En fin de compte, il ne peut n'y avoir qu'un
En ce qui concerne l’optimisation des niveaux de stocks, ou des prix, ou des assortiments … les commerçants doivent examiner de nombreux indicateurs de performance commerciale pour être en mesure de prendre les bonnes décisions opérationnelles. Cependant, l’optimisation numérique, tout comme la prévision des séries temporelles, va à l’encontre de l’intuition. En particulier, il existe une subtilité profonde lorsqu’on utilise des indicateurs pour optimiser un aspect de son activité : en fin de compte, il ne peut n’y avoir qu’un. Maintenir plusieurs indicateurs pour guider la décision finale issue d’un processus d’optimisation revient à choisir a posteriori la métrique qui fait paraître la gestion sous son meilleur jour, tout en nuisant à l’entreprise. Examinons ensemble comment l’ensemble de ce processus se déroule.
Il existe de nombreux indicateurs que l’on retrouve typiquement dans le commerce. Par exemple, nous avons la valeur totale des stocks (moins elle est élevée, mieux c’est), le taux de service moyen (plus il est élevé, mieux c’est), le volume total des ventes (plus il est élevé, mieux c’est), la marge brute moyenne (plus elle est élevée, mieux c’est), etc. En examinant un seul indicateur de manière isolée, tout semble simple : il existe une direction évidente « d’amélioration » (par exemple, plus c’est élevé, mieux c’est). Cependant, dès que nous prenons en compte plusieurs indicateurs simultanément, les choses se compliquent – et beaucoup.
En effet, tous ces indicateurs sont contradictoires : diminuer la valeur des stocks impacte négativement les taux de service, tandis qu’augmenter la marge brute (presque toujours) a un impact négatif sur le volume des ventes… Ainsi, l’idée même d’améliorer un indicateur à la fois est absurde : cette amélioration survient presque toujours au détriment d’une détérioration. Ensuite, pour les grandes entreprises, le problème est amplifié par la structure même de l’organisation : la division de la supply chain est tenue responsable de toute augmentation des stocks, mais c’est la division des centres de contact qui est récompensée pour les améliorations de la satisfaction client.
Cependant, le problème ne se limite pas à la simple gestion des indicateurs contradictoires, le temps est également un facteur crucial, puisque les conditions du marché évoluent constamment et que beaucoup de bruit est présent. En conséquence, quelle que soit la stratégie adoptée par le management, il y a (presque) toujours des indicateurs qui s’améliorent d’un trimestre à l’autre. Pour éviter de donner mauvaise impression, il est donc extrêmement tentant de sélectionner les indicateurs jugés les plus pertinents. Au risque de paraître très technique, il s’agit d’une rationalisation ex post facto : nous avons (in)consciemment tendance à construire une bonne narration après coup pour expliquer pourquoi tout s’est déroulé comme prévu.
Par conséquent, lorsqu’une initiative d’optimisation commerciale est en jeu, il ne peut n’y avoir qu’un seul indicateur qui consolide tous les leviers commerciaux pertinents. Par exemple, en ce qui concerne l’optimisation de stocks, la fonction de perte flippeur constitue un premier pas vers la construction d’un indicateur qui reflète correctement l’asymétrie existante entre la sur-prévision et la sous-prévision de la demande future. Alors que la fonction de perte flippeur n’explique pas tout de votre situation de stocks, elle peut déjà fournir des résultats pertinents quant au trade-off entre la “valeur des stocks” et les “taux de service”. Disposer de cet indicateur “maître” est la seule façon d’optimiser pratiquement n’importe quoi, car, comme nous l’avons vu, lorsque vous avez le luxe de choisir parmi des indicateurs conflictuels, tout devient confus.
Néanmoins, il est important de préciser que, bien qu’un indicateur “maître” soit essentiel, il n’est pas nécessaire d’écarter tous les autres indicateurs. Le commerce a tendance à être complexe et, pour en appréhender cette complexité, il faut généralement recourir à de nombreux indicateurs pour obtenir toutes les informations nécessaires. Cependant, ces indicateurs doivent être utilisés précisément à cet effet : obtenir des insights, et non pour orienter les décisions opérationnelles.
Inventer un indicateur maître efficient est difficile. Cet indicateur doit équilibrer correctement l’ensemble des leviers commerciaux interdépendants dans le problème traité. En pratique, il s’agit fréquemment d’un indicateur composite construit à partir d’une combinaison d’indicateurs conflictuels avec des variables de pondération stratégiques. Ces variables représentent la meilleure compréhension stratégique que le management puisse avoir de son activité. En effet, il n’existe pas de réponse “quantitative” aux questions hautement ambiguës telles que : souhaitons-nous plus de croissance ou plus de marge ?
Un piège fréquent que nous observons souvent lors de la conception d’indicateurs maîtres est le “rationalisme naïf”. Cela fait référence à des indicateurs qui, bien que parfaitement formalisés, ne capturent pas un ou plusieurs des leviers essentiels d’une entreprise. Par conséquent, améliorer de tels indicateurs revient à accélérer tout en conduisant dans la mauvaise direction. Le rationalisme naïf est dangereux car il donne une fausse impression de confiance aux personnes impliquées. Comme le dit le proverbe, il vaut mieux être à peu près correct que précisément faux.