00:00:07 Introduction et parcours d’Olivier Jonard.
00:01:31 Complexité des supply chain alimentaires et périssabilité.
00:03:19 Incertitude dans la production et les prix dans l’industrie alimentaire.
00:05:01 Équilibrer la concurrence par les prix et la qualité des produits.
00:07:26 Offrir plusieurs choix pour gérer le compromis entre prix et qualité.
00:08:35 Défis de l’approvisionnement local dans les grandes villes.
00:11:57 Prévisibilité et incertitude dans l’industrie alimentaire.
00:13:32 Impact des promotions et des substitutions sur la volatilité du marché.
00:15:36 Stabilité et prévisibilité de la demande alimentaire.
00:16:02 Facteurs saisonniers et différences régionales dans les stratégies promotionnelles.
00:18:55 Défis dans la supply chain de l’industrie alimentaire et approches courantes.
00:21:22 Améliorer les prévisions de supply chain et la nécessité d’une approche plus intelligente.
00:22:30 Tendances futures et le concept du guichet unique.
00:23:01 L’importance de la communication dans la gestion de la supply chain et les prévisions.
00:24:00 L’importance des outils basiques et des connaissances en gestion de la supply chain.
00:25:35 Le rôle de la technologie et de l’intelligence artificielle dans les supply chain.
00:26:36 L’avenir de l’industrie alimentaire : coûts et tendances.
00:27:45 Évolution de la technologie dans le secteur alimentaire.
00:28:53 Intelligence augmentée et valorisation de l’expertise dans l’industrie alimentaire.
Résumé
Lors d’une interview, Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Olivier Jonard, Directeur Supply Chain et Logistique chez Agromousquetaires, discutent de la complexité de la supply chain alimentaire et du rôle de la technologie. Les supply chain alimentaires font face à des défis dus aux produits périssables, au contrôle de température, à la prévention de la contamination, aux incertitudes de la demande et de la production, ainsi qu’aux fluctuations du marché mondial. Les intervenants abordent l’équilibre entre le prix et la qualité perçue, en insistant sur l’importance d’offrir plusieurs choix pour répondre aux différentes préférences des clients. Ils notent une tendance vers des produits issus de l’approvisionnement local et la nécessité de repenser les stratégies de production et de distribution. Vermorel et Jonard conviennent que les outils de supply chain actuels ne sont pas adaptés à l’industrie alimentaire, soulignant l’importance d’adapter la technologie aux besoins du secteur et de tirer parti de l’expertise humaine pour l’optimisation.
Résumé Étendu
Dans cette interview, Kieran Chandler s’entretient avec Joannes Vermorel, le fondateur de Lokad, et Olivier Jonard, le Directeur Supply Chain et Logistique chez Agromousquetaires, un important producteur alimentaire français. Ils discutent des complexités de la supply chain alimentaire et du rôle de la technologie dans l’industrie.
Joannes explique que la supply chain alimentaire est complexe en raison de la nature périssable des produits, de la nécessité de contrôler la température, de prévenir la contamination et des incertitudes tant du côté de la demande que de la production. De plus, les marchés mondiaux et les fluctuations des prix compliquent encore davantage la situation, rendant la gestion des produits plus difficile. L’industrie alimentaire a dû mettre en place des solutions de supply chain modernes bien avant l’avènement des ordinateurs, et la numérisation présente désormais un nouveau lot de défis.
Olivier partage son expérience dans l’industrie alimentaire, ayant travaillé pour Nestlé et d’autres entreprises avant de rejoindre Agromousquetaires en 2019. Il convient que le prix reste le facteur principal que les clients considèrent lors du choix d’un supermarché, mais d’autres éléments tels que la qualité, l’origine et une rémunération équitable pour les agriculteurs sont également importants. Malgré des marchés matures, la concurrence reste intense avec de nouveaux produits et des entrants, ce qui complique la compétition et le lancement de nouveaux produits. Les entreprises doivent être stratégiques dans l’approvisionnement, la production, la distribution et l’anticipation afin de maintenir des prix bas.
Joannes ajoute que les supermarchés, y compris Agromousquetaires, jouent un rôle d’équilibre délicat entre le prix et la qualité. En proposant une gamme de compromis, tels que des produits à petit prix, des marques de supermarché et des marques propres, les entreprises peuvent répondre aux clients recherchant différentes combinaisons de prix et de qualité. L’aspect unique d’Agromousquetaires est que leurs marques propres sont quelque peu dissimulées dans les magasins, mais les clients en sont conscients.
Ils abordent les défis liés à l’équilibre entre le prix et la qualité perçue des produits alimentaires, en soulignant l’importance d’offrir plusieurs options pour répondre aux préférences variées des clients. Cela complique toutefois la gestion de la supply chain en raison du nombre accru d’options.
Les intervenants notent qu’une part importante de la population française termine chaque mois avec un petit surplus financier, faisant des dépenses alimentaires un facteur critique dans leurs budgets. Ils observent également une tendance croissante vers des produits issus de l’approvisionnement local, en particulier après la crise du COVID-19, qui a mis en évidence la fragilité des supply chain mondiales. Des villes en France analysent déjà la proportion de nourriture consommée par les citoyens provenant des régions voisines.
Les interviewés reconnaissent que les modèles de supply chain actuels, basés sur les économies d’échelle et la mondialisation, ne sont pas adaptés pour répondre à la demande de produits issus de l’approvisionnement local. Ils évoquent la nécessité de repenser les stratégies de production et de distribution, en passant potentiellement de quelques grandes usines à plusieurs plus petites.
Joannes Vermorel souligne la prévisibilité de la consommation alimentaire, notant que malgré une stabilité macroéconomique, des incertitudes subsistent dans les prévisions pour les acteurs individuels de l’industrie alimentaire. La conversation met en avant l’importance d’optimiser et de se concentrer sur les décisions clés pour relever ces défis et améliorer la performance de la supply chain dans le secteur alimentaire.
La discussion tourne autour des défis et des opportunités dans l’industrie de la supply chain alimentaire.
Vermorel explique que l’industrie alimentaire fonctionne avec des marges relativement faibles et que le prix compte beaucoup. Cela conduit à des promotions fréquentes, qui font fluctuer la demande et rendent le marché imprévisible. De plus, le vaste potentiel de substitution dans l’industrie alimentaire contribue à une volatilité significative, rendant la gestion de la supply chain très difficile.
Jonard, quant à lui, soutient que la demande alimentaire est généralement assez stable et prévisible. Il donne des exemples de comportements saisonniers, comme une consommation accrue de saumon fumé pendant Noël ou d’eau et de jus lorsque les températures augmentent. Malgré cette prévisibilité, la fraîcheur des produits et la nécessité d’anticiper la demande des consommateurs pour des articles comme les saucisses à griller lors des week-ends ensoleillés nécessitent une gestion rigoureuse des stocks.
Jonard s’accorde également avec Vermorel sur la prévalence des promotions en Europe, affirmant que les consommateurs en sont accros. Chaque pays et chaque catégorie présentent leurs propres schémas promotionnels, ce qui peut contribuer aux fluctuations du marché. La combinaison des promotions, des conditions météorologiques et des problèmes de production peut rendre la supply chain désordonnée et imprévisible.
Jonard partage qu’au sein de son entreprise, certaines usines fonctionnent sans grande dépendance aux prévisions, utilisant plutôt les budgets et les stocks comme principaux outils. Toutefois, il estime que l’importance des prévisions pour la rentabilité croît et qu’il reste des marges d’amélioration.
Enfin, Vermorel identifie des pistes d’exploitation potentielles dans la supply chain en examinant les technologies de supply chain courantes. Il soutient que de nombreuses solutions actuelles sont conçues pour des situations de FMCG naïves, sans incertitude en production, prix ou promotions. Vermorel suggère qu’il existe une opportunité pour de nouvelles approches qui tiennent mieux compte des défis uniques de l’industrie de la supply chain alimentaire.
La discussion porte sur l’optimisation de la supply chain dans l’industrie alimentaire, l’efficacité des outils courants, l’acceptation de l’incertitude et le rôle de l’intelligence artificielle.
Vermorel explique que les outils courants de supply chain ne sont pas adaptés à l’industrie alimentaire, et que peu d’entreprises abordent correctement la substitution, la cannibalisation et l’incertitude. Il suggère qu’une combinaison d’outils statistiques intelligents, adaptés au commerce spécifique, serait plus efficace. Il reconnaît que Lokad travaille encore à surmonter les défis de la supply chain alimentaire.
Jonard discute de l’importance d’utiliser les prévisions pour soutenir les décisions commerciales et met en avant les avantages de l’approche Sales and Operations Planning (SNOP). Il estime que des outils de simulation basiques et une communication régulière entre les parties prenantes sont plus précieux que des outils sophistiqués. Jonard soutient également l’automatisation des décisions de base pour éliminer le besoin d’une gestion manuelle des tableurs. Il appelle à la prudence dans l’application de l’intelligence artificielle dans les supply chain et souligne la nécessité de comprendre et d’utiliser correctement la technologie.
Interrogé sur l’avenir de l’industrie alimentaire, Vermorel ne voit pas de limite à l’ingéniosité humaine et estime que la technologie peut continuer à réduire les coûts tout en améliorant la performance au travail. Il cite l’exemple des vignobles modernes et comment la technologie a amélioré la vinification.
Abordant l’intelligence artificielle, Vermorel suggère de se concentrer sur une meilleure utilisation de l’intelligence naturelle plutôt que de rechercher une IA avancée. Il propose d’augmenter l’intelligence en retenant les connaissances et en valorisant l’expertise existante, ce qu’il considère comme un moteur pour réduire les coûts et améliorer la qualité et l’exécution dans l’industrie alimentaire au cours de la prochaine décennie.
La discussion se conclut avec les deux invités insistant sur l’importance d’adapter la technologie aux besoins spécifiques de l’industrie alimentaire et de tirer parti de l’expertise humaine pour optimiser la supply chain.
Full Transcript
Kieran Chandler : Aujourd’hui sur lokad TV, nous avons le plaisir d’être rejoints par Olivier Jonard, qui va nous parler de certaines complexités de la supply chain dans l’industrie alimentaire et aussi de la manière dont la technologie peut nous aider à garder l’estomac plein. Alors, Olivier, merci beaucoup de nous rejoindre aujourd’hui. Et comme toujours, nous aimerions en savoir un peu plus sur nos invités avant de commencer. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
Olivier Jonard : Oui, bien sûr. Je suis heureux de participer. Merci beaucoup pour cette opportunité. Je travaille dans la supply chain depuis près de 25 ans, et depuis environ 20 ans dans l’industrie alimentaire. J’ai commencé chez Nestlé juste après 2000, puis j’ai rejoint un autre producteur de jus en Allemagne. Depuis 2019, je travaille pour Agromousquetaires, la branche industrielle du célèbre distributeur Les Mousquetaires Intermarché. Il est célèbre en France car il est l’un des plus grands, également présent un peu en Pologne, au Portugal et en Belgique.
Kieran Chandler : Génial. Et aujourd’hui, Joannes, nous allons discuter de certains défis de la supply chain dans l’industrie alimentaire, une industrie qui existe depuis l’époque des hommes des cavernes. Pourquoi est-elle si complexe ?
Joannes Vermorel : C’est complexe, d’abord parce qu’elle concerne des produits périssables. Il est bien plus facile de stocker des pièces automobiles ; il n’est pas nécessaire de contrôler la température, de rechercher une contamination ou de se soucier des mains sales lors de la manipulation des pièces. Mais dans l’industrie alimentaire, c’est une affaire sérieuse. Vous avez toutes ces complexités, en plus de l’incertitude du côté de la demande, comme dans toute supply chain, mais vous avez aussi l’incertitude du côté de la production. Les rendements sont incertains, que ce soit pour déterminer la quantité de céréales récoltées ou la quantité de poisson que vous obtiendrez si vous envoyez un bateau en mer. Il existe un certain degré d’aléa du côté de la production, et cela complique le domaine. Le fait que cette industrie soit fortement marchandisée pour de nombreux produits entraîne également des marchés mondiaux, et donc une nouvelle incertitude, celle des prix fluctuants. Vous vous retrouvez avec des produits plus compliqués à transporter, plus susceptibles de se perdre, d’être endommagés, de se gâter ou d’être contaminés, et vous ne savez pas combien vous allez en avoir ni à quel prix vous allez les vendre. Tout cela rend la situation très difficile. Cette industrie a trouvé des solutions pour faire fonctionner des solutions de supply chain modernes il y a presque un siècle, à une époque où il n’y avait pas d’ordinateurs, ce qui présente un nouveau lot de défis – la numérisation, car c’était une industrie bien établie bien avant l’avènement des ordinateurs et d’Internet.
Kieran Chandler : Olivier, qu’en pensez-vous ? Je sais qu’Intermarché est définitivement un supermarché.
Kieran Chandler : Les supermarchés ont tendance à se targuer de proposer des prix très bas. Comment cette focalisation sur le coût impacte-t-elle les choses, peut-être pour un planificateur de la demande ?
Olivier Jonard: Oui, le prix reste le premier critère pour un client lorsqu’il choisit un supermarché pour acheter ses produits quotidiens ou hebdomadaires pour cuisiner à la maison. Le prix est assurément un facteur critique, même si ces dernières années, la qualité a gagné en importance et l’origine des produits compte également. Les clients se demandent si les agriculteurs sont justement rémunérés lorsqu’ils achètent un produit. Tous ces facteurs jouent un rôle, mais le prix demeure le critère principal. Bien sûr, la concurrence sur ce marché est énorme. Même si la plupart des marchés sont matures, il y a toujours de nouveaux produits, de nouveaux concurrents et de nouveaux entrants. La concurrence est assez rude, et la diversité des produits est immense, ce qui rend également complexe pour une entreprise de concurrencer et de lancer de nouveaux produits. Pour rester dans la course, il faut lancer de nouveaux produits. Le montant que vous pouvez investir dans le lancement d’un produit est toujours délicat, car vous ne pouvez généralement pas soutenir ce type d’investissement sur le long terme. Il faut obtenir un succès assez rapide, sinon il faut retirer le produit. Cela rend la supply chain complexe. L’un des facteurs clés qui complexifient la supply chain est effectivement le prix, qui demande une attention particulière dans tout ce que vous faites. Il faut être astucieux dans la manière de sourcer, produire, distribuer et anticiper les choses.
Kieran Chandler: Et Joannes, l’une des autres choses sur lesquelles de nombreux supermarchés se font concurrence, c’est la qualité et la fraîcheur des produits, ce qui va souvent à l’encontre du prix. Quelles sont vos réflexions sur cet équilibre entre prix et qualité ?
Joannes Vermorel: D’abord, la plupart des supermarchés, y compris Intermarché, maîtrisent bien ce jeu en proposant toute une série d’arbitrages. Vous avez le prix bas, et typiquement, vous avez la marque de distributeur ou les marques privées. Chez Intermarché, la particularité est que les marques privées sont quelque peu dissimulées dans les magasins. Évidemment, ce n’est pas un secret, mais elles ne sont pas affichées comme Intermarché ou comme la marque Carrefour. Au contraire, ce sont des marques qui se suffisent à elles-mêmes et qui constituent généralement l’option intermédiaire. Ensuite, vous avez les marques plus coûteuses, généralement des marques nationales, celles qui peuvent investir dans des publicités télévisées, par exemple. La première solution à l’arbitrage entre prix et qualité, ou qualité perçue, est de proposer plusieurs choix, ce qui complique encore davantage la supply chain car vous avez plus d’options à gérer. C’est une partie de la réponse. Ensuite, en effet, dans de nombreux pays, je pense que l’équilibre entre prix et qualité est quelque chose que les supermarchés doivent soigneusement considérer pour répondre aux divers besoins de leurs clients.
Kieran Chandler: En France, nous avons quelque chose du genre, je ne suis pas sûr que mes statistiques soient exactes, mais je crois qu’environ un tiers des personnes en France terminent le mois avec seulement 50 euros ou moins d’excédent. Ce n’est donc pas qu’ils sont pauvres, c’est simplement que, lorsque l’on regarde tout ce qu’ils dépensent ou gagnent, l’écart est inférieur à 50 euros. Ainsi, lorsqu’on dispose d’un budget très serré, cela signifie que l’alimentation va faire une différence. Si vous dépensez un ou deux euros de plus par jour pour votre nourriture, cela fera une différence. Je suis tout à fait d’accord avec ce qu’Olivier vient de dire, l’alimentation reste une grande part du budget de dépense, surtout pour les personnes qui ne sont pas particulièrement riches, pas particulièrement pauvres, mais simplement pas très aisées. Cela demeure un aspect très important.
Olivier Jonard: Oui, j’imagine que pour les 10 prochaines années, nous devrons réfléchir à comment rendre l’alimentation encore plus lokad qu’elle ne l’est aujourd’hui. Vous avez tout à fait raison, ces 30 dernières années, on a vu de nombreux exemples d’aliments parcourant 20 000 kilomètres autour de la planète pour être préparés, emballés, réemballés, puis distribués au consommateur final. Aujourd’hui, la tendance est, surtout avec la crise de la COVID, de mettre en lumière la supply chain et de souligner à quel point celle-ci peut être fragile. Mais ce n’est pas tout. Nous constatons en effet une tendance des consommateurs à s’assurer que le produit qu’ils consomment provient de leur région. Ainsi, vous voyez déjà certaines villes en France essayer de calculer combien d’aliments consommés par les habitants proviennent en réalité, disons, de 50 ou 100 kilomètres aux alentours. Et il est certain que les modèles élaborés au cours des deux ou trois dernières décennies ne sont pas capables de répondre à ce type de demande, car il est déjà difficile de mesurer. De plus, la tendance a toujours été d’être bon marché, pour réaliser des économies d’échelle. Il faut donc produire dans une grande usine. Et c’est aussi un bon point pour la supply chain : a-t-il vraiment du sens d’avoir une grande usine ou deux petites usines, etc. ? Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, si l’on regarde les couches pour bébés, il n’y a qu’une poignée d’usines qui fonctionnent encore en France, et l’une d’elles appartient aux Agromousquetaires, mais je ne le mentionnerai pas. Mais c’est juste cet exemple qui montre que la supply chain d’antan était définitivement davantage axée sur les économies d’échelle et le partage transfrontalier, surtout en Europe où cela semble être le cas.
Kieran Chandler: Vous savez, avec des distances plus courtes, donc une ou deux usines pour toute l’Europe afin de produire tout, et il est certain que nous constatons une tendance. Cela ne va pas changer du jour au lendemain, car, dans l’alimentation en général, les choses ne changent pas subitement, mais nous observons des tendances dans cette direction. Nous devons donc commencer à réfléchir à comment relokadiser ce que nous produisons et comment cela impacte, ou modifie, notre manière de distribuer, car il n’est pas nécessairement facile de distribuer depuis, disons, 10 petites usines vers 20 grandes villes, puis, vous savez, de grandes usines, de grands centres de distribution disséminés dans tout le pays. D’accord, Joannes, examinons désormais les choses d’un point de vue de prévision. Euh, sur quoi devrions-nous nous concentrer pour optimiser, et quelles décisions devriez-vous prendre dans l’industrie alimentaire ?
Joannes Vermorel: Et le fait est que, d’une certaine manière, c’est très prévisible. Vous savez, c’est juste, je dirais, parfois nous affirmons que l’incertitude est irréductible, etc. Oui, mais en ce qui concerne l’alimentation, littéralement, les gens doivent manger, donc il n’y a pas tant d’incertitude à ce sujet, puisque ces schémas sont globalement très stables, dans l’ensemble, car le problème est que vous pouvez tout de même rencontrer beaucoup d’incertitudes malgré le fait que les gens mangent. Il y a très peu de variation dans la quantité que les gens consomment, jour après jour, et quant au budget dont ils disposent. Ces valeurs macroéconomiques sont donc très stables. Certes, elles évoluent légèrement avec le temps, mais, euh, j’irais même jusqu’à dire qu’une année comme 2020, qui fut très exceptionnelle à bien des égards à cause de la pandémie, est sans doute l’un des domaines où les dépenses alimentaires ont été les moins impactées par ces variations massives, comparé, disons, à la mode ou au soft luxury, qui peuvent être bien plus dramatiquement affectés. Ensuite, il existe néanmoins de nombreux facteurs qui rendent la prévision très difficile en pratique lorsque l’on est l’un des acteurs de ce secteur.
Olivier Jonard: Parce que, revenons à cette idée que, euh, le prix compte énormément, ce qui signifie que les consommateurs réagissent fortement aux variations de prix, et devinez quoi, c’est l’un de ces secteurs où les promotions sont énormes en permanence. Ainsi, bien que la consommation globale soit très stable, lorsque vous lancez des promotions, la demande va fluctuer d’un côté à l’autre, et en tant qu’acteur du marché, vous constatez une réaction du marché relativement irrégulière, tout simplement parce que, je dirais, parfois c’est vous qui lancez une promotion, d’autres fois c’est l’un de vos concurrents, et ainsi de suite, ce qui entraîne de nombreuses variations. De plus, un autre aspect est que vous disposez d’un potentiel énorme de substitution. Oui, évidemment, les véganes ne seront probablement pas séduits par une promotion sur la viande, mais, évidemment, il existe une multitude de substitutions possibles lorsqu’on examine les fruits frais. Vous pouvez choisir n’importe lequel des 15 ou 20 fruits frais exposés, et chacun constitue une option ; il n’y a pas de contrainte stricte quant à ce que vous êtes sur le point de consommer. Ainsi, combiner la sensibilité au prix avec le fait que vous avez d’importantes possibilités de substitution crée, je dirais, un effet très significatif.
Kieran Chandler: Ainsi, dans l’alimentation, le défi réside dans le fait que vous faites face à des variables sur des volumes très importants en termes de masse, simplement à cause de l’ampleur de la supply chain. Et il faut gérer cela, ce qui rend la situation très, très complexe. D’accord, Olivia, seriez-vous d’accord avec cela ? Diriez-vous que les choses sont assez prévisibles de votre côté ou auriez-vous besoin d’une meilleure appréciation de la demande, ce qui serait appréciable ?
Olivier Jonard: L’alimentation est généralement assez stable et, je dirais, relativement facile à prévoir. Les gens achèteront du saumon fumé pour Noël. Je peux déjà vous l’affirmer avec un haut degré de certitude. Quand le soleil se montre ou lorsque la température descend sous, ou monte au-dessus de 20 degrés, les gens commencent à boire plus d’eau, plus de jus. Si la température dépasse 25 degrés, les gens boiront uniquement de l’eau ou un peu plus de bière, etc. Vous avez donc tous ces facteurs bien connus dans l’industrie, et nous savons que c’est facile à anticiper. Maintenant, oui, en plus de la fraîcheur du produit, que vous ne pouvez pas conserver indéfiniment – par exemple, les saucisses ne se gardent pas longtemps – vous ne pouvez pas attendre que le soleil se montre pour décider ou pouvoir les vendre lorsque les gens veulent faire des grillades. Il faut donc être vraiment attentif à la quantité de stocks de ces saucisses que vous détenez et au moment où vous les constituez, afin de pouvoir réagir dès le premier week-end où les gens sortiront leur barbecue du garage pour commencer à faire des grillades. Voilà un point.
Olivier Jonard: Et je rejoins totalement Johannes sur le fait qu’en Europe, nous sommes toujours accrocs aux promotions. Les consommateurs y sont entièrement accros. Les promotions présentent des aspects différents selon les pays. Elles peuvent être plus fortes dans certaines catégories en Allemagne, plus marquées au Royaume-Uni, un peu moins en France pour certaines catégories. Au Royaume-Uni, on observe par exemple le « buy one, get one free ». En France, c’est plutôt du genre : « D’accord, obtenons le deuxième article à 60 % de réduction », ce type de promotion. Et, comme je l’ai dit, la concurrence est énorme. Ainsi, un acteur lance une promo une semaine, combinée à la météo, avec un autre acteur rencontrant un problème sur sa ligne de production, et ces situations peuvent devenir un peu chaotiques d’une semaine à l’autre. Nous avons tous nos exemples d’effets totalement surprenants que personne n’avait anticipés une semaine ou l’autre. Cela reste définitivement délicat. Mais je dirais que dans mon entreprise, certaines usines, qui fonctionnent presque sans aucune prévision, se contentent d’utiliser leur budget. Par exemple, en octobre, nous savons que nous produisons plus ou moins ceci. C’est ainsi que nous déterminons combien nous devons produire par semaine, et ensuite nous nous basons simplement sur les stocks. Et bien sûr, c’est plus facile pour certaines catégories où l’on peut effectivement constituer des stocks, tandis que, dans de nombreuses usines, la prévision n’a pas été vue comme un aspect critique de la rentabilité. Cela évolue, et nous pouvons toujours nous améliorer, mais il faut constater à quel point certaines productions peuvent être stables.
Kieran Chandler: D’accord, je ne vais pas m’attarder sur ce genre de sujet concernant les différences d’attitude envers l’alimentation au Royaume-Uni par rapport à ici en France, car je pense qu’en France, on a des opinions bien tranchées à ce sujet. Johannes, examinons peut-être certains des…
Kieran Chandler: Quels sont certains défis de la supply chain qui restent encore non résolus ? Y a-t-il quelque chose qui n’a pas encore été tenté et que vous voyez comme une véritable opportunité à exploiter ?
Joannes Vermorel: Beaucoup de choses ont été tentées, pas nécessairement avec succès. Ce que je constate, c’est que cette idée, si l’on regarde les supply chains classiques et les logiciels d’entreprise enterprise software qui les desservent, est en grande partie conçue pour des situations FMCG naïves, où il n’y a aucune incertitude sur la production, aucune incertitude sur le prix, et où la cannibalisation ainsi que les promotions sont quasi inexistantes. Je plaisante à moitié. Regardez le leader du marché des ERP, SAP, qui s’est développé principalement dans l’industrie automobile en Allemagne. Vous avez alors une supply chain tout à fait simple. Les constructeurs automobiles proposent des véhicules de tailles différentes, il n’y a donc pas de substitution possible entre une petite voiture et une grande voiture, car ils ont des budgets et des prix différents. Il y a très peu d’incertitude du côté de la production. Je dirais que les outils classiques pour la supply chain ne conviennent pas vraiment à l’industrie alimentaire.
En termes d’analytique, il y a très peu d’entreprises, à part Lokad, qui se préoccupent réellement de la substitution et de la cannibalisation. Très peu d’entreprises se préoccupent véritablement d’embrasser l’incertitude, d’accepter l’idée qu’une promotion, par exemple, va considérablement accroître l’incertitude dans votre supply chain. Certes, elle va accroître le volume, mais elle va aussi augmenter le nombre d’incertitudes que vous rencontrez dans votre supply chain. Je pense qu’il reste encore beaucoup à faire, mais la plupart des approches naïves ont déjà été testées et éprouvées, et elles ne fonctionnent pas vraiment bien. C’est l’une des raisons pour lesquelles, par exemple, les Agromousquetaires peuvent être l’un des principaux acteurs, étant ultra compétitifs sans prévisions, car la méthode naïve de prévision, qui consiste à ignorer complètement l’incertitude, fonctionne assez mal. Les personnes qui maîtrisent réellement le terrain surpassent généralement celles qui sont uniquement compétentes dans les outils statistiques, si ces derniers sont inadéquats.
Je pense qu’il nous faut une combinaison des deux : quelque chose d’intelligent d’un point de vue statistique mais qui s’aligne également sur la vision business, et c’est difficile. C’est certainement l’une des choses sur lesquelles nous insistons fortement chez Lokad, mais je ne dirais pas que nous avons encore conquis le monde des supply chains alimentaires.
Kieran Chandler: Olivier, en regardant vers l’avenir, quelles nouvelles tendances voyez-vous émerger ? Vous avez récemment parlé de cette idée du one-stop shopping. Quelle est l’idée derrière cela, et que voyez-vous pour le futur ?
Olivier Jonard: Je vais parler un peu de ce que Joannes a dit, car je pense, pas de tout, mais de la manière d’utiliser les prévisions pour soutenir…
Kieran Chandler: la décision que nous prenons pour l’entreprise, et vous savez, bien sûr, qu’après 25 ans en supply chain, j’ai expérimenté toute cette approche SNOP qui, je pense, apporte beaucoup en termes de processus car elle oblige les gens à discuter régulièrement pour voir et convenir de la manière dont ils imaginent l’avenir. Et quand je dis l’avenir, pas nécessairement la prochaine décennie, mais au moins les deux prochaines semaines, les deux ou trois prochains mois, peut-être la saison. Le fait de réunir toutes les parties en même temps pour en discuter, c’est-à-dire, comment voyez-vous se dérouler la saison pour les boissons ? Quand devons-nous commencer à constituer le stock ? Et si l’été arrivait plus tôt ou s’il y avait une canicule en mai ? Sommes-nous prêts pour cela ?
Olivier Jonard: Le simple fait d’avoir cette discipline de se parler régulièrement et de réfléchir à l’avenir est vraiment utile. Donc oui, vous avez besoin d’un outil pour visualiser ce que cela représente pour le 1,5 litre ou le un litre. Vous devez disposer d’une base de discussion. Est-ce que cela passe par les lignes de production dans le sud ou dans le nord ? Et si des gens partaient en vacances hors de France ? Ainsi, ce genre de défis et de scénarios que vous pouvez élaborer n’exige pas forcément des outils ultra sophistiqués pour être réalisés. Mais au moins, quelques simulations de base, des outils élémentaires, des chiffres de base pour alimenter la discussion, et le fait de réunir les gens, c’est déjà un avantage.
And also, I agree with Joannes that supply chains are so different that you never have a one-size-fits-all tool that can solve all your problems. → Et aussi, je suis d’accord avec Joannes : les supply chains sont si différentes qu’il n’existe aucun outil universel capable de résoudre tous vos problèmes. On ne peut pas simplement ajuster quelques paramètres et le tour est joué. Cela ne fonctionne pas. Le savoir, c’est-à-dire qu’il est bien plus important de se fier aux connaissances de personnes pouvant vous indiquer les limites de ces lignes, les risques liés aux fournisseurs, le risque associé aux emplacements de stockage. Rassembler les informations auprès de personnes qui savent vraiment ce qu’elles font au quotidien est essentiel, bien plus que des outils sophistiqués qui, d’après mon expérience, ne fonctionnent jamais réellement au même niveau.
So, where I also agree with what I’ve seen from Lokad is the automation of some of the basic decisions. This can bring a lot of value because then you don’t have people who are struggling with Excel spreadsheets to decide what they need to produce next week or tomorrow. We have this type of automation. My stock is this, I expect to sell more like that. Okay, let’s produce this and let’s distribute that to my customers. This is working super well. → De plus, ce que j’ai observé chez Lokad concernant l’automatisation de certaines décisions de base me semble très pertinent. Cela peut apporter énormément de valeur, car ainsi, vous n’avez plus des personnes aux prises avec des tableaux Excel pour décider de ce qu’il faut produire la semaine prochaine ou demain. Nous disposons de ce type d’automatisation. Mon stock est tel, j’attends vendre davantage de ce type. D’accord, produisons ceci et distribuons cela à mes clients. Cela fonctionne extrêmement bien.
Joannes Vermorel: Yeah, I really believe that we still need to adjust or understand how technology can help us, and it’s not coming from what we have seen or heard even from artificial intelligence, which is in all the supply chains. We have to be super careful about how we understand and how we can apply these new types of tools. → Oui, je crois vraiment que nous devons encore ajuster ou comprendre comment la technologie peut nous aider, et cela ne découle pas de ce que nous avons vu ou entendu, même concernant l’intelligence artificielle, présente dans toutes les supply chains. Nous devons être extrêmement prudents quant à la façon dont nous comprenons et appliquons ces nouveaux types d’outils.
Kieran Chandler: Okay, and Joannes, what are your thoughts for the future? I mean, the food industry is one that’s been so centered on cost for such a long time, but obviously there are subjects like animal welfare, how many chemicals we’re using in our farming, and things like that. Can you still see the food industry continuing to drive prices down, or is this trend something that’s going to change? → D’accord, et Joannes, quelles sont vos perspectives pour l’avenir ? Je veux dire, l’industrie alimentaire a longtemps été axée sur les coûts, mais il y a évidemment des questions comme le bien-être animal, la quantité de produits chimiques utilisés dans notre agriculture, et ainsi de suite. Voyez-vous toujours l’industrie alimentaire continuer à faire baisser les prix, ou cette tendance est-elle vouée à changer ?
Kieran Chandler: To start off, can you tell me your thoughts on whether there are any limits to how low prices can go and how well jobs can be done with technological advancements? → Pour commencer, pouvez-vous me donner votre avis sur la question de savoir s’il existe des limites à la baisse des prix et dans quelle mesure les tâches peuvent être exécutées efficacement grâce aux avancées technologiques ?
Joannes Vermorel: I don’t think there is any particular limit to human ingenuity. Things that were considered almost impossible one century ago are now done routinely. So, I’m not too worried. Obviously, this is a slow process, but technology is changing. For example, my parents have vineyards, and I can see that you’re not doing wine nowadays the way it was done two decades ago. Things have changed quite a lot for the better. → Je ne pense pas qu’il existe une limite particulière à l’ingéniosité humaine. Ce qui était considéré comme presque impossible il y a un siècle est désormais réalisé de façon routinière. Donc, je ne m’inquiète pas outre mesure. Évidemment, c’est un processus lent, mais la technologie évolue. Par exemple, mes parents possèdent des vignobles, et je constate que la vinification n’est plus effectuée comme il y a deux décennies. Les choses ont considérablement évolué pour le mieux.
Olivier Jonard: Just to add to what Joannes said, I think that in the next decade, especially in trades like the food business, we don’t need more artificial intelligence. We just need to make better use of the natural intelligence that we already have. Right now, companies don’t capitalize on the intelligence that they have. They consume it, and everything is kind of discarded and rinse and repeat. If you can have technology that capitalized a little bit every single day on this intelligence, that will already do a lot. So, my take is more like the counterpoint on artificial intelligence would be just augmented intelligence. Augmented not naturally in making people a lot smarter, but just in retaining some of the previous insights so that you capitalize. It’s a more modest objective, but I’m not talking for the next century, just for the next decade. And my perception for food would be, if we can just bring the technology where we can capitalize on the expertise that people have, on technologies that play well with people that are in place and have expertise, that will already be like probably one of the driving forces to further reduce the costs, further improve quality, and execution. → Pour ajouter à ce que Joannes a dit, je pense que dans la prochaine décennie, notamment dans des secteurs comme l’alimentaire, nous n’avons pas besoin de plus d’intelligence artificielle. Nous devons simplement mieux exploiter l’intelligence naturelle dont nous disposons déjà. Actuellement, les entreprises ne capitalisent pas sur l’intelligence qu’elles possèdent. Elles la consomment, et tout est en quelque sorte écarté pour être répété encore et encore. Si vous pouvez disposer d’une technologie qui capitalise un peu, chaque jour, sur cette intelligence, cela fera déjà une grande différence. Ainsi, selon moi, le contrepoint à l’intelligence artificielle serait simplement une intelligence augmentée. Augmentée, non pas pour rendre les gens bien plus intelligents, mais pour retenir une partie des enseignements précédents afin de capitaliser. C’est un objectif plus modeste, et je ne parle pas pour le siècle prochain, mais juste pour la prochaine décennie. Et ma vision pour le secteur alimentaire serait la suivante : si nous pouvons simplement intégrer une technologie capable de capitaliser sur l’expertise des personnes, sur des outils technologiques qui s’accordent bien avec des collaborateurs expérimentés, cela constituera probablement l’une des forces motrices pour réduire encore les coûts, améliorer la qualité et l’exécution.
Kieran Chandler: Thank you both for your time. That’s everything for this week. Thanks very much for tuning in, and we’ll see you again in the next episode. Thanks for watching. → Merci à vous deux pour votre temps. C’est tout pour cette semaine. Merci beaucoup de nous avoir suivis, et nous nous reverrons dans le prochain épisode. Merci de votre attention.