00:00:08 Introduction au paradoxe quantitatif-qualitatif dans les supply chains.
00:00:33 Les défis de la mesure des économies avec une approche quantitative.
00:02:00 Paradoxe entre une méthodologie hautement quantitative et la nécessité d’une compréhension qualitative.
00:03:10 Le rôle du jugement subjectif dans l’évaluation des chiffres et des mesures.
00:06:00 L’importance de la compréhension qualitative dans l’utilisation des données pour améliorer les entreprises.
00:08:01 Le défi de comparer des situations de supply chain pré- et post-covid.
00:10:22 Les mesures d’urgence prises pendant la crise et l’évaluation de la performance de la supply chain.
00:12:57 La complexité des problèmes de supply chain et la frustration de ne pas avoir un seul chiffre pour représenter la solution.
00:14:10 Le danger de trop mettre l’accent sur les solutions techniques et l’importance de l’interprétation dans la gestion de la supply chain.
00:15:53 La fréquence à laquelle les praticiens de la supply chain devraient revoir leurs décisions et le processus itératif de la réflexion qualitative.
00:17:38 Adopter l’état d’esprit “Day One” issu de la philosophie d’Amazon pour aborder les problèmes avec une perspective nouvelle.
00:19:12 Utiliser des approches qualitatives pour améliorer la résolution des problèmes dans l’optimization de la supply chain.
00:21:36 Comment l’analyse des chiffres peut aider à prendre de meilleures décisions pour relever les défis d’une entreprise.
00:22:31 L’importance de comprendre l’interaction entre les méthodes qualitatives et quantitatives dans la gestion de la supply chain.

Résumé

L’interview entre Kieran Chandler et Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, explore les complexités de l’optimization de la supply chain et la nécessité d’un équilibre entre approches quantitatives et qualitatives. Vermorel souligne l’importance de comprendre et d’interpréter les chiffres par le biais de jugements qualitatifs, car les supply chains impliquent des systèmes complexes avec de nombreux points de défaillance potentiels. Il suggère que les entreprises devraient se lancer dans l’analyse de données afin de construire un modèle intellectuel de ce que signifie l’optimalité pour leur supply chain spécifique, menant à des jugements qui ne sont pas purement quantitatifs. La discussion met également en lumière les défis de la simplification de problèmes complexes et l’importance de mieux répondre à la demande des clients.

Résumé étendu

Dans cette interview, Kieran Chandler, l’animateur, s’entretient avec Joannes Vermorel, le fondateur de Lokad, une entreprise de logiciels spécialisée dans l’optimization de la supply chain. Ils évoquent la combinaison des approches quantitatives et qualitatives dans la gestion de la supply chain et les défis liés à leur équilibre.

Vermorel explique que l’approche la Supply Chain Quantitative de Lokad est souvent accueillie avec scepticisme et des questions sur des économies spécifiques en dollars. Bien que la méthodologie de l’entreprise soit fortement quantitative et repose sur des outils statistiques avancés ainsi que sur un langage de programmation dédié à la predictive optimization, Vermorel admet qu’il est difficile de fournir des mesures simples et précises des économies. Il souligne qu’il est souvent trompeur de promettre un montant garanti d’économies en dollars, car les complexités des supply chains nécessitent une compréhension plus nuancée.

Bien que l’approche de Lokad soit ancrée dans une méthodologie quantitative, Vermorel souligne l’importance du jugement qualitatif pour interpréter les chiffres. Il explique que chaque mesure, même dans un cadre hautement quantitatif, est en partie subjective, car les supply chains sont des systèmes complexes impliquant des personnes, des machines, des processus et des logiciels. Par conséquent, éliminer complètement les jugements personnels est presque impossible.

Vermorel illustre la subjectivité des mesures en abordant le chiffre d’affaires. Il souligne que, bien que le chiffre d’affaires soit une donnée quantitative, elle est influencée par divers facteurs, tels que les promotions, les réductions, et les ruptures de stock, lesquels font l’objet de jugements qualitatifs. De même, lorsqu’on examine les stock levels, il existe de multiples facteurs à considérer, notamment les lead times, la fiabilité des fournisseurs et le risque d’obsolescence. Tous ces facteurs nécessitent des évaluations qualitatives.

Chandler et Vermorel évoquent également la difficulté de prédire l’avenir et l’importance des jugements qualitatifs lorsqu’il s’agit de traiter des incertitudes. Vermorel note qu’avec les outils prédictifs les plus avancés, il y aura toujours des inconnues nécessitant l’intuition et l’expérience humaine. Cela est particulièrement vrai pour les supply chains, où des réseaux complexes et des interdépendances créent de nombreux points de défaillance potentiels. Si les méthodes quantitatives peuvent aider à identifier les risques, les évaluations qualitatives aident à les prioriser et à y remédier efficacement.

Enfin, Vermorel souligne que l’optimization de la supply chain ne consiste pas simplement à réduire les coûts, mais également à atteindre des objectifs stratégiques. Il insiste sur le fait que les entreprises devraient prendre en compte des aspects qualitatifs tels que l’image de marque, la satisfaction client, et le potentiel de croissance à long terme lorsqu’elles prennent des supply chain decisions. Dans ce contexte, il est crucial de trouver un équilibre entre les évaluations quantitatives et qualitatives pour assurer des résultats optimaux.

La discussion entre Kieran Chandler et Joannes Vermorel porte sur les complexités de l’optimization de la supply chain et la nécessité d’équilibrer les approches quantitatives et qualitatives. Bien que la méthodologie de Lokad soit fortement quantitative, Vermorel met en avant l’importance des jugements qualitatifs pour comprendre et interpréter les chiffres. La gestion de la supply chain requiert un mélange des deux approches afin d’aborder les incertitudes et les complexités inhérentes au domaine et d’atteindre les objectifs stratégiques.

Vermorel explique que Lokad a commencé avec l’approche classique des prévisions, produisant un seul chiffre pour la demande sur une base quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle. Cependant, ils se sont rapidement rendu compte que cette approche négligeait la notion d’incertitude. En s’immergeant plus profondément dans les chiffres, ils ont constaté qu’il existait de nombreuses nuances et subtilités. Cela a conduit au développement d’outils d’analyse numérique plus avancés et à la nécessité de faire des jugements pour déterminer quelles voies suivre dans l’optimization des supply chains.

L’animateur cite une phrase de William Edward Deming selon laquelle, sans données, vous n’êtes qu’une autre personne avec une opinion. Vermorel est d’accord mais ajoute que se fier uniquement aux données peut être naïf. Il soutient que l’idée que les ingénieurs se contentent de traiter des données pour trouver une solution optimale est absurde, car le concept d’“optimal” est hautement subjectif. Au contraire, Vermorel suggère que les entreprises doivent s’engager dans le traitement des données afin de construire un modèle intellectuel de ce que signifie l’optimalité pour leur supply chain spécifique. Paradoxalement, cela conduit souvent à des jugements qui ne sont pas purement quantitatifs.

Lorsqu’on lui demande un exemple, Vermorel évoque les défis auxquels les clients ont été confrontés lors de la récession économique causée par la pandémie de COVID-19. Les entreprises ont connu une baisse des ventes, un excès de stocks, et d’importants changements dans leurs canaux de vente. Dans ce contexte, des clients ont demandé à Lokad de prouver que leur gestion de la supply chain s’était améliorée par rapport à l’année précédente. Vermorel souligne les difficultés d’effectuer de telles comparaisons, car les situations pré- et post-pandémiques sont significativement différentes.

Il explique que, pour comparer les performances, les entreprises doivent faire des jugements de haut niveau qui ne peuvent pas se fonder uniquement sur des données numériques. Par exemple, elles doivent prendre en compte des facteurs tels que la fermeture de magasins et le passage des ventes en magasin aux ventes en ligne. De plus, les supply chains ont dû être arrêtées et redémarrées en réponse à la crise, ce qui complique encore davantage la comparaison.

L’interview met en lumière l’importance de l’analyse à la fois quantitative et qualitative dans l’optimization de la supply chain. Bien que les données soient essentielles pour comprendre les subtilités de la gestion de la supply chain, les jugements et une approche plus holistique sont nécessaires pour prendre des décisions efficaces. Ceci est particulièrement pertinent en période de crise, lorsque les entreprises doivent s’adapter à des situations sans précédent et comparer les performances antérieures avec prudence.

Ils ont discuté de l’importance d’une approche quantitative dans l’optimization de la supply chain, tout en reconnaissant la nécessité d’un jugement qualitatif. Les supply chains devraient fonctionner sans accrocs, sans événements remarquables ou goulets d’étranglement, et avec le bon équilibre entre des forces économiques conflictuelles. Vermorel insiste sur la nécessité d’une révision itérative et qualitative du système plutôt que d’une révision quantitative constante, suggérant que les entreprises devraient se concentrer sur la réparation du moteur de prévision au lieu de revoir manuellement les prévisions. La discussion met également en évidence les défis de la simplification de problèmes complexes et l’importance de mieux comprendre et satisfaire la demande des clients.

Vermorel évoque l’importance d’un équilibre entre les approches qualitatives et quantitatives dans l’optimization de la supply chain. Il met en avant le concept de la pensée “Day One”, qui insiste sur une perspective nouvelle des problèmes. Vermorel suggère que, bien que les méthodes quantitatives puissent fournir des informations précieuses, il est crucial de se concentrer sur la définition qualitative du problème. Il souligne que les chiffres peuvent aider à identifier les bons enjeux pour une entreprise, conduisant finalement à de meilleurs résultats. L’interaction entre méthodes quantitatives et réflexion qualitative peut élargir les horizons des directeurs de la supply chain, les aidant à aborder leur supply chain de manière innovante.

Transcription complète

Kieran Chandler: Salut, chez Lokad, la combinaison entre une approche quantitative fondée sur les données et une approche qualitative axée sur les décisions business a souvent été perçue comme quelque peu perturbatrice. Ainsi, aujourd’hui sur Lokad TV, nous allons examiner cet équilibre et comprendre lequel est le plus important dans une sorte de situation de l’œuf et de la poule. Alors, Joannes, notre sujet du jour porte sur ce paradoxe quantitatif-qualitatif dans les supply chains. C’est un peu lourd à dire, alors quelle est l’idée derrière cela ?

Joannes Vermorel: L’idée, c’est que chez Lokad, nous sommes en train de pionnier ce que l’on appelle l’approche quantitative de la supply chain. Beaucoup de personnes nous défient en disant : “Vous avez une approche quantitative, alors combien mon entreprise va-t-elle économiser en dollars dans un an si nous faisons cela ?” La réponse est en fait très difficile, car vous diriez : “Eh bien, vous avez une approche où vous mesurez tout en dollars et vous optimisez cela, alors pourquoi ne pourriez-vous pas avoir une mesure très simple des économies en dollars ?” La réponse s’avère fréquemment être bien plus compliquée que cela, et il faut beaucoup de compréhension qualitative pour donner un sens aux chiffres quantitatifs que nous pouvons présenter. Habituellement, les chiffres bruts, si je dis : “Oh, votre entreprise va économiser 10 millions de dollars, garanti,” sont complètement trompeurs.

Donc, le paradoxe est que, bien que nous ayons une méthodologie hautement quantitative avec une multitude d’outils numériques avancés et de technologies qui se contentent littéralement de traiter des chiffres à grande échelle, faisant des statistiques avancées, c’est une approche très quantitative. Lokad est une plateforme programmatique, où les gens programment, ce qui revient encore à traiter des chiffres avec un outil assez avancé, un langage de programmation dédié à la predictive optimization des supply chains. C’est profondément quantitatif au quotidien, en termes d’outils et de technologie. Et pourtant, ce que je dis, c’est que généralement, la seule manière d’y donner un sens est de faire des jugements qualitatifs, ce qui est un peu paradoxal pour une méthodologie qui se targue d’être hautement quantitative.

Kieran Chandler: Ceux qui regardent cela pourraient trouver cela un peu surprenant. Je veux dire, vous avez écrit un livre entier sur la quantitative supply chain. Alors, qu’est-ce qu’un jugement qualitatif ? Quelles sont les choses auxquelles nous devrions prêter attention dans ce domaine ?

Joannes Vermorel: L’une des choses les plus importantes est de comprendre que chaque nombre, chaque mesure que vous effectuez, est hautement subjective. Vous pourriez penser que vous pouvez avoir quelque chose de complètement rationnel, objectif et indépendant, ayant éliminé toutes sortes de jugements personnels, mais la réalité est que c’est presque impossible à réaliser. Les supply chains sont très complexes et comprennent de nombreuses personnes, machines, processus et logiciels. Elles évoluent dans un écosystème que vous comprenez à peine, de sorte qu’au mieux, vous devez faire des jugements même lorsque vous souhaitez évaluer des éléments comme le chiffre d’affaires. Il y a un grand proverbe dans…

Kieran Chandler: Pouvez-vous nous en dire plus sur la philosophie business derrière votre entreprise, Lokad ?

Joannes Vermorel: La philosophie se reflète dans l’adage business « le chiffre d’affaires est vanité, le profit est une opinion, le cash est roi. » Cela signifie que selon ce que vous regardez, vous examinez soit quelque chose de très réel, soit quelque chose de plus flou, à interpréter de différentes manières. C’est là le cœur de nos produits.

Kieran Chandler: Pouvez-vous préciser ?

Joannes Vermorel: En développant des outils pour une analyse plus quantitative et le traitement intensif des données, nous avons progressivement réalisé l’ampleur de la profondeur, par exemple en obtenant des prévisions toujours meilleures via better forecasts. Lorsque Lokad a commencé, nous utilisions des prévisions classiques qui nous fournissaient un chiffre unique pour la demande quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle. Mais nous avons réalisé qu’il nous manquait quelque chose ; il y avait une absence totale de prise en compte de l’incertitude dans notre méthodologie. Notre perspective classique était erronée car nous écartions complètement l’incertitude. Ainsi, plus vous approfondissez les chiffres, plus vous constatez l’existence de multiples nuances et subtilités. Cela nécessite des jugements, qui sont hautement arbitraires.

Kieran Chandler: Donc, ce que vous dites, c’est que sans une certaine compréhension qualitative, il y a une limite à ce que l’on peut faire avec les données ?

Joannes Vermorel: Non, pas vraiment. Vous pouvez être sous l’impression naïve que les données vont débloquer une sorte d’amélioration de l’entreprise, mais ce n’est pas le cas. Sans données, vous n’aurez même pas les outils, et la réalité ne vous mettra pas suffisamment au défi pour que vous puissiez construire un modèle à la fois concret et intellectuel de ce que signifie réellement l’optimalité pour votre entreprise. Pour obtenir de bonnes idées sur la façon de penser votre supply chain, vous devez vous livrer à ce traitement de données, et une fois cela fait, vous aurez les outils pour faire des arbitrages.

Kieran Chandler: Alors, Joannes, vous avez beaucoup parlé de l’approche quantitative que Lokad adopte pour l’optimization de la supply chain. Mais j’imagine qu’il reste encore des arbitrages qualitatifs à faire. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Joannes Vermorel: Oui, absolument. Même si nous essayons de nous appuyer autant que possible sur des données quantitatives, il existe encore des arbitrages qui ne sont absolument pas quantitatifs. Vous voyez, c’est une particularité. Et l’illusion serait de penser que l’on peut contourner un arbitrage pour rester entièrement dans le quantitatif.

Kieran Chandler: D’accord, cela a du sens. Pouvez-vous nous donner un exemple de situation où des démarches qualitatives sont nécessaires ?

Joannes Vermorel: Bien sûr, laissez-moi vous donner un exemple. Des clients, par exemple, en ce moment, dans cette période, nous demandent : “Dites-nous, vous savez, vous venez de déployer Lokad. Nous avons la chance d’avoir encore réussi à conclure des affaires durant le premier semestre de 2020. Et ils examinent la situation, ils demandent : ‘Prouvez-nous que nous nous débrouillons mieux par rapport à l’année dernière.’” Et évidemment, compte tenu de la situation économique absolument horrible dans laquelle nous nous trouvons, je veux dire, tout est pire, vous savez, ils ont moins de ventes. S’ils sont dans la mode, la majeure partie de la saison hivernale n’a pas fonctionné, c’est-à-dire qu’ils se retrouvent avec des tonnes de stocks de la saison hivernale. C’est assez mauvais, c’est assez critique dans de nombreuses situations. Et je crois que même dans cette situation, nous sommes capables d’améliorer les choses. Mais par rapport à quoi ? Peut-on comparer la situation pré-COVID à la situation post-COVID ? Cela a-t-il même du sens ? Comment comparer quand vous avez, par exemple, des réseaux de distribution qui ont fermé un tiers de leurs magasins, ou quand, fondamentalement, le e-commerce a doublé alors que les magasins ont perdu la moitié de leur demande ? C’est un monde différent, pas totalement différent, mais assez différent. Ainsi, lorsqu’il s’agit de comparer les chiffres, je dirais qu’il est nécessaire de faire des arbitrages. Vous pouvez présenter le chiffre, en discuter, essayer de les aligner autant que possible, essayer de dire : “Voici tous les biais que nous tentons de prendre en compte.” Mais la réalité est que les chiffres que vous présentez au final nécessitent un jugement de haut niveau. Vous ne pouvez pas simplement dire : “Oh, c’est comparé à deux chiffres, et c’est tout,” et me dire combien de millions d’euros ou de dollars vous avez économisé, par exemple. Ce à quoi nous avons dû faire face pendant cette crise, c’est que de nombreux clients ont nécessité que nous prenions des mesures d’urgence afin que leur supply chain puisse être arrêtée de manière propre. Cela a été très compliqué à orchestrer et complètement sans précédent. Puis nous avons dû faire l’inverse, deux mois plus tard, où nous avons dû, je dirais, redémarrer en urgence la supply chain. Et ensuite, comment juger si Lokad a bien agi ? Et je crois que notre approche quantitative rend assez simple de prendre un arbitrage. Mais ne vous méprenez pas, il y a un arbitrage, un arbitrage très réfléchi impliqué, et c’est complètement qualitatif. Par exemple, pour le redémarrage de la supply chain, avons-nous eu, vous savez, combien de situations de panique ? Avons-nous soudainement rencontré des goulets d’étranglement accidentels, ou au contraire, avons-nous su maintenir les choses de manière fluide et, je dirais, sans événement marquant ? Vous savez, la propriété de non-événementialité de votre supply chain.

Kieran Chandler: Cela peut ressembler à quelque chose de typiquement sous-estimé, vous savez, une qualité d’un processus d’optimization de la supply chain très performant est qu’il n’y a plus d’événement marquant. Et il est très difficile, je dirais, de le quantifier numériquement. Vous savez, lorsqu’il ne se passe rien de remarquable, simplement parce que tout fonctionne de manière fluide sans trop de tracas, comme cela devrait être le cas. Et c’est une qualité très, très importante de ce que je qualifierais d’une supply chain bien rodée. Les choses se passent très bien, et il n’y a vraiment rien de remarquable, vous savez. Il n’y a pas de stocks massifs, il y a en réalité le moins de stocks possible, et il y a très peu, vous savez, de ruptures de stocks, aussi peu que raisonnable. Et dans l’ensemble, c’est très sans événement, mais parfois ces clients se frustrent un peu parce que vous vous concentrez sur ce type d’interprétation des événements au lieu de vous focaliser sur les résultats numériques. Lokad n’excède-t-il pas, peut-être, un peu son rôle là-dedans ?

Joannes Vermorel: Oui, je veux dire, c’est frustrant car ce n’est pas simple, vous savez. On aimerait avoir quelque chose de facile, ou simplement obtenir ce chiffre et en finir. Et quand on examine le problème et qu’on se rend compte que, “Vous savez, nous avons au moins 10 angles à ce problème et nous devons les concilier,” parce que la supply chain consiste en grande partie à équilibrer des forces économiques contradictoires, vous savez, le coût des stocks, le coût d’une production plus élevée, le coût d’une plus grande flexibilité en termes de fournisseurs, le coût d’avoir des délais plus courts contre le coût d’avoir plus de stocks et des délais plus longs, toutes ces choses étant en conflit. Alors, quand on aborde ce problème, et que des gens disent, “Oh, nous aimerions que ce problème, qui possède au moins 10 dimensions, soit réduit à un seul chiffre et en rester là,” nous répondons, “Eh bien, il vous manque la certitude, et c’est précisément cela qui rend votre entreprise formidable.” Et il n’est pas toujours possible de réduire quelque chose de très, très complexe à une perspective simpliste.

Kieran Chandler: Et j’imagine que vous ne dites pas qu’il faut rechercher la complexité pour le simple plaisir de la complexité, juste pour avoir l’air de savoir, parce que c’est ce que font de nombreux acteurs de cette industrie. Ils mettent simplement, je dirais, trop l’accent sur des solutions super techniques avec bien trop de chiffres simplement pour avoir l’air impressionnants et avertis, vous savez, pour donner l’impression de connaître bien plus que vous.

Joannes Vermorel: Ce n’est pas le point. Habituellement, nous disons qu’il faut consacrer beaucoup de temps à l’interprétation pour même, par exemple, déterminer si un chiffre mérite d’être examiné, et cela vaut la peine d’être discuté. Certes, il est toujours possible pour chaque dashboard d’ajouter un KPI supplémentaire, mais est-ce vraiment pertinent ? Et encore, c’est une discussion qualitative sur les résultats numériques. Ce qui est surprenant, c’est que la pertinence d’un KPI dépend des valeurs numériques qu’il affiche. Et encore, comment la valeur numérique d’un KPI peut-elle être qualifiée de surprenante ? Ce n’est, une fois de plus, pas une affirmation purement numérique.

Kieran Chandler: Vous avez parlé de chiffres et de couches de réflexion. Pourriez-vous expliquer ce paradoxe selon lequel on pense souvent qu’il n’est question que de chiffres ?

Joannes Vermorel: Oui, c’est une affirmation qualitative, et c’est là que je dirais qu’il y a ce paradoxe : les gens pensent que, quand on dit qu’il n’est question que de chiffres, ce n’est pas le cas. Il s’agit d’avoir ses chiffres, mais avec des couches supplémentaires de réflexion par-dessus.

Kieran Chandler: Je vois. Et vous avez évoqué l’idée que ces couches de réflexion s’accroissent et deviennent un processus itératif. Alors, pour un praticien de la supply chain, à quelle fréquence devrait-il revisiter ces décisions ? Je veux dire, il ne peut pas gaspiller son énergie à les revoir constamment. Est-ce qu’il examine qualitativement les bons aspects ?

Joannes Vermorel: Je dirais qu’il devrait constamment remettre cela en question, et la révision quantitative du système est inutile. Lorsque je vois des entreprises déclarant, “Oh, nous sommes vraiment très axées sur les chiffres, vous savez, nous avons des personnes qui examinent manuellement notre prévision chaque semaine,” je réponds : “Pourquoi devez-vous revoir manuellement votre prévision chaque semaine ? C’est une perte de temps totale.” Ils rétorquent, “Mais les prévisions ne sont pas bonnes autrement.” Si les prévisions ne sont pas bonnes autrement, peut-être devriez-vous corriger le moteur de prévision qui les produit dès le départ afin de ne pas avoir à les ajuster manuellement tout le temps. Et en finir avec ça. Ils disent, “Oh, mais nous avons essayé pendant des années, et nous n’avons jamais réussi à utiliser cela avec notre fournisseur.” Alors je dis, “Eh bien, choisissez un autre fournisseur.” Par exemple… Mais je m’égare. Revenons au sujet. Vous voyez ce travail répétitif de révision quantitative. Je crois que c’est en réalité une perte de temps complète. Reconsidérer sans cesse la question : que signifie réellement ? Que signifie la demande client ? Comment puis-je réellement mieux servir mes clients ? Qu’est-ce que cela signifie de les servir mieux ? Y a-t-il un angle que je n’ai pas envisagé ? Et ce sont des questions qui valent la peine d’être revisitées en permanence. Et, d’ailleurs, je crois que c’est l’un des piliers de la pensée Amazon, cette idée du Day One. Si vous lisez les notes de service que Jeff Bezos adresse au monde entier, vous verrez qu’une des idées clés est essentiellement que, selon la méthode Amazon, c’est toujours le Day One. Autrement dit, vous devez toujours aborder les problèmes comme s’il s’agissait du premier jour, comme si vous repartiez de zéro en vous demandant : “Comment pouvons-nous revoir tout ce que nous avons fait comme si c’était le premier jour ?” Afin d’avoir une perspective complètement nouvelle. Et je crois que c’est exactement le contraire de ce que font les gens qui itèrent sans cesse leur prévision en l’ajustant quantitativement. C’est une approche quantitative où ils vont faire la même chose encore et encore, et ce n’est pas la bonne approche. La bonne approche est bien plus qualitative, où vous reprenez et vous vous demandez, “D’accord, repartons de zéro. Qu’est-ce qu’un client demande réellement ?” Et peut-être arriverez-vous à la même réponse, mais si, par hasard, vous obtenez une réponse différente…

Kieran Chandler: Désolé, vous pourriez finir par réaliser que peut-être vous avez besoin d’une réponse complètement différente. Si vous revisitez ce que signifie être un client et que vous réalisez alors que vous n’aviez pas le bon état d’esprit à ce sujet, alors peut-être que toutes les solutions que vous avez élaborées pour mieux servir ce que vous pensiez être votre client sont probablement complètement erronées par rapport à ce qu’elles devraient être. C’est un processus très délicat. Fait intéressant, une partie du paradoxe est que, généralement, si vous vous posez ces questions dans le vide, il y a de fortes chances que vous n’ayez pas de nouvelles idées.

Joannes Vermorel: Et une partie du paradoxe est que regarder les chiffres peut vous inspirer, vous donner cette étincelle qui vous permet d’avoir une meilleure façon de voir quantitativement votre entreprise. C’est exactement le genre de choses que, par exemple, nous avons réussi à faire chez Lokad avec ces prévisions probabilistes. Lorsque nous avons commencé à examiner ces probabilités, nous avons réalisé qu’il y avait tant de choses que nous n’avions même pas perçues. Nous n’avions même pas commencé à gratter la surface du problème, et nous n’en sommes venus à cette réalisation qu’après avoir commencé à examiner les probabilités, alors qu’auparavant nous nous contentions de regarder la prévision en supposant qu’il n’y avait qu’un seul chiffre pour l’avenir.

Kieran Chandler: Précédemment, vous avez évoqué l’idée de tomber amoureux du problème et non seulement de la solution. Donc, vous dites qu’adopter une approche plus qualitative améliore la manière dont on aborde le problème ?

Joannes Vermorel: Absolument. Il n’y a rien de plus qualitatif qu’une définition du problème. Ce ne sont pas les chiffres qui définissent les problèmes. Mais, pour revenir au point, les chiffres peuvent vraiment vous aider à mieux réfléchir au problème. Lorsque vous avez une problématique, vous devez faire des choix. Tout n’est pas également pertinent pour votre entreprise. L’esthétique est très importante pour de nombreuses marques, et pour les marques de luxe, l’esthétique peut être tout. Si vous vendez du matériel de mine, eh bien, peut-être pas autant. Cela signifie-t-il que votre équipement peut être laid ? Non, je dirais que, d’une manière très nerd et mécanique, le matériel de mine peut en réalité être esthétique.

Kieran Chandler: Plutôt cool, mais clairement l’accent n’est pas mis de la même manière. Vous voyez, c’est pourquoi vous avez une problématique. Vous devez également préciser ce qui n’est pas pertinent pour votre entreprise. Il faut faire preuve de parcimonie et choisir judicieusement ses batailles. Et, encore une fois, lorsque vous effectuez ces analyses chiffrées, elles peuvent vous aider à faire le bon choix de bataille pour votre entreprise afin d’atteindre cette optimization de la supply chain qui cible les aspects où vous pouvez réellement obtenir de meilleurs résultats, en fin de compte de meilleurs revenus. Mais attention, entre le jour où vous commencez à examiner le problème et six mois à un an plus tard, vous ne verrez plus le problème de la même manière. Ainsi, il devient incroyablement difficile de faire une comparaison dollar par dollar, car votre perspective sur le problème a changé. D’accord, si nous commençons à conclure aujourd’hui, la différence entre ce paradoxe qualitatif et quantitatif est effectivement un peu subtile. Alors, pourquoi est-ce important d’en discuter ?

Joannes Vermorel: Je pense que c’est important car, je crois – et nous avons dix ans d’expérience chez Lokad pour étayer cette conviction – que les méthodes quantitatives apportent de meilleurs résultats pour la supply chain. Mais l’essentiel, c’est que de meilleures méthodes quantitatives ouvrent de nouvelles façons de penser la supply chain, ce qui relève d’une approche complètement qualitative. Et vous voyez, il y a un va-et-vient : de meilleurs chiffres vous permettent de voir le problème différemment. Ainsi, je dirais aux directeurs supply chain de se familiariser avec ces méthodes numériques, tout simplement parce qu’elles élargiront leur horizon quant à la manière dont ils peuvent envisager leur supply chain. C’est peut-être contre-intuitif, mais c’est un va-et-vient. Et optez pour les méthodes quantitatives non pas pour les chiffres, mais pour les insights que ces méthodes vont ouvrir sur bien d’autres aspects de votre supply chain.

Kieran Chandler: D’accord, brillant. Cela a été un peu verbeux, mais je pense que nous avons réussi à réaliser tout l’épisode sans tout mélanger. Voilà donc tout pour cette semaine. Merci beaucoup de nous avoir suivis, et nous nous reverrons la prochaine fois. Merci d’avoir regardé.