne voulons pas simplement dire oui pour combler les silos et adopter une approche système qui, je dirais, est un concept très attrayant pour moi. J’y vois beaucoup de valeur.
Maintenant, avoir des simulateurs, des simulateurs Monte Carlo, est un ingrédient. Mais ce que je dis, et ce serait mon point, c’est que je ne critique pas les digital twins pour ce qu’ils sont. Un simulateur est tout simplement solide et fiable. C’est bon, vous savez ? C’est une méthode établie pour réaliser, je dirais, des prévisions probabilistes dans un sens très générique. Ce que je dis, c’est que je vois une quantité énorme d’éléments qui manquent tout simplement dans le tableau, et il semble que les gens se concentrent sur des capacités bon marché à mettre en œuvre, qu’ils essaient de vendre, alors qu’en réalité, il existe une classe entière de capacités totalement absentes, mais qui sont malheureusement beaucoup plus difficiles à implémenter et bien plus coûteuses. Mais ce sont elles qui rendent véritablement cette capacité, la simulation Monte Carlo, vraiment utile pour la supply chain. Donc, mon point est que la digital supply chain est bonne si elle sert de cri de ralliement pour adopter une approche plus holistique de la supply chain d’un point de vue informatisé. Mais si vous pensez que les approches Monte Carlo ne sont qu’un simple ingrédient algorithmique, je pense que c’est une idée très erronée de croire qu’avec seulement cela, vous pouvez réellement améliorer votre supply chain.
Nicole Zint: D’accord, Joannes. Merci beaucoup d’avoir partagé vos idées sur les digital twins. Merci de nous avoir suivis, et nous vous disons à la semaine prochaine.