00:00:07 Introduction de Nicolas Vandeput et opérations chez Bridgestone.
00:01:05 La supply chain complexe et multinationale de Bridgestone.
00:02:25 Projet Lokad : périmètre initial et objectifs.
00:03:29 Le modèle unifié de Lokad et la perspective du réseau.
00:06:13 Secteur du pneu : complexité combinatoire et saisonnalité.
00:08:00 Équilibrer les stocks et prévoir la demande.
00:08:47 Gestion du changement : adopter de nouveaux objectifs de stocks.
00:11:49 Défis de la prévision probabiliste et des délais d’approvisionnement.
00:13:52 Choisir Lokad pour une prévision probabiliste sur mesure.
00:14:38 Approche programmatique pour la supply chain de Bridgestone.
00:16:02 Adapter les solutions logicielles aux supply chains uniques.
00:17:01 Mise en œuvre du projet, premiers résultats, adaptabilité.
00:19:11 Évolution du projet et maintien de l’agilité.
00:20:33 L’impact de l’infrastructure IT de Bridgestone et des opérations.
00:21:37 L’impact du projet de Lokad et les principaux enseignements.

Résumé

Dans une interview, Kieran Chandler évoque un projet d’optimisation de la supply chain entre Lokad et Bridgestone avec Joannes Vermorel et Nicolas Vandeput. Le projet visait à développer un modèle unifié afin d’améliorer la performance de la supply chain à travers le réseau européen complexe de Bridgestone. L’approche flexible et programmatique de Lokad, associée à une collaboration étroite entre les deux entreprises, a abouti à une mise en œuvre réussie. Cela a permis de rationaliser les processus et de permettre aux équipes locales de se concentrer sur des dossiers plus urgents plutôt que de se battre pour l’allocation de stocks. Le projet démontre la faisabilité et les avantages d’une approche quantitative de la gestion de la supply chain, soulignant le potentiel de collaborations futures avec d’autres entreprises.

Résumé étendu

Dans cette interview, l’animateur Kieran Chandler s’entretient avec Joannes Vermorel, le fondateur de Lokad, une entreprise de logiciels spécialisée dans l’optimisation de la supply chain, et Nicolas Vandeput, qui discutent du récent projet réalisé entre Lokad et Bridgestone, le plus grand fabricant de pneus au monde avec 180 usines et une présence dans plus de 150 pays.

Bridgestone Europe, au centre du projet, dispose de huit usines et de 20 entrepôts à travers la région, gérant environ 40 à 60 mille SKUs différents chaque mois. Le défi consiste à gérer le réseau d’approvisionnement complexe qui s’étend de la Lettonie au Portugal, avec des pays, des langues et une saisonnalité différents.

Le périmètre initial du projet visait à résoudre les problèmes causés par la gestion indépendante de la supply chain par plusieurs équipes dans différents pays. Cette approche conduisait souvent à des optimisations locales sans parvenir à une solution globalement optimale. Parfois, la concurrence entre pays pour des ressources rares aboutissait même à des « guerres » et à des ruptures de stock.

Pour remédier à ces problèmes, Lokad et Bridgestone ont cherché à développer un modèle unifié centralisé, qui fournirait des objectifs de stocks cohérents pour toutes les équipes impliquées. Cela nécessitait de prendre en compte l’ensemble du réseau d’approvisionnement, incluant les différentes étapes et flux de produits depuis la production jusqu’aux consommateurs finaux, plutôt que d’optimiser des sites individuels.

L’approche de Lokad pour résoudre le problème consiste en une perspective holistique à l’échelle du réseau, évitant de simplement déplacer les problèmes d’un site à un autre. Elle vise plutôt à traiter les problèmes de stocks dans l’ensemble du réseau sans en créer de nouveaux ailleurs. Cela est particulièrement difficile en Europe, où le marché économique est à la fois unifié et fragmenté entre différents pays.

L’objectif ultime du projet était de créer un modèle unifié qui optimiserait la supply chain sur l’ensemble du réseau, évitant ainsi les inefficacités locales et la concurrence entre équipes. Ce faisant, Lokad et Bridgestone visaient à améliorer la performance globale de la supply chain et à mieux servir les consommateurs finaux.

Vermorel aborde le défi de l’optimisation des réseaux de supply chain, affirmant qu’il est essentiel de se concentrer sur le consommateur final et non uniquement sur les intermédiaires de la supply chain. Il souligne la complexité du problème, chaque décision prise pour un SKU unique pouvant potentiellement impacter tous les autres dans le réseau. De plus, la dimension temporelle des supply chains ajoute à cette complexité, toute modification apportée pour un SKU ayant des répercussions dans le temps pour tous les autres SKUs.

Vandeput souligne l’importance de comprendre la saisonnalité dans la gestion de la supply chain, notamment pour les entreprises traitant des produits saisonniers tels que les pneus. Il insiste sur la nécessité de planifier les niveaux de stocks non seulement pour le mois en cours, mais aussi pour plusieurs mois à l’avance afin de tenir compte des variations de la demande saisonnière.

Lorsqu’il évoque le processus de gestion du changement, Vandeput reconnaît la difficulté de convaincre les gens d’adopter de nouvelles approches pour l’optimisation de la supply chain. Il explique qu’ils ont commencé avec un périmètre réduit en se concentrant sur un sous-ensemble spécifique de pneus, prouvant ainsi leur démarche avant de l’étendre à l’ensemble de l’entreprise Bridgestone. Il souligne également l’importance d’une formation continue, d’une communication efficace et de la démonstration de l’efficacité de cette nouvelle approche à travers des données et des graphiques.

Vermorel admet le caractère contre-intuitif de certaines stratégies d’optimisation de la supply chain, comme la réduction des niveaux de stocks à certains emplacements. Ce faisant, les entreprises peuvent en réalité libérer davantage de stocks pour le reste du réseau, y compris pour leurs fournisseurs internes, et augmenter la probabilité de mieux servir les clients.

Vandeput explique qu’un des problèmes rencontrés était la croyance de longue date selon laquelle les stocks devaient être maintenus à proximité du client. Grâce à l’optimisation, ils se sont rendu compte qu’une plus grande partie des stocks devait être conservée dans les usines, ce qui permet une plus grande flexibilité pour répondre à la demande sur l’ensemble du réseau. Ce changement nécessitait une gestion du changement efficace pour convaincre les parties prenantes d’adopter la nouvelle approche.

Le projet s’est concentré sur la gestion de l’incertitude dans la supply chain, incluant la demande, les délais d’approvisionnement et les quantités de stocks. Malgré des schémas de consommation prévisibles dans l’industrie du pneu, le réseau multinational génère une quantité significative de bruit, que Lokad cherchait à prendre en compte grâce à la prévision probabiliste.

Lokad s’est démarqué des autres logiciels sur le marché en proposant une approche sur mesure, se concentrant sur des fonctions de probabilité par SKU plutôt qu’en s’appuyant sur des hypothèses de distribution normale. Cela a permis à Bridgestone d’utiliser la technologie de Lokad pour répondre plus efficacement à ses besoins spécifiques.

Les interviewés expliquent que la clé de l’approche de Lokad résidait dans son caractère programmatique, en partant de zéro et en tirant parti d’un environnement hautement prédictif axé sur les problèmes de supply chain. Cela a permis à Lokad de concevoir une solution adaptée aux exigences uniques de la supply chain de Bridgestone, contrairement aux solutions standard qui obligent les entreprises à adapter leurs problèmes aux modèles prédéfinis.

Le projet s’est concentré sur la paramétrisation des politiques de réapprovisionnement pour chaque SKU à travers le réseau, Lokad servant de couche analytique et non de remplacement des systèmes existants tels que ERP, WMS ou MRP utilisés par Bridgestone. Les objectifs du projet ont évolué rapidement au début et continuent d’évoluer, quoique plus lentement, en réponse aux changements dans la supply chain de l’entreprise et aux moteurs économiques.

Vandeput souligne l’importance de la flexibilité dans le logiciel d’optimisation, permettant une amélioration continue basée sur les retours. Il souligne que le projet n’exigeait pas de modifications apportées à l’infrastructure IT existante de Bridgestone, puisque la solution de Lokad ne produit que des objectifs de stocks, lesquels sont ensuite intégrés aux systèmes existants. Cette configuration permet un déploiement rapide et une adaptabilité, tout en préservant le paysage IT actuel.

L’interview aborde également l’impact du projet sur Lokad. Vermorel note que la mise en œuvre réussie de ce vaste projet multinational démontre sa faisabilité et les avantages d’une approche quantitative de la gestion de la supply chain. Il mentionne que le projet a contribué à moderniser des processus établis de longue date chez des fabricants traditionnels comme Bridgestone. En rationalisant ces processus, les équipes locales peuvent se concentrer sur des affaires plus urgentes plutôt que de gérer des feuilles Excel et de se disputer l’allocation de stocks.

Vermorel développe également sur les effets néfastes de la concurrence entre les équipes de réapprovisionnement, qui peut conduire à une performance sous-optimale de la supply chain. Il pense que le succès du projet réside dans sa capacité à libérer du temps pour que les équipes puissent se concentrer sur des problèmes profitant à l’ensemble de l’organisation, favorisant ainsi un environnement de collaboration accrue.

Vandeput revient sur le succès du projet, qu’il attribue à la collaboration étroite entre Lokad et les équipes locales de Bridgestone. Cette approche coopérative a aidé à créer un modèle de supply chain plus efficace et efficient. Il exprime son enthousiasme à appliquer cette expérience à des projets futurs avec d’autres entreprises.

Transcription complète

Kieran Chandler: Aujourd’hui sur Lokad TV, je suis ravi de vous annoncer que nous sommes à nouveau rejoints par Nicolas Vandeput, qui va nous aider à jeter un coup d’œil dans les coulisses de Bridgestone et à comprendre les opérations quotidiennes d’une grande multinationale. Alors, Nicolas, merci beaucoup de nous rejoindre à nouveau sur Lokad TV. Je pense qu’il serait pertinent de commencer par discuter du projet entre Lokad et Bridgestone. Pourrais-tu nous illustrer l’ampleur du projet, en termes de nombre de SKUs et de sites différents dont nous parlons ici ?

Nicolas Vandeput: C’est vraiment un projet immense. En Europe, nous avons environ huit usines et, de plus, 20 entrepôts, ce qui représente au total entre 40 et 60 mille SKUs différents que nous devons gérer automatiquement chaque mois, sur une période de six mois à l’avance. Donc oui, c’est vraiment énorme.

Kieran Chandler: Joannes, nous parlons d’une multitude de sites, de la Lettonie jusqu’au Portugal. Quelles complications l’implantation de tant de sites différents engendre-t-elle ?

Joannes Vermorel: Le cœur du problème est que, lorsqu’on dispose d’un réseau aussi complexe, il devient difficile de résoudre le problème véritablement. En ajustant simplement son réseau, on ne fait que déplacer le problème ; ainsi, on pourrait résoudre un problème de stocks dans un pays, mais en créer un autre ailleurs, voire l’exacerber. Le véritable défi consiste à ne pas simplement déplacer les problèmes, mais à les résoudre de manière holistique et à l’échelle du réseau. C’est très difficile, surtout en Europe, qui est à la fois économiquement unifiée et fragmentée, avec différents pays, langues et saisonnalité.

Kieran Chandler: Il serait utile pour nos spectateurs de comprendre le périmètre initial du projet. Quelle était l’idée de départ, et comment tout a-t-il commencé ?

Nicolas Vandeput: Initialement, il y a quelques années, la gestion de la supply chain était assurée par différentes équipes dans chaque pays. Chaque équipe gérait la supply chain à sa manière, ce qui engendrait de nombreux problèmes. Même si l’on atteint un optimum local, on n’atteint pas nécessairement l’optimum global. Il y avait même des conflits entre pays, avec des ruptures de stock sur certains articles menant à une concurrence accrue et à des luttes pour les ressources. Telle était la situation au début du projet. Nous avions différentes équipes avec des niveaux de maturité variés, puis nous avons décidé de mettre en place un modèle unifié centralisé pour mettre tout le monde au même niveau, en utilisant des objectifs de stocks.

Kieran Chandler: Parlons un peu de ce modèle unifié. Joannes, qu’est-ce qui distinguait l’approche adoptée par Lokad pour ce problème ?

Joannes Vermorel: La perspective consiste à gérer et exécuter conceptuellement l’ensemble du réseau. Il ne s’agit pas d’optimiser un seul site ; au contraire, nous pensons à l’ensemble de la supply chain multi-échelon, avec différentes étapes par lesquelles les produits, en l’occurrence les pneus, circulent depuis la production jusqu’aux consommateurs finaux via divers canaux. En considérant ce réseau, il faut penser à tous les flux de produits et à la demande.

Kieran Chandler: Chaque étape, à l’exception des consommateurs finaux, correspond en fait à des éléments que vous générez vous-même. Vous voyez, il faut être très attentif à ne pas confondre la demande réelle avec le bruit généré par vos propres processus qui génèrent des commandes à l’intérieur du réseau. Ainsi, notre approche consistait en une modernisation complète de ce réseau, avec une connaissance exhaustive des flux, chose plus facile à dire qu’à faire, d’ailleurs, et à l’aligner sur l’objectif final, qui est, en fin de compte, de servir au mieux les canaux eux-mêmes. C’est délicat, car l’erreur serait de se concentrer sur ce qui se passe au milieu du réseau, ce qui est, d’une certaine manière, complètement secondaire. Par exemple, du point de vue d’un client final, ce que nous appelons la “meilleure perspective”, il importe peu que la moitié des niveaux intermédiaires de la supply chain soient en rupture de stock, tant que, lorsque vous commandez vos pneus, ils sont disponibles pour vous. L’astuce est donc que ce qui compte, c’est le point de vue de la meilleure perspective. Ce qui se passe au milieu n’est pas insignifiant, mais il reste très important. Ce n’est qu’un moyen pour parvenir à une fin ; ce n’est pas la fin en soi. C’est là que cela devient très délicat, tant d’un point de vue du traitement des données que du point de vue purement mathématique.

Joannes Vermorel : La façon dont j’aime appréhender ce genre de problème, c’est qu’il comporte de nombreuses couches et niveaux différents. Certaines des difficultés clés introduites sont la pure complexité combinatoire et le nombre immense de possibilités. Dès que vous avez de nombreux SKU – supposons que nous parlions de dizaines de milliers de SKU – il faut penser que chaque décision prise sur pratiquement chaque SKU peut potentiellement impacter tous les autres. C’est fondamentalement un problème de nature quadratique où, chaque fois que l’on examine un SKU, il peut avoir un impact sur n’importe quel autre SKU. Donc, on se retrouve avec environ 60 000 SKU multipliés par 60 000 SKU si l’on veut examiner les ramifications de chaque changement que vous effectuez. Mais c’est encore pire que cela parce que c’est piloté par le temps. Si vous touchez à un SKU, cela aura des conséquences dans le temps pour tous les autres SKU. Ainsi, vous vous retrouvez avec chaque SKU ayant le potentiel d’impacter tous les autres SKU au fil du temps, pendant jusqu’à six mois par SKU.

Nicolas Vandeput : La saisonnalité était également un facteur important dans le secteur des pneus. Vous avez des pneus d’été, des pneus d’hiver, et il faut savoir qu’à un moment donné, la saison se termine ou une autre saison commence. Il était donc vraiment important de ne pas se concentrer uniquement sur un seul mois, comme ce qui va se passer le mois prochain. Nous voulions également savoir ce que nous devrions avoir dans deux mois, trois mois ou quatre mois. Lorsque vous placez des stocks à un certain endroit, il faut savoir que le mois suivant pourrait être totalement différent. Donc, peut-être pouvez-vous avoir un peu plus de stock parce que la saison se termine, ou peut-être avez-vous besoin d’un peu moins de stock car c’est la fin de la saison. C’est un problème vraiment difficile, surtout dès que vous commencez à l’envisager sur une période de six mois.

Kieran Chandler : Parlons maintenant du processus de gestion du changement. Lorsque vous vous adressez aux instances dirigeantes pour expliquer que vous avez cette nouvelle approche que vous souhaitez adopter au sein de toute l’entreprise et suivre une approche unique, comment avez-vous abordé ce changement, sachant la complexité inhérente qui le sous-tend ? Les gens y étaient-ils vraiment intéressés ?

Nicolas Vandeput : La gestion du changement est extrêmement difficile, c’est certain. C’est l’un des principaux défis.

Kieran Chandler : Pour commencer, pouvez-vous parler du processus de mise en œuvre du nouveau modèle de cibles de stocks et de la manière dont vous avez surmonté les défis initiaux ?

Nicolas Vandeput : Nous avons commencé avec un périmètre réduit, en nous concentrant uniquement sur un sous-ensemble spécifique de pneus. Nous l’avons testé pendant quelques mois et avons prouvé que cela fonctionnait. Une fois que les gens ont compris que cela fonctionnait pour ce sous-ensemble, nous avons pu étendre le projet pour couvrir l’ensemble de l’entreprise Bridgestone. Parallèlement, j’ai également passé beaucoup de temps à former les gens et à communiquer avec eux. Nous avons montré de nombreux exemples de résultats contre-intuitifs, comme des personnes qui supposaient que disposer de mille pneus en stock serait la quantité adéquate, alors qu’en réalité, 200 suffiraient. Nous avons dû montrer des graphiques, des chiffres et des prévisions encore et encore jusqu’à ce que les gens acceptent que cela fonctionnerait avec 200 pneus.

Joannes Vermorel : Je suis tout à fait d’accord avec cet effet contre-intuitif. Quand vous dites que vous allez réduire les stocks, cela signifie en réalité que vous libérez davantage de stocks pour le reste du réseau, y compris pour vos propres fournisseurs internes. Si vous gardez moins de stocks, cela signifie typiquement que ce qui vous précède pourrait en conserver davantage, de sorte que si vous en manquez, vous avez une probabilité plus élevée de pouvoir satisfaire la demande. Il en va de même pour chaque autre emplacement, car ceux-ci se comportent de manière prévisible.

Nicolas Vandeput : Avant de démarrer le projet, la croyance principale était de garder tous les stocks près des clients ou du “bus”, comme nous l’appelons. Cependant, après avoir exécuté l’optimisation, nous avons réalisé qu’une plus grande partie des stocks devrait en réalité se trouver dans les usines, qui sont plus éloignées des clients. Cela offre plus de flexibilité lorsqu’un marché a besoin de pneus supplémentaires. Ce fut un changement difficile pour des personnes qui croyaient, depuis près d’une décennie, que les stocks devaient être proches du marché.

Kieran Chandler : Ainsi, vous avez abordé la gestion du changement, et le projet a été mis en production en mars 2018. Quels ont été les défis techniques initiaux auxquels vous avez été confrontés ?

Joannes Vermorel : Tout d’abord, nous avons dû mettre en œuvre une vision probabiliste d’un réseau multi-niveaux, ce qui est assez compliqué. Probabiliste signifie que l’avenir est incertain, non seulement en ce qui concerne la demande, mais aussi les délais et même les quantités réelles de stocks à tout moment dans le réseau. Cette approche de la Supply Chain Quantitative était, du moins pour nous, quelque peu inédite en termes de quantité d’incertitude devant être correctement prise en compte.

Nicolas Vandeput : Le truc, c’est que l’incertitude ne signifie pas que vous ne savez rien. Les habitudes de consommation, du point de vue des pneus, ne sont pas si erratiques. Il existe des flottes entières de véhicules circulant de manière assez prévisible.

Kieran Chandler : Joannes, pourriez-vous commencer par expliquer ce qui rend le profil de demande dans la Supply Chain de Bridgestone si unique ?

Joannes Vermorel : Bien sûr. Bien que la demande globale de pneus soit assez prévisible et stable, il existe une quantité significative de bruit généré au sein du réseau multinational. Ce bruit peut être pris en compte à l’aide de probabilités, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles nous avons choisi Lokad.

Nicolas Vandeput : C’est exact. D’autres logiciels sur le marché font des hypothèses strictes, telles que la demande et les délais suivant une courbe de probabilité normale. Mais lorsque l’on considère des facteurs comme la demande, les prévisions et les délais, la normalité n’est pas l’ajustement idéal pour Bridgestone. Nous avions besoin de quelque chose de plus précis et sur mesure, et c’est là que Lokad excelle grâce à sa capacité à définir des fonctions de probabilité pour chaque SKU.

Kieran Chandler : Comment avez-vous pris ce bruit et l’avez-vous traduit en une prévision probabiliste ?

Joannes Vermorel : Nous disposons d’une véritable algèbre des probabilités dans Lokad que nous utilisons avec Envision. Mais à un niveau plus fondamental, ce qui nous a différenciés, c’est notre approche programmatique. Nous démarrons les projets à partir d’une page blanche sur le plan technologique, bien que nous disposions de nombreux blocs de construction. Au lieu d’essayer d’adapter Bridgestone à un modèle prédéfini, nous avons utilisé notre environnement programmatique, qui est très prédictif et expressif pour les problèmes de supply chain, afin de créer une solution qui correspond véritablement aux besoins uniques de Bridgestone.

Nicolas Vandeput : J’aimerais ajouter que d’autres fournisseurs de logiciels proposent souvent une solution pré-définie, et vous devez adapter votre problème à cette solution. Cela peut amener à perdre de vue l’essentiel. Bridgestone, comme toute autre grande supply chain, est unique de différentes manières, et c’est pourquoi nous avions besoin que Lokad parte d’une page blanche et collabore pour construire une solution sur mesure.

Kieran Chandler : Discutons des résultats du projet. Comment a-t-il été mis en œuvre, quels ont été les résultats initiaux, et quels changements ont été apportés au fur et à mesure de l’avancement du projet ?

Joannes Vermorel : Chez Lokad, nous nous concentrons sur les décisions. Notre objectif n’est pas d’obtenir un pourcentage de rapports, mais de produire des informations de type décisionnel qui ont un impact physique sur la supply chain. Dans ce projet, nous avons travaillé sur les politiques de réapprovisionnement.

Kieran Chandler : Pouvez-vous évoquer le résultat du projet mené conjointement entre Lokad et Bridgestone et comment il a évolué au fil du temps ?

Joannes Vermorel : Le résultat du projet réside principalement dans les paramètres numériques régissant les politiques de réapprovisionnement pour chaque SKU à travers le réseau. Lokad constitue une couche analytique ; nous ne remplaçons pas l’ERP, le WMS ou les MRP que Bridgestone utilise. Nous nous concentrons sur la paramétrisation des politiques de réapprovisionnement. Ce qui a changé au fil du temps, c’est la manière dont nous reflétons les moteurs économiques de nos objectifs et la définition de nos cibles. Cela a évolué plus lentement, mais cela continue d’évoluer. Au fur et à mesure que Bridgestone subit de nouvelles transformations, je pense que cela continuera d’évoluer à un certain rythme.

Nicolas Vandeput : Actuellement, nous générons des résultats pour Bridgestone via un pipeline quotidien. Cependant, ils utilisent probablement ces résultats sur une base hebdomadaire ou mensuelle, car l’ensemble de leur réseau de données doit se recalibrer à la nouvelle stratégie. La supply chain de Bridgestone est comme un organisme vivant, évoluant chaque mois. Nous devons rester agiles pour nous adapter aux changements de paramètres, aux ouvertures ou fermetures d’entrepôts, aux modifications des routes de pneus et aux autres comportements des clients.

Il était important pour moi que notre projet reste agile, avec une solide base mathématique, mais aussi une couche ouverte pour la discussion avec les planificateurs locaux. Cela nous permet de recevoir des retours et de mettre à jour notre approche selon les besoins. Je ne peux pas prédire comment sera le projet dans six mois, car si je le savais déjà, j’aurais mis en œuvre ces changements.

Kieran Chandler : Quel a été l’impact du projet sur l’infrastructure IT et les opérations quotidiennes de Bridgestone ?

Nicolas Vandeput : Je suis heureux de dire que l’impact sur l’IT a été minimal. Notre objectif n’était pas de remplacer leurs systèmes existants, mais d’utiliser Lokad pour générer des cibles de stocks en tant que sortie pouvant être intégrée dans leurs systèmes. Lokad agit comme une machine intelligente externe pour alimenter ces cibles, nous permettant d’avancer rapidement sans passer par d’amples procédures IT. Nous pouvons déployer notre solution rapidement, ce qui a constitué un grand avantage pour le projet.

Kieran Chandler : À première vue, le temps de mise en œuvre de ce projet a été extrêmement court grâce à de nombreux facteurs, dont l’un est le fait que nous n’avons pas besoin de l’infrastructure IT de Bridgestone. Joannes, qu’en est-il de l’impact chez Lokad ? Qu’avons-nous appris en mettant en œuvre un projet aussi vaste et multi-étapes que celui-ci ?

Joannes Vermorel : Tout d’abord, nous avons appris que c’était possible. C’est formidable. Nous sommes très confiants dans notre capacité d’exécution, mais ce n’est jamais acquis. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut aller vite, car vous voulez échouer rapidement si, par hasard, cela ne fonctionnait pas. Vous ne voulez pas passer trois ans sur un projet pour réaliser ensuite que la technologie n’est pas encore prête ou ne fonctionne tout simplement pas. Le fait que nous disposions de cette Supply Chain Quantitative est également un élément révolutionnaire pour les fabricants plus traditionnels. Je veux dire, non pas dans le sens où Bridgestone ne serait pas au sommet de son art en matière de technologie pour les pneus. C’est juste qu’une entreprise présente depuis des décennies a des processus en place depuis longtemps, et il est intéressant de constater que ces processus peuvent être améliorés avec succès. Selon moi, nous pouvons libérer beaucoup de temps pour de nombreuses équipes locales afin de nous concentrer sur des problèmes qui comptent plus que de passer des heures sur des feuilles Excel. Si l’on prend l’ancien système où vous avez de nombreux pays, de nombreux sites, chacun se battant pour sa propre allocation de stocks – ce qui était le cas – ce n’est pas qu’ils soient mal formés, c’est la conséquence par conception du processus. Si vous organisez votre processus avec des équipes de réapprovisionnement qui se font concurrence, alors devinez quoi ? Elles vont rivaliser, et cela conduit à des comportements compétitifs qui dégradent la performance de votre supply chain dans son ensemble. Ce n’est pas qu’ils soient mal formés ; c’est par conception. L’un des facteurs de succès de ce projet est de penser que toutes ces équipes auront beaucoup plus de temps pour se concentrer sur des problèmes qu’elles peuvent véritablement résoudre, et résoudre ces problèmes sera gagnant-gagnant pour le reste de l’entreprise, plutôt que de devoir se battre pour un gagnant. Ensuite, lors de la prochaine session, vous gagnez, je perds, etc. Cela est beaucoup plus bénéfique pour Bridgestone dans son ensemble.

Kieran Chandler : Nicolas, je vous laisse les commentaires de conclusion. Quelles sont vos principales conclusions tirées de ce projet, et quels sont les résultats clés dont vous retiendrez vraiment l’essentiel ?

Nicolas Vandeput : Je suis extrêmement heureux que nous ayons pu réaliser cela ensemble avec l’équipe, et je parle de deux équipes différentes. Tout d’abord, Lokad, car cela a été un défi mathématique et une grande expérience avec Lokad. Mais aussi, cela a été un défi avec l’équipe de Bridgestone. Ce qui a été extrêmement important pour moi dans ce projet, et qui est toujours en cours, c’est le fait que nous avons pu obtenir des retours de la part de l’équipe locale, les planificateurs locaux, pour nous aider à concevoir le meilleur modèle possible. Ainsi, cela s’est véritablement fait main dans la main avec l’équipe locale. C’est quelque chose qui a réuni toutes ces personnes, habituées à se battre pour des stocks, afin de concevoir le meilleur modèle. Pour moi, c’est un véritable succès, et j’espère pouvoir reproduire cela avec Lokad et d’autres entreprises.

Kieran Chandler : Nous allons devoir conclure ici, mais merci beaucoup pour votre temps ce matin. Voilà tout pour cette semaine. Nous reviendrons la semaine prochaine avec un nouvel épisode, mais d’ici là, merci beaucoup.