00:00:07 Introduction et parcours d’Axelle Lemaire.
00:01:44 Aperçu du nouveau rôle d’Axelle en tant que Directrice Mondiale de Terra Numerata.
00:02:24 Qu’est-ce que la digitalisation et son impact sur les entreprises.
00:03:50 L’évolution de la digitalisation et le rôle de la culture startup.
00:06:16 Les défis auxquels sont confrontées les startups dans le monde d’aujourd’hui et l’importance de la stratégie de mise sur le marché.
00:08:00 Le rôle des banques d’investissement dans la scène technologique française.
00:09:25 Les défis des effets de réseau de la supply chain pour les startups technologiques.
00:10:48 Les avantages de l’analyse des données et de la transparence dans la supply chain mondiale.
00:12:00 Les aspects négatifs de la digitalisation et l’augmentation de la fragilité des systèmes.
00:14:01 Les changements dans la gouvernance des départements informatiques et la gestion des risques.
00:16:00 Adopter des risques non nuls et l’importance d’une priorisation intelligente.
00:17:54 Les défis et inconvénients des rotations de mots de passe.
00:18:17 Les tendances numériques pour l’avenir et l’impact de l’IA et de l’apprentissage automatique.
00:20:02 Inventer de nouveaux cas d’utilisation pour l’apprentissage automatique dans diverses industries.
00:22:45 La technologie pour le bien : utiliser la technologie pour avoir un impact positif sur l’environnement.

Résumé

Dans cet épisode de Lokad TV, Kieran Chandler interviewe Axelle Lemaire, ancienne Ministre des Affaires Numériques, et Joannes Vermorel, fondateur de Lokad. Ils discutent de la digitalisation, du rôle des startups et de l’importance de la stratégie, de la mentalité et de la culture. Lemaire souligne la digitalisation comme un outil de transformation pour les entreprises, tandis que Vermorel note que le financement n’est plus un problème majeur pour les startups. Ils conviennent que le véritable potentiel de l’analyse des données et de l’optimisation de la supply chain ne peut être réalisé qu’à l’échelle mondiale. La conversation aborde également la sécurité informatique, l’adoption des risques, les développements algorithmiques et la “tech for good”, en mettant l’accent sur l’impact positif que la technologie peut créer.

Résumé étendu

Dans cet épisode de Lokad TV, l’animateur Kieran Chandler interviewe Axelle Lemaire, ancienne Ministre des Affaires Numériques du gouvernement de François Hollande et actuelle Directrice Mondiale de Terra Numerata, ainsi que Joannes Vermorel, fondateur de Lokad. Ils discutent de la digitalisation, du rôle des startups dans l’industrie numérique et de l’importance de la stratégie, de la mentalité et de la culture.

Axelle Lemaire a une expérience dans le gouvernement, ayant été ministre des Affaires Numériques entre 2014 et 2017, et députée représentant les Français vivant à l’étranger en Europe du Nord. Elle a contribué au développement des politiques numériques pour la France et a rédigé un rapport parlementaire sur l’Europe devenant une puissance numérique. Lemaire est maintenant Directrice Mondiale de Terra Numerata, une plateforme mondiale ouverte et un réseau d’écosystèmes d’entreprises technologiquement avancées et innovantes qui travaillent avec Roland Berger, un cabinet de conseil en stratégie et transformation, sur différents projets pour des clients.

La discussion commence par une vue d’ensemble de la digitalisation, un sujet qu’ils ont abordé dans des épisodes précédents. Vermorel souligne que les entreprises en Europe et en Amérique du Nord se sont digitalisées depuis des décennies, avec peu d’entre elles qui s’appuient encore sur des documents papier. Cependant, l’essence de la digitalisation ne consiste pas seulement à remplacer les documents physiques par des documents numériques, mais plutôt à saisir l’opportunité de réinventer et de repenser les opérations commerciales, en exploitant les capacités informatiques et de mise en réseau pour une plus grande efficacité et compétitivité.

Lemaire ajoute que la digitalisation a évolué au fil du temps, avec des efforts initiaux axés sur la dématérialisation des processus et des documents, en particulier dans le secteur public. La prochaine étape a consisté à intégrer le commerce électronique aux entreprises traditionnelles en brique et mortier, suivie de l’importance croissante de l’information et du pouvoir des réseaux sociaux. À toutes ces étapes, l’accent a été mis sur le changement et sur la façon dont il est façonné par la stratégie, la mentalité et la culture.

En ce qui concerne le rôle des startups dans l’industrie numérique, Lemaire reconnaît le marché dynamique et les nombreuses startups promettant de révolutionner le paysage numérique. Elle suggère que les enjeux sont élevés pour ces entreprises, car leur succès repose sur leur capacité à s’adapter et à stimuler le changement, non seulement en termes d’innovation technologique, mais aussi en termes de mentalité et de culture.

La discussion commence avec Axelle Lemaire expliquant comment la digitalisation transforme les modèles d’entreprise, transformant les entreprises industrielles traditionnelles en plateformes orientées services qui opèrent au sein d’écosystèmes ouverts. Cette transformation nécessite une formation spécifique et une compréhension de la culture des startups, qui met l’accent sur les tests, l’apprentissage et la collaboration. Le principal défi pour les startups de nos jours est leur stratégie de mise sur le marché, car il reste difficile de travailler avec de grands clients et de mettre à l’échelle des pilotes ou des preuves de concept pour les appliquer à différents services commerciaux.

Joannes Vermorel est d’accord avec Lemaire et ajoute que le financement n’est plus un problème majeur pour les startups. Il cite l’exemple de Station F en France, qui abrite plusieurs sociétés de capital-risque et offre un financement important aux startups. La banque publique d’investissement en France a joué un rôle majeur dans ce développement, investissant aux côtés de VCs privés et contribuant à faire avancer la scène des startups.

Vermorel aborde ensuite les défis auxquels son entreprise, Lokad, est confrontée pour mettre à l’échelle les pilotes d’optimisation de la supply chain. Il explique que les problèmes de supply chain sont intrinsèquement orientés réseau, et que les pilotes à petite échelle échouent souvent à démontrer de la valeur en raison de cette complexité. Conquérir de grandes entreprises est difficile, car elles opèrent dans de nombreux pays et nécessitent des solutions localisées.

Lemaire ajoute que le véritable potentiel de l’analyse des données et de l’optimisation de la supply chain quantitative ne peut être réalisé qu’à l’échelle mondiale. Lancer un pilote à l’échelle locale ne permet peut-être pas de tirer pleinement parti de l’impact potentiel de l’intégration de telles technologies.

La conversation se tourne ensuite vers les aspects négatifs potentiels de la dépendance croissante à la digitalisation. Vermorel reconnaît que les systèmes numériques peuvent introduire de la fragilité et des risques de sécurité, en utilisant l’exemple des attaques de ransomware qui se sont propagées rapidement dans de grandes entreprises en 2018. Il suggère que les entreprises doivent agir pour rendre leurs systèmes plus résilients.

Lemaire est d’accord et note qu’il y a maintenant une plus grande prise de conscience des risques cybernétiques qu’il y a cinq ans. Les entreprises sont de plus en plus disposées à investir pour se protéger, et les départements informatiques jouent un rôle plus important dans la garantie de la sécurité. Cependant, les défis liés à la mise à l’échelle des pilotes, à la collaboration avec de grands clients et à la prise en compte des inconvénients potentiels de la digitalisation restent des préoccupations constantes pour les entreprises et les start-ups.

La conversation tourne autour de la technologie numérique, de l’acceptation des risques dans un monde numérique, des développements algorithmiques et du rôle de la technologie dans la création d’un impact positif.

Tout d’abord, l’interview explore comment les départements informatiques sont passés de la simple opposition à tout à devenir un atout stratégique au sein des organisations. Les départements informatiques travaillent désormais plus étroitement avec les départements de l’innovation et les unités commerciales, ce qui permet un déploiement plus rapide des solutions.

La discussion aborde ensuite le concept de risque. Axelle Lemaire affirme que les dirigeants doivent comprendre que le risque zéro n’existe pas dans un monde numérique. Joannes Vermorel ajoute que l’acceptation du risque implique une priorisation intelligente des investissements et des stratégies d’atténuation. Par exemple, l’idée de prévisions de demande parfaites dans la mode rapide relève de la pensée utopique. Au lieu de cela, les entreprises devraient adopter des prévisions probabilistes qui acceptent un certain niveau de risque. Cela implique de donner la priorité aux problèmes les plus impactants et de les traiter en conséquence.

La conversation aborde également le sujet de la sécurité informatique. Un exemple est le débat autour de la rotation des mots de passe, qui est maintenant considérée comme nuisible dans certains cas. Obliger les utilisateurs à changer fréquemment leurs mots de passe peut entraîner des pratiques dangereuses, telles que noter les mots de passe sur des notes facilement accessibles.

Joannes Vermorel est d’accord avec Lemaire, soulignant l’importance d’inventer de nouveaux cas d’utilisation pour les technologies dans des domaines tels que la gestion de la chaîne d’approvisionnement. Il partage l’exemple d’un PDG de la mode rapide qui s’est montré intéressé par l’utilisation de la technologie pour prédire la genèse de nouveaux best-sellers. L’objectif n’est pas de remplacer les designers, mais de les aider à se concentrer sur les domaines qui auront le plus d’impact sur leur entreprise.

Enfin, Axelle Lemaire met en évidence la tendance du “tech for good”, qui consiste à utiliser la technologie pour créer un impact positif sur l’environnement et la société. En trouvant les bons cas d’utilisation, la technologie peut contribuer à atténuer les externalités négatives et à générer des résultats positifs. Par exemple, l’utilisation de la technologie dans l’industrie de la mode rapide pour produire localement et selon la demande peut réduire la surproduction et diminuer l’impact environnemental.

Transcription complète

Kieran Chandler: Aujourd’hui, nous allons recueillir son point de vue sur le thème de la digitalisation et comprendre comment, dans son nouveau rôle, elle réunit à la fois des start-ups et des entreprises technologiques afin de les rassembler dans un monde numérique de plus en plus compétitif. Alors, Axelle, merci beaucoup de nous rejoindre aujourd’hui.

Axelle Lemaire: Avec plaisir.

Kieran Chandler: Peut-être pourriez-vous commencer par nous en dire un peu plus sur votre parcours. Cela semble très intéressant et très varié.

Axelle Lemaire: Oui, j’ai travaillé en tant que ministre du gouvernement entre 2014 et 2017 pendant trois ans, chargée de l’innovation et des affaires numériques, des politiques numériques pour la France. C’était un travail extraordinaire à un moment où le monde découvrait le pouvoir des start-ups et comment l’innovation numérique allait transformer les modèles d’entreprise. Avant cela, j’ai été élue députée, membre du Parlement, pour représenter les Français vivant à l’étranger dans le nord de l’Europe, et c’est à ce moment-là que j’ai rédigé un rapport parlementaire sur ce que l’Europe aurait besoin de devenir une puissance numérique.

Kieran Chandler: Et maintenant, vous travaillez en tant que responsable mondiale de Terra Numerata. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet également ?

Axelle Lemaire: Bien sûr. Roland Berger est un cabinet de conseil mondial spécialisé dans la stratégie et la transformation, d’origine allemande mais très international maintenant. Terra Numerata est une sorte de plateforme ouverte, un réseau d’entreprises mondial, un écosystème de sociétés, principalement des entreprises très technologiques et innovantes avec lesquelles nous travaillons sur des projets que nous livrons à nos clients.

Kieran Chandler: D’accord, super. Et comme toujours, nous sommes accompagnés de Joannes. Aujourd’hui, nous parlons un peu plus de la digitalisation. C’est un sujet dont nous avons parlé dans quelques épisodes précédents, mais il pourrait être intéressant d’avoir un bref aperçu de ce qu’est la digitalisation.

Joannes Vermorel: Il est intéressant de noter que les entreprises, du moins en Europe et en Amérique du Nord, sont digitalisées depuis des décennies d’une certaine manière. Je veux dire, il y a très peu d’entreprises qui utilisent encore des documents papier. Par exemple, de nos jours, les factures, les paiements et les enregistrements vivent tous à travers les ordinateurs. Mais ils sont numériques depuis des décennies. Pourtant, l’essentiel du changement réside dans le fait que les entreprises se sont contentées de numériser ce qui était la trace papier physique ou ont-elles saisi l’occasion de se réinventer avec des capacités informatiques, des capacités de mise en réseau et de repenser vraiment leur fonctionnement. Je pense que l’essentiel de la digitalisation ne consiste pas à considérer les capacités numériques comme de simples comptables pour enregistrer vos informations, comme vous le faisiez avec des documents papier, mais légèrement plus rapidement et avec moins d’erreurs. Au lieu de cela, il s’agit de repenser complètement la façon dont vous faites les choses de manière beaucoup plus efficace et beaucoup plus compétitive.

Kieran Chandler: Et vous avez mentionné au début, Axelle, que vous avez beaucoup travaillé avec des start-ups. Je veux dire, c’est un marché vraiment dynamique maintenant. Il semble y avoir de nouvelles start-ups tous les jours, promettant de révolutionner complètement l’industrie numérique. Quel est votre point de vue là-dessus ?

Axelle Lemaire: Eh bien, dans l’histoire de la numérisation, je suis d’accord que nous sommes arrivés à un point où il ne s’agit pas seulement de ces merveilleuses start-ups, mais aussi du changement qui dépend de la stratégie, de la mentalité et de la culture. La numérisation, il y a des années, signifiait encore la dématérialisation des processus, des documents, etc. Même dans le secteur public, au gouvernement, on pensait à la dématérialisation des inventaires, etc.

Kieran Chandler: Le commerce électronique est de plus en plus axé sur la manière dont une entreprise physique peut également avoir une dimension en ligne. Il s’agit également d’informations et du pouvoir des réseaux sociaux. Comment, en tant que citoyen, membre du gouvernement ou chef d’entreprise, intégrez-vous cette dimension ? Peut-être en introduisant un outil de travail collaboratif pour votre entreprise ?

Axelle Lemaire: Maintenant, la numérisation consiste vraiment à transformer les modèles d’entreprise. Une entreprise industrielle classique est devenue une entreprise orientée vers les services, une plateforme fournissant des services grâce à un écosystème ouvert. Cela ne peut se produire que si les gens reçoivent une formation spécifique, comprennent la culture des start-ups, testent et apprennent, et acceptent qu’il est normal d’échouer. C’est probablement plus collectif et collaboratif. Cela signifie donc injecter cette nouvelle culture au sein d’organisations plus grandes et complexes, ce qui, selon moi, est le plus grand défi. La scène des start-ups est dynamique en France et dans le reste du monde également. Nous sommes arrivés à un point où le financement n’est plus vraiment un problème. Le principal défi pour les start-ups maintenant est leur stratégie de mise sur le marché. Il est encore difficile de les faire travailler avec leurs grands clients partout dans le monde, de transformer leur pilote ou leur preuve de concept sur un cas d’utilisation en une application potentielle pour tous les différents services de l’entreprise, et de vraiment tirer parti du potentiel des technologies pour aider à cette transformation du modèle d’entreprise.

Kieran Chandler: Quels sont vos points de vue, Joannes ? Il y a dix ans, vous étiez l’une de ces petites start-ups. Maintenant, vous avez grandi un peu plus et vous êtes situé près de Station F, qui compte également de nombreuses start-ups.

Joannes Vermorel: Je suis tout à fait d’accord avec Axelle. Le financement était autrefois un gros problème, mais ce n’est plus tellement le cas maintenant. À Station F, qui se trouve à 200 mètres d’ici, il y a une demi-douzaine de VC avec leurs propres bureaux sur place, et il y a des dizaines de start-ups ayant un accès direct à des VC disposant de fonds importants. Collectivement, nous parlons de plusieurs milliards d’euros. Quand j’ai lancé Lokad il y a 11 ans, je pense que le budget annuel total pour le financement des VC français était d’environ un demi-milliard d’euros. La banque publique d’investissement en France, Bpifrance, a joué un rôle important car elle a alimenté la scène des investissements et a co-investi avec des VC privés, y compris des fonds étrangers qui étaient initialement sceptiques. Cela a vraiment aidé à donner cet élan. En ce qui concerne la transformation d’un pilote, l’un des plus grands défis que nous avons dans la supply chain, c’est que tout repose sur les effets de réseau. Dans la supply chain, la résolution naïve des problèmes ne les résout généralement pas mais les déplace. Par exemple, si vous avez un réseau de vente au détail avec de nombreux magasins et que vous décidez de vous concentrer intensivement sur un magasin pour le contrôle des stocks, ce magasin peut fonctionner sans problème mais au détriment des autres magasins. Vous avez donc résolu un problème en un endroit mais créé des problèmes ailleurs. C’est de cela qu’il s’agit dans la supply chain : chaque fois que vous allouez des stocks, il faut tenir compte des effets de réseau.

Kieran Chandler: Dans un endroit, le même stock peut manquer à un autre endroit, ce qui rend les problèmes encore plus compliqués pour Lokad car les pilotes à petite échelle ne fonctionnent généralement pas du tout. Précisément parce que les problèmes de supply chain sont tous des problèmes de réseau, et vous ne pouvez pas vraiment démontrer localement la valeur de ce que vous faites. Néanmoins, le problème est le même. Nous avons du mal à conquérir les grandes entreprises car elles sont complexes, elles opèrent dans de nombreux pays. Nous continuons à développer l’idée de l’entreprise pour le chiffre d’affaires en dehors de la France, mais nous n’avons pas de présence physique dans de nombreux pays. Nous sommes toujours situés uniquement à Paris, en France, ce qui est un bel endroit, mais surtout dans le domaine de la supply chain où l’environnement est complexe pour une entreprise multinationale avec différents bureaux dans le monde entier.

Joannes Vermorel: Ensuite, ce que l’analyse des données et la puissance de la supply chain quantitative peuvent apporter, c’est en réalité révéler la réalité, sa transparence. Une fois que cela est révélé, des décisions à un niveau plus global peuvent être prises en conséquence. Mais ensuite, si vous vous en tenez au niveau inférieur ou intermédiaire, vous ne tirez pas parti de l’impact complet possible de l’intégration de telles technologies. C’est pourquoi il est si difficile de démarrer un pilote au niveau local lorsque vous savez que le potentiel sera réalisé au niveau mondial.

Kieran Chandler: Voyez-vous des aspects négatifs à cette dépendance croissante à la numérisation ? Je veux dire, si vous regardez un exemple comme l’année dernière à l’aéroport de Gatwick, où tout le système de départs et d’arrivées a échoué, causant d’énormes retards de vols et des gens écrivant les heures de vol sur des tableaux blancs, provoquant un véritable chaos. Y a-t-il de réels inconvénients à cette numérisation ?

Joannes Vermorel: Clairement, peu d’entreprises réalisent cela, mais il y a une sorte de fragilité qui accompagne les systèmes numériques très sophistiqués. Ils peuvent être rendus très résilients, mais cela ne signifie pas nécessairement que de nombreuses entreprises ont pris des mesures pour les rendre super résilients. Par exemple, je sais qu’il y a eu une vague de ransomwares en 2018 qui a touché de nombreuses grandes entreprises. Il était très impressionnant de voir qu’en l’espace de 24 heures, le ransomware, qui est un virus pour lequel vous devez payer une rançon en Bitcoin pour rétablir la situation, s’était propagé dans tous les pays des entreprises en une seule journée. Précisément parce que c’était le même système déployé partout, l’avantage d’avoir des systèmes entièrement compatibles et entièrement alignés est que si vous avez un problème de sécurité, c’est le même problème de sécurité partout. En revanche, s’il s’agit d’un véritable chaos avec différents ERP et des systèmes incompatibles, alors si les gens accèdent à un système, ils n’accèdent pas par défaut à tous les systèmes.

Axelle Lemaire: Ce que je constate en termes de gouvernance des organisations, c’est qu’aujourd’hui, oui, il y a clairement une réelle prise de conscience des risques cybernétiques en particulier, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. Croyez-moi, lorsque nous avons lancé la stratégie nationale de protection cybernétique en France il y a cinq ans, c’était encore assez nouveau, et les entreprises n’étaient pas prêtes à investir les ressources nécessaires pour se protéger. Donc, cela change progressivement. Ce que cela signifie, c’est que le service informatique n’est plus considéré uniquement comme l’unité qui dira non à tout. Ils sont devenus un atout stratégique en eux-mêmes, ils reprennent donc également du pouvoir à certains égards et travaillent plus étroitement avec le service de l’innovation et les unités opérationnelles.

Donc, c’est intéressant de voir, et je suppose que peut-être les acteurs purs n’ont pas de service informatique. Les technologies numériques sont tellement au cœur de leur modèle commercial. Mais dans les organisations plus classiques, nous constatons ce changement de collaboration plus étroite entre le service informatique, le directeur des données, le directeur du numérique, le directeur de l’innovation et les

Kieran Chandler: Avec un délai de mise sur le marché plus court, c’est intéressant, mais je crois toujours que les dirigeants ne comprennent pas que le risque zéro n’existe pas. Donc, dans un monde numérique, nous devons admettre et accepter que, malgré tous les investissements nécessaires pour la protection, nous vivons dans un monde risqué. Cela a de nombreuses conséquences en termes de contrats, n’est-ce pas ?

Joannes Vermorel: C’est très intéressant car la question du risque est très intéressante. Par exemple, nous voyons l’un des éléments clés de Lokad est la prévision probabiliste. Nous renonçons à l’idée d’avoir des prévisions de demande parfaites ; c’est comme si c’était toujours flou. Surtout, je suppose, lorsque vous pensez à la mode rapide. C’est un peu comme une illusion de croire que vous aurez des prévisions parfaites et que vous pourrez ainsi éliminer tout risque de rupture de stock. Et pourtant, lorsque nous nous dirigeons vers quelque chose qui embrasse le fait que le risque zéro n’existe pas, nous sommes toujours confrontés à des situations difficiles car les entreprises doivent accepter les conséquences de cela.

Axelle Lemaire: Donc, vous devez accepter profondément que c’est une illusion de croire au risque zéro. Ensuite, cela revient à avoir une très bonne priorisation de vos investissements et à essayer de réduire votre risque. Parce que renoncer au risque zéro ne signifie pas que vous ne faites rien pour évaluer le risque. Notre point de vue est que, au contraire, cela signifie que vous devez être très intelligent dans la priorisation. Si vous dites zéro risque, vous n’avez pas à prioriser quoi que ce soit. C’est la beauté de la chose ; vous dites que nous allons résoudre chaque problème, point final. Donc, vous devez accepter le fait que le risque zéro n’existe pas, ce qui conduit à une priorisation intelligente de ce que vous faites.

Joannes Vermorel: Et ici, c’est très intéressant car cela implique tellement de choses différentes. Par exemple, fréquemment, cela se concentre beaucoup sur la sécurité informatique pure. Aux États-Unis, par exemple, la recommandation qui oblige les gens à changer de mot de passe est maintenant considérée comme nuisible. Cela crée en réalité plus de problèmes qu’il n’en résout car lorsque vous demandez aux gens de changer leur mot de passe chaque mois, la plupart des gens auront un autocollant attaché à leur ordinateur avec leur mot de passe écrit dessus. Ils ont observé que peu importe la formation que vous donnez aux gens, ils continueront à le faire. Donc, arrêtons de faire tourner ces mots de passe tout le temps ; cela crée en réalité plus de problèmes.

Kieran Chandler: Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites à propos des mots de passe. J’ai l’impression d’avoir des mots de passe qui sortent de mes oreilles en ce moment, et je ne sais pas quoi en faire.

Axelle Lemaire: Vous pouvez simplement acheter une belle licence avec une bonne application qui générera automatiquement vos mots de passe, et ensuite c’est réglé.

Kieran Chandler: Commençons maintenant à conclure un peu et à examiner certaines des tendances numériques pour l’avenir. Qu’est-ce qui est excitant qui arrive, et quelles sont les opportunités que vous pouvez voir venir ?

Axelle Lemaire: Maintenant que je travaille en tant que consultante, si je parle d’IA, les gens vont se mettre à rire, n’est-ce pas ? Parce que lorsque vous demandez aux scientifiques des données à propos de l’intelligence artificielle, ils vous diront que l’IA est réservée aux présentations PowerPoint, pas à la vie réelle. Mais néanmoins, je dirais que je vois de nombreuses start-ups tous les jours, et ce que je réalise, c’est à quel point les développements algorithmiques basés sur l’apprentissage automatique et l’apprentissage profond sont transformateurs pour les organisations. Donc encore une fois, cela peut ne pas être la tendance à très long terme de l’informatique quantique ou du calcul quantique, mais dans les deux, trois ou quatre prochaines années.

Kieran Chandler: Le plus grand défi passionnant sera de gérer l’adoption de ces technologies et de les adapter aux organisations. Pour moi, il s’agit de l’apprentissage automatique et de l’apprentissage profond, n’est-ce pas ? Parce que nous en sommes encore tellement au début, nous avons du mal à identifier non pas les cas d’utilisation faciles, généralement liés à l’optimisation des coûts ou à la réduction des coûts, mais il s’agit vraiment d’inventer de nouveaux cas d’utilisation et de valeur ajoutée. Aider les entreprises à passer à de nouveaux projets commerciaux grâce au bon développement algorithmique. Donc, pour moi, c’est la tendance la plus excitante. Nous sommes en plein dedans. Seriez-vous d’accord avec cela dans une certaine mesure, avec l’avènement de la programmation différentiable et des choses comme ça ?

Joannes Vermorel: Absolument, c’est un défi d’inventer de nouveaux cas d’utilisation. Par exemple, dans la supply chain, vous avez l’utilisation depuis des décennies de l’apprentissage statistique et de l’apprentissage automatique pour la prévision de la demande. La perspective classique est très étroite ; vous prenez un produit qui se vend déjà et vous étendez la série temporelle des ventes dans le futur. C’est de l’apprentissage automatique, mais c’est aussi une perspective très étroite et assez ancienne. Il y a une semaine, j’ai rencontré le PDG d’une marque de fast-fashion dynamique, et cette personne était intéressée par le même type de technologie appliquée à la genèse de nouveaux best-sellers pour leur marque de fast-fashion. C’est un problème différent car, à quoi bon prévoir la demande d’un mauvais produit ? Il ne deviendra pas un succès sur le marché. Oui, j’obtiendrai la prévision, mais cela ne fera rien de super bien pour mon entreprise. Cela limitera la quantité de stocks excédentaires que j’ai pour ce produit qui se vend mal, mais cela ne résout pas le cœur du problème, qui est de gagner des parts de marché en lançant des produits avant les concurrents qui capturent vraiment l’ambiance du moment. Pouvons-nous avoir une machine qui ne remplace pas les designers mais les aide à cibler la zone sur laquelle ils devraient se concentrer ?

Axelle Lemaire: C’est très intéressant car ce n’est pas radicalement nouveau du point de vue technologique, mais c’est encore assez nouveau en termes de réflexion sur la manière dont cette technologie devrait être appliquée à ce secteur. Pour conclure, l’une des tendances que je constate est la technologie pour le bien et les technologies à impact positif. En réfléchissant au cas que vous venez de mentionner, la fast fashion et la technologie pour le bien, comment les technologies peuvent-elles aider à lutter contre le changement climatique ? Si vous trouvez le bon cas d’utilisation pour aider les producteurs de fast fashion à produire localement en fonction de la demande locale et des quantités nécessaires, alors vous ne surproduisez pas. C’est un bon exemple de la manière de réduire les externalités négatives et même de créer un impact positif, notamment pour l’environnement, grâce aux technologies mais aussi en répondant aux défis commerciaux. À mon avis, cette question de savoir comment les technologies peuvent servir un intérêt plus large, pas seulement les entreprises, sera la clé de l’avenir dans les années à venir.

Kieran Chandler: Super, une belle façon positive de conclure. Merci à tous les deux d’avoir pris le temps ce matin.

Joannes Vermorel: Merci.

Axelle Lemaire: Merci.

Kieran Chandler: C’est tout pour cette semaine. Merci beaucoup de nous avoir suivi et nous vous retrouverons la prochaine fois. Au revoir pour le moment.