00:00:07 L’importance de définir le terme ‘supply chain’.
00:01:34 La différence entre la perspective macro et la perspective opérationnelle de la supply chain.
00:03:46 Critiquer la définition de la supply chain sur Wikipedia et ses limites.
00:05:02 Comparer la définition de la supply chain à l’étude de la physique.
00:07:32 Souligner la nécessité d’une définition plus claire de la supply chain en tant que discipline.
00:10:10 L’impact des consultants et des biais sur la connaissance de la supply chain.
00:13:15 Une meilleure définition de la supply chain : la maîtrise de l’optionalité face à la variabilité.
00:13:47 Le concept d’optionalité.
00:15:30 L’importance de maîtriser l’optionalité dans les décisions supply chain.
00:18:43 L’impact de la définition de la supply chain par une entreprise sur la dynamique d’équipe et la synergie.
00:21:10 Comment les entreprises innovantes ont fait évoluer leur gestion de la supply chain.
00:23:00 Les directeurs de la supply chain des entreprises traditionnelles et leurs limites.
00:24:19 Prédire la disparition de certains types de divisions supply chain à l’avenir.
Résumé
Dans l’interview, Kieran Chandler et Joannes Vermorel discutent des définitions de la supply chain et de leur évolution. Vermorel souligne l’importance de disposer de définitions claires et de maîtriser l’optionalité face à la variabilité. Il met en avant que des compétences différentes sont requises pour divers aspects de la gestion de la supply chain, comme on peut le constater dans des entreprises telles que Zalando. Vermorel prévoit que les divisions supply chain traditionnelles, qui gèrent des opérations routinières et produisent des prévisions sans mettre en œuvre de décisions, disparaîtront dans les deux prochaines décennies. Les entreprises devront se spécialiser dans différents aspects de la gestion de la supply chain, en séparant les tâches opérationnelles des tâches de prise de décision afin de se concentrer sur la maîtrise de l’optionalité tout en traitant des problèmes opérationnels.
Résumé étendu
Dans cette interview, Kieran Chandler et Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, discutent du concept de supply chain et de son importance croissante dans les médias et dans les affaires. Vermorel souligne l’importance de disposer d’une définition claire et d’un vocabulaire précis pour faciliter la compréhension et le progrès dans le domaine, ainsi que pour aider à organiser des entreprises grandes et complexes.
Lorsque la supply chain est mentionnée dans les médias, elle est souvent utilisée comme un terme générique, parfois de manière interchangeable avec “écosystème”. Par exemple, des problèmes de supply chain liés au papier toilette ou la dépendance à la Chine pour l’électronique pourraient être reformulés comme des problèmes au sein des écosystèmes respectifs. Cette perspective macroéconomique peut être intéressante, mais Vermorel soutient qu’elle est moins utile pour les entreprises individuelles, qui ne peuvent généralement pas contrôler ou influencer des facteurs économiques plus larges.
Lorsque l’on parle d’un directeur de la supply chain pour une entreprise spécifique, l’attention se concentre sur les fournisseurs et les clients de cette entreprise, ainsi que sur sa position au sein du réseau plus large. Vermorel estime que cette perspective opérationnelle est plus importante pour les entreprises individuelles que la perspective macro.
L’interview aborde ensuite la définition de la supply chain sur Wikipedia, qui affirme qu’il s’agit d’un système d’organisations, de personnes, d’activités, d’informations et de ressources impliqués dans la fourniture d’un produit ou d’un service à un consommateur. Les activités de la supply chain consistent à transformer des ressources naturelles, des matières premières et des composants en un produit fini livré au client final.
Vermorel trouve cette définition insatisfaisante, car elle passe à côté de l’essentiel et n’est pas particulièrement utile. Il pense que le problème de cette définition est qu’elle confond le concept de chaîne avec le domaine d’expertise et d’intérêt. Vermorel suggère que la définition de Wikipedia n’est pas un problème isolé, puisque de nombreuses sources de littérature sur la supply chain proposent des définitions similaires.
Vermorel souligne que les définitions de “supply chain” et de “gestion de la supply chain” sont souvent confuses, et il offre des éclaircissements sur la manière de mieux comprendre ces concepts.
Vermorel commence par critiquer la définition courante de la supply chain, qui a tendance à se concentrer sur les personnes, les processus, les dispositifs et les outils impliqués, depuis les matières premières jusqu’aux produits finis. Il soutient que cette définition pose problème car elle confond le sujet d’intérêt avec la chose elle-même. Il établit une analogie avec la physique, en expliquant que l’étude de la physique ne consiste pas à gérer d’énormes quantités de masse, mais plutôt à découvrir les principes fondamentaux régissant les interactions à un niveau fondamental dans la matière. De même, la supply chain ne devrait pas être comprise comme l’ensemble des éléments impliqués, mais comme l’étude des principes sous-jacents qui régissent ces éléments.
Il aborde ensuite la différence entre la supply chain et la gestion de la supply chain, en notant que leurs définitions sont assez similaires. Vermorel estime que cela est dû à l’histoire du domaine, où ce sont les consultants, plutôt que les universitaires, qui ont orienté l’évolution de ces concepts. En effet, les consultants interagissent avec de grandes entreprises et peuvent leur vendre leurs théories et services. Par conséquent, le domaine présente un biais en faveur d’une connaissance qui se vend bien auprès des managers.
Vermorel souligne également comment cette histoire dominée par les consultants peut créer des biais dans le domaine. Par exemple, il existe un biais en faveur des théories qui séduisent la haute direction, par opposition à des concepts plus abstraits qui pourraient être plus difficiles à commercialiser. Ce focus sur une connaissance vendable n’est pas forcément mauvais, mais il est important d’en être conscient lorsque l’on envisage le développement de la théorie et de la pratique de la supply chain.
Lorsqu’on lui demande de fournir une meilleure définition de la supply chain, Vermorel suggère qu’elle devrait être comprise comme un concept à l’échelle de l’entreprise. Cependant, l’interview se termine avant qu’il ne puisse fournir une définition plus complète.
Ils évoquent l’importance de maîtriser l’optionalité face à la variabilité dans les supply chains, ainsi que les compétences et l’état d’esprit nécessaires au sein des divisions supply chain pour garantir des effets synergiques et des opérations efficaces.
Vermorel explique que l’optionalité fait référence aux différentes options disponibles pour une entreprise dans la gestion de sa supply chain, comme l’ajustement des niveaux de stocks, le déplacement des stocks ou la modification des prix. Les entreprises disposent d’une flexibilité limitée dans des aspects tels que l’infrastructure, la marque et l’emplacement, qui peuvent être difficiles ou longs à modifier. Cependant, elles peuvent bénéficier de l’exercice rapide d’options plus adaptables et nécessitant moins d’investissement en capital.
Maîtriser l’optionalité implique à la fois de comprendre et de cultiver les options disponibles pour une entreprise. Vermorel souligne que les entreprises devraient viser une large gamme d’options afin de mieux gérer les fluctuations du marché, de leurs propres opérations et d’autres facteurs imprévisibles. Cela inclut la variabilité externe, comme les prix des matières premières fluctuants, et la variabilité interne, telle que des délais d’approvisionnement variables ou des problèmes de production.
La capacité à créer et à exercer des options permet aux entreprises de faire face à ces incertitudes sans se retrouver acculées par les variations du marché ou des problèmes internes. Par exemple, maintenir un stock de sécurité important peut aider à répondre à une hausse inattendue de la demande. Vermorel soutient que maîtriser l’optionalité et gérer la variabilité est au cœur de la gestion de la supply chain.
Du point de vue d’une entreprise, adopter le concept d’optionalité peut conduire à une approche plus cohérente et synergique au sein de la division supply chain. Cette approche peut aider à identifier la bonne combinaison de compétences et d’états d’esprit pour une performance optimale. Par exemple, gérer la variabilité nécessite des compétences analytiques et quantitatives pour des prévisions précises, tandis que la gestion de la logistique peut requérir un ensemble de compétences différent.
Vermorel suggère qu’en suivant cette définition, les entreprises peuvent déterminer quelles idées et pratiques sont bénéfiques et lesquelles ne le sont pas. Regrouper la planification et la logistique sous le même parapluie de la supply chain pourrait ne pas donner les meilleurs résultats, car des compétences différentes sont nécessaires pour chaque fonction.
L’interview explore l’importance de maîtriser l’optionalité face à la variabilité dans les supply chains, en soulignant la nécessité d’une large gamme d’options adaptables pouvant être exercées rapidement. Adopter cet état d’esprit peut aider les entreprises à constituer une division supply chain plus synergique et efficace avec la combinaison appropriée de compétences et de perspectives.
Ils ont discuté des défis liés à la définition de la gestion de la supply chain et de son évolution. Vermorel souligne les différences de compétences requises pour divers aspects de la gestion de la supply chain, comme la gestion des camions par rapport à la production de prévisions précises. Il met en avant des entreprises comme Zalando, qui sont en avance sur leurs concurrents, en consolidant l’optimisation de stocks et la tarification dans une seule division. En regardant vers l’avenir, Vermorel s’attend à ce que les divisions supply chain traditionnelles, qui gèrent des opérations routinières et produisent des prévisions sans mettre en œuvre de décisions, disparaissent dans les deux prochaines décennies. Il estime que les entreprises devront se spécialiser dans différents aspects de la gestion de la supply chain et séparer les tâches opérationnelles des tâches de prise de décision. Cette séparation permettrait aux entreprises de se concentrer sur la maîtrise de l’optionalité face à la variabilité tout en résolvant des problèmes opérationnels importants.
Transcription complète
Kieran Chandler: Aujourd’hui, nous allons revenir aux bases et démêler précisément ce que signifie le terme supply chain. Alors, Joannes, cela semble être un sujet assez académique. Y a-t-il quelque chose à gagner en définissant ce qu’est la supply chain ?
Joannes Vermorel: Oui, clarifier les termes est un élément important du progrès en général, y compris du progrès technologique. En général, tant que vous ne disposez pas du vocabulaire adéquat pour décrire l’univers, il devient très difficile de raisonner sur les choses. Par exemple, avant que la physique n’ait clarifié la notion de force, il y avait des tas de choses qui étaient presque impensables. Il était très difficile de penser à des choses simples comme la gravité avant d’avoir quelque chose assimilable à la force, et finalement, il s’est avéré que la gravité n’est apparemment pas une force. Mais je m’égare.
Pour la supply chain, c’est un sujet qui peut être très flou et vaste. Ainsi, lorsque les gens parlent d’excellence de la supply chain ou souhaitent améliorer leur supply chain, de quoi parlons-nous exactement ? Comment savoir si nous allons dans la bonne direction ? Et je ne parle pas d’indicateurs clés de performance ; je parle conceptuellement de savoir si nous sommes réellement dans le domaine de la supply chain ou si nous faisons autre chose. Je veux dire, il est évidemment important d’avoir une définition précise et des concepts clairs pour structurer son entreprise, et la supply chain en fait partie.
Kieran Chandler: Lorsque le terme supply chain a été utilisé dans les médias ces derniers mois, il a été employé comme un terme très général, alors que lorsqu’on discute de la supply chain d’une entreprise, le sujet est souvent beaucoup plus ciblé. Parlons-nous alors des mêmes choses ?
Joannes Vermorel: Pas vraiment. Je veux dire, lorsque l’on entend dans les médias parler d’un problème de papier toilette, il s’agit d’une question de supply chain. En gros, ils voulaient dire qu’il y avait beaucoup de ruptures de stock. C’était la première partie, et c’était une manière plus élaborée de dire que nous avions des tonnes de ruptures de stock. Utiliser le terme supply chain vous donne l’air plus intelligent.
Si l’on peut également dire que la supply chain implique toutes les entreprises interconnectées pour finir par livrer un certain ensemble de produits, alors le terme supply chain peut être échangé avec “écosystème”. Ainsi, du point de vue des médias, on pourrait dire “nous avons un problème de supply chain” pour signifier “nous sommes trop dépendants de la Chine pour l’électronique.” Vous pourriez en fait reformuler cette phrase en disant simplement, “nous avons un problème : l’écosystème de l’électronique grand public se trouve en Chine.” Cela reviendrait pratiquement à la même phrase du point de vue médiatique. Il n’y a ni nuance ni certitude entre les deux.
Donc, je dirais que c’est typiquement la perspective macro, la perspective macroéconomique, où l’on considère les réseaux d’entreprises. Et cette perspective est intéressante principalement d’un point de vue académique.
Kieran Chandler: Pourriez-vous nous donner un aperçu de la gestion de la supply chain ?
Joannes Vermorel: D’un point de vue opérationnel, à moins que vous ne soyez une entreprise super gigantesque capable de façonner l’économie mondiale autour de vous, le point de vue d’une seule entreprise est généralement inutile. C’est comme le taux d’intérêt de la banque centrale ; vous pouvez en parler, mais vous ne pouvez vraiment rien y changer. Ainsi, cette perspective macro n’est pas très intéressante. Quand les gens disent qu’ils sont directeurs de la supply chain, ils ne sont pas directeurs de la supply chain de l’électronique grand public en Chine. Au contraire, ils sont directeurs de la supply chain d’une entreprise qui fabrique un composant spécifique et qui dispose, entre autres, de fournisseurs et de clients.
Kieran Chandler: Pourriez-vous nous donner la définition de la supply chain selon vous ?
Joannes Vermorel: La définition académique de la supply chain que l’on trouve sur Wikipedia et dans la plupart des ouvrages sur la supply chain passe presque totalement à côté de l’essentiel. Je pense qu’elle ne vaut pas grand-chose. Il y a une série de problèmes avec cette définition. D’abord, il y a une confusion entre le domaine d’expertise et les objets eux-mêmes impliqués. Pour clarifier, si je fais une analogie avec la physique, la physique ne concerne pas tout ce qui existe dans l’univers. Elle consiste plutôt à découvrir les principes fondamentaux qui régissent toutes les interactions que l’on peut observer à un niveau fondamental dans la matière.
Kieran Chandler: Quel est le problème avec la définition actuelle ?
Joannes Vermorel: Le problème avec la définition actuelle est qu’elle passe à côté des interactions fondamentales impliquées dans la supply chain. La définition fournie sur Wikipedia est précise, mais c’est quand même de la camelote. Ce n’est pas seulement une page sur Wikipedia ; la plupart de la littérature sur la supply chain propose une définition dans des termes similaires. Cependant, de mon point de vue, cela ne vaut pas grand-chose.
Kieran Chandler: Pouvez-vous nous définir la supply chain ?
Joannes Vermorel: C’est l’étude des interactions fondamentales. L’un des problèmes de la définition qui dit « ce sont toutes les personnes, processus, dispositifs et outils qui vont des matières premières au produit fini » est que vous finissez par penser que la supply chain se résume à tout ce qui vient d’être listé. Mais la supply chain n’est pas la fabrication ; elle n’inclut pas des éléments tels que la mythologie, la psychologie humaine ou la conception et la production de camions.
Kieran Chandler: Donc, vous pensez que la définition est trop large ?
Joannes Vermorel: Oui, si vous lisez cette définition, vous penseriez que le directeur de la supply chain serait pratiquement le PDG. Mais ce n’est généralement pas le cas. La gestion de la supply chain concerne le mouvement et le stockage des matières premières, des stocks en cours et des produits finis, ainsi que l’exécution des commandes de bout en bout, depuis le point d’origine jusqu’au point de consommation.
Kieran Chandler: Et comment la gestion de la supply chain se distingue-t-elle de la supply chain ?
Joannes Vermorel: La distinction entre la supply chain et la gestion de la supply chain résulte de la manière dont l’histoire se construit dans ce domaine. La majeure partie de l’histoire de la supply chain est en réalité écrite par des consultants. Si vous avez une nouvelle théorie, meilleure et plus sophistiquée, de la supply chain, vous pouvez la vendre à de nombreuses entreprises. Et la seule façon d’apprendre la supply chain est d’interagir avec de grandes entreprises, c’est pourquoi les consultants jouent un rôle important.
Kieran Chandler: Donc, vous pensez que les consultants ont un biais dans la façon dont ils définissent la supply chain ?
Joannes Vermorel: Oui, il existe un certain biais puisque les ouvrages qui ont historiquement influencé le domaine de la supply chain ont été écrits par des consultants. Mais ils sont limités par leurs interactions relativement brèves avec les entreprises.
Kieran Chandler: Je dirais qu’il existe un biais mécanique dans la manière dont ce savoir est généré. Un biais est que si vous produisez du savoir et que vous découvrez quelque chose d’intéressant, vous souhaitez pouvoir le vendre à vos clients, et qui sont vos clients ? Ce sont des managers. Donc, je dirais que la principale différence entre la supply chain et la gestion de la supply chain tient à l’image que l’on donne du savoir lui-même, car en le qualifiant de gestion de la supply chain, vous le rendez directement plus vendable à vos clients en tant que consultant.
Joannes Vermorel: Et évidemment, comme le savoir est relayé par d’autres consultants, même si vous êtes un consultant à succès, d’autres liront vos théories et commenceront à les promouvoir afin de pouvoir vendre leurs propres services de conseil, etc. Et encore, je ne dis pas que ces comportements sont mauvais ; ils sont tout à fait acceptables. Mais cela signifie que vous devez être conscient de certains types de biais. Je dirais donc que vous finissez par avoir un biais en faveur de la vente au top management, et ainsi vous avez tendance à favoriser ce qui semble logique pour un directeur de la supply chain plutôt que pour quelqu’un au bas de la pyramide. Et vous devez être conscient qu’en raison de ce biais, il est généralement difficile de vendre quelque chose de plus abstrait, simplement parce que ce n’est pas directement aligné avec un certain mode de vente de services de conseil.
Kieran Chandler: Nous avons abordé bon nombre des problèmes entre la définition de la supply chain et celle de la gestion de la supply chain. À votre avis, quelle serait une meilleure définition de la supply chain ?
Joannes Vermorel: Une meilleure définition serait celle qui s’applique à l’ensemble de l’entreprise, concernant le flux de biens physiques et la maîtrise de l’optionnalité face à la variabilité. La version très courte serait la maîtrise de l’optionnalité face à la variabilité.
Kieran Chandler: Que voulez-vous dire par optionnalité dans ce contexte ?
Joannes Vermorel: Décomposons cela un peu. L’optionnalité, c’est l’ensemble des options qui s’offrent à vous. Par exemple, vous disposez d’infrastructures telles que des usines, des entrepôts et des camions que vous ne pouvez pas modifier. Vous êtes en quelque sorte coincé avec ces éléments pendant peut-être une décennie, voire plus. Vos implantations dans le monde ne sont pas non plus des éléments que vous pouvez facilement changer. Vous y êtes lié, pour le meilleur ou pour le pire, pendant de longues périodes. Mais il existe de nombreuses choses que vous pouvez modifier à tout moment. Par exemple, vos niveaux de stocks. Vous pouvez décider à n’importe quel moment de vouloir acheter plus ou moins, ou de déplacer des stocks. Vous pouvez ajuster vos prix à la hausse ou à la baisse à tout moment. Donc, ce que je veux dire par optionnalité, c’est toutes ces options à votre disposition que vous pouvez modifier rapidement avec un capital minimal par rapport à tout le reste, comme la recherche et développement ou la création d’un nouveau produit.
Kieran Chandler: Une marque qui a une très forte valeur, qui identifie des marchés véritablement adaptés à vos produits, etc., c’est beaucoup plus à court terme, et ces éléments sont toujours présents. Donc, l’optionnalité, et il ne s’agit pas seulement du fait d’en disposer – comme je l’ai dit – l’optionnalité représente l’ensemble de ces options. Et quand je parle de maîtriser l’optionnalité, je veux dire que vous faites preuve d’intentionnalité quant aux options qui sont à votre disposition.
Joannes Vermorel: D’abord, vous disposez de nombreuses options, et vous pouvez les exercer ou non. Cela signifie que vous pouvez décider d’acheter ou non, et en quelle quantité. Vous avez des options, et vous les exploitez. Je dirais qu’une partie de la maîtrise consiste à cultiver vos options. Vous voulez vous positionner de manière à ce que les options disponibles pour votre entreprise soient abondantes. Maintenant, pourquoi avez-vous besoin de toutes ces options ? Cela nous amène à la deuxième partie de ma phrase, à savoir la maîtrise de l’optionnalité face à la variabilité.
C’est parce que vous passez des décennies à construire votre marque, à faire de la recherche et développement, à accumuler des brevets, à développer des technologies et des infrastructures. Mais le marché fluctue toujours de manière imprévisible, dans une large mesure. Et même ce que vous faites peut donner des résultats incertains. Si vous êtes agriculteur, vous faites face à l’incertitude du marché, quant à savoir si le prix de votre denrée sera élevé ou bas, et vous avez votre propre récolte qui peut être abondante ou maigre.
Même si vous êtes fabricant, vous êtes également confronté à une variabilité interne. Parfois, vos délais varient ou vous avez un lot qui échoue en raison d’un problème de qualité. Ainsi, il existe généralement beaucoup plus de variabilité à l’extérieur de votre entreprise, notamment une variabilité que vous ne pouvez pas maîtriser. Cependant, la variabilité est aussi fortement présente au sein de votre entreprise. Disposer de ces options vous permet d’y faire face, afin de ne pas être complètement coincé.
Lorsqu’il y a une poussée de demande, vous avez la chance de disposer d’un important stock de sécurité qui vous offre la possibilité de répondre à cet afflux de demande quelque peu inattendu. Vous avez ainsi créé, d’une part, des options pour gérer une variabilité que vous ne pouvez pas complètement maîtriser, et d’autre part, vous disposez des moyens pour y faire face. Et je soutiens que cette maîtrise constitue fondamentalement l’essence même de la supply chain.
Kieran Chandler: Examinons les choses du point de vue d’une entreprise. Évidemment, une définition n’est, au bout du compte, qu’une convention. Alors pourquoi une entreprise devrait-elle vraiment se soucier d’un tel concept ?
Joannes Vermorel: Je soutiens que si vous adoptez cette définition, alors vous réalisez que le type de compétences
Kieran Chandler: Ainsi, lorsque vous pensez à l’optimization de la supply chain, pensez-vous qu’il est important d’avoir une mentalité et une perspective cohérentes au sein de la division supply chain ?
Joannes Vermorel: Oui, il est crucial d’avoir une mentalité et une perspective cohérentes dans votre division supply chain. Cette cohérence aboutit à un véritable effet de synergie lorsque tout s’assemble. Pour maîtriser la variabilité de la supply chain, il faut disposer de meilleures prévisions, ce qui nécessite des compétences analytiques et quantitatives. Si vous constituez une équipe pour obtenir de bons résultats, vous voudrez des personnes très analytiques et dotées d’un esprit quantitatif.
Kieran Chandler: Diriez-vous donc que combiner la planification et la logistique sous l’égide de la supply chain ne produirait pas les meilleurs résultats ?
Joannes Vermorel: Exactement. Combiner la planification et la logistique sous un même toit n’est pas idéal, car les compétences requises sont tout à fait différentes. Par exemple, gérer des chauffeurs de camion est un travail difficile qui demande un ensemble de compétences différent de celui requis pour une bonne analyse statistique. Vous pouvez être un excellent analyste statistique et être un mauvais gestionnaire de chauffeurs de camion, ou inversement. Il n’existe aucune corrélation entre ces deux ensembles de compétences. Voilà pourquoi il est important d’avoir une définition qui offre une distinction claire entre les différents aspects de la supply chain, garantissant ainsi des équipes cohérentes et une dynamique interne positive pour votre entreprise.
Kieran Chandler: En regardant vers l’avenir, voyez-vous évoluer la définition de la supply chain ? Qu’attendez-vous dans la prochaine décennie ou dans les 20 prochaines années ?
Joannes Vermorel: Fait intéressant, de nombreuses entreprises ont déjà commencé à percevoir cette distinction. Par exemple, sur LinkedIn, vous pouvez voir que des entreprises comme Zalando emploient des personnes travaillant sur l’optimisation de stocks et l’optimisation de la tarification au sein d’une même division. Elles peuvent avoir un directeur de l’optimisation de stocks et d’optimisation de la tarification. Bien qu’ils n’aient pas le titre de directeur de la supply chain, leurs rôles sont très similaires à celui d’un directeur de la supply chain. Essentiellement, ils regroupent les mêmes aspects sous un même toit. Pour un détaillant comme Zalando, les options principales sont ce que vous achetez, le prix auquel vous vendez et l’optimisation de l’assortiment.
Kieran Chandler: Ainsi, en tant que détaillant, vous devez décider de l’assortiment, de la quantité à acheter et du prix de vente. Cela donne une vision globale des options disponibles à chaque instant. Fait intéressant, certaines entreprises en avance sur leurs concurrents consolident déjà tous ces aspects et n’ont peut-être même pas de titre dédié à la supply chain.
Joannes Vermorel: Oui, c’est exact. Si nous regardons les entreprises plus traditionnelles, nous voyons généralement des directeurs de la supply chain piloter le processus de Sales and Operations Planning (S&OP). Ils s’occupent des aspects analytiques tels que la prévision, la planification et la programmation, mais ils ne prennent pas nécessairement les décisions finales. Cela signifie qu’ils produisent une prévision sans en assurer le suivi ; d’autres personnes doivent prendre les décisions finales pour eux. Cela peut conduire à des divisions de la supply chain faibles, car elles se contentent de produire des chiffres que tout le monde ignore.
Je prévois que ce type de division disparaîtra pratiquement dans les deux prochaines décennies. De même, je m’attends également à ce que les divisions de la supply chain qui confondent la gestion de la supply chain avec les opérations et l’exécution disparaissent, car elles nécessitent des compétences différentes.
Un anti-pattern typique serait de regrouper l’informatique et la logistique sous l’égide de la supply chain, en raison de la dépendance aux enterprise software. Cependant, cela peut conduire à se concentrer sur les détails banals des opérations quotidiennes, ce qui n’est pas idéal. Pour revenir à ma définition de la gestion de la supply chain, il s’agit de la maîtrise des options, et pas seulement de l’exécution opérationnelle.
Kieran Chandler: En matière d’optionnalité face à la viabilité, vous n’avez littéralement même pas le temps de penser à l’avenir, de réaliser de bonnes prévisions, de réfléchir à vos options et d’optimiser. Vous êtes complètement submergé par des problèmes informatiques et des montagnes de bugs. Vous avez des milliers de tickets ouverts concernant des problèmes que vous n’avez pas corrigés et que vous avez décidé de ne pas corriger. Si vous êtes dans les opérations, vous êtes toujours coincé avec des problèmes super opérationnels absurdes, comme des employés mécontents et en grève. Cela peut être une caractéristique française, mais il peut y avoir toutes sortes d’autres problèmes très banals, comme un entrepôt sans climatisation où il fait tout simplement trop chaud, et où les gens refusent de travailler pour de très bonnes raisons. Cela est arrivé, par exemple, à Amazon.
Joannes Vermorel: Ainsi, il n’est pas aisé de disposer de la bande passante intellectuelle nécessaire pour réfléchir à ces problèmes de maîtrise de l’optionnalité face à la viabilité. En conclusion, dans 20 ans, je crois que les survivants de ce marché – parce que les marchés n’éduquent pas, ils filtrent simplement – auront compris que, pour disposer d’une très bonne division supply chain, il faut compter sur des personnes spécialisées dans ces problèmes dont je viens de parler. Ces personnes doivent écarter d’autres problèmes très importants, car même s’ils le sont, étant donné qu’ils ne relèvent pas des mêmes catégories et ne requièrent pas les mêmes compétences, il n’y a pas vraiment d’intérêt à les regrouper sous le même toit. Bien entendu, ces personnes doivent encore communiquer entre elles, mais il s’agit de compétences très différentes.
Kieran Chandler: D’accord, il va falloir conclure ici, mais peut-être devrions-nous essayer de faire modifier cette définition sur Wikipedia. Voilà, c’est tout pour cette semaine. Merci beaucoup de nous avoir écoutés, et nous vous retrouverons dans le prochain épisode. À bientôt.