00:00:08 Vertu : introduction et définition.
00:02:00 Aligner les modèles d’affaires avec les évolutions culturelles.
00:04:41 Comparer le comportement éthique et juridique des entreprises.
00:05:14 Profits, perspectives à long terme et rôles des valeurs.
00:09:32 Les inconvénients de la maximisation des profits.
00:12:38 Les vertus d’entreprise reflétées dans le succès.
00:14:45 Problèmes liés à la communication sur l’intégrité de la supply chain.
00:20:00 Dynamiques organisationnelles et positionnement de la vertu.
00:21:30 Effets néfastes sur les supply chains.
00:23:46 Évaluer l’élévation morale des entreprises.
00:25:00 Les attentes des entreprises : moralité et droit.
00:31:36 Évolution de la mission de Microsoft.
00:33:32 L’énoncé de mission de Kodak et sa clarté.
00:35:31 Des ambitions capitalistes façonnant la mission.
00:40:33 Le rôle du virtue signaling dans le branding.
00:42:46 Le virtue signaling au sein de la direction.
00:45:41 Les conséquences des échecs du virtue signaling.
00:49:14 Les régulations sur le CO2 dans l’industrie automobile.
00:52:25 La conformité des moteurs diesel français.
00:55:46 Analyse du scandale Dieselgate.
01:00:23 Action collective du début du 20e siècle.
01:04:05 Greenwashing et liberté d’expression.
01:07:01 Les droits des consommateurs français et les contrats.
01:10:11 Le scepticisme face aux revendications soudaines de durabilité.
01:12:31 Anecdotes personnelles et évolution des prix des produits.
01:16:59 Pourquoi les consommateurs recherchent-ils des repères moraux chez les entreprises ?
Résumé
Dans une discussion approfondie couvrant la philosophie, le droit, l’éthique et l’économie, Conor Doherty et Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, dissèquent le rôle de la vertu au sein des entreprises et de la supply chain. Vermorel explicite la nécessité de valeurs d’entreprise qui profitent non seulement à l’entreprise, mais aussi à ses employés et à la société dans son ensemble, pour une rentabilité à long terme. Il met en avant l’importance des cadres juridiques pour équilibrer la recherche de profits et le bien commun. Vermorel examine les défis liés aux stratégies de croissance à long terme, à la rétention des talents et à la convergence entre valeurs internes et externes, en particulier pour les multinationales. Il critique le virtue signaling en le qualifiant souvent d’artificiel et d’inutile. Au final, Doherty reste quelque peu sceptique quant à l’espace réservé à la vertu dans le monde des affaires, tandis que Vermorel, plus optimiste, affirme que les entreprises ne peuvent pas simplement prétendre adopter des vertus, mais doivent réellement les incarner.
Résumé détaillé
La discussion commence avec Conor Doherty, l’animateur, qui interroge Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, sur le concept de vertu dans le contexte des entreprises et de la supply chain. Vermorel soutient que la vertu se rapporte aux valeurs d’une entreprise, lesquelles sont indispensables à sa performance, son efficacité et sa rentabilité. Il souligne que, pour réussir sur le long terme, il est crucial que les actions de l’entreprise bénéficient non seulement à elle-même, mais aussi à ses employés et à la société dans son ensemble. Vermorel admet qu’il peut arriver que les intérêts de l’entreprise divergent de ceux de ses employés ou du public, mais il suggère que ces situations sont difficiles à maintenir.
Interrogé sur la manière dont un modèle d’affaires axé sur les profits peut concilier avec l’évolution des valeurs sociétales, Vermorel avance que cela ne relève pas entièrement de la responsabilité de l’entreprise. Il met plutôt en avant le rôle des cadres juridiques et des instances de régulation pour garantir que les entreprises opèrent de manière à minimiser les dommages causés à la société et à l’environnement. Il ajoute que ces cadres visent à empêcher les entreprises d’exploiter des failles pour des gains à court terme au détriment des pertes à long terme pour la société.
Vermorel précise également que, à court terme, les entreprises s’efforcent de maximiser les profits, mais que ces cadres sont conçus pour empêcher que la maximisation des profits n’entraîne des dommages généralisés. Si une entreprise cause néanmoins des dommages, des mécanismes réglementaires, tels que des taxes ou des réparations, existent pour y remédier. Toutefois, il affirme que pour les entreprises cherchant à maximiser leurs profits à long terme, les indicateurs de performance numériques indicateurs deviennent moins fiables, car les évolutions futures du marché sont imprévisibles.
Pour naviguer dans ces incertitudes, Vermorel suggère que les entreprises doivent s’appuyer sur des critères non numériques, tels que leurs valeurs fondamentales. Ces valeurs, dit-il, sont plus durables que des indicateurs de performance immédiats et peuvent guider la prise de décision à long terme d’une entreprise. De plus, elles constituent un outil essentiel pour attirer et fidéliser les talents, puisque les futurs employés sont attirés non seulement par les perspectives financières de l’entreprise, mais aussi par son objectif et son éthique.
Il identifie deux défis auxquels les entreprises sont confrontées à cet égard : d’une part, les limites de la maximisation des profits comme stratégie de croissance à long terme et, d’autre part, la nécessité d’une mission convaincante pour attirer et fidéliser les talents. Si la seule promesse faite par une entreprise à ses employés est un salaire, et que le travail en lui-même manque de sens, il devient difficile d’attirer et de retenir des talents, et l’entreprise pourrait finir par payer un surplus en salaires.
Vermorel souligne également la distinction entre valeurs internes et externes. Alors que les valeurs internes guident les opérations de l’entreprise et servent de cadre au comportement des employés, les valeurs externes, lorsqu’elles sont diffusées, peuvent devenir source de conflits. Particulièrement pour les multinationales opérant dans divers contextes culturels, concilier des valeurs internes avec des valeurs externes divergentes constitue un défi.
La conversation se tourne vers les vertus d’entreprise, en particulier le virtue signaling, où les entreprises affichent leurs valeurs, souvent dans une démarche stratégique visant à se présenter sous un jour favorable. Vermorel note que ce type de communication suscite souvent du scepticisme quant aux véritables intentions de l’entreprise. Plutôt que de promouvoir ouvertement des valeurs d’intégrité élevée, Vermorel préconise d’incarner ces vertus par un service ou une prestation de qualité.
De plus, Vermorel remet en question l’efficacité et l’authenticité du virtue signaling, suggérant qu’il s’agit souvent d’une manœuvre de prise de pouvoir au sein d’une entreprise plutôt que d’une véritable tentative de faire le bien pour la société. Selon lui, ces stratagèmes tendent à prospérer dans des environnements complexes et opaques, tels que les supply chains, ce qui les rend plus difficiles à combattre.
Cependant, l’interview reconnaît que certains pourraient soutenir que le virtue signaling dans les supply chains pourrait avoir des impacts positifs sur la société. Vermorel exprime son scepticisme à cet égard, suggérant que ces démarches relèvent généralement du théâtre plutôt que d’effets réels et mesurables.
Remettant en question la nécessité de vertus proclamées publiquement, Vermorel soutient que les entreprises qui agissent dans le respect des normes juridiques et éthiques ont rempli leur obligation envers la société. Il critique la communication de vertus évidentes, qu’il considère comme des platitudes dénuées d’information. Lorsqu’une entreprise revendique une intégrité élevée, par exemple, elle énonce une attente, et non un élément différenciateur. Ce type de communication, selon Vermorel, risque d’aliéner le personnel existant qui opère déjà avec une grande intégrité.
Joannes Vermorel s’attarde sur la difficulté d’avoir une mission claire et sur le fait que cela peut souvent mener à une focalisation sur des attributs secondaires, tels que la qualité ou la facilité d’utilisation, qui devraient idéalement découler de la mission. Vermorel cite l’énoncé de mission historique de Kodak, “you press a button and we do the rest”, comme un exemple d’énoncé de mission brillant et simple.
Doherty aborde ensuite l’ambition capitaliste de la mission de Microsoft, s’interrogeant sur la raison pour laquelle celle-ci ne pourrait tout simplement pas être remplacée par une autre ambition capitaliste. Vermorel affirme que le but est de créer un cadre résilient face aux mauvais acteurs et bénéfique pour le bien commun. Il prend le marché comme exemple d’un filtre qui élimine les entreprises qui ne respectent pas leurs vertus d’entreprise, et soutient que ce système a réussi à le faire.
La conversation se tourne ensuite vers le sujet du virtue signaling au sein des entreprises, que Vermorel considère comme une manœuvre de prise de pouvoir effectuée par des individus au sein d’une organisation. Il mentionne que les entreprises possédant des marques de valeur sont particulièrement vulnérables à cela, car leur image dépend d’une perception répandue. Il suggère que le virtue signaling implique souvent des revendications impossibles à vérifier ou à contrôler, contrairement à des mesures concrètes telles que la croissance des profits.
Doherty demande s’il existe des exemples d’entreprises s’engageant sciemment dans des activités trompeuses par le virtue signaling. Vermorel cite l’exemple de l’acquisition de Twitter par Elon Musk et sa promesse d’en faire une plateforme favorisant une plus grande liberté d’expression. Vermorel laisse entendre que seul le temps dira si cela est authentique ou s’il s’agit de virtue signaling, mais avertit que si les promesses ne sont pas tenues, la marque entière pourrait être en danger. Il établit une distinction entre le virtue signaling interne à une entreprise et la communication destinée au grand public.
Vermorel aborde ensuite la pression réglementaire contre les émissions de CO2 des véhicules. Il souligne que le processus visant à rendre les véhicules plus efficaces est une initiative de longue date des fabricants, et que les réglementations n’ont rien introduit de nouveau. Au contraire, il considère ces réglementations comme une forme de virtue signaling. Vermorel explique que la réduction des émissions de CO2 aboutit à un processus de combustion plus efficace, mais qu’à des températures plus élevées, cela conduit à la production d’oxydes d’azote, qui sont toxiques même en quantités plus faibles comparées au CO2.
Dans une tentative de se conformer aux réglementations et de produire des véhicules émettant moins de CO2, les fabricants, notamment en France, ont commencé à produire des moteurs diesel pour des véhicules plus petits. Cette décision était en grande partie dictée par les réglementations et avait peu à voir avec la demande du marché ou l’efficacité des véhicules. Vermorel décrit cela comme un exemple de réglementations mal orientées créant des problèmes. Si les fabricants essaient de respecter strictement ces régulations, ils pourraient finir par causer d’autres problèmes environnementaux, comme la pollution par les oxydes d’azote.
L’interview se tourne ensuite vers le scandale du dieselgate, où les fabricants ont truqué les tests d’émission. Vermorel considère cet incident comme la culmination de réglementations rigides, de contraintes technologiques et de défaillances organisationnelles. Il critique également la nature vague des réglementations qui laissaient trop de place à l’interprétation, créant des zones d’ombre éthiques.
Vermorel explique qu’il existe souvent une tension entre les résultats financiers des entreprises et les vertus qu’elles proclament, les premiers l’emportant généralement. Il soutient que les véritables vertus d’entreprise ne peuvent en effet pas être en conflit avec les intérêts à long terme d’une entreprise, car ces intérêts devraient s’aligner sur ceux de la société. À titre d’exemple, il mentionne IKEA, qui a replanté des arbres pour maintenir ses opérations sur le long terme.
Il affirme que lorsque les intérêts à long terme d’une entreprise divergent de ceux de la société, il est nécessaire d’ajuster les réglementations. Vermorel souligne que ce processus d’ajustement est constant et requiert un affinement continu pour faire face aux nouvelles manières dont les entreprises cherchent à exploiter le système. Il cite l’invention des recours collectifs aux États-Unis comme un exemple de ce type d’affinement, où un nouveau mécanisme juridique a été créé pour traiter des dommages généralisés mais individuellement minimes causés par les entreprises.
Doherty et Vermorel se penchent sur le concept de vérité dans la publicité, provoqué par une affaire judiciaire concernant une connexion internet “illimitée”. Vermorel décrit comment le juge a accordé des dommages-intérêts à tous les plaignants sauf un, un ingénieur, en estimant qu’il aurait dû savoir mieux que d’attendre un service réellement illimité. Il établit un parallèle avec des offres illimitées telles que le Coca-Cola gratuit, soulignant la compréhension générale que “illimité” ne signifie pas littéralement sans limite.
La discussion se poursuit sur le sujet des contrats, Vermorel expliquant comment la capacité à comprendre ce qui est écrit dans un contrat peut influencer sa validité. Il mentionne également que ce principe peut conduire à des résultats pour le moins étranges en droit français, notant qu’un juge pourrait déclarer des clauses contractuelles nulles s’il estime que le signataire, en raison d’un manque d’intelligence, ne pouvait pas les comprendre.
Vermorel met en garde contre les entreprises qui se placent sur un piédestal moral, exhortant les auditeurs à se demander si ces entreprises étaient auparavant “insoutenables”. Il soupçonne que la plupart de ces affirmations relèvent du théâtre et de jeux politiques susceptibles de perturber des supply chains efficaces. Il explique que les supply chains sont des systèmes complexes qui offrent une grande valeur aux clients, rendant les produits significativement moins chers qu’ils ne l’étaient il y a quelques décennies. Ces systèmes sont également fragiles et peuvent être perturbés par des facteurs externes tels que les confinements ou les tsunamis, ou par des facteurs auto-infligés comme le virtue signaling.
Vermorel plaide ensuite en faveur de la nécessité de dénoncer le virtue signaling dès le départ, avertissant que laisser ces manœuvres se dérouler pourrait conduire à des désastres auto-infligés dans la supply chain. Il souligne l’importance de ne pas récompenser ceux qui adoptent un tel comportement.
Enfin, Doherty conclut par une question philosophique sur la raison pour laquelle les consommateurs se tournent vers les entreprises pour obtenir des repères moraux. Vermorel ne considère pas cela comme une erreur ; au contraire, il estime que cela fait partie d’un cadre qui incite les entreprises axées sur le profit à agir de manière éthique. L’attente du public selon laquelle les entreprises doivent bien se comporter peut générer de la fidélité envers une marque. Vermorel soutient que, bien que certains puissent voir cela comme une simple apparence, il peut être difficile de maintenir une façade à grande échelle. Finalement, suggère-t-il, la seule façon de tenir les promesses est de réellement être à la hauteur de celles-ci.
Transcription complète
Conor Doherty: Aristote a défini la vertu comme une caractéristique se situant à égale distance entre deux extrêmes, à savoir l’excès et la carence. Malheureusement, il n’a pas écrit beaucoup sur la signalisation de vertu des entreprises. Heureusement, dans le studio aujourd’hui, j’ai la prochaine meilleure chose : le fondateur de Lokad, Joannes Vermorel. Bonjour, monsieur. Pour préparer le terrain bien avant d’entrer dans la discussion satellite sur la signalisation de vertu, qu’est-ce exactement que la vertu dans le contexte des entreprises et des supply chains ?
Joannes Vermorel: Dans le contexte des entreprises et des supply chains, la vertu fait référence aux valeurs sous-jacentes qui sont intimement liées à votre performance, votre efficacité et, en fin de compte, à vos profits. Tous ces éléments qui sont bons pour l’entreprise profitent généralement à celle-ci, à ses employés et à la société dans son ensemble si l’on veut avoir quelque chose qui fonctionne sur le long terme. Il existe des situations où ces éléments peuvent se dissocier, profitant à l’entreprise mais pas aux employés ni au public. Cependant, il est généralement difficile d’opérer de manière durable avec ce décalage au fil du temps. Essentiellement, la vertu est l’incarnation des valeurs primordiales qui contribuent à la survie de votre entreprise, garantissant ainsi sa croissance et sa rentabilité sur le long terme.
Conor Doherty: Comment est-il possible de concilier un modèle guidé par le capitalisme tel qu’une entreprise ou une supply chain qui fait des affaires avec les valeurs d’une culture qui évoluent au fil du temps, alors que le profit et le résultat net, eh bien, restent statiques. Cette valeur, si tant est qu’on puisse l’appeler ainsi, ne change pas ; gagner plus d’argent que l’on en perd demeure pareil, mais les valeurs évoluent.
Joannes Vermorel: C’est une question complexe. Ce n’est pas entièrement de la responsabilité de l’entreprise. De la manière dont les sociétés occidentales modernes et les marchés ont été conçus, ils ne fonctionnent pas dans un vide. Nous disposons de cadres juridiques pour régir les entreprises, et ces cadres sont conçus pour inciter les acteurs à agir de manière responsable. Si une entreprise cause des dommages généralisés à la société, à l’environnement ou aux personnes, les réglementations l’interdisent, ou bien il existe des mécanismes judiciaires de réparation.
Ce cadre plus large devrait empêcher de courir après le profit tout en causant une perte nette pour la société dans son ensemble. Les cadres juridiques tentent de prévenir ce genre de comportement. Le terme technique en économie est “externalités”. Par exemple, si vous causez des dommages diffus, vous pourriez devoir payer une taxe destinée aux réparations, ou vous pourriez être contraint de respecter certaines réglementations conçues pour limiter les externalités que vous pouvez infliger à la société.
Cependant, il s’agit ici d’un point de vue plutôt à court terme. Si vous êtes une entreprise et que vous souhaitez maximiser vos profits, comment procédez-vous ? On pourrait soutenir qu’il suffit de maximiser certains indicateurs clés de performance (KPIs), mais la réalité est plus complexe.
Plus vous vous projetez dans le futur, plus vos indicateurs de performance deviennent insaisissables. Maximiser les profits pour la semaine prochaine peut paraître relativement évident avec des métriques fiables. Cependant, dès que vous vous projetez plus loin, ces indicateurs deviennent très flous. La plupart des entreprises manquent d’une perspective claire à long terme, et la maximisation des profits se complique en raison de chiffres de plus en plus flous et non pertinents.
C’est pourquoi de nombreuses entreprises prospères n’opèrent pas sur le principe de la maximisation immédiate des profits. Cela est très myope. Elles réussissent souvent parce qu’elles adoptent une vision à long terme, qui requiert un critère basé sur des valeurs, non quantifiable. Ces valeurs sont bien plus durables et peuvent perdurer bien plus longtemps que des indicateurs de performance immédiats.
Pour réussir, une entreprise doit attirer des talents. Certes, vous pouvez attirer des personnes par le biais de salaires, mais si la seule chose que vous pouvez promettre à vos employés est un chèque de paie et que leur travail n’a aucun sens, c’est difficile. Vous finirez par payer un supplément pour cela. Les entreprises peuvent encore embaucher des personnes même si leurs pratiques sont perçues comme amorales — comme, par exemple, dans l’industrie du tabac —, mais il est très difficile pour les employés de croire sincèrement qu’ils améliorent le monde s’ils travaillent dans de telles industries.
Il y a un véritable coût à cela. Une entreprise perçue comme amorale devra payer des primes substantielles sur les salaires de ses employés et aura plus de difficultés à retenir ou attirer les talents. Ainsi, vous pouvez constater que la maximisation du profit ne fonctionne pas très bien sur le long terme, sur cinq ou dix ans. C’est très myope. De plus, si vous souhaitez attirer les personnes dont vous avez besoin, ce n’est pas exactement un message attrayant.
Si la seule chose que vous proposez est ce genre de maximisation de profit, vous vous heurterez à un problème fondamental, celui d’un message qui n’est pas très convaincant. Lorsque ces deux éléments — cette vision à long terme et un message significatif — se conjuguent, cela est bénéfique non seulement pour orienter vos actions futures, mais cela sert également de message de relations publiques pour le recrutement.
Conor Doherty: La distinction que vous faites présente ces valeurs comme étant orientées vers l’intérieur, destinées à recruter des personnes pour notre entreprise. Je pense que la plupart des gens acceptent cela. Le point de discorde survient lorsque ces valeurs sont propagées ou dirigées vers l’extérieur. Si vous prenez une multinationale ou une supply chain, un réseau géographiquement distribué d’acteurs issus de différentes cultures, aux normes et intérêts variés, ceux-ci ne s’alignent pas toujours. Comment une entreprise concilie-t-elle ses valeurs internes avec la perception externe, une fois que la porte est ouverte au monde et que des personnes extérieures peuvent voir ?
Joannes Vermorel: Ce qui est intéressant avec ces vertus d’entreprise, c’est qu’elles ont un effet auto-prédictif. Si votre entreprise incarne ces vertus — excellence, diligence, intégrité, ingéniosité, et autres — alors vous réussirez sur le marché. C’est pratiquement acquis, sauf dans des situations de corruption. Le succès lui-même est le reflet de l’incarnation de ces vertus. Si vous échouez, c’est probablement parce que vous avez failli à un moment donné, ce qui explique que vos concurrents réussissent.
La preuve la plus évidente que ces vertus existent, et leur plus grande manifestation, c’est le succès de votre entreprise. Si vous rencontrez un succès à grande échelle, c’est très probablement parce que vous faites un tas de choses correctement. Votre succès démontre, en quelque sorte, que vous incarnez véritablement ces vertus d’entreprise.
Ce qui est déroutant, c’est lorsque les membres de l’entreprise commencent à signaler intensivement et à communiquer sur quelques vertus sélectionnées. Pour des domaines complexes comme la supply chain, cela est particulièrement étonnant. Si vous dites, par exemple, qu’une intégrité élevée est importante, je suis d’accord. Des normes d’intégrité élevées sont bénéfiques pour faire fonctionner une supply chain complexe à grande échelle. Mais, si des personnes commencent à dire « nous allons être une entreprise à haute intégrité », il y a de nombreux problèmes avec cette proposition. La première question qui se pose est : qu’en était-il d’hier ? Vos prédécesseurs n’étaient-ils pas des personnes d’une grande intégrité ?
Si votre entreprise a réussi à devenir grande et prospère, c’est probablement parce que les personnes qui étaient là avant vous faisaient les choses de manière assez correcte. Il est très difficile de réussir, surtout lorsqu’on gère des supply chains à grande échelle, et cela ne survient pas par hasard. Il existe des cas où des startups de Silicon Valley, avec des applications lifestyle, rencontrent le succès par chance. En agissant de façon un peu désordonnée, elles deviennent très prospères. Ces situations se produisent rarement dans le domaine de la supply chain. Une startup de Silicon Valley avec une application lifestyle doit réussir plusieurs choses pour réussir. Si c’est le cas, elle peut capter une part de marché substantielle sur quelque chose de simple. Un archétype de cela serait le succès précoce de Twitter, une application incroyablement simple. Elle a réussi parce qu’elle avait l’idée astucieuse de limiter la longueur des messages, mais à part cela, elle était très simple.
Dans le contexte des supply chains, où il faut réussir des milliers de choses pour que cela fonctionne, le succès est beaucoup moins accidentel. C’est pourquoi il existe très peu de succès du jour au lendemain chez les entreprises de supply chain qui gèrent des réseaux gigantesques. Cela s’accomplit généralement sur des décennies. Même Amazon, l’une des entreprises les plus rapides de tous les temps, a mis près de 30 ans pour devenir le géant de la supply chain qu’elle est aujourd’hui. Ce n’est pas un succès instantané.
Mais qu’en est-il de vos prédécesseurs ? Voilà la question, et elle en soulève une autre : qu’avez-vous l’intention d’accomplir ? C’est la première question qui me vient à l’esprit lorsque les gens commencent à communiquer sur les vertus. Quelle est l’intentionnalité ?
Conor Doherty: À quel moment les vertus d’entreprise basculent-elles dans une signalisation négative de la vertu ? Je veux dire, vous pouvez signaler une intégrité élevée et de la diligence, mais les gens pourraient l’ignorer. À quel moment cela devient-il problématique pour, disons, le public ?
Joannes Vermorel: Eh bien, je dirais que cela devient problématique dès le départ. Vous voyez, l’essentiel est : montrer, ne pas dire. Vous offrez simplement un service excellent, ou vous fabriquez d’excellents produits qui répondent aux attentes de vos clients. C’est l’incarnation de ces vertus. Il n’est pas nécessaire de faire de la publicité pour des valeurs d’intégrité élevée pour votre organisation.
Lorsque les gens commencent à diffuser un ensemble spécifique de valeurs, leurs intentions ne sont généralement pas bonnes du tout. Il est très rare que l’on ait l’intention de réparer une vraie erreur du passé pour s’améliorer après un échec spectaculaire. Cela peut arriver, mais ce n’est pas le schéma dominant. Le schéma dominant que je constate, c’est que certaines parties au sein de l’organisation commencent à diffuser des messages sur une intégrité élevée, une durabilité élevée, ou toute autre vertu élevée. C’est une tentative de se positionner sur un terrain supérieur par rapport aux autres au sein de l’entreprise. Ce n’est pas dirigé contre la concurrence. Il s’agit de gagner plus de terrain dans l’organisation.
Cela devient très dommageable pour la supply chain en raison de sa complexité ambiante, de son opacité et de sa nature distribuée. Cela signifie que ce genre de magouilles est beaucoup plus difficile à contrer qu’un terrain de jeu transparent et évident où il est bien plus visible que certaines parties jouent à ces petits jeux politiques.
Conor Doherty: Il me semble qu’en interne, cela pourrait tout à fait être le cas. Vous avez des personnes qui déploient des machinations machiavéliques pour gravir les échelons de l’entreprise et instaurer des politiques destinées uniquement à leur intérêt personnel. Cependant, à l’externe, elles pourraient avoir des impacts merveilleux sur la société et le grand public. Alors, n’est-il pas possible, ou est-il possible, que la signalisation de vertu d’entreprise et la supply chain puissent en réalité avoir un impact positif ?
Joannes Vermorel: C’est là que je suis très sceptique. Si vous commencez à regarder cela et que vous réalisez qu’il s’agit d’un stratagème pour s’approprier le pouvoir, vous constaterez que les impacts à plus grande échelle ne sont principalement que du théâtre. Si vous releviez vraiment la moralité de la société dans son ensemble, ce serait brillant, mais est-ce vraiment ce que vous accomplissez ? Est-ce le cas ?
Cette supériorité morale est également quelque chose d’incroyablement difficile à contester. Comment allez-vous vérifier s’il y a quelque chose de réel dans ce genre de déclarations ? Si vous regardez les profits au sein de l’entreprise, vous pouvez avoir une division plus rentable qu’une autre. Vous disposez d’éléments tangibles pour le vérifier. Mais si vous commencez à dire « Vous ne pouvez pas me juger sur les profits ou la croissance que je génère, mais sur cette élévation de la moralité si insaisissable », il devient soudainement incroyablement difficile d’évaluer cela, car comment définir que la société dans son ensemble est devenue plus durable ? Je ne dis pas que ce n’est pas possible. C’est simplement plusieurs ordres de grandeur plus difficile à accomplir par rapport à vérifier si vous avez un impact sur le marché, où les gens semblent plus satisfaits de ce que vous livrez, et cela se reflète dans vos indicateurs de performance de base, tels que l’augmentation des ventes et des profits stables.
Conor Doherty: Pour continuer à jouer l’avocat du diable, certains pourraient soutenir qu’il est intrinsèquement absurde d’attendre des actions moralement vertueuses de la part d’une entreprise. Si votre entreprise opère dans le respect de la loi, en se conformant aux codes du travail, aux régulations environnementales et aux normes de production, n’avez-vous pas satisfait à vos obligations envers la société ?
Joannes Vermorel: Qu’est-ce qui ne va pas avec cela ? Mon premier point serait une objection tangentielle. Lorsque vous communiquez quelque chose, vous êtes censé avoir un message dès le départ. Si vous n’avez pas de message, vous ne faites qu’émettre du bruit blanc, sans qu’aucune information ne circule. C’est une mauvaise communication. Vous devez communiquer quelque chose. Prenons l’exemple où nous affirmons être une entreprise à haute intégrité. Pourquoi pensez-vous qu’il y aurait des personnes sur le marché qui diraient que nous sommes une entreprise à faible intégrité et que nous en sommes fiers ?
Le problème avec les vertus, c’est que personne ne prône l’inverse. Si vous faites une déclaration et que l’opposé de votre proposition est absurde, par exemple « Nous sommes une entreprise à faible intégrité et nous en sommes fiers », alors la déclaration originale, « Nous sommes une entreprise à haute intégrité et nous en sommes fiers », est une platitude. C’est évident. C’est comme communiquer quelque chose de dénué d’information, essentiellement une platitude.
Conor Doherty: Cela me rappelle une anecdote. Il y a quelques Noëls, mon frère et sa compagne étaient revenus pour dîner. Au cours du repas, la compagne de mon frère a dit quelque chose — ou s’est mal exprimée d’une certaine manière — et mon frère a commenté : “Tu sais, j’aurais pu dire quelque chose de très drôle à tes dépens”, et sa compagne a immédiatement répliqué : “Quoi, tu veux de la gratitude ? Je ne vais pas te remercier de ne pas être une mauvaise personne.” Ton test décisif vient de décrire cette situation. Je ne vais pas te couvrir d’approbation et de louanges pour avoir fait le minimum que j’attends de toi, conformément à la loi et aux normes sociales de base.
Joannes Vermorel: Oui, et encore, une bonne communication est censée être significative pour toutes les parties qui reçoivent le message. Revenons sur le cas de la haute intégrité. Si vous opérez dans un pays comme le Danemark, l’un des pays les moins corrompus au monde, communiquer sur une haute intégrité semble redondant. Avez-vous l’intention de délivrer encore plus d’intégrité que ce qui a jamais été atteint dans l’histoire de l’humanité ? C’est une affirmation audacieuse et probablement irréaliste.
Au contraire, disons que vous gérez une entreprise dans un endroit généralement très corrompu, comme Lagos, Nigeria. Là, c’est une toute autre histoire. Cela dépend vraiment du contexte, mais en général, je dirais que si le message communique quelque chose d’évident, alors je suis d’accord, ce n’est pas un bon message.
Si vous communiquez quelque chose comme, “Nous sommes désormais une entreprise à haute intégrité,” qu’en est-il de toutes les personnes qui étaient déjà dans l’entreprise et qui, en général, étaient des personnes d’une grande intégrité ? Désormais, elles sont étiquetées comme étant des personnes de faible intégrité. Cela peut être incroyablement diviseur et nuisible au sein d’une organisation qui, si elle est devenue très grande et prospère, faisait probablement déjà beaucoup de choses de manière très vertueuse.
Conor Doherty : Y a-t-il une demande de la part du public pour que les grandes entreprises, ou pour les supply chain, soient vertueuses, ou s’agit-il uniquement d’une dynamique interne ? Quelle est une autre situation dans laquelle le même mécanisme pourrait surgir ?
Joannes Vermorel : Je pense qu’il y a une demande du public pour avoir des entreprises qui, en général, ont des missions qui ont du sens. La maximisation des profits n’est qu’un instrument à court terme, simplement parce que si l’on regarde sur dix ans, vos indicateurs sont bien trop faibles. Vous ne pouvez mathématiquement maximiser quoi que ce soit lorsque vos indicateurs sont très flous cinq à dix ans dans le futur.
Il y a aussi la nécessité que ce type de message ait du sens pour recruter des personnes, car sinon, vous allez devoir payer un salaire bien plus élevé. Vous devrez payer une prime pour compenser votre manque de vision quant à ce que les gens vont faire, ce qui peut avoir des conséquences très réelles.
Par exemple, une entreprise qui, à un moment de son histoire, a perdu de vue ce qu’elle était censée faire. Cela est arrivé dans l’industrie du logiciel à Microsoft. Leur énoncé de mission, dès sa création dans les années 80, était d’installer un système d’exploitation Windows dans chaque maison des États-Unis. Ils sont allés incroyablement au-delà en installant un système d’exploitation Windows dans chaque maison de la planète, et pas seulement aux États-Unis. Ils en sont même arrivés au point de penser qu’ils l’avaient réalisé, alors ils se demandaient ce qu’il restait à faire. Ils ont dû réinventer cela et ont connu une sorte de décennie perdue de 2000 à 2010, où ils ne savaient pas vraiment où ils allaient. Ils ont accompli leur mission, mais ensuite ? Il leur a fallu une décennie pour se réinventer. Avoir une mission est quelque chose de très difficile. Il s’agit de trouver sa raison d’être dans la vie de l’entreprise, pas forcément dans la vie de vos employés, mais en tant qu’entreprise. Quel est votre énoncé de mission général ? Qu’est-ce que vous poursuivez ?
Si vous avez une bonne mission, comme celle de Microsoft “un système d’exploitation dans chaque maison” ou l’énoncé de mission historique de Kodak, “vous appuyez sur un bouton, et nous nous occupons du reste,” ce sont des énoncés de mission brillants. Ils sont accrocheurs, simples et significatifs.
Cependant, il est difficile d’avoir quelque chose comme cela, et au lieu de se concentrer sur cela, certaines entreprises se contentent d’un ersatz. Il s’agit d’une approche de basse qualité, où au lieu d’avoir un énoncé de mission, vous faites directement la promotion des attributs qui résultent normalement de votre énoncé de mission ou de votre grande vision pour votre supply chain. Cela signifie se pencher sur des propriétés émergentes secondaires qui reflètent que vous possédez quelque chose de valeur dès le départ.
Conor Doherty : Il me semble que l’exemple que vous avez donné de Microsoft mettant un ordinateur dans chaque maison aux États-Unis, c’est une ambition capitaliste. Vous l’avez réalisée, que vient-il ensuite ? Vous avez besoin d’autre chose. Mon propos ici est que qu’y a-t-il de mal à remplacer simplement une ambition capitaliste par une autre ambition capitaliste, dépourvue de toute valeur quasi-philosophique ?
Joannes Vermorel : Du point de vue de la société, l’idée est que nous voulons disposer d’un cadre qui soit très résistant aux mauvais acteurs. Vous ne souhaitez pas que quelques mauvaises pommes puissent gâcher tout pour tout le monde. Les décisions individuelles de chacun aboutissent à un bien général et le marché élimine lui-même les mauvais acteurs. Dans l’ensemble, c’est très réussi. Il existe une vaste liste d’entreprises qui ont fait faillite simplement parce qu’elles n’ont pas réussi à maintenir les vertus de rester compétitives. Le marché, qui est la somme de toutes ces décisions individuelles, conduit naturellement à des résultats qui profitent aux gens. Lorsqu’une entreprise fait faillite, il y a un fort revers pour les personnes qui y travaillent. Transitoirement, ce sera des temps difficiles car elles devront trouver un autre emploi, etc.
Conor Doherty : C’est une transition parfaite en termes de secteurs spécifiques. Nous avons déjà mentionné la technologie. Y a-t-il des secteurs particulièrement enclin au virtue signaling ou susceptibles à ce type de cadre ?
Joannes Vermorel : Je soupçonne que les entreprises disposant de marques très valorisées sont particulièrement vulnérables au virtue signaling. C’est un geste de prise de pouvoir effectué par des personnes au sein de l’organisation pour plaire au CEO, au conseil d’administration et aux hautes sphères de l’entreprise. Cependant, si vous êtes une entreprise à profil très bas qui opère en B2B et qui n’est pas excessivement préoccupée par la perception sociétale, le virtue signaling pourrait ne pas être efficace. En tant que CEO d’une entreprise B2B, vous connaissez peut-être personnellement les 50 grands CEO de vos entreprises clientes. Vous les avez peut-être rencontrés, serré la main, etc., vous pouvez donc avoir littéralement une relation en tête-à-tête avec tous vos clients notables.
Si vous avez une marque B2C, où vous comptez des millions de clients, ce n’est pas le cas, et vous avez ainsi une perception très diffuse de votre marque. S’il y a des personnes au sein de votre entreprise qui défendent des valeurs comme une intégrité renforcée, la durabilité, la diversité – choisissez n’importe quelle valeur – en affirmant qu’elles élèvent tout et contribuent à améliorer la perception de la marque par la population en général, c’est un message puissant. Pour le CEO, il est difficile de passer outre cela, car la marque repose sur une perception répandue. Cependant, il s’agit d’une manœuvre de prise de pouvoir, car ces affirmations sont presque impossibles à vérifier, contrairement aux profits où la croissance et le succès peuvent être mesurés de manière plus concrète.
Ce genre d’affirmation, disant “nous élevons la moralité ambiante de la société qui nous entoure”, est une revendication très extravagante. Des revendications extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires, comme l’a dit LaPlace.
Conor Doherty : Jusqu’à présent, notre conversation s’est concentrée sur les individus et sur l’idée de prise de pouvoir au sein d’une entreprise. Existe-t-il des exemples d’entreprises, de manière descendante, qui se livrent à des activités trompeuses envers le public par le biais du virtue signaling, des actions qui ont eu des conséquences négatives, mais que l’entreprise a délibérément mises en œuvre ?
Joannes Vermorel : Cela peut arriver, mais c’est difficile si vous n’allez pas jusqu’au bout de ce que vous annoncez. Un exemple est l’acquisition de Twitter par Elon Musk. Musk a largement diffusé son intention de faire de Twitter un lieu d’expression plus libre, une affirmation audacieuse, et essentiellement une déclaration descendante. On pourrait se demander s’il s’agit de virtue signaling ou non, mais si la haute direction ne tient pas ses promesses, toute la marque peut être en péril. Dès le haut, cela peut être perçu comme des jeux avec le public, généralement un jeu joué avec les clients ou le grand public. C’est différent lorsqu’une division déclare “nous allons devenir une entreprise à haute intégrité”. Ce message est destiné davantage à l’entreprise elle-même, même s’il est diffusé publiquement. Dans le cas de Twitter, seul le temps dira si c’est authentique ou simplement des promesses vaines.
Conor Doherty : Il existe des exemples récents d’entreprises trompant le public, comme les constructeurs automobiles équipant leurs voitures d’une technologie pour donner l’impression qu’elles émettent moins de CO2. Est-ce un exemple de virtue signaling d’entreprise et de supply chain qui a mal tourné ?
Joannes Vermorel : Dans une certaine mesure, oui, mais nous devons examiner la situation dans son ensemble. Le scandale du dieselgate est très intéressant car il implique une série de personnes, à commencer par les régulateurs en Europe et aux États-Unis. Je comprends que le problème soit que les régulateurs en Europe et aux États-Unis cherchent à apparaître moralement supérieurs en matière de durabilité et de préoccupations environnementales. Ce sont, bien sûr, des inquiétudes légitimes. Cependant, vous voulez occuper la position de force, alors que faites-vous ? Vous mettez en place un ensemble de réglementations bon marché. Je dis “bon marché” parce que la création d’un ensemble de réglementations vous coûte le temps nécessaire pour les rédiger. Mais pour la société en général, appliquer ces réglementations et assurer leur respect peut engendrer un coût énorme.
À l’origine, nous avions une sorte de réglementations visant à lutter contre le CO2. Qu’il s’agisse d’une bonne ou d’une mauvaise chose, c’est un débat à part. Mais l’idée était que les régulateurs de nombreux pays voulaient des véhicules qui émettent moins de CO2. Était-ce judicieux ? C’est un autre débat, mais il y avait clairement une intention de virtue signaling.
Si l’on regarde l’histoire des véhicules, les constructeurs automobiles ont réalisé d’énormes investissements pour rendre leurs véhicules plus efficaces et moins gourmands en énergie sur un siècle. Ce processus a commencé bien avant ces réglementations et se poursuit même après leur adoption. La réglementation n’a pas, à elle seule, transformé les véhicules de mauvais en bons. Au contraire, elle faisait partie d’un progrès technologique continu qui s’est déroulé sur un siècle. Il y a donc un péché originel qui vient des régulateurs. Maintenant, nous voulons réduire le CO2. Quel est le problème de réduire le CO2 ?
Ma compréhension de base de la chimie est que si vous voulez une combustion très efficace, et donc moins de CO2, il vous faut atteindre des températures très élevées. Cependant, vous vous retrouvez avec des sous-produits tels que les oxydes d’azote. Les oxydes d’azote sont toxiques, contrairement au CO2 qui est pratiquement non toxique, sauf si l’on atteint des pourcentages très élevés. Pour une personne en bonne santé, le CO2 n’est pas toxique jusqu’à environ quatre pour cent, mais le corps humain est très résilient face au CO2. Nous pouvons tolérer quelque chose comme quatre pour cent, et même plus si vous êtes en bonne santé et que vos poumons ne sont pas endommagés. Les oxydes d’azote, en revanche, sont toxiques même en très faibles quantités.
Et que se passe-t-il à cause de cela ? En raison de ces réglementations, nous nous retrouvons avec des situations bizarres. Par exemple, dans de nombreux pays comme la France, les fabricants ont fini par produire des moteurs diesel pour les petits véhicules. Il s’agissait plus de cocher des cases dans la liste des réglementations. Les marchés qui ne disposaient pas de ce type de réglementations de virtue signaling avaient des taux de voitures diesel bien plus faibles. En France, il y a une décennie, même les petites voitures étaient à environ 55 % diesel. Dans presque tous les autres marchés, c’était au maximum 25 % pour les petites voitures. Les moteurs diesel sont plus chers, plus lourds, et présentent de nombreux autres inconvénients.
Nous avons donc ce type de réglementations où l’on dit, “Nous vous donnons un KPI qui est simplement la maximisation.” Les régulateurs peuvent facilement imposer des réglementations. L’adoption d’une nouvelle loi est relativement bon marché. Vous décidez simplement que c’est la loi. Le problème survient lorsque vous avez des entreprises automobiles qui sont conscientes d’autres préoccupations qu’elles doivent traiter. Par exemple, les oxydes d’azote représentent un gros problème, mais les réglementations y sont plus indulgentes. Si une entreprise va trop loin dans la direction de la réglementation pour réduire le CO2, elle crée un autre problème qui est légal mais pas très moral.
Cela crée une zone grise. Si vous êtes un employé d’une grande entreprise de fabrication de voitures et que vous concevez un moteur, vous pouvez soit être en parfaite conformité avec la loi, au détriment de vos clients, soit ne pas être entièrement conforme à la loi, en faisant quelque chose qui, selon vous, représente un meilleur trade-off.
Le problème est que lorsque l’on brouille les frontières, les choses deviennent progressives. Les régulateurs commencent avec le virtue signaling originel, puis les entreprises automobiles peuvent redoubler d’efforts dans ce jeu. Elles font de la publicité et s’engagent dans un mécanisme d’enchères, en soumettant une offre encore plus élevée que celle déjà proposée par le régulateur.
Les gens se retrouvent alors confrontés à des contraintes impossibles car cela dépasse ce que la technologie peut réellement offrir. De plus, si les réglementations vont trop loin, vous vous retrouvez dans une situation où les gens n’ont d’autre choix que de dévier un peu ou de prendre une marge de manœuvre par rapport à la formulation initiale. Tout devient flou, et c’est là le danger. Si votre organisation se retrouve avec des personnes qui, par inadvertance, ont une très faible intégrité, vous avez tous les ingrédients parfaits pour un désastre comme le scandale du dieselgate.
Vous avez des réglementations qui sont extrêmement strictes au point d’être irréalistes. Vous avez des préoccupations réelles qui ne sont pas prises en compte. Si vous les prenez en considération, les régulateurs ne vous rétribuent pas. Vous avez alors des personnes qui savent qu’elles doivent gérer tous ces compromis “sous le capot.” Ensuite, vous avez des personnes de faible intégrité qui trouvent des excuses intellectuelles parfaites pour se mentir à elles-mêmes, en se disant, “Eh bien, vous savez quoi, je mens, je triche, mais c’est pour le bien commun parce que tout est un peu flou et foutu, donc ça va.”
Et puis, cela prend des proportions semblables au diesel gate, où il y avait littéralement des personnes qui ont orchestré la tricherie et qui mentaient ouvertement au public à grande échelle, et c’était vraiment, vraiment mauvais. Je ne considère pas cela comme un incident isolé. Il s’agissait d’une série de personnes démunies moralement qui jouaient à ces jeux de virtue signaling, ce qui était néfaste. Il y avait toute une série de personnes jouant à ces jeux jusqu’à atteindre un point où l’on se retrouvait avec des personnes de faible intégrité, disposant des ingrédients parfaits pour faire des choses très, très mauvaises en toute impunité pendant très longtemps. Évidemment, aujourd’hui, les choses ont été dévoilées. La justice sera probablement rendue, mais bien longtemps après le problème. Et nous faisons encore face aux retombées du diesel gate, qui étaient assez graves.
Conor Doherty : Certains diraient que cela démontre en quelque sorte la pensée “blue sky” derrière le virtue signaling, car c’est facile quand tout va bien. Mais dès qu’il y a un compromis d’un point de vue commercial entre “voici les nouvelles réglementations” et “si nous voulons les respecter, nous devons vendre moins de voitures”, ils opteront pour leur résultat net. Cela ne démontre-t-il pas à quel point ce concept entier est délicat ou fragile ?
Joannes Vermorel : Encore une fois, des vertus d’entreprise qui vont à l’encontre du résultat net indiquent probablement qu’il y a un problème. Si vous regardez les véritables vertus d’entreprise, elles ne peuvent vraiment pas aller à l’encontre du résultat net. Vos intérêts à long terme pour votre entreprise sont alignés avec ceux de la société. Prenez IKEA, par exemple. Ils n’ont pas attendu les réglementations pour commencer à replanter des arbres. Lorsqu’ils abattaient des forêts pour fabriquer leurs meubles, ils faisaient preuve de préoccupation pour la durabilité. Est-ce qu’IKEA éliminerait toutes les forêts en Europe ? Non, car ils replantaient des arbres depuis très longtemps. Ils savent que s’ils veulent continuer à fonctionner dans 20, 30, 50 ans, une forêt qu’ils abattent aujourd’hui doit être replantée. Cela semble basique, mais c’est dans leur intérêt.
Conor Doherty : Mais cela ne réalise-t-il pas deux choses ? Cela relève de l’intérêt personnel, tout en contribuant également au bien commun. Joannes Vermorel: Oui, je dirais que les situations où les intérêts à long terme de l’entreprise et du public en général divergent sont rares. Je crois que c’est le témoignage du type de cadre dont nous disposons actuellement, qui permet à notre civilisation industrielle de fonctionner. Nous avons réussi à relever le défi d’harmoniser les intérêts des entreprises et de la société. C’est une idée qui est apparue en Angleterre et en Écosse il y a deux ou trois siècles. La Richesse des Nations d’Adam Smith postule que les intérêts égoïstes peuvent, dans le bon cadre, coïncider avec l’intérêt à long terme de la société. Lorsque ce n’est pas le cas, eh bien, il faut ajuster la réglementation. C’est pourquoi ces réglementations sont très empiriques et expéditives. Parfois, il faut inventer de nouvelles choses.
Par exemple, au début du XXe siècle aux États-Unis, ils ont inventé l’idée du recours collectif. Que se passerait-il si une entreprise faisait quelque chose de mal qui impacte des millions de personnes, mais juste un peu, de sorte que personne ne souhaite engager des poursuites parce que les dommages sont minimes ? C’était un principe de justice clarifié il y a plus de deux millénaires par les Romains : si vous causez un dommage, vous devez payer réparation. Mais que se passerait-il si vous causiez un tout petit dommage à des millions de personnes ? Personne n’a la motivation nécessaire pour vous poursuivre, car la réparation que cette personne obtiendrait serait très faible. Ce que les États-Unis ont fait, c’est inventer un nouveau mécanisme : le recours collectif. Les gens peuvent se regrouper afin d’agréger les dommages, et ainsi poursuivre une entreprise pour des dommages qui seraient autrement très diffus.
Donc, de mon point de vue, faire en sorte que les bénéfices à long terme d’une entreprise coïncident avec l’intérêt à long terme de la société n’est pas acquis, mais ce n’est pas non plus un accident. Cela peut diverger, mais le fait que nous ayons majoritairement quelque chose qui tend à coïncider globalement s’explique par le fait qu’il a fallu littéralement des siècles pour peaufiner les cadres. C’est un travail en cours. Il y aura toujours des entreprises qui découvriront de nouvelles façons d’abuser du cadre. Il faut penser, non pas forcément à de nouvelles réglementations, mais parfois même à de nouveaux mécanismes judiciaires comme le recours collectif. Il faut un tout autre type de mécanisme de justice pour traiter le problème.
Conor Doherty: Eh bien, d’après ce que je comprends, et tout comme vous n’êtes pas chimiste, je ne suis pas avocat. Ma compréhension du droit français est qu’il évolue également pour refléter le fait que le greenwashing devient beaucoup plus courant parmi les entreprises. Mais la plupart des sanctions attribuées actuellement relèvent simplement de la publicité mensongère, car il n’existe rien dans la législation pour refléter véritablement la classe de problèmes dont nous discutons ici.
Joannes Vermorel: C’est très intéressant parce que la France adopte une approche très différente de la liberté d’expression par rapport, disons, aux États-Unis. D’abord, nous jouissons de beaucoup moins de liberté d’expression. Nous n’avons pas le Premier Amendement. Cela ne signifie pas que la France est un État totalitaire où il n’existe aucune liberté d’expression, bien au contraire. Mais clairement, sur ce spectre de pays, la France n’appartient pas au premier rang. Elle se situe probablement au deuxième rang. Un aspect clé ici est l’interprétation différente du droit à la libre expression, qui, aux États-Unis, inclut le droit d’être mal informé, et même le droit de mentir. Bien que le droit français soit en grande partie d’accord avec cela, il diverge considérablement lorsqu’il s’agit de la protection des consommateurs. Il existe ici un corpus juridique spécifiquement destiné à protéger les consommateurs, même contre leur propre ignorance ou leur crédulité.
Conor Doherty: Pourriez-vous nous donner un exemple de la manière dont cela fonctionne ?
Joannes Vermorel: Un cas intéressant s’est produit il y a environ quinze ans. Un fournisseur d’accès à Internet faisait de la publicité pour des connexions Internet « unlimited ». Cependant, si un utilisateur dépassait une certaine quantité de données, sa vitesse était limitée. Il y avait environ 20 plaignants. Le tribunal a jugé que l’entreprise avait menti aux clients et devait donc leur verser des dommages-intérêts à la plupart d’entre eux. Cependant, l’un des plaignants était ingénieur. Le tribunal a décidé qu’il aurait dû mieux savoir, et n’avait donc pas droit à compensation.
La loi française comporte également des réglementations spécifiques concernant les contrats. Le concept de « consentement éclairé » est crucial. Le juge a le pouvoir de déclarer certaines clauses d’un contrat nulles s’il estime qu’une partie ne les a pas comprises pleinement. Cela peut conduire à des décisions intéressantes, comme lorsque le juge déclare : “Vous êtes une personne très stupide et vous ne comprenez pas ce qui figure dans ce contrat que vous venez de signer, donc ces clauses sont nulles.”
Ce qui constitue un mensonge en France dépend également de la capacité des gens à percevoir le mensonge ou non. Par exemple, une entreprise qui vendait des billets de loterie avait une publicité indiquant « 100% des gagnants de la loterie ont acheté des billets de loterie. » Bien que cela soit factuellement vrai, cela a été jugé trompeur car cela pouvait être interprété comme signifiant que tous ceux qui achètent un billet gagneront. C’est pourquoi je dis que la France entretient une relation particulière avec la liberté d’expression. Elle est assez différente de la perspective nord-américaine.
Conor Doherty: Intéressant. Alors, comment nos spectateurs, en particulier ceux qui ne sont pas bien versés dans ces questions, peuvent-ils identifier le greenwashing ou le virtue signaling par rapport à des initiatives réellement sincères, notamment dans les supply chains ?
Joannes Vermorel: Dans les supply chains, méfiez-vous des entreprises qui se placent soudainement sur un piédestal moral, surtout si elles promeuvent des vertus qui étaient absentes auparavant. Si quelqu’un déclare, “Maintenant nous sommes une entreprise durable”, mettez-le en question. Demandez-lui s’il était insoutenable auparavant. Le plus souvent, leurs prédécesseurs ne poursuivaient pas intentionnellement des objectifs mal orientés et insoutenables. S’il n’y a aucune raison valable de s’inquiéter de leurs pratiques passées, il y a de fortes chances que les nouvelles revendications ne soient que du théâtre ou des jeux politiques. Ce genre de comportement peut perturber des choses qui fonctionnent réellement dans la supply chain.
Conor Doherty: Donc, la stabilité de la supply chain est cruciale.
Joannes Vermorel: Soyez sceptiques à l’égard de ceux qui se placent sur un piédestal moral, en particulier s’ils prônent des vertus qu’ils ne pratiquaient pas auparavant. Par exemple, si quelqu’un affirme que son entreprise est désormais durable, demandez s’il était insoutenable avant. Est-ce que leurs prédécesseurs poursuivaient des objectifs insoutenables ? Parfois, cela peut être vrai ; les grandes entreprises peuvent avoir des divisions problématiques. Mais, le plus souvent, ce n’est que du théâtre. Si l’inverse de ce qu’ils promeuvent n’était pas une véritable source d’inquiétude auparavant, il y a de fortes chances qu’ils jouent à des jeux politiques. Des changements perturbateurs pourraient en réalité nuire aux supply chains fonctionnelles. Les gens oublient souvent à quel point il est difficile de faire fonctionner des supply chains à grande échelle, comme en témoignent les perturbations causées par les confinements. Ces supply chains apportent une immense valeur et fournissent des produits à une fraction du coût qu’ils coûtaient il y a 50 ans.
Par exemple, lorsque mes parents ont commencé leur carrière chez Procter and Gamble, ils m’ont dit qu’en tant que jeunes cadres rejoignant une entreprise nord-américaine très aisée à Paris et percevant des salaires élevés, ils devaient dépenser l’intégralité de leur premier mois de salaire rien que pour acheter leurs costumes. De nos jours, si vous êtes quelqu’un à Paris qui gagne un salaire décent, avec votre premier mois de salaire, vous pouvez acheter non pas un seul costume, mais environ 20.
Lorsque ils ont eu leur premier enfant, qui était moi, ils voulaient acheter une poussette. À l’époque, c’était tout simplement trop cher pour eux, alors ils ont acheté une poussette d’occasion. Aujourd’hui, on penserait qu’une poussette est quelque chose que l’on pourrait acheter chez Walmart pour probablement moins de 100 $. C’est bon marché. Ce n’est pas quelque chose que les personnes du top six pour cent d’un pays raisonnablement prospère auraient besoin d’acheter d’occasion.
Le fait que des produits comme les poussettes soient si bon marché qu’aujourd’hui même une personne gagnant le salaire minimum pourrait s’en offrir une neuve témoigne de l’efficacité des supply chains parfaitement huilées qui accomplissent des choses incroyables, telles que l’assemblage, l’emballage, l’expédition et la livraison de produits complexes nécessitant des matériaux venus du monde entier à un coût très bas. Cela ne s’explique pas uniquement par une main-d’œuvre bon marché quelque part dans le monde. Il faut beaucoup d’automatisation et un processus hautement automatisé et fiable sur l’ensemble de la chaîne. Sinon, ces produits seraient très chers, même s’ils étaient fabriqués dans un pays au coût de production extrêmement bas.
Les supply chains, malgré leur excellente performance dans des tâches difficiles, sont fragiles face à certains problèmes. Certains problèmes peuvent être externes, comme les confinements ou les catastrophes naturelles. Cependant, le virtue signaling peut créer de mini catastrophes auto-infligées. Contrairement aux catastrophes externes sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle, le virtue signaling, s’il est dénoncé dès le début comme du théâtre présentant un risque et ne devant pas être récompensé, peut éliminer ces mini catastrophes potentielles qui risquent de survenir si de tels jeux sont autorisés à se poursuivre dans votre entreprise.
Conor Doherty: Alors que nous commençons à conclure, j’ai une dernière question. Nous avons commencé par la philosophie, fermons avec la philosophie. Pourquoi pensez-vous que certains consommateurs se tournent vers les entreprises et les supply chains pour obtenir des repères moraux ? Personnellement, je ne me fie pas particulièrement aux musiciens ou aux acteurs pour obtenir des repères ou des conseils moraux, ni ne les considère comme des exemples de vertu morale. Pourquoi les gens attendent-ils un comportement aussi moral de la part d’énormes entreprises motivées par le profit ?
Joannes Vermorel: Cela fait partie du cadre qui incite les entreprises motivées par le profit à faire ce qui est juste. Si les entreprises font des choses choquantes, cela nuit à leur image de marque. Les grandes entreprises en sont terrifiées et font tout ce qu’elles peuvent pour empêcher que des subdivisions déviantes ne nuisent à l’ensemble de l’organisation. C’est l’une de leurs pires craintes. En tant que consommateurs, nous attendons des entreprises qu’elles se comportent bien et qu’elles récompensent celles que nous percevons comme bien se comportant en leur restant fidèles.
Certains pourraient prétendre que certaines entreprises ne font que feindre de bien se comporter pour paraître meilleures, mais la réalité est qu’exécuter de telles mises en scène à grande échelle est très difficile. Au final, la seule façon de tenir ce que vous promettez est de le faire réellement. Par exemple, McDonald’s pourrait prétendre ne pas empoisonner les gens, mais si les statistiques montraient le contraire, il ne faudrait pas longtemps pour que la vérité éclate. En conclusion, bien qu’il soit raisonnable d’attendre des entreprises qu’elles se comportent de manière éthique, elles ne devraient pas abuser du jeu du virtue signaling. C’est un jeu dangereux, et il est très difficile, voire impossible, de surpasser ses pairs uniquement sur la base des vertus.
Conor Doherty: Sur ce, je vais conclure. Joannes, merci beaucoup pour votre temps. J’ai beaucoup apprécié notre balade autour de l’Agora. Et merci infiniment de nous avoir regardés. On se retrouve la prochaine fois.