00:00:07 Introduction et parcours du professeur Bram Desmet.
00:01:43 Lier la stratégie, la finance et la supply chain pour optimiser les stocks.
00:03:25 Expliquer le triangle de la supply chain et son importance dans la création de valeur.
00:06:28 L’indépendance de la supply chain vis-à-vis du processus S&OP et son rôle dans la planification stratégique.
00:08:13 La supply chain en tant que challenger dans la planification stratégique et le processus S&OP.
00:09:02 Le rôle de la supply chain dans la planification stratégique et financière.
00:10:57 La responsabilité de la supply chain dans l’équilibre du triangle.
00:12:11 Les réflexions de Jonas sur le S&OP et son efficacité dans la prise de décision.
00:15:20 Les inconvénients du S&OP traditionnel et ses origines dans un monde pré-logiciel.
00:17:09 Le besoin d’une perspective plus quantitative et orientée stratégie dans le S&OP.
00:17:50 L’importance de la granularité dans les prévisions.
00:18:51 La création du Strategy-Driven Supply Chain Institute.
00:20:22 Les CEOs et CFOs n’investissent pas assez dans les processus et systèmes de planification.
00:22:00 L’objectif du Strategy-Driven Institute est d’améliorer les connaissances au sein des équipes dirigeantes.
00:24:01 La commoditisation des ERPs et la nécessité d’investir dans les capacités de la supply chain.
00:26:59 Les investissements dans les ERPs et leur lien avec la tenue de livres électronique.
00:29:14 Les entreprises sous-estiment la supply chain et son impact sur l’attraction des talents.
00:32:33 Le lien entre les tâches de base en gestion de la supply chain et le développement des talents pour des postes stratégiques.
00:33:18 La compréhension des stocks par la finance et leur lien avec l’impact sur le service et les coûts.
00:35:00 Le rôle du flux de trésorerie dans le remboursement des prêts et son impact sur le fonds de roulement et les investissements.

Résumé

Lors d’une interview, Bram Desmet et Joannes Vermorel abordent l’importance d’intégrer la stratégie, la supply chain et la finance pour obtenir un avantage concurrentiel en affaires. Ils insistent sur la nécessité d’équilibrer le triangle de la supply chain constitué du service, du coût et de la trésorerie, en critiquant le processus traditionnel de Sales & Operations Planning (S&OP) qui n’est pas suffisant pour atteindre cet équilibre. Desmet propose que supply chain management assume davantage les responsabilités de planification stratégique et financière, tandis que Vermorel appelle à tirer parti des logiciels et de l’automatisation pour améliorer la prise de décision. La discussion met en lumière la nécessité d’un changement de mentalité, considérant la gestion de la supply chain comme une fonction stratégique et non comme une simple tenue de livres.

Résumé Étendu

Dans cette interview, Nicole Zint, l’animatrice, s’entretient avec Joannes Vermorel, le fondateur de Lokad, et Bram Desmet, professeur, conférencier et fondateur du Strategy-Driven Supply Chain Institute. La discussion porte sur la manière dont la stratégie, la supply chain et la finance, lorsqu’elles sont correctement intégrées, peuvent offrir un avantage concurrentiel. Bram Desmet a écrit un nouveau livre sur ce sujet, intitulé “The Strategy Driven Supply Chain.”

Bram Desmet commence par se présenter brièvement, évoquant son parcours dans l’informatique, le conseil en supply chain, et son doctorat en optimisation de stocks. Il explique comment, en enseignant à la Vlerick Business School, il a commencé à analyser des questions telles que « De combien de stocks une entreprise a-t-elle réellement besoin ? », ce qui l’a amené à relier les domaines de la stratégie, de la finance et de la supply chain. Desmet estime que connecter ces domaines est crucial pour améliorer la performance financière d’une entreprise et réaliser sa stratégie. Il souligne qu’il est essentiel de rendre la supply chain plus orientée stratégie ou de rendre la stratégie plus axée sur la supply chain, notamment au vu des récents événements mondiaux comme la pandémie de COVID-19 et la guerre Ukraine-Russie.

Desmet explique brièvement le triangle de la supply chain, un concept abordé dans un épisode précédent. Le triangle met en évidence l’importance d’intégrer la stratégie, la finance et le supply chain management. Il souligne également la nécessité pour les organisations d’aligner ces aspects de leurs opérations afin de réussir.

Tout au long de l’interview, Desmet donne plusieurs exemples et comparaisons pour illustrer ses propos. Il mentionne que différentes stratégies peuvent conduire à des niveaux de stocks différents, en citant l’exemple d’Aldi et de Carrefour. Aldi, avec un assortiment plus réduit, aurait des niveaux de stocks plus faibles que Carrefour en raison de leurs stratégies différentes.

La conversation continue d’explorer l’importance du supply chain management dans le paysage actuel des affaires, où les disruptions peuvent engendrer d’importants problèmes pour les entreprises. Desmet soutient que les CEOs réalisent désormais qu’une supply chain fonctionnelle est vitale pour la prospérité de leur entreprise.

L’interview se concentre sur l’importance d’intégrer la stratégie, la supply chain et la finance pour obtenir un avantage concurrentiel en affaires. Le livre de Bram Desmet, “The Strategy Driven Supply Chain”, approfondit ce sujet, fournissant des insights précieux et des conseils pour les organisations souhaitant aligner ces aspects cruciaux de leurs opérations.

La discussion portait sur le supply chain management, l’équilibre entre le service, le coût et la trésorerie, et le rôle du Sales & Operations Planning (S&OP) dans les entreprises modernes.

Bram Desmet souligne l’importance d’équilibrer le triangle de la supply chain constitué du service, du coût et de la trésorerie, ce qui est crucial pour la création de valeur au sein d’une entreprise. Il explique que l’équilibre du triangle est obligatoire et non optionnel, et qu’il est lié aux indicateurs financiers et à la performance d’une entreprise. Desmet estime que le processus S&OP, bien qu’utile, est insuffisant pour équilibrer le triangle car il nécessite une perspective stratégique.

Desmet propose que le supply chain management assume la responsabilité de la planification stratégique, en remettant en question la stratégie de l’entreprise et en veillant à ce qu’elle soit alignée avec la supply chain. Il suggère également que le supply chain management joue un rôle dans la planification financière, en consolidant les processus de planification et en équilibrant le triangle. Desmet reconnaît que cette proposition peut représenter un défi pour les professionnels de la supply chain, car elle les obligerait à sortir de leur zone de confort et à assumer davantage de responsabilités stratégiques.

Joannes Vermorel donne son point de vue sur le rôle du S&OP dans les entreprises. Il estime que le S&OP, en tant que moyen d’organiser les discussions, pourrait ne pas être suffisamment efficace pour traiter le grand nombre de décisions requises dans les modern supply chains. Vermorel considère le S&OP comme un processus apparu dans un monde où les logiciels étaient inexistants et où la mentalité de mécaniser le travail de bureau n’était pas encore établie.

Vermorel critique le manque d’une perspective quantitative forte dans les processus traditionnels du S&OP, notamment en ce qui concerne l’intégration des indicateurs financiers. Il soutient que le processus S&OP devrait être adapté au monde moderne, en tirant parti des logiciels et de l’automatisation pour améliorer la prise de décision et générer de la valeur.

En résumé, Desmet et Vermorel reconnaissent l’importance d’équilibrer le triangle de la supply chain constitué du service, du coût et de la trésorerie, mais estiment que le processus S&OP traditionnel ne suffit pas à atteindre cet équilibre. Desmet suggère que le supply chain management assume davantage de responsabilités en matière de planification stratégique et financière, tandis que Vermorel plaide pour l’exploitation des logiciels et de l’automatisation afin d’améliorer la prise de décision dans le supply chain management.

L’importance de l’optimisation de la supply chain pour les entreprises. Vermorel souligne l’importance de la granularité dans la précision des prévisions et l’absence d’objectifs stratégiques dans le supply chain management. Pendant ce temps, Desmet met en évidence le manque de connaissance en supply chain management au sein des équipes dirigeantes et l’investissement mal ciblé dans les ERPs plutôt que dans les systèmes de planification. Les deux experts conviennent que l’optimisation de la supply chain est souvent négligée dans les entreprises performantes, conduisant à une réticence au changement. Vermorel note que les ERPs sont trop chers pour ce qu’ils apportent réellement et que le véritable investissement devrait être consacré aux centres analytiques. La discussion met en lumière le besoin d’une meilleure formation en supply chain management et un changement de mentalité, en considérant celle-ci comme une fonction stratégique plutôt que comme une simple tenue de livres.

Ils explorent pourquoi les entreprises peuvent être réticentes à examiner leurs supply chains et l’importance du supply chain management dans une organisation.

Vermorel estime qu’une des raisons pour lesquelles les entreprises sous-estiment l’importance du supply chain management est que les personnes occupant ces rôles ne sont pas considérées comme l’élite au sein de l’organisation. Au niveau d’entrée, les employés de la supply chain peuvent passer leurs journées à gérer des tableurs Excel et à microgérer les stocks, ce qui ne se compare pas favorablement aux rôles plus stratégiques en finance ou en consulting. Cette disparité dans la valeur perçue rend difficile pour le supply chain management d’attirer les meilleurs talents et pour ceux du domaine d’accéder à des postes stratégiques au sein de l’entreprise.

Desmet, quant à lui, se concentre sur les aspects financiers du supply chain management. Il explique que les entreprises ne font pas faillite à cause d’une perte, mais à cause d’un manque de trésorerie. Il évoque comment les entreprises en démarrage peuvent survivre sans être rentables pendant des années, tant qu’elles parviennent à attirer des investissements suffisants. Ce principe s’applique également aux entreprises plus établies, pour lesquelles le flux de trésorerie et la génération de cash sont des facteurs cruciaux.

Desmet observe que les départements financiers comprennent souvent mal la gestion des stocks et son lien avec l’impact sur le service et les coûts. Lorsque les entreprises doivent générer du cash, elles peuvent réduire les stocks, suspendre les investissements (capex) ou arrêter de rembourser les prêts. Cependant, les départements financiers privilégient le remboursement des prêts et le maintien du capex au détriment de la gestion des stocks. Cette approche exerce une pression importante sur le supply chain management, qui est attendu pour réduire les stocks sans en comprendre toutes les conséquences.

Les intervenants soutiennent que le supply chain management devrait recevoir davantage de respect et se voir attribuer un rôle plus important dans les discussions stratégiques et financières. Desmet suggère que de meilleurs systèmes de planification et des capacités accrues peuvent aider le supply chain management à améliorer sa position au sein des organisations. En investissant dans ces domaines, les entreprises peuvent rehausser l’importance du supply chain management et reconnaître sa valeur pour maintenir une entreprise saine.

Transcription complète

Nicole Zint: Aujourd’hui, nous accueillons de nouveau le Professeur Bram Desmet pour approfondir le triangle de la supply chain qu’il a expliqué précédemment et examiner comment la stratégie, la supply chain et la finance, correctement intégrés, peuvent vous donner un avantage concurrentiel. Bram, je cite en fait le titre de votre nouveau livre sur la supply chain orientée stratégie. Pourrions-nous commencer par une brève introduction de votre part, et nous expliquer ce qui vous a poussé à écrire ce livre depuis notre dernière conversation ?

Bram Desmet: Merci, Nicole. Merci de m’avoir donné l’opportunité d’être ici et de parler du livre. Donc, une brève présentation de moi-même : j’ai commencé ma carrière dans l’informatique, pour découvrir que, pour moi, l’informatique était intéressante comme moyen pour atteindre un objectif, mais non comme un objectif en soi. Je suis ensuite passé de l’informatique au conseil en supply chain. J’ai participé à de nombreux projets d’optimisation de stocks, et j’ai réalisé un doctorat en optimisation de stocks. Ce doctorat m’a conduit à la Vlerick Business School, où j’ai commencé à enseigner des matières plus quantitatives comme les statistiques et les techniques d’optimisation.

Sur le plan académique et professionnel, à travers le conseil en supply chain et l’enseignement des statistiques, j’ai commencé à analyser des questions simples telles que « De combien de stocks une entreprise a-t-elle réellement besoin ? ». Pour répondre à cette question, il faut faire appel à la finance, car la finance s’intéresse aux stocks, ceux-ci faisant partie du fonds de roulement, et le fonds de roulement correspond au cash. Il faut également faire le lien avec la stratégie, car différentes stratégies entraînent différents niveaux de stocks. Je dis souvent : « Qui aurait le moins de stocks, Aldi ou Carrefour ? » Certainement Aldi, car ils ont un assortiment plus réduit ; en gros, leur stratégie est différente. Donc, pour répondre à cette question, il faut également établir un lien avec la stratégie.

Avant même que je m’en rende compte, je connectais réellement la stratégie, la finance et la supply chain, pour découvrir qu’en pratique, elles ne sont pas souvent interconnectées. Cela m’a conduit à écrire un premier livre et ce second livre dans lequel j’ai affirmé : « Si vous souhaitez améliorer vos performances financières et votre taux de succès dans la réalisation de votre stratégie, vous devez mieux connecter la stratégie, les indicateurs financiers et la supply chain. » Il faut rendre votre supply chain plus orientée stratégie, ou on peut aussi dire qu’il faut rendre votre stratégie plus axée sur la supply chain.

Assurément, avec la COVID et maintenant la guerre post-COVID entre l’Ukraine et la Russie, je pense que chaque CEO, plus que jamais, se rend compte que si la supply chain ne fonctionne pas, vous n’avez tout simplement pas d’entreprise. Voilà donc une introduction brève, mais néanmoins pertinente.

Nicole Zint: La supply chain est en effet l’épine dorsale de toute entreprise. Et Bram, avant d’aller plus loin dans la discussion, pour nos nouveaux spectateurs ici, vous avez expliqué le triangle de la supply chain dans notre épisode précédent. Pourriez-vous d’abord nous en donner un bref résumé ?

Nicole Zint : Qu’est-ce que la gestion de la supply chain ? On parle généralement d’une approche end-to-end, des clients des clients jusqu’aux fournisseurs fournisseurs. Il s’agit du flux d’information, du flux de biens physiques et des flux de trésorerie. Mais en écrivant mon premier livre, j’ai dit que si l’on regarde ce avec quoi les responsables de la supply chain peinent réellement, c’est à équilibrer ce triangle entre service, coût et trésorerie. Même pour la COVID, il y avait une pénurie de matières premières ou un manque de transport entraînant des problèmes de service. Maintenant, je vois des entreprises s’inquiéter en se disant : “Hé, mais que se passe-t-il s’il y a un ralentissement économique avant que tous ces stocks ne soient livrés, et que nous ayons alors un problème de stocks au lieu d’un problème de service ?” Mais la véritable difficulté que j’ai constatée en supply chain reste l’équilibre de ce triangle entre service, coût et trésorerie.

Bram Desmet : La subtilité, c’est que, dans le premier livre, j’ai commencé à lier cela également aux indicateurs financiers et à la performance financière, car on me disait : “Oh oui, Bram, je comprends, mais est-ce ainsi que fonctionnent les entreprises ?” Il faut faire attention ici, car si le service est le moteur des ventes de l’entreprise, du point de vue d’un investisseur, il ne s’agit pas seulement des ventes ; il faut également observer une marge. Si l’on combine les ventes et le coût du service ainsi que les coûts, on obtient la marge. Et il ne s’agit pas uniquement de la marge ; c’est la marge générée sur le capital employé, sur le fonds de roulement ou sur les immobilisations investies. Équilibrer, voire optimiser ce triangle n’est pas optionnel, et il ne suffit pas qu’il y ait un léger déséquilibre. La tension dans le triangle touche véritablement au cœur de la création de valeur d’une entreprise.

Ainsi, cela place la supply chain dans un contexte différent, et je pense que c’est la subtilité de ce triangle, ce que le premier livre a mis en lumière et que le deuxième livre confirme. En effet, le service, le coût et la trésorerie dans le triangle de la supply chain ne sont pas indépendants les uns des autres, et améliorer l’un d’eux se fait au détriment d’un autre. Il est important d’en être conscient pour trouver cet équilibre ultime, maximisant le profit.

Nicole Zint : Exactement, Bram. Et aussi, dans ta toute dernière phrase de notre épisode précédent, tu as terminé en disant que la supply chain devrait être indépendante du processus S&OP, c’est-à-dire que le processus S&OP ne devrait pas diriger la supply chain, ce qui est pourtant souvent le cas. Mais je veux simplement te demander, que voulais-tu dire par là avant que nous passions à la stratégie dans la supply chain et à la manière de trouver la bonne ?

Bram Desmet : En général, ce que je constate dans les fonctions de supply chain aujourd’hui, c’est énormément d’activités opérationnelles, comme la logistique et le service client. L’argument que je défends dans le deuxième livre est que l’équilibre du triangle n’est pas optionnel ; il est obligatoire puisque ce dernier est crucial pour la création de valeur d’une entreprise.

Nicole Zint : Le triangle concerne la création de valeur, et je dirais que le meilleur outil dont dispose aujourd’hui la supply chain est le processus SNLP. Cependant, je dis aussi que le processus SNLP est insuffisant pour équilibrer le triangle, car il repose véritablement sur des considérations stratégiques. Quelle est ma stratégie ? Veux-tu être un acteur de solution totale ? Alors tu auras un portefeuille étendu. Si tu as un portefeuille étendu, cela déclenchera des stocks, n’est-ce pas ? Ou veux-tu être l’acteur au moindre coût ? Dans ce cas, tu devras te concentrer sur l’efficacité et examiner le portefeuille en profondeur. Équilibrer le triangle part d’une perspective stratégique. Joannes Vermorel : Aujourd’hui, la supply chain a la semi-responsabilité de gérer le triangle, car, en règle générale, la supply chain doit gérer la composante stocks du triangle, et les stocks sont la partie la plus complexe. La supply chain a la responsabilité, mais elle n’en dispose pas des moyens. Dans mon nouveau livre, je dis que le SNLP ne suffit pas. La supply chain devrait aussi devenir responsable de la planification stratégique, et c’est là que les choses se corsent. Cela signifie-t-il que la supply chain définira alors la stratégie ? Non. La supply chain ne définira pas une stratégie. Tout comme dans le processus SNLP, ce n’est pas la supply chain qui définit la prévision ; c’est le service commercial qui en a la charge. Bram Desmet : La supply chain est le challenger, elle remet donc en question la demande et l’offre dans le processus SNLP. Elle devrait également objectiver au niveau stratégique en disant : “Hé, crois-tu vraiment pouvoir générer ces volumes à ces niveaux de prix pour ce type de produit ou pour ce type de marché ? Cela n’arrivera pas.” Ou du côté de l’offre : “Sommes-nous vraiment sûrs que cette supply chain ou cette opération nous offrira la flexibilité suffisante pour augmenter ou réduire l’échelle ?” La supply chain doit jouer ce rôle de connecteur, rôle qu’elle assume déjà dans le processus SNLP, mais elle devrait aussi se voir confier cette responsabilité au niveau de la planification stratégique.

Joannes Vermorel : Pour moi, la supply chain devrait également avoir cette responsabilité dans la planification financière, et c’est là que les gens commencent définitivement à transpirer. Que font les entreprises aujourd’hui ? Nous avons un bon processus de planification, qui est le SNLP. Nous dupliquons ce processus en finance, dans la planification financière et l’analyse (FP&A). Même si nous réalisons correctement l’IBP, la finance dispose toujours de ses propres outils et de ses processus de planification. Ensuite, nous triplons l’effort en essayant d’intégrer les deux. Nous avons même un nom pour cela : c’est l’IBP. Cela n’a aucun sens. Si vous voulez avoir des plans intégrés, confiez-les à une seule équipe.

Bram Desmet : La supply chain n’est peut-être pas prête pour cela, et la finance ne l’est certainement pas non plus. Mais dans le livre, je dis que si nous voulons un équilibre dans le triangle, cela passe par la stratégie, la budgétisation, la planification financière et la définition d’objectifs. Cela implique également la planification opérationnelle et le suivi via le processus S&OP. Ma proposition est la suivante : si vous voulez un équilibre dans le triangle, cela ne se fait pas automatiquement. Il faut donc confier cette responsabilité à quelqu’un. Confiez-la à la supply chain et assurez-vous que la supply chain, au lieu d’être un tigre sans griffes ni dents, dispose réellement de leviers.

Nicole Zint : Cet impact, en consolidant les processus de planification entre une seule équipe, et quand il s’agit du service client ou de la logistique – qui sont des opérations, n’est-ce pas ? – opte pour soit le confier au CEO, soit attribuer le service client aux ventes. Mais il faut sortir de ce limbes, où nous sommes responsables d’équilibrer le triangle et les stocks, sans pour autant disposer des moyens, et où nous sommes continuellement évalués sur des aspects purement opérationnels.

Bram Desmet : Je maintiendrais le S&OP avec la supply chain, mais j’ajouterais la gestion de la planification stratégique et du processus de planification financière à cela, en supprimant les aspects purement opérationnels. Et là, tout le monde commence à transpirer, car les professionnels de la supply chain doivent sortir de leur zone de confort. Nous aimons nous plaindre de tout ce qui va mal, puis abandonner les tâches opérationnelles pour assumer un rôle plus challengeant et revendiquer notre place à la table exécutive. Tous les membres de la supply chain ne sont pas en faveur ou prêts pour cela.

Nicole Zint : Joannes, que penses-tu de ce que Bram avance et quel devrait être, selon toi, le rôle du S&OP dans une entreprise ?

Joannes Vermorel : C’est très intéressant. Il existe une loi générale qui a été découverte il y a environ 40 ans, connue sous le nom de loi de Conway, qui repose essentiellement sur l’idée que les entreprises, lorsqu’elles conçoivent des systèmes, y reproduisent les schémas de communication déjà en place – et ce, notamment dans les systèmes logiciels – sans se demander si cela est réellement adéquat au vu des outils modernes dont nous disposons. On pourrait parler de potentiel ou de potentialités. Vous voilà coincés dans d’anciennes méthodes. Mais, pour moi, le S&OP est avant tout une manière d’organiser des discussions.

Joannes Vermorel : Cependant, les supply chains d’aujourd’hui ne sont pas celles que nous avions il y a 50 ans. De nombreuses entreprises, même relativement modestes, gèrent désormais des dizaines de milliers de produits. Il est donc évident que si l’on souhaite simplement prendre des décisions, on se rend vite compte que pour chaque produit, il y a environ une demi-douzaine de décisions à prendre chaque jour. On atteint très rapidement des millions de décisions par semaine. Pour les grandes entreprises, il s’agit littéralement de dizaines de millions de décisions par jour. Et cela soulève véritablement la question de l’efficacité du S&OP en tant que processus pour générer, au final, des décisions de haute qualité pour l’ensemble.

Nicole Zint : Voilà, je dirais que c’est ma toute première préoccupation concernant le S&OP. Il s’agit essentiellement du fait que les décisions doivent être exécutées plus rapidement que ce que le S&OP est capable de communiquer. Quelle est vraiment la logique de faire en sorte que les gens dialoguent ? C’est l’essence même. Et oui, nous voulons un alignement de l’entreprise afin qu’aucun département, comme les ventes, ne décide d’aller dans la pharmaceutique pendant que la production opte pour une direction complètement différente, voire un marché différent. C’est une caricature, mais pour créer une adéquation de base sur ce que nous cherchons à atteindre, cela passe. Cependant, le problème est que les processus S&OP ont tendance à se réduire à de simples réunions de routine où–

Joannes Vermorel : Je dirais qu’il faut énormément de temps et d’efforts de la part de beaucoup de personnes pour produire les types d’artefacts – rapports, chiffres, indicateurs-clés (KPIs) – associés à cela, sans que cela ne se traduise forcément en retour financier en euros ou en dollars. Vous voyez donc la différence entre le monde prélogiciel et le monde postlogiciel : de nos jours, si les gens entreprennent une action, c’est idéalement pour améliorer une sorte de “recettes numériques” quelque part dans l’organisation, et ces formules continuent de fonctionner et accomplissent le travail difficile de générer de la valeur. Nous avons des machines qui font cela depuis longtemps dans les usines. L’idée est simplement de mécaniser et d’automatiser, pour disposer d’un actif productif qui ne dépend pas trop des efforts continus des personnes. Mais cela peut également s’appliquer aux fonctions de cols blancs. Cette mentalité consistant à transformer les efforts en un investissement productif générant de la valeur de manière autonome existe depuis plus d’un siècle pour les ouvriers. C’est l’essence même de la mécanisation. Mais pour les cols blancs, cela se fait essentiellement depuis les quatre dernières décennies avec les logiciels sous diverses formes. Voilà l’un des aspects.

Joannes Vermorel : Je dirais que ma deuxième critique serait que les erreurs sont absentes et qu’en partie, les objectifs stratégiques semblent également quelque peu absents. Cela nous amène véritablement à la deuxième partie du livre, qui traite de ce que votre entreprise cherche réellement à atteindre et de la manière dont cette stratégie est mise en œuvre par la supply chain. Nous aborderons cette question dans un très court instant, mais avant cela, je veux te demander, Bram, depuis notre dernière conversation, tu as également fondé le Strategy-Driven Supply Chain Institute. Tu as mentionné avoir constaté un manque de connaissance dans la salle exécutive. Quelle est cette connaissance ?

Bram Desmet : Pour illustrer ce manque de connaissance, je réalise souvent une enquête qui pose les questions suivantes : 1) Quel serait le premier investissement pour ton CEO et ton CFO – une nouvelle capacité, un nouvel ERP ou un nouveau système de planification ? 2) Qu’est-ce qui, selon toi, coûte le plus – une nouvelle capacité, un nouvel ERP ou un nouveau système de planification ? 3) Qu’est-ce qui, selon toi, a le plus grand impact sur l’équilibre du triangle de la supply chain – une nouvelle capacité, un nouvel ERP ou un nouveau système de planification ?

Quand je pose ces questions, les gens répondent qu’ils investiraient d’abord dans une nouvelle capacité ou dans de nouveaux ERP, qui sont de loin plus coûteux. Mais lorsqu’il s’agit d’avoir un impact opérationnel sur le triangle, c’est le système de planification qui a le plus grand impact. Il est un peu surprenant que les CEOs et les CFOs n’investissent pas dans les processus et systèmes de planification. D’après mon expérience, ils préfèrent investir un facteur dix dans de nouvelles machines parce que c’est visible, ou dans un nouvel ERP parce qu’ils y sont contraints. Mais ils ne comprennent vraiment pas quel impact la supply chain et la planification de la supply chain peuvent avoir sur le résultat opérationnel. Ils n’ont également aucune idée des changements dans les exigences de planification s’ils modifient leur stratégie d’entreprise.

Joannes Vermorel : Est-ce qu’on va simplement se contenter des pourcentages d’erreur sur la prévision ?

Nicole Zint : Donc, ma deuxième critique serait que les erreurs sont absentes et qu’en partie les objectifs stratégiques semblent également quelque peu absents. Cela nous amène véritablement à la deuxième partie du livre, qui examine ce que votre entreprise cherche réellement à atteindre et comment cette stratégie est mise en œuvre par la supply chain. Nous aborderons cette question dans un très court instant, mais avant cela, je veux te demander, Bram, depuis notre dernière conversation, tu as également fondé le Strategy-Driven Supply Chain Institute. Tu as mentionné avoir constaté un manque de connaissance dans la salle exécutive. Quelle est donc cette connaissance ?

Bram Desmet : Pour illustrer ce manque de connaissance, je réalise souvent une enquête qui pose les questions suivantes : 1) Quel serait le premier investissement pour ton CEO et ton CFO – une nouvelle capacité, un nouvel ERP ou un nouveau système de planification ? 2) Qu’est-ce qui, selon toi, coûte le plus – une nouvelle capacité, un nouvel ERP ou un nouveau système de planification ? 3) Qu’est-ce qui, selon toi, a le plus grand impact sur l’équilibre du triangle de la supply chain – une nouvelle capacité, un nouvel ERP ou un nouveau système de planification ?

Quand je pose ces questions, les gens répondent qu’ils investiraient d’abord dans une nouvelle capacité ou dans de nouveaux ERP, qui sont de loin plus coûteux. Mais lorsqu’il s’agit d’avoir un impact opérationnel sur le triangle, c’est le système de planification qui a le plus grand impact. Il est un peu étrange que les CEOs et les CFOs n’investissent pas dans les processus et systèmes de planification. D’après mon expérience, ils préfèrent investir un facteur dix dans de nouvelles machines parce que c’est visible, ou dans un nouvel ERP parce qu’ils y sont contraints. Mais ils ne comprennent vraiment pas quel impact la supply chain et sa planification peuvent avoir sur le résultat opérationnel. Ils n’ont également aucune idée des changements dans les exigences de planification s’ils modifient leur stratégie d’entreprise.

Par exemple, je dis aux entreprises que si elles sont des leaders produits guidés par l’innovation, elles devraient savoir que si elles lancent 10 nouveaux produits, sept d’entre eux seront des échecs et trois connaîtront un immense succès. Il est extrêmement important qu’elles soient capables de monter en échelle pour ces trois produits réussis, car leur succès doit compenser les sept échecs et couvrir le coût de l’augmentation des stocks. Mais quand je demande comment nous concevons la supply chain pour l’efficacité et le coût minimal, je dis non, ce n’est pas ce que vous devriez faire. Et donc, c’est comme si nous avions la stratégie et ensuite…

Nicole Zint : Nous concevons la supply chain. Je dis aussi souvent que la finance voit encore la supply chain comme son citron préféré, et les citrons sont faits pour être pressés, donc pour réduire les coûts et diminuer les stocks. Je trouve cela insensé et immature. Il y a une énorme tâche à sensibiliser les non-spécialistes de la supply chain sur son fonctionnement. C’est également un problème avec les professionnels de la supply chain, car ils aiment parler de sujets techniques.

Bram Desmet: Je dis souvent aux gens, écoutez, si vous voulez améliorer le S&OP, ne parlez pas de S&OP. Dès que vous commencez à parler de S&OP, ils diront : “Hé, mais c’est votre processus, c’est votre problème.” Alors, ne parlez pas de S&OP, parlez business. Comment parler business ? Parlez du triangle et de la manière dont il se relie à la valeur financière. Parlez de la stratégie et dites : “D’accord, qui voulons-nous vraiment être sur le marché ? Comment voulons-nous nous différencier ? Comment voulons-nous nous démarquer ?” Une fois l’intérêt suscité, il faut dire : “D’accord, si c’est ce que nous voulons atteindre, cela aura un impact sur notre supply chain, sur le coût dans la supply chain, sur les investissements et sur les buffers, et cela influencera les outils et processus de planification que nous devons mettre en place pour y parvenir.” Mais c’est comme si nous communiquions complètement à côté les uns des autres. Nous vivons dans des mondes séparés. L’Institute Strategy-Driven Supply Chain a réellement pour objectif d’utiliser les concepts du livre afin d’améliorer le niveau de connaissance et les équipes dirigeantes, pour que nous abordions ces questions avec un regard différent, et, espérons-le, pour stimuler davantage d’investissements dans la supply chain et ses capacités.

Nicole Zint: Il est assez intéressant que vous ayez mentionné que la supply chain ne reçoit fondamentalement pas suffisamment d’attention, alors qu’elle le devrait, car c’est vraiment ce qui définit la rentabilité d’une entreprise. Cela m’amène à mon point suivant, et vous l’avez également évoqué, Bram, dans vos deux livres : comment une supply chain qui n’est pas vraiment une supply chain, comment une entreprise en croissance qui, sur le papier, semble réussie ou dont la marque est désormais bien connue, se montrent tout à fait réticentes à changer quoi que ce soit ou à améliorer leur supply chain afin de trouver un meilleur équilibre dans ce triangle que vous avez mentionné, simplement parce que, “Eh bien, nous réussissons, n’est-ce pas ? Alors, clairement, notre supply chain doit l’être aussi.” Il s’agit donc d’une négligence constante de l’importance de la supply chain pour une entreprise. Joannes, je sais que nous voyons cela assez souvent, alors quelles sont vos impressions à ce sujet ?

Joannes Vermorel: Pour rebondir juste avant cette question relative à l’importance de la supply chain par rapport au reste, je pense qu’un point sur lequel je rejoins la merveilleuse remarque de Bram est que l’investissement dans les ERP par rapport à pratiquement tout le reste est très intéressant. Je veux dire, évidemment, je suis partial étant moi-même fournisseur de logiciels. Mais l’aspect intéressant, c’est que les ERP, qui devraient être mieux appelés ERM, ou Enterprise Resource Management, car il n’y a pratiquement aucune planification dans ces systèmes et il s’agit simplement de gestion des enregistrements, concernent des logiciels vieux de quatre décennies qui sont essentiellement totalement banalisés. Par exemple, des bases de données transactionnelles qui étaient autrefois une technologie assez unique vendue par Oracle.

Nicole Zint: De nos jours, vous avez des bases de données open source tout simplement excellentes. À moins que vous n’ayez des dizaines de millions de transactions par seconde, les produits open source fonctionneront très bien. La gestion de stocks, ou simplement la gestion des enregistrements, qui consiste à suivre ce qui entre et sort, est, en matière de logiciel, complètement triviale. Elle porte même un nom dans l’industrie : CRUD (create, read, update, delete). Chaque opération que vous effectuez consiste essentiellement à ajouter une ligne dans une table, à la lire, à la mettre à jour ou à la supprimer. Ensuite, vous disposez d’environ 200 écrans pour supporter toutes vos opérations, mais en essence, c’est très banalisé, simple et direct. De nos jours, tant les blocs de construction, comme les bases de données transactionnelles, sont littéralement open source, que les systèmes d’exploitation et presque tout le reste.

Joannes Vermorel: Le point que je souhaite faire est que je m’attendrais à ce que la gestion des enregistrements reçoive environ 5 % des investissements, et que l’intelligence, c’est-à-dire les investissements pour faire quelque chose d’intelligent par-dessus, que ce soit pour dépenser de l’argent dans les personnes, dans des logiciels ou autre, représente 95 %. Ce que l’on pourrait appeler la puissance analytique.

Bram Desmet: Analytique ou, en réalité, vraiment quelque chose qui consiste à réfléchir à ce que vous devriez faire, au lieu de vous contenter d’être un simple comptable.

Joannes Vermorel: L’absurdité des investissements dans les ERP, c’est que les ERP ne sont que des systèmes de comptabilité glorifiés. Pour moi, l’incroyable, c’est qu’au 21e siècle, les entreprises finissent par dépenser plus d’argent en comptabilité électronique qu’elles ne le faisaient au 19e siècle, lorsque c’était fait à la main. Normalement, nous avions ces systèmes pour générer d’énormes gains de productivité. Un ordinateur peut gérer littéralement des milliards d’enregistrements, alors pourquoi finissons-nous par payer plus cher le système que ce que les entreprises dépensaient lorsque c’était fait à la main ? J’exagère évidemment. Oui, les entreprises dépensaient peut-être moins au 19e siècle, mais leur assortiment était probablement 100 fois plus petit. Il y a de nombreux facteurs, comme les problèmes de conformité, qu’elles ne rencontraient pas autant à l’époque.

Bram Desmet: Comme vous l’avez dit, nous dépensons beaucoup plus pour les ERP que pour la planification car, pour une raison quelconque, la comptabilité est perçue comme un système super complexe, alors que c’est très trivial.

Joannes Vermorel: Je pense que cela est vraiment lié au manque de connaissances au sein du conseil d’administration. Je suspecte fortement que, dans de nombreuses grandes entreprises, personne au conseil ne reconnaît réellement que ce qui relève d’une technologie purement banalisée ne constitue pas une différenciation, alors que ce qui est littéralement une technologie banalisée vieille de quatre décennies se distingue de ce qui est réellement nouveau et innovant.

Nicole Zint: Évidemment, il y a de nombreux fournisseurs, Lokad en étant un, qui essaient de promouvoir des mots à la mode comme cloud, AI, blockchain ou autres, et ils ne font qu’embrouiller le tout, rendant la situation très confuse. Alors, pourquoi pensez-vous que les entreprises sont encore réticentes à examiner leur supply chain pour voir ce qui ne va pas ? Comment pouvons-nous faire mieux ? Est-ce lié à ce que Bram a dit, à savoir que la supply chain ne reçoit tout simplement pas l’attention qu’elle mérite dans la salle exécutive ? Qu’il y ait un manque de connaissances sur l’importance d’un système de planification par rapport à un système transactionnel ?

Joannes Vermorel: L’une des raisons pour lesquelles de nombreuses entreprises sous-estiment la supply chain, c’est qu’en réalité les personnes et l’organisation de ce secteur ne font pas partie de l’élite. Pour beaucoup de grandes entreprises, au bas de la supply chain, vous vous retrouvez avec des centaines de personnes qui passent leur journée à manipuler des tableaux Excel. Vous commencez votre parcours dans l’entreprise en vous voyant attribuer 1 000 SKUs, puis vous gérez de manière micromanageriale les valeurs min et max pour les stocks de ces SKUs. Vous consultez votre tableau une fois par jour ou une fois par semaine, et ainsi de suite. Si vous êtes compétent et fiable, vous progressez et devenez manager afin de former davantage de personnes pour gérer plus de tableaux Excel.

Comparez cela à la finance, où dès le départ, en tant que stagiaire, vous serez confronté à des tâches très stratégiques, comme soutenir les négociations avec la banque. Lorsque vous essayez d’attirer de jeunes ingénieurs talentueux qui ont de nombreuses offres d’emploi, la première option pourrait être une entreprise comme McKinsey avec des défis extrêmement difficiles, la deuxième option est un poste de stagiaire en finance où vous aiderez sur de grandes transactions et des négociations très stratégiques avec la banque, et la supply chain, où vous gérerez un tableau Excel pendant peut-être les deux premières années.

Une fois que cela est en place, il devient difficile pour le reste de l’organisation de voir que de véritables talents soient attirés ici et ensuite promus, car le poste n’est pas attrayant dès le départ. Je parle des postes d’entrée, ce qui rend bien plus difficile l’émergence d’opportunités ou de talents capables de vraiment briller et pour lesquels l’entreprise, dans son ensemble, dirait : “Oui, nous devons confier à cette personne des tâches très stratégiques.”

Nicole Zint: Responsabilités après quelques années, vous voyez encore une fois que, je dis cela, regardez ce qui se fait au bas de l’échelle, et ce travail à ce niveau favorise-t-il l’émergence de talents pouvant, un jour, devenir un futur membre du conseil ? Et je dirais que, pour la plupart des entreprises de supply chain, très fréquemment, lorsqu’on considère la tâche de base, non, ce n’est pas un tremplin pour accéder un jour à un poste stratégique. Bram, je souhaite clore cet épisode, nous approchons de la fin, mais je veux le terminer en citant l’une de mes phrases préférées de votre livre, qui est : les entreprises ne font pas faillite parce qu’elles génèrent des pertes, elles font faillite par manque de cash. Qu’est-ce que cela signifie réellement ?

Bram Desmet: Si l’on regarde, il y a de nombreuses startups qui ne réalisent pas de profit durant les 10 ou 15 premières années, et pourtant, elles ne font pas faillite. Pourquoi ? Parce que les investisseurs injectent continuellement de nouveaux fonds. Tant que vous pouvez attirer suffisamment d’argent, vous ne faites pas faillite, ce qui explique déjà ce principe. Si l’on retourne la situation, non pas pour les startups mais pour une entreprise classique, il m’a vraiment fallu du temps pour comprendre comment la finance considère les stocks. Je dis souvent, et je le répète également aux financiers, que la finance ne comprend rien aux stocks. Ils pensent qu’ils sont élastiques, que si vous exercez une pression, ils baissent, mais ils n’établissent pas le lien avec l’impact sur le service ou sur les coûts, et ils ne voient pas ce triangle.

Joannes Vermorel: Non, ils ne le voient pas. Ils ne voient pas le triangle, et j’ai parfois l’impression qu’ils ne veulent pas le voir, ou qu’ils préfèrent ne pas le savoir parce que c’est plus simple. Cela n’apporte qu’une complexité supplémentaire, alors qu’ils ont une vision financière impeccable. Ce que j’ai constaté, c’est que les entreprises disent : “Hé, nous venons de réaliser une nouvelle acquisition, elle est financée par la dette.” Du coup, soudainement, nous nous retrouvons avec beaucoup plus de dettes. Ce brillant diplômé en finance qui a mené la grande négociation avec les banques sait qu’il existe certains accords prévoyant que le prêt doit être remboursé, et si vous remboursez un prêt, cela nécessite du cash flow. Au final, le cash sera généré par les opérations, et soit il ira dans le capex, les nouveaux investissements, soit il sera affecté au fonds de roulement, ou encore pour rembourser les prêts, les intérêts ou les dividendes.

Bram Desmet: C’est vraiment un moteur principal pour la finance. Donc, même s’ils ne font pas faillite, si le résultat opérationnel est décevant, que pensez-vous qu’ils feront ? Réduire le fonds de roulement, donc réduire les stocks, sans trop se soucier de l’impact sur le service ou sur les coûts. Non, vous réduisez simplement les stocks, vous arrêtez le capex, vous cessez les investissements, ou vous arrêtez de rembourser les banques. Selon vous, quelle sera leur priorité ? S’ils arrêtent de payer les banques, c’est le moyen le plus rapide pour eux de sortir, c’est donc vraiment la dernière chose qu’ils feront. L’arrêt du capex n’est pas idéal, mais…

Nicole Zint: Arrêter d’investir dans l’entreprise revient à stopper la croissance, donc ils seront vraiment réticents à le faire. Ainsi, ce sont les stocks qui en pâtissent, n’est-ce pas ?

Joannes Vermorel: Oui, ce sont toujours les stocks qui en subissent les conséquences, et c’est ce qu’ils ne comprennent pas. C’est pourquoi je dis souvent, lorsque la finance s’adresse au VP of Supply Chain, “Hé cher VP of Supply Chain, maintenant que vous avez votre titre, il est temps de vous rendre utile à l’entreprise. Vous, en tant que VP of Supply Chain, allez réduire les stocks de 30 % pour moi, le CFO.” Et pourquoi ces stocks doivent-ils être réduits ? C’est généralement pour des raisons de cash flow.

Bram Desmet: Le cash flow est une métrique tellement importante dans le monde financier. Il m’a vraiment fallu du temps, ainsi que le deuxième livre et des discussions avec d’anciens CFO, pour commencer à comprendre cela. Donc, même si les entreprises ne font pas faillite, tout ce problème de cash flow et de génération de cash constitue une énorme contrainte pour le système opérationnel et un moteur majeur.

La finance définit souvent la contrainte sans en subir le contrecoup ou l’impact. Ce contrecoup, ou cet impact, est le plus souvent supporté par les acteurs de la supply chain, ce qui est acceptable tant qu’ils investissent dans de meilleurs systèmes de planification et de meilleures capacités de planification. Et tant que la supply chain, plutôt que d’être considérée comme quelque chose de semi-opérationnel du type “faites simplement votre boulot et faites arriver le produit où il faut, de n’importe quelle façon,” gagne en respect et obtient une place plus stable à la table, non seulement dans les discussions opérationnelles mais aussi dans les discussions stratégiques et financières. C’est vers cela que le livre cherche à pousser les professionnels de la supply chain.

Nicole Zint: Bram, merci infiniment de nous avoir rejoints une fois de plus ici sur lokadtv. Merci de nous avoir écoutés, et nous nous retrouverons la semaine prochaine.