00:00:07 Introduction au concept de la supply chain bionique et aux antécédents de Stefan Gstettner.
00:01:58 Explication de la supply chain bionique et de son importance dans l’industrie.
00:03:39 Approche de Lokad en matière de supply chain bionique et le rôle des Supply Chain Scientist.
00:05:36 Les défis de la collaboration homme-machine et la nécessité d’un modèle opérationnel bionique.
00:07:50 Les quatre éléments d’un modèle opérationnel bionique : guidance, modèle opérationnel, compétences et plateforme technologique.
00:08:29 Les pièges de la transformation des supply chains dans l’industrie.
00:10:47 Les dirigeants se concentrant sur l’augmentation de la valeur et la préparation pour l’avenir.
00:12:41 Gérer les complexités dans les supply chains et adopter la technologie.
00:15:50 Le concept de jumeau numérique et son rôle dans une supply chain bionique.
00:17:18 Utiliser des outils pour augmenter l’intelligence humaine dans les supply chains.
00:19:31 Le défi d’accéder aux talents et le temps nécessaire pour les former.
00:20:22 Le rôle de l’interaction humaine dans les supply chains du futur.
00:21:28 L’importance de changer le contexte pour inciter à un changement de comportement dans les supply chains.

Résumé

La supply chain bionique, un concept centré sur la collaboration homme-machine, est cruciale pour l’avenir du supply chain management. Stefan Gstettner et Joannes Vermorel discutent de son importance et de ses défis, soulignant la nécessité d’une vision de bout en bout et de modèles opérationnels centrés sur l’humain. Gstettner propose un modèle opérationnel bionique composé de quatre éléments : guidance, modèle opérationnel, compétences et plateforme technologique. Vermorel insiste sur des méthodes de prévision « approximativement vraies » via méthodes de prévision et sur de meilleurs outils pour augmenter l’intelligence humaine. Les deux experts reconnaissent les difficultés de transformer les supply chains, mais conviennent que l’équilibre entre l’intuition humaine et la technologie est essentiel pour s’adapter à l’évolution du secteur.

Résumé Étendu

Ils discutent du concept de la supply chain bionique et de ses implications pour l’avenir du supply chain management.

Stefan Gstettner présente un aperçu de son parcours, affirmant qu’il a 25 ans d’expérience en supply chain management. Il a occupé divers postes en conseil et a également dirigé les opérations d’une entreprise de retail omni-channel en Allemagne pendant sept ans. De plus, il enseigne le supply chain management au MIT afin de contribuer à résoudre le problème de pénurie de talents dans le secteur.

La supply chain bionique, selon Gstettner, n’est pas destinée à être un simple mot à la mode, mais bien un concept sérieux. Elle est née du travail du think tank de BCG sur l’entreprise du futur. L’entreprise bionique est centrée sur la collaboration entre machines, artificial intelligence, et humains, en se concentrant sur la meilleure manière d’exploiter cette combinaison. Ce concept est particulièrement pertinent pour le supply chain management, car il repose fortement sur la technologie, l’analytique et l’intelligence artificielle, ainsi que sur la collaboration entre humains et machines.

Joannes Vermorel partage son point de vue sur la supply chain bionique, estimant qu’il s’agit d’un concept très pertinent. Il explique que Lokad, une entreprise de logiciels spécialisée dans l’optimisation de supply chain, a travaillé sur l’idée d’une supply chain bionique, quoique de manière fortuite. Ils se sont d’abord concentrés sur le développement d’outils logiciels pour l’optimisation prédictive des supply chains, mais ont rapidement réalisé la complexité des problèmes rencontrés. L’idée de disposer d’un algorithme de machine learning capable de résoudre de manière autonome des problèmes tels que la localisation de magasins s’est révélée trop difficile en raison du nombre considérable de cas particuliers.

Cette discussion souligne l’importance croissante du concept de supply chain bionique dans le supply chain management. L’idée consiste à tirer efficacement parti de la collaboration entre humains, machines et intelligence artificielle pour optimiser et améliorer les opérations de la supply chain. Les deux experts soulignent l’importance de ce concept pour l’avenir du supply chain management, tout en reconnaissant les complexités et les défis liés à sa mise en œuvre.

Ils explorent les défis de l’interaction homme-machine et l’importance d’un modèle opérationnel bionique pour le supply chain management.

Vermorel présente l’approche de son entreprise, qui se concentre sur le rôle de Supply Chain Scientist. Cette personne est chargée de générer des décisions et des insights tout en étant le premier point de contact pour ceux qui remettent en question le système. Il note que ce rôle n’est pas encore considéré comme « bionique » mais tend dans cette direction.

Gstettner souligne que, bien que des investissements importants aient été réalisés dans le digital supply chain management, la pleine valeur n’a pas encore été exploitée. Il estime que l’accent mis sur des sous-fonctions individuelles a conduit à une perte de la perspective de bout en bout, essentielle pour un supply chain management efficace. Pour y remédier, Gstettner préconise un modèle opérationnel bionique composé de quatre éléments : guidance, modèle opérationnel, compétences et plateforme technologique.

Les deux experts reconnaissent les difficultés de transformer les supply chains. Vermorel souligne le problème du déplacement des problèmes, où des améliorations dans un domaine peuvent engendrer des problèmes dans un autre. Il insiste également sur le défi de gérer la complexité des solutions logicielles de bout en bout. En revanche, Gstettner fait remarquer que les dirigeants sont principalement intéressés par l’augmentation de la valeur pour leurs entreprises et la préparation pour l’avenir. Ils se concentrent sur les changements organisationnels et sur un soutien IT fondamental pour induire le changement et rendre leurs entreprises prêtes pour l’avenir.

Vermorel aborde l’importance d’être « approximativement justes » dans le supply chain management, plutôt que d’être « exactement faux ». Il note que les humains excellent dans ce domaine, tandis que les machines peinent souvent. Lokad a progressé dans ce domaine grâce à la prévision probabiliste, qui offre une représentation plus précise de l’avenir par rapport aux méthodes de prévision classiques. Toutefois, l’adoption de cette approche a constitué un défi pour ceux qui travaillent dans l’industrie du supply chain management en raison de ses différences avec les méthodes traditionnelles.

De nos jours, Gstettner constate que les supply chain executives se concentrent sur l’anticipation pour préparer l’avenir. Ils s’intéressent à comprendre les changements technologiques et organisationnels potentiels qui façonneront leurs secteurs dans les années à venir. Les dirigeants se débattent avec les nombreuses opportunités technologiques disponibles et tentent d’identifier les meilleures façons de susciter le changement au sein de leurs organisations.

Cette interview met en lumière le besoin d’un modèle opérationnel bionique dans le supply chain management, qui met l’accent sur une perspective de bout en bout et sur la collaboration homme-machine. Vermorel et Gstettner discutent des défis liés à la transformation des supply chains et de l’importance de trouver un équilibre entre l’intuition humaine et les avancées technologiques. Les supply chain executives doivent se projeter dans l’avenir et envisager comment leurs organisations peuvent s’adapter à l’évolution de leur secteur.

Vermorel exprime son enthousiasme pour le concept de supply chain bionique, tout en reconnaissant les frustrations et les complexités inhérentes aux réalités du supply chain management. Il explique qu’en raison du désordre du monde réel, le supply chain management implique de gérer une multitude de modèles statistiques et de complications, telles que des warehouses inondées et des dates de péremption pour les produits frais. De plus, Vermorel note que lorsque les gens sont confrontés à des KPI, il leur est difficile d’accepter et de s’adapter à des changements qui affectent leurs intérêts personnels.

Chandler introduit le buzzword « digital twin », et Gstettner admet qu’il s’agit d’un concept difficile à définir. Cependant, il suggère qu’un digital twin représente une supply chain de bout en bout, même s’il n’est pas 100 % précis. En atteignant une représentation précise à 80 %, les supply chain managers peuvent mieux comprendre la dynamique du système et prendre des décisions plus avisées basées sur l’analyse de scénarios.

Vermorel soutient que, pour rendre les supply chains plus bioniques, il faut de meilleurs outils pour augmenter l’intelligence humaine. Il cite Excel comme un exemple d’outil qui a permis aux humains d’effectuer des analyses quantitatives à une échelle inhumaine, tout en reconnaissant que ce n’est pas une solution suffisante pour modéliser des systèmes complexes. Vermorel estime que les approches de programmation ont été les plus efficaces pour transformer les insights humains en quelque chose de plus automatisé, bien qu’il reconnaisse que de futures avancées technologiques pourraient le contredire.

Gstettner convient qu’une automatisation accrue et la technologie occuperont un rôle plus important dans la prise de décision, mais insiste sur le fait que l’interaction humaine restera toujours nécessaire. Il souligne l’importance de concevoir un modèle opérationnel centré sur l’humain pour la supply chain du futur, ce qui nécessiterait de modifier le contexte dans lequel les humains se comportent. Gstettner estime que la clé pour modifier le comportement humain est de changer le contexte, par exemple en créant des ensembles d’objectifs équilibrés et bien synchronisés pour concilier des objectifs contradictoires tels que la gestion des stocks et la disponibilité des produits.

Transcription Complète

Kieran Chandler : Salut, la convergence d’une série de technologies en évolution, telles que l’intelligence artificielle, la blockchain et l’Internet des objets, a conduit à l’émergence d’un nouveau concept appelé la supply chain bionique. Aujourd’hui sur Lokad TV, nous sommes ravis d’accueillir Stefan Gstettner, un partenaire de BCG, qui va nous en dire un peu plus sur ce concept et sur la manière dont il se compare à certaines des techniques existantes sur le marché. Alors Stefan, merci beaucoup de nous rejoindre aujourd’hui.

Stefan Gstettner : Merci de m’accueillir.

Kieran Chandler : Pour commencer, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours et également sur ce que vous faites chez BCG ?

Stefan Gstettner : Absolument. Comme vous l’avez dit, je suis partenaire chez BCG, me concentrant sur le supply chain management de bout en bout et sur les questions logistiques associées. Dans ce rôle, j’aide nos clients mondiaux dans les industries clés à tirer parti des nouvelles opportunités offertes par les technologies numériques et à transformer progressivement leurs supply chains en supply chains digitales. Pour ce faire, j’ai 25 ans d’expérience en supply chain management. J’ai commencé par un doctorat à une époque où l’on n’appelait même pas cela le supply chain management. J’ai occupé divers postes en conseil, mais j’ai également dirigé les opérations d’une entreprise de retail omni-channel en Allemagne pendant sept ans. De plus, je suis professeur associé au MIT, enseignant le supply chain management à de jeunes talents dans leur programme à l’échelle mondiale, ce que j’apprécie énormément.

Kieran Chandler : Formidable, et aujourd’hui notre sujet est cette idée de supply chain bionique. Cela semble certes très futuriste, mais pourriez-vous nous donner un aperçu initial ?

Stefan Gstettner : Nous ne cherchons pas à introduire un nouveau buzzword, car il y en a déjà beaucoup. Mes collègues du think tank de BCG, le Bruce Henderson Institute, ont élaboré une vision de ce à quoi ressemblera l’entreprise du futur. Il s’agit avant tout de la collaboration entre machines, intelligence artificielle et humains, et de la manière dont l’entreprise doit s’organiser pour exploiter au mieux cette combinaison. Ils ont appelé cela l’entreprise bionique. Pour le supply chain management, cela est particulièrement pertinent, car le supply chain management concerne la technologie, l’analytique, l’intelligence artificielle, mais peut-être encore plus important, il s’agit essentiellement de la collaboration entre humains et machines. Nous l’appelons donc la supply chain bionique, non pas pour introduire un nouveau buzzword, mais comme un thème pertinent et un bon titre pour ce que nous souhaitons accomplir.

Kieran Chandler : Nous adorons les buzzwords. Joannes, nous avons déjà parlé par le passé de la relation entre humains et machines lorsque nous avons examiné les interfaces utilisateur. Quelles sont vos premières impressions sur cette idée de supply chain bionique ?

Joannes Vermorel : Je pense que c’est très pertinent, et cela correspond en fait assez bien à ce que Lokad a accompli, bien que de manière quelque peu accidentelle. Nous n’avions pas ce grand plan directeur ou cette vision globale. La façon dont nous avons abordé la résolution des problèmes de supply chain a été de développer des outils logiciels pour l’optimisation prédictive des supply chains. Nous avons rapidement réalisé qu’il y avait une telle complexité à gérer. L’idée de disposer d’un algorithme de machine learning capable de déterminer de lui-même comment résoudre un problème, aussi simple que l’allocation de magasins, était tout simplement trop ambitieuse en raison du nombre trop important de cas particuliers. Nous avions donc besoin de quelque chose…

Kieran Chandler : Alors Joannes, pouvez-vous nous en dire plus sur Lokad et sur ce que vous faites ?

Joannes Vermorel : Nous avons commencé avec l’idée d’optimisation du supply chain, en partant d’une intuition humaine pour formuler le problème de manière à ce que la machine puisse amplifier ces insights à l’échelle d’un grand réseau de distribution. C’était l’idée de base de notre démarche, qui est finalement devenue ce que nous appelons chez Lokad le « supply chain scientist », c’est-à-dire une personne chargée de traiter les données et de générer des décisions et des insights, tout en étant le premier point de contact pour ceux qui peuvent remettre en question ce qui se passe dans le système. Donc, oui, je pense que nous ne pouvons pas encore être qualifiés de bioniques, mais nous sommes sur cette voie. Bien que je n’aie pas eu quelque chose d’aussi percutant que « binding supply chain » pour guider notre approche lorsque nous travaillions pour le monde.

Kieran Chandler : Historiquement, pourquoi diriez-vous qu’il a été si difficile pour les humains d’interagir avec les machines ?

Stefan Gstettner: Je ne dirais même pas que c’est historique. Nous avons probablement tous déjà codé des algorithmes il y a 20 ans, donc ce n’est pas nouveau. Mais, au cours des dernières années, il y a eu beaucoup d’investissements dans le digital, prenons par exemple la prévision de la demande. Une énorme quantité d’intelligence est injectée dans la prévision de la demande, et il y a évidemment aussi une collaboration entre humains et algorithmes ici. Cependant, les dirigeants à qui j’ai parlé ne voient pas encore que toute la valeur de la supply chain a été exploitée. À mon avis, c’est parce que les humains étaient bien occupés à essayer de comprendre comment collaborer avec une machine ? C’est beaucoup plus exigeant de le faire avec des algorithmes que de le faire avec Excel, par exemple. En étant si occupés ainsi, je pense que ce qui a été perdu, c’est que la gestion de la supply chain end-to-end concerne l’ensemble du processus. Étonnamment, il ne s’agit pas de se concentrer sur une sous-fonction. Il s’agit d’aligner et de synchroniser la supply chain de bout en bout, et cela, à mes yeux, a perdu un peu de son focus. Nous devons donc désormais adopter un modèle opérationnel Bionic pour réaffirmer que les humains doivent collaborer, bien sûr avec l’aide des machines, et c’est ce qui n’est pas encore arrivé. Et c’est pourquoi certains dirigeants sont frustrés parce que les investissements n’ont pas payé. Et donc, nous affirmons qu’il faut un modèle opérationnel Bionic qui se compose essentiellement de quatre éléments : tout d’abord, l’orientation dans la supply chain, donc les bons vieux KPIs, que voulons-nous réaliser avec notre supply chain ? Est-ce la rapidité, la fiabilité ou l’orientation coût ? Et comment segmenter la supply chain, et comment y affecter des valeurs cibles ? La bonne vieille gestion de la supply chain, rien de digital sans elle ou en son sein. Ensuite, le modèle opérationnel, qui est à notre avis très axé sur des plateformes pour rassembler les personnes qui synchronisent la supply chain, parfois même physiquement ensemble. Deuxièmement, les compétences, bien sûr, c’est-à-dire un ensemble totalement différent de personnes capables de concevoir l’ensemble de la supply chain. Et enfin, la plateforme technologique, peut-être pas en premier lieu, mais comme fondation, bien sûr, dont nous avons besoin. Et cela, dans très peu d’entreprises, a été mis en place jusqu’à présent. Par conséquent, je pense que, historiquement, c’est en partie la déception concernant la supply chain digitale.

Kieran Chandler: Alors, Joannes, en tant que fournisseur de logiciels, que pensez-vous être les écueils auxquels les entreprises sont confrontées en essayant d’optimiser leur supply chain ?

Joannes Vermorel: Eh bien, en tant que fournisseur, si vous ne parvenez pas à englober ce processus de bout en bout, ce que vous livrez effectivement, c’est juste un déplacement de problème. Vous déplacez un problème d’un endroit à un autre, et peut-être que vos KPIs sur le silo que vous prenez en charge ont l’air bons, mais en réalité, vous avez créé des problèmes sur les côtés. Vous n’avez donc pas réellement livré de meilleures compétences. Vous avez en réalité détruit des valeurs, ce qui est très, très mauvais. Malheureusement, certaines grandes entreprises sont assez douées pour faire cela. Et le défi est que dès que vous voulez faire quelque chose de bout en bout au niveau logiciel, cela devient un défi incroyable parce que votre logiciel devient tellement incroyablement complexe. Et je pense que la plupart des gens conviendraient que l’ERP moyen comporte des milliers de tables et des centaines d’écrans. C’est comme, ouah, tant de complexité, et nous ne faisons qu’effleurer la surface. Nous avons donc vraiment un problème de gestion de la complexité. La question est de savoir comment obtenir ce que les gens font dans Excel ? Ils font quelque chose de très humain, mais c’est très, très difficile à reproduire avec des machines. Il s’agit d’être approximativement vrai plutôt que d’être exactement faux. Les machines sont très, très performantes pour être exactement fausses à grande échelle. Ainsi, chez Lokad, nous avons eu quelques mini percées, comme la prévision probabiliste, pour nous rapprocher de cette idée d’un état opérationnel approximativement vrai. Mais c’est un changement en cours. Et le fait est que, bien que je pense que c’est une réponse technologiquement très pertinente, c’est aussi une réponse très surprenante pour les personnes qui gèrent la supply chain, car cela ne ressemble en rien à ce qu’elles faisaient auparavant, surtout par rapport aux prévisions classiques. Ainsi, la prévision probabiliste est une prévision. Il s’agit de connaître des choses sur le futur, mais c’est tellement bizarre par rapport à la méthode classique que, en termes d’adoption, cela forme une chaîne à part entière.

Kieran Chandler: D’accord, Stefan, comment les dirigeants supply chain abordent-ils ces problèmes et tentent-ils de mettre en œuvre de nouvelles technologies ?

Stefan Gstettner: Eh bien, les dirigeants ne sont pas principalement intéressés par la mise en œuvre de technologies. Ils s’intéressent à accroître la valeur pour l’entreprise et à préparer l’avenir. Ce qu’ils constatent de plus en plus, et sur quoi ils reçoivent constamment des avis externes, c’est que, bien sûr, dans dix ans, tout sera radicalement différent. Ainsi, ma phrase favorite, je crois que c’était Gates qui l’a dite, est que nous surestimons toujours le changement dans les deux prochaines années et sous-estimons le changement dans les dix prochaines années. Et le rôle des dirigeants est de regarder dix ans en avant et non seulement deux ans. C’est ce qu’ils demandent désormais à leurs organisations. L’avenir sera totalement différent. Soyons francs, nous ne le voyons pas maintenant, mais ce sera le cas. Alors, comment pouvons-nous changer, non pas principalement d’un point de vue technologique, mais aussi organisationnellement ? C’est pourquoi nous insistons davantage sur le modèle opérationnel. Ensuite, bien sûr, ils se demandent également quelle sera la plateforme fondamentale ou le soutien fondamental, tant du côté des systèmes et des données que de l’analytique, afin de conduire ce changement. Et ils peinent encore à comprendre pourquoi mon organisation ne conduit pas le changement que je souhaite. Il existe certains obstacles qui n’ont toujours pas rendu l’entreprise prête pour l’avenir. Voilà ce qui préoccupe les dirigeants.

Kieran Chandler: Parlons d’une supply chain bionic. Cela ressemble à quelque chose sorti d’Ironman – très cool et futuriste. À quoi cela ressemble-t-il vraiment en réalité ?

Joannes Vermorel: La réalité d’une supply chain bionic est à la fois frustrante et fascinante. La partie frustrante, c’est que lorsque vous voulez faire face à la réalité de la supply chain, vous vous retrouvez à gérer des centaines de tables qui représentent un pendant digital du monde. Le monde est très désordonné, et si vous voulez être précis, vous devez composer avec cette complexité. Vous finissez par devoir utiliser des modèles statistiques pour traiter des problèmes comme des entrepôts inondés, des problèmes de compatibilité bizarres dans des pièces aérospatiales, ou des dates d’expiration au niveau des lots pour des produits frais. Ainsi, il y a de nombreuses complexités à prendre en compte, et cela demande beaucoup d’efforts. Côté technique, vous n’obtenez pas quelque chose d’aussi pur ou net que la plupart des bons produits logiciels.

Il y a un autre aspect également. En théorie, nous aimerions adopter une approche super rationnelle de l’optimisation de la supply chain, où l’on conviendrait que si cela améliore le résultat net, c’est bénéfique pour l’entreprise. S’il y a des externalités, comme des impacts environnementaux, nous en tiendrions compte afin d’optimiser correctement, externalités comprises. Mais, de manière très concrète, lorsque les gens sont confrontés aux KPIs, c’est difficile pour eux.

Par exemple, nous avons eu une expérience avec un grand réseau de distribution où nous avons diagnostiqué que les stocks dans les magasins jouaient deux rôles. L’un était de servir les clients, de sorte que vous disposiez de certains stocks afin de garantir que, lorsque les gens entrent dans le magasin, ils puissent être correctement servis. Ensuite, vous réalisez qu’une partie significative des stocks n’est pas destinée à cet usage, mais à des fins de merchandising – pour rendre le magasin attrayant. Vous pourriez en conclure qu’il faudrait transférer le budget destiné aux stocks prévus pour le merchandising vers le marketing plutôt que vers la supply chain. Cependant, cela peut conduire à de vives luttes politiques au sein des départements qui se retrouvent soudainement confrontés à une quantité massive de stocks poussés sur leur budget. Cela peut parfois affecter les primes et créer une résistance au changement.

Kieran Chandler: Puisque nous aimons les mots à la mode, introduisons-en un de plus : le concept de digital twin. Comment cela s’intègre-t-il dans l’idée d’une supply chain bionic, et où cela intervient-il ?

Stefan Gstettner: D’après mon expérience, le terme “digital twin” peut être difficile car chacun a une compréhension différente. Il est déjà ardu de comprendre la supply chain, mais ajouter le mot “digital” rend les choses encore plus floues. Quand on dispose d’un digital twin, il semble que personne ne sache vraiment de quoi il s’agit. Je ne vais pas tenter de définir un digital twin, mais l’idée est d’avoir une représentation de l’ensemble de la supply chain. Je suis entièrement d’accord pour dire qu’elle ne sera jamais précise à 100 %, mais pour l’instant, nous n’avons qu’une représentation end-to-end précise à 10 %. Si nous pouvons atteindre une représentation end-to-end précise à 80 %, nous pourrons commencer à nous intéresser aux dynamiques du système. Nous pourrions comprendre les implications d’un pic dans la prévision de la demande, comment ajuster les stocks cibles, comment jouer avec les séquences de production, et ce que cela implique pour le côté approvisionnement. Nous pourrions également explorer différents scénarios. En ce sens, un digital twin peut être le moyen de permettre aux gens de penser de cette manière.

Kieran Chandler: Qui gèrent la supply chain end-to-end pour expérimenter des scénarios et prendre des décisions avisées, et si cela signifie une amélioration au quotidien, y adhérez-vous en tant que levier clé ?

Stefan Gstettner: Oui, je crois que c’est l’un des leviers clés pour une prise de décision plus intelligente dans les supply chains.

Kieran Chandler: Joannes, si nous regardons vers l’avenir et ce que nous faisons à nos supply chains pour les rendre un peu plus bioniques, avons-nous besoin de meilleures catégories d’outils pour augmenter l’intelligence humaine ?

Joannes Vermorel: Oui, augmenter l’intelligence humaine est crucial pour les supply chains. Même si c’est un grand mot, cela peut signifier quelque chose de simple. Par exemple, Excel permet à une personne aux capacités mathématiques moyennes de gérer une grande quantité de chiffres. Au XIXe siècle, il aurait été impossible d’effectuer des milliers d’opérations de base par jour avec un simple employé, même s’il était brillant. En ce sens, des outils comme Excel offrent aux gens des aperçus quantitatifs à une échelle relativement inhumaine.

Cependant, Excel a ses limites en matière de modélisation de systèmes complexes, et ne peut donc pas être la solution finale. À mon avis, les approches les plus réussies jusqu’à présent ont été basées sur la programmation, car elles aident à découpler les insights humains et à les transformer en quelque chose de plus automatisé. Je pense que cette tendance se poursuivra pendant au moins les prochaines années, mais il est possible que je sous-estime un changement de paradigme qui pourrait survenir plus tard.

Je sais également que certaines personnes au MIT travaillent dur pour fournir des talents intelligents dans le domaine de la supply chain. Cependant, je pense que l’accès à tous les talents nécessaires constituera un goulot d’étranglement important pendant plusieurs décennies. Il faut beaucoup de temps pour former des personnes qui, à leur tour, peuvent former d’autres personnes. C’est l’une des raisons pour lesquelles Silicon Valley reste si prospère ; ils ont eu des générations d’ingénieurs logiciels talentueux capables de former d’autres ingénieurs logiciels et de produire des entreprises plus innovantes. Il en va de même pour le MIT – de nombreuses universités essaient de reproduire son succès, mais il faudra des décennies pour y parvenir.

Kieran Chandler: Stefan, selon vous, à quoi ressemblerait une initiative réussie de supply chain bionic ?

Stefan Gstettner: Je suis d’accord pour dire qu’il y aura un degré d’automatisation beaucoup plus élevé et que la technologie prendra en charge une grande partie de la prise de décision dans la supply chain. Cependant, je pense qu’il y aura toujours un besoin d’interaction humaine. Nous devons concevoir un modèle opérationnel centré sur l’humain pour les supply chains du futur, qui inclut les éléments que j’ai décrits précédemment.

Un aspect à considérer est le comportement humain. Si nous voulons changer ce comportement, nous devons comprendre comment procéder, car le comportement en silo historique n’a pas été particulièrement réussi. Nous pensons que le contexte dans lequel se comportent les humains est la force motrice la plus importante. Si nous ne changeons pas le contexte, par exemple en fixant des objectifs équilibrés et synchronisés, alors les humains ne changeront jamais leur comportement, et nous ne stimulerons jamais le succès et la performance.

Je pense que la combinaison intelligente de ce que font des entreprises comme Lokad et de ce que les entreprises doivent acquérir du côté humain est la clé. Cette connexion entre les deux, que nous pourrions appeler la supply chain bionic, est l’avenir.

Kieran Chandler: Brillant. Nous allons conclure ici. Merci à vous deux pour votre temps.

Joannes Vermorel: Merci.

Stefan Gstettner: Merci.

Kieran Chandler: Merci de nous avoir écoutés cette semaine, et nous vous retrouverons la prochaine fois. Au revoir pour l’instant.