00:00:07 Introduction et rôle de l’éducation dans les supply chains.
00:00:38 Les activités récentes de Muddassir et la création de contenu pour SCM Dojo.
00:02:08 Les réflexions de Joannes sur l’éducation supply chain et son état pré-scientifique.
00:04:27 L’enquête de Muddassir sur les personnes se retrouvant dans des carrières en supply chain.
00:07:07 Discussion sur les raisons pour lesquelles l’éducation supply chain en est encore à ses débuts.
00:08:00 L’éducation supply chain comparée à la physique et aux mathématiques.
00:09:01 L’océan d’opinions et l’absence d’une approche scientifique fondamentale dans l’éducation supply chain.
00:10:31 L’histoire de la supply chain et de ses compétences fondamentales des années 1980 jusqu’en 2000.
00:12:26 La supply chain est à la traîne en raison de dirigeants qui ne s’adaptent pas aux avancées technologiques.
00:14:25 Un diagramme de Venn des connaissances en supply chain : compétences fondamentales, technologie et réduction de l’écart de connaissances.
00:17:01 Discussion sur la nature du savoir et remise en question de sa validité.
00:19:16 Remise en question des fondamentaux des connaissances en supply chain et des taxonomies.
00:20:47 Comparaison entre la physique et les connaissances en supply chain.
00:21:20 Débat sur la clarté des concepts fondamentaux en supply chain.
00:23:41 Muddassir est offensé par l’idée que les connaissances en supply chain sont inventées.
00:24:00 Recherche sur le cadre de développement de l’offre et son rôle dans la gestion de la relation supply.
00:25:21 Désaccord sur l’affirmation que les connaissances en supply chain sont inventées et sur leur relation avec la compréhension réelle du client.
00:26:02 Discussion sur la classification et la taxonomie en supply chain, la comparant à la zoologie et à la chimie.
00:27:56 La vérité fondamentale du tableau périodique et sa nature irréductible, comparée aux départements d’entreprise.
00:28:58 La puissance et la densité des connaissances en supply chain comparées à l’électromagnétisme et à d’autres domaines scientifiques.
00:30:05 Définir les connaissances en supply chain et leur place dans la gestion.
00:31:43 Comparer la supply chain à l’évolution de la chimie vers une science.
00:33:57 Appliquer des connaissances scientifiques pour améliorer l’efficacité de la supply chain.
00:35:37 Le potentiel de la méthode scientifique pour révolutionner les industries.
00:36:45 Accord sur le rôle de la technologie dans la supply chain et espoirs pour l’avenir.
Résumé
Kieran Chandler interviewe Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Muddassir Ahmed, responsable de la planification et des opérations pour la région MEA chez Bridgestone, sur l’éducation supply chain. Ahmed, qui dirige SCMDOJO, souligne la nécessité d’un contenu pertinent et d’approches orientées solutions pour aider les professionnels à s’améliorer. Vermorel estime que le domaine manque de fondations scientifiques solides, freinant ainsi son progrès. Ils discutent de l’adoption lente des nouvelles technologies et de l’importance de les incorporer dans l’éducation supply chain. Ahmed insiste sur l’importance des compétences interpersonnelles et soutient que l’éducation supply chain devrait se concentrer sur les compétences de base, la technologie, et le développement des compétences interpersonnelles. Vermorel remet en question la validité des “basics” en supply chain et appelle à des approches plus structurées en matière d’éducation.
Résumé Étendu
Dans cet épisode, Kieran Chandler interviewe Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Muddassir Ahmed, responsable de la planification et des opérations pour la région MEA chez Bridgestone, qui dirige SCMDOJO. Le sujet principal de la discussion est le rôle de l’éducation dans les supply chains et comment l’industrie peut attirer de grands esprits.
Ahmed met en avant son travail avec SCMDOJO, axé sur la création de contenu pertinent pour la communauté supply chain et la fourniture d’un contenu orienté solution pour aider les professionnels à s’améliorer dans leurs emplois actuels. Il mentionne les cours supply chain et les outils d’auto-évaluation qu’il a développés pour la gestion des matériaux, l’amélioration des entrepôts, la planification des ventes et des opérations, la gestion des stocks, et les tableaux de bord de la supply chain.
Vermorel partage son point de vue selon lequel, malgré 70 ans de recherche moderne en supply chain, le domaine en est encore à une époque pré-scientifique, manquant d’un corpus de connaissances solide. Il souligne les difficultés de dépasser les preuves anecdotiques et les conseils de bon sens éclairé pour créer une compréhension plus approfondie du sujet.
Ahmed est d’accord avec le point de vue de Vermorel, notant que la gestion de la supply chain est souvent une carrière dans laquelle les gens tombent par hasard. Il partage une enquête qu’il a menée sur LinkedIn, où 60 à 70 % des répondants ont déclaré être arrivés en supply chain par hasard. Il estime que l’industrie n’a pas fait beaucoup de progrès en termes d’éducation, avec des institutions de renom telles que APEX et CIPS se concentrant encore sur la gestion de base des matériaux, la logistique et l’entreposage.
Ahmed et Vermorel insistent tous deux sur la nécessité pour les influenceurs et les leaders de l’industrie de changer le mode de pensée et d’améliorer l’état actuel de l’éducation en supply chain. Vermorel suggère que les progrès dans les domaines scientifiques sont souvent non linéaires et imprévisibles, rendant difficile le développement d’un système éducatif structuré pour la gestion de la supply chain. Cependant, les deux invités soulignent l’importance de continuer à travailler pour améliorer et moderniser l’éducation dans l’industrie supply chain.
La conversation se concentre sur l’état actuel de l’éducation supply chain et ses éventuelles lacunes.
Vermorel soutient que l’éducation supply chain manque d’une base scientifique fondamentale, la comparant à l’ère pré-scientifique de la physique, qui était remplie de théories contradictoires. Il estime que, bien que l’âge ne soit pas nécessairement un problème pour certains sujets, l’éducation supply chain est entravée par sa dépendance aux opinions plutôt qu’aux faits. Il cite le stock de sécurité comme exemple d’un concept basé sur l’opinion plutôt que sur un fait avéré.
Ahmed fournit un contexte historique, expliquant que la gestion de la supply chain existe depuis des siècles, les théories modernes ayant émergé dans les années 1980. Il expose les compétences fondamentales qui ont été établies depuis, telles que la gestion des matériaux, l’approvisionnement, les achats et la gestion des stocks. Cependant, il note que les progrès dans l’éducation supply chain se sont arrêtés depuis le début des années 2000, en contraste avec les avancées rapides du marketing digital et de la fintech.
Ahmed identifie trois domaines dans lesquels les connaissances en supply chain existent actuellement : les compétences fondamentales de la supply chain, la compréhension technologique et l’application pratique. Il soutient que les professionnels ont besoin d’une base solide dans ces compétences de base, associée à une compréhension des nouvelles technologies telles que l’IoT, l’IA et la blockchain. Cependant, il note que de nombreux leaders en supply chain manquent de l’expertise nécessaire pour utiliser efficacement ces technologies.
La discussion tourne autour des défis de l’éducation supply chain, notamment l’absence d’une base scientifique solide et l’adoption lente des nouvelles technologies. Vermorel et Ahmed soulignent tous deux l’importance d’intégrer la technologie dans l’éducation supply chain et la nécessité pour les professionnels d’être bien versés dans les compétences fondamentales et les avancées technologiques.
Ahmed souligne l’importance des compétences interpersonnelles, telles que la présentation, la communication, la résolution de problèmes et l’intelligence émotionnelle, dans l’industrie de la supply chain. Il estime que l’éducation supply chain devrait se concentrer sur trois domaines principaux : les compétences de base, les technologies émergentes et existantes, et le développement des compétences interpersonnelles. Cette combinaison, selon lui, permettra aux professionnels d’utiliser la technologie de manière optimale et d’appliquer leurs compétences en supply chain.
Vermorel, quant à lui, remet en question la validité des “basics” en éducation supply chain, les comparant à des taxonomies dans d’autres domaines considérées comme des corpus de connaissances faibles. Il établit un parallèle avec le Moyen Âge, lorsque d’immenses quantités de connaissances inventées étaient considérées comme réelles, et souligne le problème d’étiqueter des concepts sans vraiment les comprendre. Il soutient que le domaine de la supply chain en est encore à un stade pré-scientifique, avec d’immenses catalogues de taxonomies largement arbitraires et dépourvues de connaissances fondamentales.
De plus, Vermorel aborde le manque de frontières claires entre la gestion de la supply chain et des domaines connexes, tels que la statistique et l’algorithmique. Cette confusion, selon lui, reflète le manque de maturité du domaine et la nécessité d’approches plus structurées en matière d’éducation supply chain.
Ahmed reconnaît certains points de Vermorel mais soutient que comparer la taxonomie supply chain à la physique ou à la chimie pourrait ne pas être entièrement approprié. Bien qu’il convienne que les connaissances en supply chain ne soient pas aussi structurées que dans certains domaines scientifiques, Ahmed croit qu’il y a encore de la valeur dans l’approche actuelle de l’éducation supply chain.
Ahmed explique son cadre de développement de l’offre amélioré, qui est une petite partie de la gestion de la relation supply au sein du domaine plus large de la gestion des achats. Il soutient que comprendre les clients et recevoir des retours est crucial pour améliorer les produits et services, ce qui est en accord avec la théorie du développement de l’offre.
Vermorel n’est pas d’accord avec l’approche d’Ahmed, affirmant qu’elle est largement inventée et qu’elle manque de vérités scientifiques fondamentales. Il compare la gestion de la supply chain à la science moderne, soulignant que les classifications et les taxonomies devraient disposer d’un critère absolu pour déterminer leur validité. Vermorel utilise le tableau périodique comme exemple, puisqu’il représente une vérité essentielle et irréductible sur la matière dans l’univers.
Cependant, Ahmed rétorque que Vermorel essaie d’intégrer les connaissances en supply chain dans le même moule que les sciences dures comme la chimie et la physique. Il souligne que la gestion de la supply chain est une discipline de management, enseignée dans les écoles de management plutôt que dans les départements d’ingénierie. Les compétences en leadership et en gestion, contrairement aux sciences dures, ne peuvent pas être facilement définies ou organisées sous forme de tableau périodique.
Ahmed est offensé par l’affirmation de Vermorel selon laquelle la compétence technique en supply chain n’a aucun fondement scientifique, affirmant que les connaissances établies en supply chain sont basées sur la recherche en gestion des opérations. Il soutient que les compétences interpersonnelles et la gestion sont cruciales pour une gestion efficace de la supply chain, avec 70 à 80 % de l’industrie se concentrant sur ces aspects.
Vermorel réplique en établissant des parallèles avec le développement de la chimie et des transports, où les méthodes scientifiques ont transformé les domaines et entraîné des avancées significatives. Il estime que, bien que les compétences interpersonnelles soient importantes, elles ne conduisent pas aux améliorations exponentielles que peuvent offrir les méthodes scientifiques. Vermorel cite Amazon comme exemple, où ils appliquent des connaissances scientifiques pour optimiser les opérations d’entrepôt, entraînant des améliorations de la productivité au-delà de ce qui pourrait être réalisé par le seul leadership.
Ahmed convient que la technologie et les méthodes scientifiques peuvent révolutionner la gestion de la supply chain et apprécie l’exemple d’Amazon. Cependant, il est fortement en désaccord avec le rejet par Vermorel des compétences interpersonnelles et des aspects humains des compétences en supply chain.
Transcription Complète
Kieran Chandler : Aujourd’hui sur Lokad TV, nous avons le plaisir d’accueillir Muddassir Ahmed qui va discuter avec nous du rôle de l’éducation en supply chains et, en particulier, de ce que l’industrie peut faire pour attirer de grands esprits. Alors Muddassir, merci beaucoup de nous rejoindre à nouveau sur Lokad TV, et cela fait un moment que nous ne nous sommes pas mis à jour. Qu’avez-vous fait depuis votre dernière apparition dans l’émission ?
Muddassir Ahmed : Eh bien, merci Kieran et Joannes. Merci de m’avoir invité à nouveau. J’apprécie vraiment votre contenu, en fait, ce que vous faites sur Lokad TV. Je pense que vous faites tous un travail fabuleux en termes de contenu et de qualité de production, alors félicitations. Je poursuis dans la même voie, en essayant de faire mieux, notamment avec le SCMDOJO. Vous savez, j’essaie de créer davantage de contenu pertinent pour la communauté supply chain, afin de les aider à améliorer leurs emplois actuels et à résoudre leurs problèmes, en utilisant mes 15 à 17 années d’expérience et toutes les recherches que j’ai recueillies. Donc, je me concentre davantage sur un contenu orienté solution, qui les aide dans leur travail et améliore leurs performances. Je pense que, surtout depuis la dernière fois, ce que j’ai fait, c’est vraiment de me concentrer sur les cours supply chain. Ainsi, si vous allez sur SCMDOJO, vous verrez des cours sur l’introduction aux achats, la planification des ventes et des opérations, la gestion de catégorie, etc. Et j’ai réussi à développer de nombreux outils d’auto-évaluation supply chain en gestion des matériaux, amélioration des entrepôts, planification des ventes et des opérations, et je suis sur le point de lancer la gestion des stocks et le tableau de bord supply chain. Ces outils, les gens peuvent simplement aller les télécharger et s’en servir. Des temps assez excitants.
Kieran Chandler : Super, et nous reviendrons sur certains de ces cours supply chain un peu plus tard. Joannes, notre sujet aujourd’hui concerne entièrement l’éducation en supply chain. Quelle est votre première impression ?
Joannes Vermorel : Ma première impression est que c’est en réalité difficile. Vous savez, il y a cette petite plaisanterie qui dit que, si vous savez comment faire quelque chose, vous vous contentez de le faire. Si vous en savez un peu, vous le gérez. Et si vous n’en savez absolument rien sur le sujet, alors vous finissez par l’enseigner. J’ai donc commencé il y a quelques années à essayer d’enseigner la supply chain de manière limitée sur le site Lokad, principalement à travers des articles basés sur le savoir. C’était une série d’articles de différentes longueurs, et plus récemment, j’ai entrepris un projet plus ambitieux de donner une série mondiale de conférences sur la supply chain. Ce qui est très difficile, c’est que ma perception est que, malgré environ 70 ans de recherche moderne en supply chain, nous sommes encore à une époque pré-scientifique dans ce domaine. Il y a donc cette barrière remplie de difficultés. Évidemment, la supply chain n’est pas seulement un domaine d’étude ; c’est aussi une pratique. Mais comme toute pratique, il faut disposer d’un corpus de connaissances servant à soutenir vos actions.
Kieran Chandler: Le corpus des connaissances en supply chain est encore pré-scientifique, et il subsiste de nombreux points non résolus lorsque vous tentez d’aller au-delà des preuves anecdotiques. Es-tu d’accord avec cela, Joannes?
Joannes Vermorel: Absolument. Je pense qu’il est assez difficile d’avoir quelque chose de plus approfondi, qui dépasse la petite recette et les conseils de bon sens éclairé. Pour une multitude de problèmes, ce n’est pas forcément le cas.
Kieran Chandler: Madison, es-tu d’accord avec l’idée que la supply chain est encore à l’ère pré-scientifique ? Qu’en penses-tu ?
Muddassir Ahmed: Absolument, absolument. Je veux dire, c’est en fait un sujet brillant. Permettez-moi de le dire, et merci pour l’opportunité d’en parler. Je pourrais en parler presque toute la journée, mais je vais vous donner quelques points clés que j’ai récemment testés. J’ai mené une enquête sur la manière dont on finit par faire carrière en supply chain. Ainsi, je donne aux personnes sur LinkedIn deux choix : soit vous y arrivez par hasard, soit vous le planifiez.
Kieran Chandler: Exactement.
Muddassir Ahmed: Quand je grandissais, tout le monde qui voulait le devenir disait : « Allons vers l’ingénierie, faisons un MBA ou devenons médecin. » Les gens font ces choix intégrés, et même après, ils se disent : « d’accord, ils finissent dans l’industrie, et ensuite ils décident ce qu’ils vont faire. » Ainsi, en 16 ans de carrière en supply chain, principalement en Europe et au Moyen-Orient, et un court passage aux États-Unis, j’ai constaté le même constat : 60 à 70 % des personnes y finissent par hasard. Ils faisaient autre chose, et se retrouvent en supply chain. Ensuite, ils aiment ce métier, et pensent alors : « D’accord, formons-nous », n’est-ce pas ? Et c’est probablement le point de départ du problème.
Joannes Vermorel: L’autre point, c’est même que les personnes qui débutent leur carrière par la voie de l’éducation – ce qui correspond bien au propos que Madison évoquait – sont assez dépassées, nous sommes toujours dans l’univers Kodak, tant qu’à parler de personnes. Je dois nommer les deux plus grandes marques dans l’éducation en supply chain, à savoir Apex – ou, auparavant, du type Apex avant qu’ils ne changent de nom – et l’American Society of Supply Chain Management, puis le SIPS au Royaume-Uni. Ils parlent encore des choses de base, comme la gestion des matériaux, la logistique, l’entreposage, si l’on regarde leur programme, et ils le vendent pour des milliers et des milliers de dollars, de même que le SIPS. Ainsi, la compétence de base en supply chain n’a pas vraiment évolué par rapport aux exigences de l’industrie, car ces exigences ont changé. Revenant au sondage, ce que je disais, c’est que ceux qui finissent par hasard commencent ensuite à apprendre à partir des bases, n’est-ce pas ? En tant qu’influenceurs et leaders dans le secteur, je pense que nous avons une immense responsabilité de changer cet état d’esprit. Et c’est l’axe principal de ce que j’essaie de promouvoir avec SCM Dojo. Et probablement, nous allons en parler un peu plus.
Kieran Chandler: Alors, pourquoi l’industrie de la supply chain en est-elle encore à ses balbutiements, et pourquoi une éducation structurée n’est-elle pas si répandue ?
Joannes Vermorel: Selon moi, le progrès, en particulier scientifique, est complètement non linéaire. Bien que l’on puisse créer des récits pour expliquer comment nous sommes passés de la physique newtonienne à l’électromagnétisme, puis à la relativité et à la physique quantique, la réalité est très chaotique. Il n’existe pas forcément une logique ou une linéarité dans le sens du progrès. Le principal problème avec l’éducation en supply chain, c’est que cela ne concerne pas l’ancienneté des savoirs enseignés – il existe de nombreuses mathématiques et concepts de physique vieux de plusieurs siècles qui restent vrais et pertinents. Le problème, c’est que l’éducation en supply chain manque de propriétés scientifiques fondamentales. Ce que nous avons, c’est essentiellement un énorme catalogue d’opinions, et certaines se déguisent en science parce qu’elles comportent des chiffres et des formules. Par exemple, le safety stock n’est qu’une opinion, pas un fait prouvé ni une loi de la physique. Nous avons donc cet océan d’opinions, ce qui est assez insatisfaisant. Il a fallu certaines découvertes pour cristalliser le savoir scientifique, mais je ne suis pas sûr que nous possédions un corpus de connaissances comparable pour la supply chain, ce qui est ma plus grande critique en matière de formation.
Kieran Chandler: Orientons cette question vers Muddassir. S’il existe tant de théories, comme Joannes l’a mentionné, et que vous enseignez à vos clients les arcanes de la gestion des stocks, par où commencez-vous ?
Kieran Chandler: En fait, en les formant, je vais étendre – appelons-le – le concept philosophique. Je veux dire, tu viens de donner un très bon exemple de la physique et de sa théorie. Les bases restent valables, et tu as orienté ton argumentation vers la théorie de la relativité et les connaissances récentes en physique, qui sont contemporaines. Donc, je vais dire ceci : les connaissances de base… parlons un peu d’histoire. La supply chain existe depuis toujours.
Joannes Vermorel: Pour revenir à l’époque où les gens, ou un empereur, souhaitaient fonder une nouvelle ville, on envoyait des soldats pour la créer, car ils excellaient dans la pose de voies et la logistique nécessaire à l’établissement d’une ville. Ainsi, le concept existait déjà. Si on parle de l’armée, il existe une multitude de notions sur lesquelles on forme le personnel en logistique. Ce concept de logistique et de supply chain existe.
Muddassir Ahmed: La théorie a commencé lorsque l’industrie automobile a connu un essor à la fin des années 50 et dans les années 60, lorsqu’ils ont commencé à utiliser le terme « gestion logistique », avant que cela ne devienne « supply chain » au début des années 80. C’est ici que la théorie a débuté, puis ils se sont concentrés sur les compétences de base de la supply chain. Nous parlons de gestion des matériaux, sourcing, approvisionnement, sourcing stratégique, logistique d’entrepôt, gestion du commerce, prévision de la demande et gestion des stocks.
Ce qui s’est passé ensuite, c’est que la progression ne s’est pas déroulée comme elle aurait dû, disons avec l’avènement d’internet 2.0. Permettez-moi de vous donner un exemple pertinent : le savoir en supply chain, en tant que corpus et fonction, n’a pas progressé. Certaines personnes, assez âgées comme moi, ont obtenu leur diplôme vers 2001, à l’époque où internet commençait tout juste. Nous avons commencé à utiliser le navigateur Yahoo et autres. Regardez où en sont les fonctions marketing et finance, de 2001 à 2021.
En 20 ans, les gens se concentrent davantage sur le marketing digital. La seule raison pour laquelle vous et moi nous connaissons, c’est en grande partie l’avènement d’internet 2.0, c’est-à-dire le marketing digital, puisque nous nous sommes connectés sur LinkedIn, avons communiqué, établi des rapports et des relations. La même chose s’est produite avec la fintech. Les institutions financières et les fonctions des entreprises ont changé, et de nouveaux outils et logiciels ont été mis en place.
Malheureusement, cela n’a pas été le cas dans la supply chain, et la raison en est que les dirigeants, ou experts en la matière, ont oublié qu’un développement technologique est en cours, et nous devons nous y adapter. C’est un domaine où nous accusons un retard. Aujourd’hui, tout le monde parle d’IA, de machine learning, de blockchain, d’IoT, et de cloud computing. J’entends cela depuis cinq ans, mais quand je m’entretins avec les gens – la plupart des responsables de la supply chain – très peu savent réellement utiliser la technologie disponible depuis cinq à dix ans.
Kieran Chandler: Joannes, peux-tu nous donner un aperçu des applications spécifiques du savoir en supply chain en ce moment ?
Joannes Vermorel: Je perçois le savoir en supply chain actuellement sous trois cercles distincts, si je devais tracer un diagramme de Venn. Le premier concerne les compétences de base en supply chain qui existent depuis 20 à 30 ans. C’est un facteur d’hygiène, la connaissance de base. Sans cela, vous ne seriez pas qualifié(e) pour vous appeler un(e) professionnel(le) de la supply chain. Vous devez tout connaître en termes de compétences techniques, tant sur le plan théorique que pratique. Si vous êtes un(e) jeune diplômé(e), vous devriez les connaître et pouvoir les appliquer.
Le deuxième volet concerne la partie technologique, donc vous devez comprendre ce qui se passe dans le domaine de la technologie, comme l’Internet of Things (IoT) ou l’Industry 4.0. On en parle, mais quelles sont les applications clés ? Est-ce plus utile dans l’environnement logistique ou dans celui des achats ? Pour moi, c’est plus utile dans le domaine logistique, où vous déplacez des marchandises, suivez, tracez et assurez leur visibilité.
Il en va de même pour la digitalisation de la supply chain. Comprenez où vous devez commencer et quelle est votre référence de base, puis essayez de combler l’écart. Le troisième volet, que je trouve très important, concerne les personnes et les soft skills. Soixante-dix pour cent des professionnels de la supply chain passent du temps sur cela. Nous devrions nous concentrer sur les compétences en présentation, en communication, la résolution de problèmes, le networking, l’exposition internationale et l’intelligence émotionnelle.
Je vois de nombreux professionnels de la supply chain, intelligents et compétents, qui ne savent pas présenter leurs idées. Si vous ne pouvez pas présenter vos idées ou améliorations, vous n’obtiendrez pas d’adhésion, et cela sera démotivant. Ainsi, dans l’éducation actuelle en supply chain, nous devrions consacrer 20 à 30 % du temps aux compétences de la supply chain, puis nous concentrer sur les technologies émergentes et existantes ainsi que sur leur application dans le contexte de la supply chain. Enfin, nous devrions développer des compétences relationnelles pour utiliser la technologie disponible et appliquer les compétences de base en supply chain. Tel serait mon conseil avisé, et c’est là que se situe mon intérêt.
Kieran Chandler: Muddassir, es-tu d’accord avec Joannes sur l’importance des soft skills et des fondamentaux dans l’industrie de la supply chain ?
Muddassir Ahmed: Je suis d’accord quant à l’importance des soft skills et des fondamentaux. Cependant, nous devons évaluer la nature des connaissances dont nous disposons. Sont-elles accidentelles ou représentent-elles une véritable compréhension des éléments fondamentaux de l’univers ? Parfois, les gens possèdent des connaissances inventées. C’était un problème au Moyen Âge avec les études scolastiques.
Kieran Chandler: Joannes, tu as été un critique virulent des soi-disant bases de la gestion de la supply chain. Pourrais-tu nous expliquer pourquoi tu penses cela ?
Joannes Vermorel: Oui, Kieran. Je pense que nous sommes dans une époque pré-scientifique en gestion de la supply chain où ce que les gens appellent les bases ne sont, pour moi, que de vastes catalogues de choses, des taxonomies qui sont en grande partie inventées. Et il n’existe aucune justification fondamentale pour considérer cela comme un bon sujet.
Kieran Chandler: Pourrais-tu développer cela, Joannes ?
Joannes Vermorel: Bien sûr, Kieran. Les gens produisaient d’énormes masses de connaissances en affirmant : « Voilà, c’est ça. Si tu veux être quelqu’un d’astucieux, tu dois tout connaître. » Mais, rétrospectivement, nous voyons que tout cela était inventé. Par exemple, il y avait 50 yarkies d’anges au paradis, ainsi que diverses propriétés, organisations politiques et autres. Tout cela était entièrement fabriqué, et c’était considéré comme réel. Évidemment, avec une perspective plus moderne, cela paraît absurde.
Mais la question est plus générale. D’autres scientifiques nous ont enseigné que ces taxonomies, en général, constituent des corpus de connaissances très faibles. Ce n’est pas parce que vous attribuez un nom à quelque chose que, soudainement, vous en savez quelque chose. Ce n’est pas parce que vous appelez cela “Pokémon sourcing extra” que vous avez décrit quoi que ce soit. Il existe quelques descriptions de base, mais je conteste l’idée qu’il y ait une connaissance véritablement puissante. Si je compare ce type de description des taxonomies aux quatre équations qui définissent l’électromagnétisme, il y a une quantité massive de savoir dans ces quatre équations qui peut expliquer littéralement une multitude de phénomènes. En comparaison, on peut avoir une taxonomie gigantesque qui explique presque rien.
Un exemple de cela se produit, peut-être dans un contexte de supply chain, lorsque les gens disent : « Oh, nous avons des acheteurs, des planificateurs, des prévisionnistes, des personnes chargées des achats, ou qu’il existe du sourcing, ou une division décisionnelle concernant le déficit, ou que vous avez le SNLP. » Il y a beaucoup de termes qui contiennent plus de contenu dans la taxonomie que de connaissances sur le monde réel censé y être rattaché.
Lorsque l’on examine la situation, on constate que la plupart de ces éléments sont très inventés. Il n’y a rien de fondamental en eux. C’est pourquoi, de mon point de vue, les bases se résument à de vastes catalogues de choses, des taxonomies en grande partie fictives, sans aucune justification fondamentale quant à leur intérêt.
Muddassir Ahmed: Joannes, je suis d’accord avec toi. Les taxonomies en gestion de la supply chain ne sont pas toujours scientifiques et ne reposent pas toujours sur des connaissances fondamentales. Cependant, je pense que nous pouvons les utiliser pour développer des solutions pratiques aux problèmes de la supply chain. Par exemple, nous pouvons utiliser des taxonomies pour classifier des articles ou regrouper des fournisseurs.
Joannes Vermorel: Je suis d’accord avec toi, Muddassir. Les taxonomies peuvent être utiles, mais mon point est que nous ne devrions pas les considérer comme les bases de la gestion de la supply chain. Il y a bien plus à apprendre, et nous devons développer une approche scientifique de la gestion de la supply chain. Par exemple, dans l’un de ses livres, Feynman a produit une série mondiale d’ouvrages sur la physique. Lorsqu’il a introduit la notion de force en physique, il a consacré presque un chapitre entier à envisager toutes les alternatives possibles pour introduire ce concept. Il a dit que nous avions 20 façons différentes d’aborder cela, et qu’au final, nous avons choisi une méthode très spécifique pour modéliser une force et sa représentation mathématique associée.
Kieran Chandler: Alors, que pensez-vous de l’état actuel des connaissances et de la technologie en optimisation de la supply chain?
Joannes Vermorel: Pré-scientifique. Je ne dis pas qu’il n’existe aucune connaissance, je dis simplement que c’est très confus. C’est très inventé, c’est très accidentel. Beaucoup de cela émerge parfois d’une conformité totalement, vous savez, tout à fait pour des raisons légales, ce qui n’est absolument pas une justification. Et c’est là ma première préoccupation. Et puis, quand on pense aux technologies, parce que les gens n’ont même pas vraiment précisé quels types de jeux sont en cours ou résolus, c’est super confus de savoir ce que sont les sciences auxiliaires. Et ici, encore une fois, si nous revenons à la supply chain, la situation est complètement brouillée. Par exemple, lorsqu’il s’agit de modèles numériques, vous trouverez des descriptions très confuses sur où s’arrête la statistique, où commence la supply chain, où se situe l’algorithmique et où débute la modélisation de la supply chain. Et donc, encore une fois, cela reflète, pour moi, que tout cela illustre un domaine qui, dans l’ensemble, manque véritablement de maturité. Il nous reste un long chemin pour structurer le domaine de manière à ce qu’il y ait quelque chose qui vaille la peine d’être enseigné. D’accord, et c’est l’un des défis, je dirais, extrêmement difficiles.
Kieran Chandler: Melissa, serais-tu d’accord avec cela ? Dirais-tu que certains de ces concepts sont vraiment embrouillés, et qu’il n’y a aucune clarté dans certains de ces sujets très élémentaires ?
Muddassir Ahmed: Vous remarquerez beaucoup de choses. J’ai essayé de suivre – je me souviens de la plupart –, mais laissez-moi répéter quelques éléments qu’il a évoqués, et je vous dirai avec quoi je suis d’accord ou non. Je pense être d’accord lorsqu’il parle de la philosophie de la physique, ce qui est bien. Mais ensuite, vous tentez simplement de dire que ce qu’il essaie d’exprimer, c’est la taxonomie de la physique ou de la chimie, que vous pouvez définir comme une formule, n’est-ce pas ? Ou encore les lois de la gravitation, des choses de ce genre. Or, cette approche, disons structurée, ne s’applique pas aux connaissances de la supply chain. Et quiconque l’invente, eh bien, vous dites que cela ne sert à rien. Puis-je terminer mon argument ? D’accord, je reviendrai là-dessus.
Donc, Joannes soutenait que la compétence en supply chain – qui a été définie par votre planification des capacités, la planification de la demande, la planification principale de la production, la gestion d’entrepôt, vous savez, la compétence technique dont j’ai parlé – est totalement inventée. Et elle n’a aucun fondement scientifique.
Laissez-moi vous dire, il y a deux choses. Tout d’abord, pour quelqu’un qui a travaillé pendant 16 ans dans l’industrie des supply chain en tant que praticien et qui a ensuite découvert la recherche en supply chain – et j’y reviendrai – c’est réellement très offensant, et j’en ai été profondément affecté. Par conséquent, je suis en désaccord à 120 % avec ce que vous venez de dire, car la majeure partie des connaissances en supply chain a été établie et étudiée sur la base d’une recherche solide en gestion des opérations.
Prenons donc l’exemple de la recherche que j’ai menée. J’ai effectué des recherches sur un cadre de développement de l’approvisionnement. En menant ces recherches, j’ai mis au point un cadre amélioré de développement de l’approvisionnement. Ainsi, quand on parle de développement de l’approvisionnement – qui représente une infime partie de l’ensemble de la gestion de la relation fournisseur – n’est-ce pas ? La gestion de la relation fournisseur n’est qu’une toute petite portion de la gestion des achats.
Kieran Chandler: Bienvenue dans notre discussion. Aujourd’hui, nous avons Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, une entreprise de logiciels spécialisée dans l’optimisation de la supply chain, et Muddassir Ahmed, Responsable régional de la planification et des opérations MEA chez Bridgestone, à la tête du SCMDOJO. Plongeons dans le sujet de la gestion de la supply chain.
Muddassir Ahmed: Nous pouvons commencer par les achats, puis aborder la gestion de la supply chain, en nous concentrant spécifiquement sur le développement de l’approvisionnement. Dans ce domaine, nous disposons de 500 pages de littérature et de 150 articles de recherche publiés dans des revues de premier plan qui exposent les meilleures pratiques pour développer un fournisseur de manière stratégique ou réactive.
Joannes Vermorel: En tant que fournisseur de logiciels aux entreprises pour l’optimisation de stocks et la prévision des séries temporelles, nous ne pouvons offrir un bon service client sans comprendre nos clients et leurs activités. Le retour client nous aide à développer notre produit, ce qui constitue un aspect du développement de l’approvisionnement.
Muddassir Ahmed: Je suis 100 % d’accord. Cependant, je dois dire que certaines théories du développement de l’approvisionnement reposent sur de profondes erreurs de compréhension et peuvent être offensantes.
Joannes Vermorel: Permettez-moi de clarifier mon propos. Quand je dis que certaines théories sont “inventées”, je ne suggère pas qu’elles ne contiennent pas un brin de vérité. La science moderne exige que nous prenions des risques dans nos affirmations. Le problème avec certaines approches, c’est qu’elles ne peuvent être réfutées. Par exemple, si je propose une classification et que je catégorise les entreprises en supply chains coopératives ou innovantes, mon objection est que cette approche est purement descriptive et ne peut être réfutée. Prenez la zoologie, par exemple. Jusqu’au milieu du XXe siècle, elle était en proie au même problème. La façon dont nous portions et segmentions les observations était très arbitraire. Cela ne signifie pas que l’approche est absurde, mais qu’elle manque de la rigueur fondamentale d’une approche scientifique moderne. Comparez cela à la chimie du XVIIe siècle. Si des substances sentaient ou semblaient différentes, elles étaient considérées comme différentes. De nos jours, nous examinons la composition atomique pour déterminer si les choses diffèrent. Cette approche fournit un critère absolu pour établir les différences. Le tableau périodique, par exemple, est une taxonomie qui représente une vérité fondamentale sur les éléments de l’univers. Il est irréductible et immuable, ce qui en fait une classification précise. Il en va autrement pour la classification de la supply chain évoquée précédemment. Kieran Chandler: Discutons maintenant de la manière dont les entreprises décident d’organiser leurs départements, par exemple en ayant un département marketing, un département d’approvisionnement, un département de sourcing et un département des achats. Y a-t-il une vérité fondamentale dans cette organisation ? Joannes Vermorel: Je ne dis pas que c’est idiot, mais ne vous laissez pas tromper en pensant que cette organisation comporte une vérité fondamentale. Elle est largement le fruit du hasard. Il est important de savoir ce qui est pratiqué en tant que coutume, mais ne confondez pas une coutume avec un grain de vérité scientifique. Si l’on compare le nec plus ultra, comme les quatre équations de l’électromagnétisme, on constate que des industries entières découlent de ces quatre équations. Mais quand je regarde la supply chain, je trouve des livres entiers, des domaines et des taxonomies auxquels je peux à peine donner une utilité. Vous voyez ce que je veux dire ? Ce n’est pas la même puissance ni la même densité de connaissances. Muddassir Ahmed: Je réfléchis à votre point de vue, et je ne peux être d’accord à 100 %. Je pense que tout dépend de la manière dont vous définissez les connaissances en supply chain. Vous tentez de les incorporer dans une science, en donnant des exemples comme le tableau périodique et la physique. Or, la gestion de la supply chain est un ensemble de connaissances en management. Elle est enseignée dans des écoles de management, et non dans des départements de chimie ou de physique. Les connaissances en supply chain relèvent du management, qui concerne le leadership, la pensée stratégique et les compétences humaines. Je ne peux pas créer un tableau périodique pour le leadership ou pour la compétence en supply chain, car il s’agit d’un corpus de connaissances en constante évolution. Dans l’industrie, 70 à 80 % de la gestion de la supply chain concerne les compétences interpersonnelles et managériales, tandis que seulement 20 à 30 % reposent sur des modèles mathématiques. C’est là que je suis profondément en désaccord avec votre point de vue. Kieran Chandler: Alors Joannes, pouvez-vous nous expliquer comment la connaissance scientifique est appliquée dans l’optimisation de la supply chain ? Joannes Vermorel: Vous voyez, si l’on observe la chimie, celle-ci est pratiquée depuis 2000 ans. On disait que tout reposait sur le management. C’était un art, et, littéralement, il s’agissait de gérer de grandes équipes qui concevaient cet art. Il fallait les bonnes personnes et les bonnes compétences pour y parvenir. Mais quelque chose de spectaculaire s’est produit au XIXe siècle. Les gens ont réalisé qu’il était possible d’appliquer des méthodes scientifiques. Certes, il existait depuis des siècles des entreprises qui nécessitaient le bon leadership, la bonne gestion pour bien fonctionner. Puis, au XIXe siècle, la révolution chimique a émergé, et ils ont compris que la chimie pouvait devenir une science. Soudain, nous sommes passés d’une chimie relativement médiocre à une chimie qui a révolutionné la civilisation. Littéralement, il n’existe pas une seule chose dans notre quotidien qui n’ait pas été profondément transformée par la chimie. Nous avons des plastiques partout. Bref, mon propos est le suivant : si vous observez la plupart des domaines dans leur ère pré-scientifique, on disait à l’époque que tout reposait sur le leadership, sur le management. Et la seule manière de multiplier littéralement l’efficacité, le pouvoir d’action par un facteur – disons un million – était d’appliquer des méthodes scientifiques qui transformaient radicalement les choses. Muddassir Ahmed: Alors, vous dites que les méthodes scientifiques sont essentielles pour améliorer n’importe quel domaine des affaires humaines ? Joannes Vermorel: Oui, c’est exactement ce que je veux dire. Et, littéralement, si je choisis divers sujets, il y a, il y a 150 ans dans le domaine des transports, on disait : oh, il s’agit de soigner vos chevaux, de les entraîner, d’avoir des compétences pour dresser les chevaux, d’être doux avec la bête, et de faire ci, ça et ainsi de suite. Puis, certaines personnes inventent les automobiles et éliminent complètement cet aspect. Mon point est le suivant : je ne dis pas que ces compétences ne sont pas importantes – je crois qu’elles le sont dans n’importe quel domaine des affaires humaines. Ces compétences seront toujours importantes. Mais je dis que si nous voulons obtenir une amélioration d’un ordre de grandeur – disons un facteur 10, 100 ou 1000 –, ce n’est pas grâce aux compétences interpersonnelles que nous y parvenons. Ce n’est pas grâce aux soft skills que nous avons réussi à réduire, par exemple, le temps de traversée entre l’Europe et les États-Unis, passant d’un mois en bateau à seulement huit heures en avion. C’est grâce à l’application rigoureuse de la connaissance scientifique que nous avons pu construire des engins ultra-rapides, à la fois très fiables et très sûrs. Kieran Chandler: Alors, Muddassir, pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont Amazon utilise la connaissance scientifique dans l’optimisation de la supply chain ? Muddassir Ahmed: Bien sûr, Amazon applique la connaissance scientifique pour repenser complètement l’organisation de ses entrepôts. Grâce à un meilleur leadership, on peut obtenir un entrepôt mieux géré, avec une productivité accrue de l’ordre de 20 à 25 %, parce qu’on dispose d’un responsable d’entrepôt exceptionnel, qui fait preuve d’un leadership remarquable.
Kieran Chandler: Quelles qualités peut posséder un leader qui multiplient la productivité de votre entrepôt par un facteur de mille ?
Joannes Vermorel: La réponse est non, absolument pas. Il ne s’agit pas de leadership. Il faut quelque chose de fondamentalement différent. L’essence des méthodes scientifiques est très insaisissable. Comment peut-on obtenir quelque chose qui soit un million de fois meilleur ? S’il y a un acte de foi, voire un acte d’hubris, quelque chose d’extrêmement ambitieux, c’est que la méthode scientifique exige l’ambition de créer quelque chose d’incroyablement supérieur. L’esprit humain peut concevoir quelque chose sans se contenter d’une amélioration minime des qualités des individus. Les gens ont toujours été les mêmes depuis 2000 ans. Certes, on peut les éduquer et les améliorer un peu, mais si vous voulez obtenir quelque chose de véritablement capitaliste, en vous tenant sur les épaules de géants et en capitalisant sur les connaissances collectives accumulées sur plusieurs générations, il vous faut quelque chose d’extraordinairement puissant. Il vous faut quelque chose de très proche de la science, et telle est ma proposition pour la supply chain. Kieran Chandler: Messieurs, je pense que nous allons devoir en rester là. Muddassir, si vous souhaitez ajouter un dernier point et nous parler de vos espoirs pour le SCMDOJO dans les mois à venir ainsi que de vos ambitions concernant l’éducation. Muddassir Ahmed: J’essaie encore de comprendre d’où vient Joannes. Je pense que nous pouvons nous accorder sur l’exemple d’Amazon. Ils ont utilisé la technologie pour offrir un meilleur service client ainsi qu’une meilleure information, communication et visibilité. C’est sans aucun doute là que l’état d’esprit scientifique et la technologie créent de la valeur pour les humains. Mais le succès d’Amazon tient davantage à la manière dont ils conçoivent leur réseau et leur logistique – un avantage comparatif avant tout. Nous sommes d’accord sur le fait que la technologie révolutionne la supply chain. Il n’y a aucun débat à ce sujet. Toutefois, en rejetant fondamentalement les compétences interpersonnelles, le volet humain et la compétence de base en supply chain comme étant insignifiants et « inventés », je suis en total désaccord avec cette vision. Voilà ma conclusion. Kieran Chandler: Brillant ! Je pense qu’une chose sur laquelle nous pouvons tous nous accorder, c’est qu’un débat sain fait avancer les choses. Merci à vous deux pour votre temps. Que vous soyez d’accord ou non, faites-le nous savoir dans les commentaires ci-dessous. Merci beaucoup de nous avoir suivis, et nous vous retrouverons dans le prochain épisode. Merci de votre attention.