00:00:07 Introduction de l’épisode sur le marché des ERP et présentation de Fabien Pinkaers, le CEO et fondateur d’Odoo.
00:00:36 Brève introduction de Fabien Pinkaers.
00:01:08 Le problème des petites et moyennes entreprises qui manquent de ressources pour gérer leurs processus internes.
00:01:50 Le faible taux de petites et moyennes entreprises équipées de logiciels de gestion intégrée malgré les milliards de dollars investis par des entreprises comme Microsoft et SAP.
00:03:35 Le marché des ERP est devenu stagnant et n’a pas su bénéficier du même degré d’innovation constaté dans d’autres domaines, tels que les applications grand public B2C.
00:08:58 Discussion sur le coût de l’abonnement et des services.
00:09:26 Discussion sur le fait que le côté service soit deux à trois fois plus coûteux que la commande.
00:09:58 Discussion sur la diminution du prix du service en fonction de la taille et de la complexité du projet.
00:12:34 Discussion sur le coût des systèmes ERP et leurs limitations.
00:15:06 Discussion sur l’expérience utilisateur des systèmes ERP et leur tendance à stagner après 20 ans.
00:17:48 Discussion sur une entreprise qui a raté l’évolution des logiciels d’entreprise en se concentrant trop sur l’intégration de l’ERP, des ventes, des achats, de la comptabilité, de la production et des stocks et en ne s’étendant pas à des domaines modernes tels que le marketing social, le point de vente, etc.
00:21:06 Refus des acquisitions, mise en avant de la construction et du maintien de la culture d’entreprise pour éviter la malédiction des ERP.
00:22:58 Importance de dire non aux nouvelles technologies, aux opportunités commerciales susceptibles de détourner l’attention de l’entreprise de la construction d’un meilleur produit.
00:25:57 Hiérarchie plus plate dans la structure de l’entreprise avec des responsabilités distribuées.
00:26:12 Discussion sur la structure de l’entreprise avec des responsabilités distribuées au lieu d’être centralisées par les managers intermédiaires.
00:27:46 Changements de nom de l’entreprise au fil des années.
00:28:23 Explication de pourquoi le nom Tiny ERP n’était pas adapté au marché américain.
00:28:52 Explication de pourquoi le nom Open ERP n’était pas non plus adapté pour l’entreprise.
00:29:00 Explication de pourquoi l’entreprise a choisi le nom Odoo.

Résumé

L’épisode de lokad TV présente une interview avec Fabien Pinkaers, CEO et fondateur d’Odoo, et Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, qui abordent la stagnation du ERP et le besoin de solutions abordables et agiles pour les petites entreprises. Les deux experts soulignent les défis liés à la fourniture de solutions efficaces pour les petites entreprises en raison de la complexité du problème et de la nécessité de systèmes plus flexibles et innovants. Ils discutent également des inconvénients des acquisitions dans le marché des ERP et partagent leurs stratégies pour maintenir la croissance et l’innovation. Fabien explique l’organisation atypique d’Odoo, qui présente une hiérarchie plus plate, ainsi que les erreurs commises dans le choix des noms de l’entreprise par le passé.

Résumé Étendu

Dans cet épisode de lokad TV, l’animatrice Nicole Zint interviewe Fabien Pinkaers, CEO et fondateur d’Odoo, et Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, à propos du développement et de la stagnation du marché des ERP. Ils discutent de la manière dont les plus petites entreprises manquent souvent des ressources nécessaires pour gérer efficacement leurs processus internes et comment le marché des ERP a peiné à fournir des solutions abordables et agiles pour ces entreprises.

Fabien Pinkaers a lancé Odoo pour répondre au besoin de meilleurs outils pour les petites et moyennes entreprises, dans le but d’améliorer leur productivité et leur efficacité. Malgré les milliards de dollars investis par des acteurs majeurs tels que Microsoft et SAP, seulement environ 15 % des petites et moyennes entreprises utilisent des logiciels de gestion intégrée, et beaucoup sont insatisfaits de leurs options.

Joannes Vermorel estime que le marché des ERP est devenu stagnant, avec moins d’innovation que dans d’autres secteurs. Il suggère que cela est en partie dû à la complexité du problème, ainsi qu’au besoin de solutions plus agiles et flexibles pour les petites entreprises. Il souligne également que le logiciel devrait être appelé “Enterprise Resource Management” plutôt que “Enterprise Resource Planning” afin de mieux refléter sa fonction principale.

Fabien et Joannes conviennent que les petites entreprises ont beaucoup des mêmes besoins que les grandes sociétés, mais avec des budgets plus restreints et moins de temps à consacrer. Fabien considère le problème comme un défi technique plutôt qu’un défi de mise sur le marché, car il est difficile de créer une solution à la fois simple et abordable pour ces entreprises.

En établissant des parallèles entre Odoo et Lokad, Joannes affirme que les deux entreprises opèrent dans des domaines spécifiques (ERP pour Odoo et l’optimization de la supply chain pour Lokad) et font face à des défis techniques similaires pour fournir des solutions efficaces aux petites entreprises. Fabien, fondateur technique, estime que son expérience en tant que développeur a été cruciale pour relever ces défis.

Comparant les coûts des systèmes ERP, Fabien indique que les frais d’abonnement d’Odoo sont environ 10 fois moins chers que ceux des autres grands acteurs. Bien que le coût des services puisse être plus proche de celui des concurrents pour des projets plus simples, les prix d’Odoo sont nettement inférieurs pour des projets plus complexes.

L’interview explore les défis et la stagnation du marché des ERP, où les petites et moyennes entreprises peinent à trouver des solutions abordables, agiles et efficaces. Odoo comme Lokad s’efforcent de relever ces défis et d’apporter l’innovation tant attendue dans leurs secteurs respectifs.

Vermorel explique comment certaines entreprises du marché des ERP sont devenues stagnantes en raison de la structure et de la conception de leur technologie. Il souligne l’importance de prendre en compte les coûts réels impliqués, y compris ceux liés à l’utilisation d’une base de données relationnelle coûteuse comme Oracle, ainsi que les effets en cascade sur l’interface utilisateur et la productivité. Vermorel estime que les entreprises innovantes du marché des ERP doivent trouver des moyens de surmonter ces contraintes et de concevoir des systèmes plus légers et plus efficaces.

Pinkaers est d’accord, ajoutant que le coût d’un système ERP est directement lié à ses capacités, ou à leur absence. Il suggère que si un logiciel peut couvrir un large éventail de fonctionnalités de manière standardisée, il peut contribuer à maintenir les coûts bas. Vermorel et Pinkaers constatent tous deux un schéma de stagnation chez les grands géants de la tech dans le marché des ERP, où l’expérience utilisateur a tendance à stagner après environ 20 ans. Vermorel attribue cela au fait que les entreprises deviennent trop grandes et perdent de vue leur produit principal, tandis que Pinkaers note que de nombreux ERP traditionnels n’ont pas réussi à évoluer pour répondre aux besoins modernes, tels que le le e-commerce et l’orientation client.

Les deux experts abordent également les défis et les inconvénients des acquisitions dans le marché des ERP. Vermorel explique que les acquisitions conduisent souvent à une pile technologique distincte qui ne correspond pas à celle existante, entraînant un décalage et des difficultés à résoudre les problèmes. Pinkaers convient, déclarant que les produits les plus réussis dans le domaine enterprise software sont généralement ceux qui ont connu une croissance organique plutôt que par acquisitions. Quant à l’approche d’Odoo, Pinkaers insiste sur le fait que l’entreprise se concentre sur le développement de ses propres produits plutôt que sur l’acquisition d’autres, qu’il juge être la seule façon d’atteindre la simplicité et l’abordabilité dont les PME ont besoin.

Les deux fondateurs discutent de leurs stratégies pour maintenir la croissance et l’innovation tout en évitant la stagnation souvent associée aux logiciels d’enterprise resource planning (ERP).

Pinkaers souligne que l’orientation à long terme d’Odoo et son statut privé permettent à l’entreprise de privilégier le développement de produits par rapport aux résultats trimestriels. Il estime que maintenir une culture d’entreprise forte et savoir dire non aux distractions, telles que les acquisitions inutiles ou les opportunités commerciales, est essentiel pour rester concentré sur la création de meilleurs produits. Pinkaers ajoute également que les meilleurs managers savent ce qu’il ne faut pas faire et où se concentrer, en gardant une vision claire pour l’entreprise.

Vermorel convient que dire non peut être difficile, mais est nécessaire pour réussir à long terme. Il partage un exemple tiré de l’expérience de Lokad lors de l’intégration de TensorFlow, une bibliothèque populaire de deep learning de Google. Bien que TensorFlow soit un excellent produit, il ne s’alignait pas bien avec la pile technologique existante de Lokad, ce qui les a conduits à développer leur propre solution à la place.

Pinkaers explique la structure organisationnelle atypique d’Odoo, qui présente une hiérarchie plus plate que celle des entreprises traditionnelles. Au lieu de promouvoir les développeurs performants à des postes de direction, Odoo leur permet de continuer à faire leur travail tout en distribuant les responsabilités de gestion au sein de l’équipe. Cette approche permet aux développeurs de conserver leur expertise et contribue à une organisation plus efficace.

Nicole Zint demande ensuite à propos des changements de nom d’Odoo au fil des ans. L’entreprise a commencé sous le nom de Tiny ERP, est passée par OpenERP, et a finalement adopté le nom Odoo. Fabien admet avoir fait des erreurs en choisissant des noms ayant des significations spécifiques, ce qui a conduit à la nécessité de ces changements. Tiny ERP n’était pas adapté pour pénétrer le marché américain, car il ne véhiculait pas l’image souhaitée d’une entreprise “grande”. OpenERP n’était pas non plus idéal, car l’entreprise ne voulait pas être comparée aux systèmes ERP traditionnels et complexes. Odoo souhaitait se positionner davantage comme une suite d’applications d’entreprise pouvant être utilisées individuellement ou ensemble.

Afin d’éviter de répéter la même erreur trois fois, Fabien a choisi le nom Odoo, qui n’a pas de signification précise. Cela permet à l’entreprise de construire sa marque autour de son approche innovante et de ses offres uniques, sans être limitée par des idées préconçues attachées à un nom particulier.

Vers la fin de l’interview, Nicole remercie Fabien pour ses éclairages sur l’approche de gestion d’Odoo et pour avoir discuté du marché des ERP.

Transcription complète

Nicole Zint: Bonjour et bienvenue dans l’épisode d’aujourd’hui sur Lokad TV, “Dépoussiérer le marché des ERP”. Nous allons explorer comment le marché des ERP s’est développé au cours des dernières décennies, mais aussi comment il a stagné. Nous avons la chance d’être rejoints par FabienPinkaers, le CEO et fondateur d’Odoo, l’une des rares licornes d’Europe basée en Belgique. Fabian, pourriez-vous nous donner une brève introduction de vous-même ?

Fabien Pinkaers: Bonjour à tous. Je suis Fabian, le fondateur et CEO d’Odoo. J’ai lancé l’entreprise il y a quelques années, et nous sommes désormais près de 2 000 personnes. Mon parcours est fondamentalement très simple : j’ai uniquement fait Odoo.

Nicole Zint: Fabian, lorsque vous avez fondé Odoo en 2005, il y avait, et il y a toujours, un problème persistant : les plus petites entreprises manquent de ressources pour obtenir les outils d’entreprise dont elles ont besoin pour gérer leurs processus internes. Comment aviez-vous prévu d’aborder ce paysage concurrentiel à l’époque ?

Fabien Pinkaers: Il est évident que nous avons commencé avec le sentiment que les petites et moyennes entreprises ne disposent pas des bons outils. Elles ont encore beaucoup de tâches administratives, des tâches répétitives, elles sont débordées par les e-mails, et elles n’ont pas accès à l’information. En somme, elles n’ont vraiment pas les bons outils, et cela nuit aux personnes. Quand on n’a pas les bons outils, toute l’organisation devient totalement inefficace. Nous voulions remédier à cela, mais c’est un problème très complexe. Cela a pris des décennies, et ce n’est pas fini. Nous avons commencé avec ce principe qu’il y a du travail à faire. Il ne s’agit pas seulement de gérer le processus d’entreprise comme le ERP traditionnel, mais aussi d’apporter des outils de productivité aux employés et aux utilisateurs pour véritablement changer l’efficacité des entreprises.

Nicole Zint: C’est très intéressant. Nous constatons désormais qu’environ 15 % seulement des petites et moyennes entreprises sont équipées de logiciels de gestion intégrée, mais la plupart sont insatisfaites de ce qu’elles ont. Microsoft et SAP ont investi des milliards de dollars dans le marché des PME, et pourtant ils ont échoué. Joannes, qu’en pensez-vous ?

Joannes Vermorel: C’est une question complexe. D’abord, Microsoft ne dispose pas d’une seule solution dans ce domaine ; ils en ont plutôt quatre sous la bannière de Microsoft Dynamics AX. Ils ont en réalité compilé une série de produits, et c’est l’un de ces rares domaines où Microsoft a surtout crû par acquisition, ce qui est assez inhabituel pour cette entreprise. En définitive, je pense que c’est très difficile, étonnamment difficile. Ma propre perception du marché était que certaines entreprises abordaient le problème, et encore une fois, ERP est un peu un terme inapproprié. Il aurait fallu parler d’ERM, Enterprise Resource Management, car la planification est vraiment une préoccupation secondaire ; ce n’est pas la principale préoccupation de ce type de logiciel. Il y avait probablement une très grande entreprise allemande à succès qui était parvenue à devenir super grande dans ce segment, et il y en avait quelques autres qui étaient devenues grandes, mais ce que j’ai vu, c’est que…

Nicole Zint: Après cela, je dirais qu’après une traction initiale dans les années 80 et 90, le domaine est devenu quelque peu stagnant. Il n’a pas bénéficié du même degré d’innovation qui était très perceptible, par exemple, dans d’autres domaines tels que les applications grand public B2C ou des applications lifestyle qui ont vraiment connu une série de percées. Je dirais que les ERP ont subi beaucoup de révolutions, mais dans l’ensemble, cela a été bien plus lent. Fabien, êtes-vous d’accord avec ce que Joannes dit à propos de cette évolution des systèmes ERP devenant plus stagnants, ou du marché devenant plus stagnant dans les solutions qu’ils offrent ?

Fabien Pinkaers: Ouais, je suis tout à fait d’accord. Je reconnais que malgré le fait que les acteurs clés aient investi des milliards pour atteindre le marché des petites et moyennes entreprises, le taux d’adoption est très faible. La raison principale, pour moi, est qu’il y a une grande complexité chez ces entreprises. Elles ont beaucoup de besoins : elles ont besoin de comptabilité, de fabrication, de stocks, elles ont un site web, elles ont besoin de fournitures, elles disposent d’une supply chain, elles travaillent dans différents pays. Fondamentalement, elles ont les mêmes besoins que les grandes entreprises, sauf qu’elles nécessitent plus d’agilité. Ce n’est pas seulement une question de gestion des processus ; elles ont besoin d’une solution qui soit flexible et agile. De surcroît, elles ne disposent pas du budget ni du temps dont bénéficient les grandes entreprises. Cela rend les choses très complexes. J’avais l’habitude de dire que nous n’avons pas de concurrence parce que ce que nous essayons de faire, c’est résoudre quelque chose que personne n’a réussi à résoudre. C’est plus un défi technique qu’un défi lié à la mise sur le marché. La complexité réside dans le fait de fournir tout ce dont elles ont besoin tout en rendant cela simple et abordable.

Joannes Vermorel: D’ailleurs, je me retrouve vraiment dans ce problème car, bien que le succès de Lokad ne représente qu’une infime partie du succès d’Odoo, j’ai été confronté à la gestion de supply chains avec exactement le même genre de problèmes. L’optimisation de la supply chain n’est pas fondamentalement très différente pour les petites entreprises. Elles conservent tous les schémas statistiques, la saisonnalité, et des contraintes telles que l’espace de rayonnage ou les quantités minimales de commande imposées par les fournisseurs. Ces contraintes existent, que vous soyez petit ou grand. Le genre de problème auquel Lokad a fait face était, comme vous l’avez souligné, un problème très technique qui n’avait pas encore trouvé de solution sur le marché. La plupart du temps, j’ai l’impression que la majorité des problèmes que nous abordons ont été à peine effleurés par quiconque sur le marché.

Nicole Zint: Je pense qu’il y a pas mal de potentiel d’innovation dans ce domaine, alors.

Nicole Zint: Quelles similitudes peut-on relever entre Odoo et Lokad, en dehors du fait que l’un est plus grand que l’autre ? Dans le marché des ERP, Odoo est quelque peu similaire à Lokad dans le marché des solutions supply chain, dans le sens où ils abordent les choses différemment et n’ont pas de concurrents directs.

Joannes Vermorel: Plus que les différences, je pense que le style des fondateurs joue un rôle. Corrigez-moi si je me trompe, mais toi, Fabien, es aussi un fondateur assez technique, ce qui, je pense, a contribué à faire fonctionner quelque chose.

Fabien Pinkaers: Oui, je suis développeur, donc je suis très technique. C’est important car c’est un défi technique. Ce n’est pas un défi que l’on peut résoudre en investissant des millions ou avec du marketing, sinon d’autres y seraient parvenus. La raison pour laquelle personne n’a réussi, c’est que c’est techniquement extrêmement complexe.

Nicole Zint: Est-ce que je comprends bien que l’intégration moyenne d’un ERP peut coûter environ quarante mille dollars ? Si l’on compare cela à Odoo, qui parvient à réaliser la même chose pour à peine quatre mille dollars, cela en fait l’entreprise leader, notamment dans les pays en développement.

Fabien Pinkaers: Pour comparer le prix, il faut regarder le prix du service et le prix de l’abonnement. Pour l’abonnement, les chiffres sont bien connus. Nous sommes entre 6 et 18 euros selon les pays, tandis que la moyenne des autres ERP des acteurs clés avoisine les 180 euros par utilisateur et par mois. Nous sommes donc environ 10 fois moins chers que les autres. Bien sûr, ils offrent parfois des remises, mais cela reste un ordre de grandeur inférieur. Du côté du service, je dirais que nous sommes plus proches de deux ou trois fois le prix des autres, mais cela augmente très rapidement en fonction de la complexité du projet.

Si le projet est simple, comme un CRM ou un logiciel de comptabilité, je dirais que nos services sont légèrement comparables à ceux des autres. Mais dès que vous avez besoin de plus d’applications, les autres atteignent rapidement leurs limites, nécessitant l’intégration avec différents logiciels pour le point de vente, le le e-commerce ou le marketing social, qui ne font généralement pas partie de l’ERP. Leur budget explose, alors que toutes ces fonctionnalités sont standard avec Odoo. Au fur et à mesure que le projet devient un peu plus grand ou complexe, le prix du service diminue massivement avec Odoo.

Et évidemment, selon qui propose le service, différentes entreprises adoptent des stratégies différentes. Certaines sont plus chères mais offrent des services plus personnalisés, tandis que d’autres sont plus abordables mais fournissent des services plus standards. Cela dépend également de votre méthodologie d’implémentation.

Nicole Zint: En parlant du coût élevé des systèmes ERP, par exemple, NetSuite a un coût très élevé, mais n’ont-ils pas également des coûts opérationnels très élevés en raison de la puissance de calcul massive dont ils ont besoin ? Donc, quand vous dites que vous avez quelque chose à un prix inférieur, comme c’est le cas avec Odoo, n’est-ce pas simplement une décision de tarification ?

Joannes Vermorel: C’est exact. Odoo n’est pas simplement moins cher parce qu’ils ont décidé que la licence serait à un prix inférieur. Ils sont même open source, donc techniquement, si vous voulez le faire fonctionner, vous pouvez télécharger le code et le lancer gratuitement. Mais il faut examiner les coûts réels impliqués, et selon la manière dont vous structurez votre technologie, vous vous retrouvez avec de nombreux coûts qui découlent de la conception même de votre tech.

Nicole Zint: Donc, par exemple, si vous partez sur une technologie où vous dépendez énormément d’une base de données relationnelle très coûteuse, comme une base de données Oracle, et que vous vous appuyez massivement sur ce produit, alors, par conception, vous vous retrouvez avec beaucoup de coûts. Mais ensuite, si de surcroît, votre conception antagonise légèrement votre couche de base de données et que vous avez besoin de davantage, vous encourez beaucoup de coûts. Nous pourrions continuer encore et encore. Par exemple, pour votre interface, toutes ces choses peuvent se répercuter, car si vous commencez avec quelque chose qui antagonise votre couche de base de données, alors peut-être allez-vous économiser sur votre interface utilisateur, si bien que vous vous retrouvez avec une interface qui présente certains problèmes que vous ne pouvez vraiment pas résoudre sans faire exploser votre budget de base de données. Vous vous retrouvez donc avec quelque chose qui a une productivité moindre et qui augmente à nouveau vos coûts. Mais cela, encore une fois, correspond au type de coûts diffus ; ce n’est pas aussi simple que de citer ce prix par utilisateur que Fabien mentionnait, et pourtant toutes ces choses s’accumulent.

Joannes Vermorel: Je crois que, du moins pour certaines entreprises, ce domaine est resté très stagnant en moyenne. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’exceptions, mais je pense que l’un des moteurs principaux des entreprises véritablement innovantes dans ce marché des ERP est de tenter de trouver des moyens, innovants, de revisiter toutes ces contraintes et d’en faire beaucoup plus. Donc, évidemment, vous ne voulez pas avoir au cœur de votre logiciel quelque chose comme une base de données Oracle. Cela ne va évidemment pas se produire avec NetSuite maintenant qu’ils ont été rachetés par Oracle. Mais plus que cela, il s’agit de concevoir quelque chose de très lean, où votre charge de travail ne dérape pas, afin de pouvoir garder tous ces coûts plutôt bas et même vous permettre de construire des interfaces utilisateur agréables pour les utilisateurs, qui se sentent bien, ce qui se traduit par une productivité et une agilité accrues. C’est, en quelque sorte, ma perception de la façon dont j’appréhende ce marché et du genre de moteur qui le fait fonctionner en termes de développement.

Fabien Pinkaers: Je suis tout à fait d’accord, et j’ajouterais que le coût, pour moi, est directement lié aux capacités ou aux incapacités du logiciel, car c’est à ce moment que le coût commence à augmenter. Lorsque le logiciel n’est pas capable de fournir certaines fonctionnalités, il faut alors intégrer différents logiciels, et les coûts augmentent rapidement. Mais si le logiciel peut tout couvrir en standard, vous pouvez garder vos coûts très bas.

Nicole Zint: Fabien, si nous observons comment les grands géants de la tech ont évolué au fil des ans dans le domaine des ERP, es-tu d’accord, Joannes, que nous constatons que leur expérience utilisateur stagne assez fortement après environ 20 ans, ce genre de malédiction de l’ERP ?

Joannes Vermorel: C’est quelque chose de très fascinant. J’ai régulièrement effectué des audits techniques dans le cadre de due diligence pour des capital-risqueurs. Je n’ai jamais accepté de financement VC pour Lokad, mais j’ai réussi à leur vendre des missions qui n’étaient que des audits techniques. Ce qui est intéressant, c’est que lorsque j’audite une startup, je peux généralement dater l’année de sa fondation rien qu’en regardant leur stack.

Nicole Zint: …et la manière dont ils abordent le problème est très intéressante. C’est comme si une entreprise établie en 2014 gelait en quelque sorte toutes ses pratiques et son stack technologique. Ce n’est pas toujours le cas, mais c’est souvent un schéma récurrent. Ce que je constate, c’est que certains fournisseurs très performants, à un moment donné, semblent abandonner ce que Fabien décrivait comme l’ambition d’avoir un très bon produit. Ils sont très innovants, et d’ailleurs, je crois, par exemple, que NetSuite innovait massivement autour des années 2000. Ils étaient probablement le premier ERP web à disposer d’une interface utilisateur web très accessible à l’époque, ce qui était vraiment révolutionnaire. De nos jours, avoir une interface web est quasiment acquis, ce n’est donc plus considéré comme un facteur de différenciation. La barre a changé. Mais ce que je constate, c’est que, si j’observe, et que je travaille avec NetSuite depuis plus d’une décennie maintenant, il y a très peu de différences entre le NetSuite d’il y a dix ans et celui d’aujourd’hui. Et cela arrive fréquemment pour de nombreux produits logiciels où, après deux décennies, ils finissent par stagner. Mon impression est que les gens passent à autre chose dans leur vie ou autre, et on se retrouve avec des produits assez stagnants. Fabien, es-tu d’accord avec cette idée que plus une entreprise grandit, plus elle a tendance à devenir moins automatisée et stagnante dans son développement également ?

Fabien Pinkaers: Oui, je suis d’accord. Je pense qu’Odoo est une exception parce que nous restons toujours très concentrés sur le produit. Mais je reconnais que c’est ce qui se passe. Si l’on regarde le marché il y a 10 à 20 ans, le défi à l’époque était de consolider sa comptabilité afin d’avoir des données financières correctes issues de différentes activités et d’organiser ses flux d’affaires. C’est là que se situent encore aujourd’hui les ERP traditionnels. Ils gèrent les flux d’affaires, ils consolident toutes les données de comptabilité financière de la fabrication, des stocks, etc., mais c’est tout. Ils ne se lancent pas dans le le e-commerce, ils ne sont pas centrés sur le client, ils sont centrés sur la comptabilité. Ils n’autorisent pas beaucoup d’agilité, tout est complexe, ils ne font pas des choses modernes comme le marketing social ou le point de vente. Clairement, ils ont raté une vague d’évolution. Je crois aussi que c’est parce qu’ils deviennent trop grands. Quand on devient trop grand, on a des couches intermédiaires de cadres moyens qui ne sont ni des développeurs experts ni des experts du produit, ce qui vous détourne de ce qui compte vraiment. Ce qu’ils ont bien fait au début, c’est d’intégrer l’ERP, d’intégrer les ventes, les achats, la comptabilité, la fabrication et les stocks, et ils se sont arrêtés là. Ils auraient pu aller plus loin et s’attaquer aux problématiques actuelles. Aujourd’hui, le marketing est important, le le e-commerce est important, le point de vente est super critique, mais ils se sont simplement arrêtés là. Le reste, ils le font par le biais d’acquisitions et d’intégrations avec des outils tiers, donc ils ont clairement raté une opportunité.

Joannes Vermorel: Le problème avec les acquisitions, c’est que les logiciels d’entreprise ne sont pas exactement miscibles. Lorsqu’une acquisition a lieu, vous vous retrouvez avec une pile technologique séparée, qui est légèrement mais systématiquement en décalage avec votre autre stack. Vous voyez, avoir un très bon produit, surtout dans le cas de logiciels d’entreprise où tout tourne autour de la gestion de la complexité, se résume souvent à être très cohérent dans tout ce que vous faites. Vous ne voulez pas avoir de surprises techniques partout, car cela va créer des problèmes.

Nicole Zint: Les points de douleur et les frictions peuvent être difficiles pour les ingénieurs logiciels, car ils peuvent tomber sur quelque chose d’inhabituel qui ne s’aligne pas avec le reste de leur stack. Pour l’interface utilisateur, cela peut également être déconcertant, car les utilisateurs sont habitués à une certaine manière de faire, et un élément étranger peut les déstabiliser. Lorsque vous avez des acquisitions, il peut y avoir un décalage généralisé. Il est difficile de résoudre ces problèmes pendant que le système fonctionne à pleine vitesse. Je crois que les produits les plus performants dans le domaine des logiciels d’entreprise résultent rarement d’un assemblage d’acquisitions. Le plus souvent, ce sont des produits magnifiquement conçus qui se développent de manière organique.

Nicole Zint: Fabien, quelle est ta vision des acquisitions pour Odoo à l’avenir ?

Fabien Pinkaers: Nous ne faisons pas d’acquisitions. Nous construisons, nous n’achetons pas. Pour atteindre le niveau de simplicité et d’accessibilité que les PME exigent, vous ne pouvez pas avoir une pile complexe et agrégée de différentes solutions. Vous devez avoir quelque chose de propre, construit dès le départ.

Nicole Zint: Mais j’avais l’impression que vous pouviez simplement acheter une startup blockchain et une startup IoT, les intégrer dans Odoo, et obtenir un ERP alimenté par la blockchain et l’IoT, voire même par la réalité virtuelle.

Fabien Pinkaers: Notre plan est de toujours penser à long terme. L’une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas cotés en bourse est que nous souhaitons continuer à nous concentrer sur le long terme, plutôt que sur les résultats trimestriels ou les ventes. Toute notre entreprise est guidée par la volonté de construire un meilleur produit et d’offrir un meilleur service. Nous faisons énormément pour maintenir notre culture d’entreprise et pour nous assurer que chacun reste focalisé sur la création d’un meilleur produit. Tant que je resterai concentré sur le produit, le reste de l’entreprise suivra. L’essentiel est de savoir dire non à beaucoup de choses, comme aux nouvelles technologies que nous pourrions acheter ou aux opportunités commerciales qui pourraient nous détourner de nos cibles principales. En étant concentrés et alignés, je crois que nous pouvons monter en puissance. Nous avons déjà atteint 2 000 personnes.

Nicole Zint: Joannes, de ton point de vue, es-tu confronté à des défis similaires à une échelle plus réduite ?

Nicole Zint: En effet, dire non à vos équipes peut être difficile. Parfois, on a l’impression que le reste de l’équipe prend du retard. Lorsque vous souhaitez vous lancer dans quelque chose de nouveau, il serait plus rapide à court terme de simplement coller ensemble une autre solution, mais c’est à court terme. Avec le temps, vous devez la maintenir, et cela pourrait ne pas être complètement aligné avec le reste de votre stack. Peux-tu donner un exemple d’une telle situation ?

Joannes Vermorel: Chez Lokad, à un moment donné, nous sommes passés au deep learning, et nous avons intégré TensorFlow, une excellente bibliothèque open source de deep learning de Google. Cependant, ce n’était pas aligné avec ce que nous avions construit. Finalement, nous avons dû abandonner TensorFlow et développer notre propre solution, ce qui a été un processus plus lent. Bien que notre solution puisse être inférieure à celle de Google, elle est plus intégrée, maintenable et agile au sein de notre stack technologique.

Nicole Zint: Je comprends que dire non et se concentrer sur des domaines spécifiques peut être difficile. Comment faites-vous pour motiver votre équipe à ne pas choisir la voie facile mais à opter pour un chemin plus gratifiant sur le long terme?

Fabien Pinkaers: Je pense que chaque manager sait quoi faire et a des idées, mais seuls les meilleurs savent quoi ne pas faire. Les meilleurs managers ont une vision globale claire et savent sur quoi se concentrer tout en évitant le reste. Cela permet à l’équipe d’aller plus loin dans les domaines sur lesquels elle se concentre.

Nicole Zint: Dans votre entreprise, vous n’avez pas une hiérarchie typique de managers au-dessus des managers, mais plutôt une structure horizontale où chacun a un impact et une responsabilité importants. Quelle était l’idée derrière cette structure d’entreprise atypique?

Fabien Pinkaers: Nous avons bien une hiérarchie, mais elle est plus plate que dans les entreprises traditionnelles. Au lieu de centraliser les responsabilités sur des managers intermédiaires, nous les distribuons. Par exemple, dans notre département R&D, lorsqu’un développeur est compétent, la plupart des entreprises le promeuvent à un poste de manager. Au départ, il peut être content, mais après quelques années, il finit par faire des tâches qu’il n’aime pas, comme gérer des personnes, planifier des budgets et recruter. Il perd également ses compétences en développement avec le temps. Nous ne faisons pas cela. Dans tous nos départements, les gens continuent de faire leur travail, et nous distribuons les responsabilités parmi de nombreux développeurs.

Nicole Zint: 80 % de leur temps est consacré au développement, ce qui leur permet de devenir des experts car ils peuvent le faire sur le long terme. Et 20 % du temps, ils se voient confier d’autres responsabilités. Certaines personnes sont responsables du recrutement, d’autres de l’accompagnement des nouveaux employés, de l’organisation de sessions de formation, ou de la gestion des spécifications et des tâches de test déjà effectuées. Au lieu d’avoir des managers intermédiaires avec toutes les responsabilités, nous n’avons que des personnes qui font les choses et excellent dans ces tâches, car elles les font sur le long terme. Nous distribuons les responsabilités entre différentes personnes, mais seulement pour une petite partie de leur temps.

Fabien Pinkaers: Oui, c’est exact.

Nicole Zint: Fabien, je dois te demander, Odoo a subi pas mal de changements de nom au fil des années. Nous avons commencé avec Tiny ERP, puis Open ERP, et maintenant Odoo. Quel est le prochain ? Quand cela se produira-t-il ? Je veux dire, ça a fonctionné - vous avez multiplié votre croissance par 10 à chaque fois que vous changiez de nom. Nous devinions donc que la prochaine fois que vous changeriez de nom, vous réaliseriez une autre croissance par 10.

Fabien Pinkaers: Maintenant, c’est plutôt que j’ai fait l’erreur deux fois de choisir un nom qui signifie quelque chose, donc je ne referai pas la même erreur trois fois. Odoo ne signifie rien. Au départ, Tiny ERP n’était pas très adapté pour pénétrer le marché américain parce qu’il est “tiny”, et en Amérique, il faut être grand. Ensuite, Open ERP n’était pas positif car nous ne voulons pas être comparés aux ERP traditionnels. Nous sommes davantage dans le domaine des business apps. Il y a plein d’entreprises qui utilisent Odoo uniquement pour la comptabilité, ou juste pour créer un site web ou un CRM. Et évidemment, si vous utilisez toutes les applications ensemble, vous avez un ERP, mais nous ne voulons pas être comparés aux systèmes ERP gonflés et complexes. C’était donc aussi un mauvais nom. Nous avons dû changer de nom, et comme j’ai fait l’erreur deux fois de sélectionner un nom qui signifie quelque chose, nous avons choisi un nom qui ne signifie rien pour l’entreprise, à savoir Odoo.

Nicole Zint: Bon, je vais devoir conclure ici, tout le monde, mais merci beaucoup, Fabien, de nous avoir rejoints aujourd’hui. C’est vraiment intéressant de discuter ensemble du marché des ERP et de constater comment Odoo a réellement challengé le statu quo qui existait initialement.