00:00:00 Introduction à l’interview
00:02:08 Livre S&OP et débat
00:08:01 S&OP en tant que processus d’entreprise
00:13:25 Décisions stratégiques dans l’aviation
00:18:12 Le lien du S&OP avec la maturité de l’entreprise
00:23:51 Notes stratégiques et succès d’Amazon
00:30:23 Dilution des décisions S&OP et répartition des responsabilités
00:37:23 Flux d’information axé sur le logiciel dans le S&OP
00:44:13 Dépendance des dirigeants aux conseils du système
00:50:11 Cycles de réunions du S&OP et efficacité
00:55:33 Stratégie de part de marché et prise de décision
01:01:46 Le S&OP en tant que parcours vers la maturité
01:07:04 Coûts et bénéfices de la mise en œuvre du S&OP
01:13:15 Toxicité du sur-effectif et équipes allégées
01:19:04 Le S&OP de Microsoft et l’innovation
01:24:47 Rigidité du S&OP versus sa flexibilité
01:30:22 L’avenir du S&OP et sa trajectoire technologique
01:36:36 Évolution des emplois et impact de la digitalisation
01:43:28 Remettre en cause les opérations traditionnelles avec le S&OP

Résumé

Lors d’une récente interview sur LokadTV, Conor Doherty a animé une discussion entre Joannes Vermorel, PDG de Lokad, et Eric Wilson, Directeur de la Thought Leadership à l’Institute of Business Forecasting (IBF), axée sur Sales & Operations Planning (S&OP). Wilson, partisan de S&OP, a souligné son rôle dans l’alignement des fonctions de l’entreprise pour une prise de décision coordonnée et ses bénéfices pour les entreprises matures. Vermorel a critiqué S&OP en le qualifiant d’obsolète, préconisant une approche axée sur le logiciel pour améliorer l’efficacité et réduire l’intervention humaine. Le débat a couvert l’efficacité des réunions, les changements incrémentaux par rapport aux changements radicaux, les coûts d’opportunité et l’avenir de S&OP, les deux s’accordant sur la nécessité de progrès technologiques significatifs.

Résumé Élargi

Dans un récent épisode de LokadTV, Conor Doherty, Responsable Communication chez Lokad, a animé une conversation entre Joannes Vermorel, PDG et fondateur de Lokad, et Eric Wilson, Directeur de la Thought Leadership à l’Institute of Business Forecasting (IBF). La discussion s’est centrée sur Sales & Operations Planning (S&OP), son rôle dans la gestion moderne de la supply chain et sa viabilité à long terme en tant que pratique commerciale. Cette conversation a fait suite à un débat précédent sur le même sujet.

Eric Wilson, fort de plusieurs décennies d’expérience dans la supply chain et le S&OP, a partagé des insights issus de sa carrière et de son récent livre, “A Practical Guide to Sales and Operations Planning.” Il a souligné que le S&OP est un processus d’entreprise conçu pour aligner toutes les fonctions de l’entreprise autour d’un ensemble unifié d’hypothèses pour une prise de décision coordonnée. Il a soutenu que, tandis que de nombreuses entreprises en sont encore aux premiers stades de maturité du S&OP, celles qui atteignent des niveaux plus élevés de maturité voient des bénéfices significatifs, notamment une amélioration des résultats financiers et une réduction de l’incertitude.

Joannes Vermorel, quant à lui, a critiqué le S&OP comme un processus inefficace et obsolète. Il a soutenu que le processus traditionnel du S&OP repose trop sur un flux d’information médiatisé par l’humain, qu’il considère comme dépassé à l’ère du numérique. Vermorel a plaidé en faveur d’une approche plus axée sur le logiciel, dans laquelle les variables économiques sont intégrées aux processus de prise de décision, permettant ainsi des ajustements en temps réel sans nécessiter de réunions fréquentes. Il estime que cette approche peut réduire significativement le recours à l’intervention humaine et augmenter l’efficacité.

La conversation a abordé plusieurs points de discorde clés :

  1. Rôle des réunions dans la prise de décision : Vermorel a soutenu que les grandes réunions diluent souvent la responsabilité et ne contribuent pas de manière significative à la prise de décision stratégique. Il a cité des exemples d’entreprises où les décisions stratégiques étaient prises par quelques individus clés plutôt que par un consensus en comité. Wilson a rétorqué que des processus S&OP structurés, lorsqu’ils sont bien exécutés, peuvent améliorer la responsabilisation et la communication au sein d’une organisation.

  2. Changement incrémental vs. radical : Vermorel a exprimé des réserves quant aux améliorations incrémentales, arguant que les véritables percées proviennent de changements radicaux. Il a cité des exemples d’entreprises qui ont réussi à automatiser une grande partie de leur gestion de la supply chain, entraînant ainsi une réduction significative des effectifs et une augmentation de l’efficacité. Wilson a reconnu le potentiel de l’automatisation mais a souligné que de nombreuses entreprises ne sont pas encore prêtes pour un tel saut et doivent passer par un parcours d’améliorations incrémentales.

  3. Coût d’opportunité du S&OP : Vermorel a mis en lumière le coût d’opportunité du maintien des processus traditionnels du S&OP, arguant qu’ils empêchent les entreprises d’adopter des approches plus innovantes et axées sur le logiciel. Wilson a répondu en soulignant les bénéfices mesurables que des processus matures de S&OP peuvent apporter aux entreprises, notamment une amélioration de la performance financière et de l’efficacité opérationnelle.

  4. L’avenir du S&OP : Les deux intervenants ont convenu que l’avenir du S&OP impliquera des changements significatifs, stimulés par les avancées technologiques et l’automatisation. Wilson a suggéré que les futurs processus S&OP se concentreront davantage sur l’efficacité commerciale et la prise de décision stratégique, tandis que Vermorel a insisté sur la nécessité de simplifier et de rationaliser les processus pour atteindre une plus grande efficacité.

En conclusion, la conversation a mis en lumière le débat persistant sur le rôle et l’efficacité du S&OP dans la gestion moderne de la supply chain. Alors que Wilson défendait la valeur des processus S&OP structurés, Vermorel plaidait pour une approche plus radicale et axée sur le logiciel. Les deux sont d’accord sur le fait que l’avenir du S&OP impliquera des changements significatifs, mais ils divergent quant à la meilleure voie pour réaliser ces changements.

Transcription complète

Conor Doherty: Bon retour sur LokadTV. Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’animer une conversation entre Eric Wilson et Joannes Vermorel. Eric est le Directeur de la Thought Leadership à l’Institute of Business Forecasting (IBF) et l’animateur du podcast IBF On Demand. Eric est un fervent défenseur du S&OP, et cette conversation se veut être un suivi nuancé du débat que Joannes Vermorel a eu avec Milos Vrzic il y a plusieurs mois. Comme toujours, si ce que vous entendez vous plaît, abonnez-vous à la chaîne YouTube et suivez-nous sur LinkedIn. Cela dit, je vous présente la conversation d’aujourd’hui entre Eric Wilson et Joannes Vermorel.

Conor Doherty: Eh bien, tout d’abord, Eric, merci beaucoup de nous rejoindre. Vous êtes un homme aux multiples casquettes. Vous êtes écrivain, podcasteur, directeur de la thought leadership, consultant et conférencier. Ce sont beaucoup de titres. Pourriez-vous, pour notre public qui n’est peut-être pas familier, nous en dire plus sur l’homme derrière ces titres ?

Eric Wilson: Eh bien, l’homme derrière ces titres possède en réalité plusieurs décennies d’expérience pratique. J’ai des cicatrices pour le prouver. J’ai mené de nombreux projets de transformation avec plusieurs organisations, travaillé dans la supply chain, le S&OP, et occupé aussi bien tous les différents rôles. Actuellement, je suis le Directeur de la Thought Leadership chez IBF. Je fais également un peu de consulting, ce qui est une façon élégante de dire que je fais le lien entre ce que font les entreprises aujourd’hui et que je partage cela avec d’autres organisations. Je travaille avec des organisations, je réalise des formations internes, des conférences, j’écris et je facilite des discussions, comme vous le faites avec des organisations, sur ce que nous observons dans l’industrie et sur l’avenir que nous lui réservons.

Conor Doherty: Eh bien, merci. Et encore, en mentionnant l’écriture, c’est d’ailleurs de cette manière que nous avons initialement pris contact pour cette discussion. Vous avez mentionné avoir écrit un livre, “A Practical Guide to Sales and Operations Planning.” Vous nous en avez envoyé un exemplaire, merci beaucoup. Je suis simplement curieux : avez-vous versé toutes vos cicatrices dans ce livre ? Quel a été le parcours ?

Eric Wilson: Oui, c’était en fait mon deuxième livre professionnel. J’avais publié “Predictive Analytics for Business Forecasting” il y a environ trois ans. Mon livre le plus récent, “A Practical Guide to Sales and Operations Planning,” est venu combler le vide qu’il existe en matière de texte modernisé dans l’ère des données et de l’IA, post-COVID, concernant ce processus. Donc, quand je dis que j’ai versé mes cicatrices, oui, je l’ai fait, mais j’y ai également versé celles de tout le monde.

La beauté de ce livre, c’est que je n’en ai pas écrit 40 %. J’ai eu un co-auteur qui m’a aidé à rédiger une grande partie du livre. Une grande partie de ce livre a été organisée à partir de l’IBF, qui existe depuis 42 ans. C’est une organisation professionnelle construite par des praticiens pour des praticiens. Nous publions un Journal trimestriel de Business Forecasting avec d’excellents articles de praticiens, des articles en revue par des pairs. Environ 40 % de ce livre est organisé à partir de ces articles, avec d’autres experts et thought leaders dans le domaine. Nous avons synthétisé ces informations pour créer une source unique qui montre où en est le S&OP aujourd’hui, où il va et ses nuances sous différents angles. C’est ce qui le rend spécial.

Conor Doherty: En fait, c’est un point vraiment pertinent à soulever, car l’une des raisons pour lesquelles nous voulions vous inviter en particulier était que Joannes, il y a plusieurs mois, avait débattu sur le S&OP avec Milos Vrzic, un ami de la chaîne. Nous voulions revisiter certaines des affirmations qui avaient été faites dans une structure moins formelle, moins chronométrée et moins rigoureuse. Vous contacter signifiait également avoir accès à toutes ces perspectives que vous venez de décrire. Ainsi, l’une des raisons pour lesquelles j’attends cela avec impatience, c’est que ce n’est pas seulement votre perspective, mais qu’ayant organisé ce livre, vous pouvez citer les expériences de nombreux autres praticiens.

Sur ce point, passons à l’essentiel. Comme je l’ai dit dans mon introduction, l’idée ici est d’avoir un suivi plus nuancé et plus libre du débat que Joannes a mené. Ce que je voulais faire, c’était reprendre certaines des affirmations clés que Joannes avait faites, certaines provocatrices, contrairement à votre style mais un peu provocatrices.

Joannes Vermorel: Ça peut arriver accidentellement, vous savez.

Conor Doherty: Cela peut arriver. Ensuite, nous allons simplement aller d’avant et en arrière pour voir où nous sommes d’accord ou non, plutôt qu’une discussion générale où chacun part dans des directions différentes. Alors, avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous demanderai à tous les deux, en commençant par Joannes, de nous donner votre résumé exécutif concernant le S&OP. Qu’est-ce que vous n’aimez pas ? Qu’est-ce que vous aimez ? Quelle est votre position aujourd’hui sur le S&OP ?

Joannes Vermorel: D’abord, la manière dont je conçois le S&OP, c’est en pensant au problème. Le problème est que les grandes entreprises qui gèrent de vastes supply chains rencontrent un énorme problème de synchronisation. Cela signifie que vous avez des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes effectuant différentes tâches en même temps, et au final, vous voulez orchestrer tout cela afin de mieux servir vos clients et de manière plus rentable.

Cette synchronisation, le fait que ce que vous promouvez, ce que vous allez vendre, que vous fabriquez ce que vous allez vendre, que vous ayez en stock ce que les gens veulent acheter, tout cela n’est pas acquis. Il vous faut un moyen d’atteindre ce type de synchronisation à l’échelle de l’entreprise entre la demande, l’offre et bien d’autres forces. Voilà donc le problème, et je considère le S&OP comme une solution, une solution candidate à ce problème.

Conor Doherty: Donc, vous l’aimez ?

Joannes Vermorel: Non, je dis que c’est une solution. Je ne dis pas que c’est la meilleure solution. Je pense que ce n’est pas une bonne solution. En termes de caractérisation, c’est une solution qui est née d’un paradigme très centré sur l’humain. Cela signifie que l’information circule par l’intermédiaire des personnes, et l’idée est d’avoir une série de réunions pour que cette information circule au sein de l’entreprise. Et ensuite, grâce à ce processus, très orienté sur le papier, nous parviendrons à la synchronisation.

Je vois cela comme le plus grand défaut, par opposition à un paradigme alternatif qui dirait « machine d’abord », où l’information circule depuis les ordinateurs et où les personnes ne sont impliquées que dans la structuration du flux d’information et dans la structuration des modalités de calcul des décisions, au lieu d’être impliquées dans le flux et la prise de décision. Voilà l’essentiel de ma position.

Conor Doherty: D’accord, et Eric, vous avez beaucoup entendu. Encore une fois, nous entrerons dans les détails de certaines de ces affirmations un peu plus tard, mais vous avez entendu le point de vue de Joannes. Qu’en pensez-vous ?

Eric Wilson: Ce que je viens d’entendre, c’est la gestion de la supply chain. Je pense que c’est ce que vous avez décrit. Le problème, c’est la gestion de la supply chain. C’est complexe, et nous essayons de le simplifier à l’excès. Dès que vous intégrez l’aspect humain, vous allez rencontrer des limitations. Nous sommes tous axés sur le flux, et lorsqu’on se réfère à la gestion de la supply chain classique, il s’agit du flux de marchandises et du flux d’information. Quand vous ajoutez des personnes pour essayer de gérer cela, vous rencontrez des problèmes.

Ma perspective, et ce que j’ai retenu en examinant le S&OP de manière plus globale, est que le sales and operations planning, IBP, peu importe comment on l’appelle, c’est la même chose. C’est un processus d’entreprise qui aligne toutes les fonctions autour d’un ensemble unifié d’hypothèses pour une prise de décision coordonnée. L’essentiel, c’est qu’il s’agit d’un processus d’entreprise. Ce n’est pas de la gestion de la supply chain ; c’est un processus d’entreprise. Nous alignons toutes les fonctions.

Il ne s’agit pas d’équilibrer l’offre et la demande ; nous alignons l’entreprise. Nous alignons toutes les fonctions autour d’un ensemble unifié d’hypothèses. Je ne parle pas d’un chiffre unique, mais nous sommes alignés sur les hypothèses et la stratégie de l’organisation. C’est l’essentiel, et c’est pour une prise de décision coordonnée. C’est un forum de prise de décision. Ce n’est pas transactionnel ; il ne s’agit pas de créer un plan pour des points de vue opérationnels tactiques. C’est un forum de prise de décision pour les affaires. Voilà ce que c’est vraiment.

Conor Doherty: Joannes, est-ce que cela te parle?

Joannes Vermorel: Je comprends ta position. Pour moi, la distinction entre supply chain et business, les frontières sont très floues. Encore une fois, je préfère m’en tenir à des choses un peu plus factuelles, comme le comptage des décisions. Faisons le tour des décisions. Pour chaque produit, est-ce que j’investis, et combien, en publicité et où ? Quel sera mon niveau de prix ? Achète-je les matériaux pour les produire ? Où les produis-je, en quelle quantité, selon quel calendrier ? Nous pouvons énumérer toutes ces décisions.

Certaines décisions appartiennent à ce que l’on appellerait la planification de l’offre et de la demande, comme l’achat de matériaux. D’autres, comme la tarification, n’appartiennent généralement pas à ce domaine ; elles relèvent d’autres secteurs, typiquement le marketing. Les investissements budgétaires, par exemple, déterminer combien sera dépensé en publicité, c’est autre chose. Selon moi, à grande échelle, quand nous parlons de ces décisions, il s’agit de décisions à grande envergure. Une entreprise de grande envergure prend des dizaines de milliers de décisions quotidiennes, potentiellement des millions si nous parlons d’une entreprise de plus de 10 milliards de dollars.

Selon moi, lorsque les gens décrivent un processus métier pour générer ces décisions, je dirais oui, évidemment, ces décisions sont prises. Mais le défi est de savoir si le processus métier que tu décris contribue à prendre de meilleures décisions. Ma contre-proposition serait ces comités, car c’est ce à quoi cela ressemble à chaque fois que je vois un processus S&OP en action, c’est comme une série de réunions qui ressemblent à des comités. Ces comités ne contribuent pas de manière significative à améliorer ces processus de prise de décision quand il s’agit de générer des dizaines de milliers de décisions quotidiennes.

Eric Wilson: Tu parles de ces milliers ou, tu sais, millions de décisions qui sont prises quotidiennement. Je suis tout à fait d’accord. Et quand on parle d’automatisation, tu as la capacité d’automatiser ces décisions parce que tout ce dont tu as parlé concernait des tarifications transactionnelles, tu sais, l’endroit où doivent être les stocks, les décisions de production. Ce sont des décisions transactionnelles, et je suis 100% d’accord sur le fait que beaucoup d’entre elles devraient être automatisées. Tu peux créer des efficacités et une meilleure précision avec un peu d’automatisation à ce niveau.

Ce que tu n’es pas capable d’automatiser pour l’instant, c’est la partie stratégique. Lorsque tu assistes à un comité produit, une revue produit, le résultat n’est pas “voici le SKU que je vais utiliser” ou “voici le SKU que je vais retirer.” Le résultat est une stratégie de marque. La stratégie de marque guide les systèmes, guide les personnes. Actuellement, en ce qui concerne l’exécution tactique et les décisions transactionnelles issues d’une revue de la demande, le résultat n’est pas une prévision. Le résultat est “quelle est ma stratégie de canal ?” “Quelle est ma stratégie client ?” C’est le résultat d’une revue de la demande ou de ce comité de demande.

Les décisions transactionnelles qui en découlent sont “que allons-nous commander ?” “Que allons-nous faire ?” “Où allons-nous placer l’information ?” “Comment allons-nous le tarifer ?” Ce sont les résultats transactionnels. Il en va de même pour l’offre. L’offre n’est finalement pas seulement une question d’équilibrage et de transactions ; c’est une stratégie d’optimisation ou de satisfaction, et cela repose sur ce qui sera correct non seulement pour le client, mais aussi pour l’entreprise. Lorsque l’on arrive à la partie stratégique, c’est ce qui fait réellement fonctionner un processus S&OP mature qui va au-delà du transactionnel, et c’est la partie que tu n’automatises pas encore.

Joannes Vermorel: Je suis tout à fait d’accord sur le fait que la stratégie ne fait pas encore partie du domaine des choses que nous pouvons automatiser. Je suis d’accord avec cela. Maintenant, mon contre-argument serait que je n’ai jamais vu une réunion avec plus de, disons, 10 personnes faire quelque chose de véritablement stratégique. Tu vois, et tu comprends le problème. Le problème, c’est que la plupart des décisions stratégiques sont terrifiantes. Elles sont brutales. Les gens vont être réduits en poussière par le processus.

Pour te donner un exemple, imaginons que nous ayons une réunion stratégique avec Boeing. En quoi consisterait-elle ? Ce serait une discussion sur ce qui se passerait si deux avions s’écrasaient la semaine prochaine, tuant 500 personnes. Et ensuite ? Que faisons-nous ? Et c’est une possibilité bien réelle. Je ne dis pas que c’est probable ; je prie vraiment pour que cela n’arrive pas. Mais y a-t-il chaque semaine une chance de 0,1 % que cela se produise ? Oui.

Ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas zéro. Et donc tu vois, je n’ai jamais vu de telles discussions de vie ou de mort, brutales, se dérouler dans un comité. Parfois, il faut prendre des décisions très difficiles. Par exemple, Boeing a connu une série de problèmes. Je prends Boeing juste pour la continuité de l’exemple. Boeing avait sombré en termes de culture d’ingénierie pendant deux décennies. Je ne sais pas si c’est SpaceX qui a tout simplement embauché tous les bons ingénieurs de Boeing ou autre, mais c’est un problème très difficile qui doit être résolu.

Donc, ta stratégie, c’est là où j’ai dit que je ne voyais jamais de décisions stratégiques prises dans ce genre d’entreprise. Si l’on regarde un autre exemple historique, ce serait Nokia, qui est passé de la production de papier – car Nokia faisait du papier – puis a fait des téléphones, et ensuite a tout perdu parce qu’ils ne sont jamais passés aux smartphones face à Apple. Mais tu vois, ce genre d’inflexions stratégiques, je ne vois jamais cela se produire dans un comité.

Dans un comité, le phénomène typique est le bike-shedding. Je ne sais pas si tu es familier avec ce concept de bike-shedding. Cela vient des lois de Parkinson, où les gens prennent un sujet facile et vont s’y attarder, en se demandant, “Oh, cette catégorie de produits super stable, va-t-elle croître de 3 % l’année prochaine ou rétrécir de 2 % ?” Ce sont des questions anodines ; elles ne remettent rien en cause. Je ne vois jamais, dans un comité, des gens discuter de choses comme, “Vous tous, vous devriez être virés.”

C’est très… Imagine de nouveau, regarde simplement ce qu’Elon Musk a fait chez Twitter. En l’espace d’un an et demi, il a viré 90 % de son entreprise. Certains sont partis, d’autres ont été licenciés. Ce n’est pas le genre de choses qui est très stratégique, mais peut-on vraiment avoir une discussion dans une réunion de 20 personnes où l’on discute “Nous allons virer la moitié d’entre nous. Votez.” Je veux dire, désolé, c’est juste…

Conor Doherty: Eh bien, si je peux juste ajouter sur ce point, car je veux aussi démontrer que j’ai lu ton livre, Eric. Je suis allé directement à la table des matières parce que je savais que j’avais lu ce qui concerne la prise de décision efficace. Ainsi, tu as une section dans ton livre, il y a six éléments de ce que tu… Je sais qu’il y a un essai écrit plus tard par quelqu’un d’autre, mais je suppose que les sections non étiquetées proviennent de toi. Et il y a une section sur la prise de décision efficace où tu abordes la planification de scénarios. Et je vais citer, et ensuite la question suivra.

Ainsi, compte tenu de l’incertitude inhérente, comme Joannes l’a mentionné dans son exemple avec Boeing, l’incertitude inhérente aux environnements d’affaires, la prise de décision en S&OP implique souvent la planification de scénarios. Les planificateurs développent plusieurs scénarios basés sur différentes hypothèses concernant la demande, les perturbations de la supply chain, des avions tombant du ciel — tu n’as pas écrit ça — et d’autres variables. En simulant ces scénarios et en évaluant leur impact potentiel, les décideurs peuvent évaluer diverses lignes de conduite et élaborer des plans de contingence robustes pour atténuer les risques.

Donc, après avoir lu cela, et ça semble cool, je suis tout à fait partant. Pour revenir à l’exemple que Joannes vient de donner, d’accord, si tu es dans une entreprise énorme comme Boeing, il existe des événements à faible probabilité mais potentiellement catastrophiques qui pourraient se produire. Vas-tu te lever lors d’une réunion S&OP et dire, “D’accord, eh bien, si un avion tombe du ciel, voici notre risque financier ?” Je veux dire, c’est quelque chose d’impopulaire et très compliqué à aborder en temps réel, face à face avec de nombreuses personnes. Alors encore, ma question est : vois-tu que ce genre de scénarios, à faible probabilité mais qui arrivent, soit abordé dans le type de processus et de réunions S&OP que tu préconises?

Eric Wilson: Cela dépend. Cela dépend de l’entreprise, de ce sur quoi elle doit se concentrer, de ce sur quoi elle devrait se concentrer, mais cela dépend aussi énormément de la maturité de l’organisation et de la maturité du processus. Parce que même les affirmations que tu viens de lire dans mon livre, quand tu regardes la planification de scénarios, cela comporte en soi une maturité au sein d’une organisation. Et la moitié des organisations, probablement près de 60 %, voire deux tiers des organisations, correspondent exactement à la définition que tu décrivais, en disant qu’elles se concentrent sur les mauvaises choses. Elles font de la planification de scénarios parce qu’elles n’ont pas la capacité de permettre aux données et à la technologie de le faire pour elles.

Ainsi, elles disposent de cela comme ressource et processus pour faciliter ces prises de décisions pour ce niveau de maturité au sein de l’organisation. Et pour elles, absolument, elles parlent d’équilibrage de l’offre et de la demande, elles parlent de “et si on faisait de la tarification, et si on faisait …” et elles abordent exactement ces choses que tu as mentionné que nous pourrions automatiser, mais ce n’est pas le cas. Elles ont cela comme ressource pour pouvoir prendre ces décisions.

À mesure que les organisations gagnent en maturité, nous avons vu que certaines entreprises, et elles existent, prennent des décisions plus stratégiques. Target en est un excellent exemple. Target cherche à planifier son empreinte à long terme en se basant sur des décisions concernant le lieu de mise sur le marché, la trésorerie, et bien d’autres décisions stratégiques exécutives qui sont maintenant compilées pour dire, “Hé, sur la base de cela, voici ce que nous voulons faire.” Nous voyons la même chose avec Microsoft. Ces organisations disposent de processus S&OP plus matures qui intègrent désormais la stratégie dans leur organisation. Ainsi, même les scénarios de type “et si”, deviennent une question de maturité, et ils prennent une signification un peu différente à mesure que l’on gagne en maturité.

Conor Doherty: Merci, Eric. Et je veux revenir sur ce sujet pour avoir ton avis, mais je veux ajouter un peu parce qu’un terme que tu as utilisé, Eric, maturité. Ainsi, les entreprises pour avoir des processus plus matures. Alors, Joannes, dans ta réponse, es-tu d’accord avec l’idée que, pour effectuer les pivots en matière de meilleure prise de décision que tu préconiserais, la maturité est un aspect ? Parce que je sais que tu avais déjà fait une belle distinction. Tu as utilisé des mots que je n’avais jamais entendus : précocial et altricial. Ainsi, certains animaux naissent précocaux, ce qui signifie…

Eric Wilson: Je ne connais même pas exactement ces mots. C’est un gros mot.

Conor Doherty: Il parle anglais mieux que moi. C’est ridicule. Les animaux précocaux naissent et sont capables de marcher presque immédiatement. Ainsi, certains animaux comme les chevaux, par exemple, naissent et peuvent courir et gambader immédiatement. Les humains, altricial, ont une phase de maturité énorme. Tu naîtrais et tu ne marches pas avant, quoi, deux, trois ans ? Enfin…

Eric Wilson: Ça ressemble à la plupart des processus S&OP.

Conor Doherty: Voilà, c’est-à-dire, et c’est mon point. Donc encore, nous n’avons pas besoin d’utiliser les mots précocial et altricial, mais es-tu d’accord avec l’idée que le type de pivot que tu préconiserais repose sur une quelconque maturité ? Ou est-ce quelque chose qui peut tout simplement…

Joannes Vermorel: D’un point de vue business, je suis extrêmement sceptique vis-à-vis de tout ce qui implique l’incrémentalisme. C’est un terme que j’emploie sur un ton péjoratif. La plupart des pivots sont toujours un saut gigantesque dans l’inconnu. On ne devient pas, de manière incrémentale, comme ta cible. On ne devient pas, de manière incrémentale, un acteur du e-commerce. Soit tu le deviens, soit non. Nokia n’est pas devenu, de manière incrémentale, un fabricant de téléphones. Ils faisaient du papier, et à un moment donné, ils ont fait des smartphones.

Si tu penses qu’il existe un chemin où, étape par étape, ils y parviennent, c’est juste… même avec Apple, c’est la même chose. Ils ne sont pas devenus, de manière incrémentale, un fabricant de téléphones non plus. Je pense que c’est une erreur très dangereuse, car cela donne ce genre de sophisme du “oh, tu dois apprendre à marcher avant de courir” et autres. Cela fonctionne pour les humains et le sport, mais pas pour les entreprises.

Et si nous revenons, par exemple, à ta stratégie, donc je regardais les contingences qui ne sont pas discutées. C’était un exemple de cela. Mais quel serait un type de production stratégique final qui représenterait le plus haut niveau de maturité ? Un exemple public et très connu est un document, un document de 20 pages intitulé “A Testament of a Furniture Dealer”, qui a été écrit en 1970 par Ingvar Kamprad, le fondateur d’IKEA. Ce document est un brief stratégique de 20 pages qui, 50 ans plus tard, est encore d’une importance primordiale. Je l’ai lu ; c’est incroyable. Ce truc est incroyablement visionnaire. Cinquante ans plus tard, il est toujours incroyablement pertinent pour IKEA. Wow.

Et le plus étonnant, c’est que la moitié de ce document est même pertinent pour ma société de logiciels, qui n’a rien à voir avec IKEA. Donc, c’est un témoignage de la qualité du document si la moitié de celui-ci est pertinente pour une entreprise qui n’a aucune affinité avec IKEA. Mais pour IKEA, il reste, 50 ans plus tard, complètement pertinent. Et ce document est magnifiquement rédigé, extrêmement perspicace, court et concis. Encore une fois, je n’ai jamais vu un comité produire ce genre de choses. J’ai vu encore et encore des personnes produire des briefs stratégiques de très haute qualité. Celui-ci est en quelque sorte une référence historique.

Il y avait plein d’exemples, par exemple, Jeff Bezos envoyant un mémo en 2002 disant que tout le monde avait, genre, deux semaines pour proposer un plan “API first”, sinon les managers seraient licenciés. C’est aussi ce genre de brief stratégique super important qui explique beaucoup du succès d’Amazon par la suite. Mais selon moi, encore une fois, je n’ai jamais vu d’entreprises particulièrement matures produire ce genre de documents de très haute qualité. D’ordinaire, elles produisent une soupe insipide. Elles produisent un document que j’appelle du discours corporate pour faire plaisir à tout le monde. À chaque phrase, on dit, “Oh, nous devrions considérer cela, mais nous devrions aussi considérer le contraire.” Ce ne sera qu’un climat super doux pour tout. Il n’y aura aucune conclusion radicale. Personne n’est jamais menacé de licenciement dans un de ces mémos stratégiques. Il n’y aura pas d’attribution directe et super explicite de blâme, disant que cette personne est responsable, que cette personne doit être licenciée, et peut-être avec des poursuites judiciaires en prime parce qu’il y a eu littéralement une négligence frauduleuse. Et pourtant, parfois, c’est littéralement le diagnostic stratégique le plus honnête qui soit.

Donc vous voyez, mon point de vue est le suivant : quand j’observe le S&OP, les livrables produits par ces comités – parce que c’est ainsi que se déroulent ces réunions, avec 10 personnes ou plus – produisent-ils vraiment des livrables d’une qualité exceptionnelle ? Parfois au point de devenir des repères historiques. Et je le pense vraiment. Avez-vous, au sein de ces comités, la possibilité de produire un document tellement bon que dans 50 ans, les historiens le regarderont et diront, “C’était une époque où cette entreprise a effectué le véritable inflexion stratégique qui s’est traduite par l’un de ses principes corporatifs” ? Un peu comme, disons, Apple avant l’iPhone, après l’iPhone.

Conor Doherty: Eric, je reviendrai vers toi dans un instant, mais je veux juste clarifier. Est-ce que tu affirmes, juste pour que je comprenne et vraisemblablement le public aussi, que si une réunion donnée ne donne pas lieu à une nouvelle Bible ou à un nouveau verset, c’est une perte de temps ?

Joannes Vermorel: Je dis que si ce type de réunion ne produit jamais cela, c’est un problème. Si cela n’arrive jamais en moyenne. Évidemment, je suis assez sûr qu’en moyenne, la note de service produite par Steve Jobs était médiocre, même en réussissant à tous les coups. Je ne parle donc pas de la moyenne. Je dis simplement que, si vous voulez vérifier si un processus peut produire de la grandeur, vous regarderez au moins ce type de… avez-vous un exemple de grandeur à trouver dans le passé ? Je peux en trouver des tas. Oui, je peux littéralement trouver des tas de notes de service stratégiques remarquables. Surtout, j’adore la Silicon Valley. Les gens y sont très ouverts ; les notes de service y sont divulguées, probablement de manière intentionnelle. Mais je dirais qu’une fois par semaine, il y a une entreprise aux États-Unis qui voit fuiter une note de service stratégique, et je me dis, “Mince, c’est bon. C’est vraiment bon.” J’aimerais pouvoir produire ce genre d’insights stratégiques super pointus, concis et bien rédigés, et rallier toute mon entreprise.

J’ai assisté à des dizaines de processus S&OP, ce qui représente probablement plus de 100 réunions. Je n’ai jamais vu quelque chose d’approchant émerger de ceux-ci. En moyenne, les livrables produits sont, comme je l’ai dit, super fade.

Conor Doherty: Si je peux intercaler, et aussi dire, parce qu’honnêtement, c’est ton observation informelle.

Joannes Vermorel: Je n’ai pas de statistiques sur des milliers d’entreprises.

Conor Doherty: Tu es aussi consultant, Eric. N’hésite pas à faire référence à ta propre expérience en tant que consultant également, s’il te plaît.

Eric Wilson: D’abord, je veux dire que je serais d’accord pour dire que la moyenne est fade. Je suis d’accord là-dessus. Vous savez, 50 % des organisations – j’ai même dit presque deux tiers dans certains cas – sont fades. Il y a bien des exceptions. Cela ne parvient peut-être pas au niveau d’un document qui vivra pendant 50 ans comme stratégie idéale pour la plupart des organisations, mais on discute quand même de sujets allant jusqu’aux fusions et acquisitions. Il y avait une grande entreprise de biens de consommation qui a décidé de se séparer de plus de 100 de leurs planificateurs afin de pouvoir adopter une planification presque en mode “lights-out” parce qu’ils avaient intégré l’IA et pouvaient faciliter l’aspect de la demande. Ils ont laissé partir plus de 100 planificateurs suite aux décisions prises dans le processus S&OP.

Il y a donc ces décisions difficiles qui sont prises, mais la plupart des décisions – je dis même celles des organisations les plus matures – n’atteignent pas le niveau dont vous parlez. C’est plutôt le niveau des acquisitions, des nouveaux marchés, ce sont ce type de stratégies qui se définissent réellement. La marque, où allons-nous être ? Quel type d’acteur allons-nous être ? Comment allons-nous nous positionner sur le marché ? Ce sont ces types de stratégies que nous voyons discuter.

Joannes Vermorel: Je suis d’accord que ces points sont abordés. Je suis d’accord avec cela. Mais je constate aussi qu’en réalité, la décision a souvent été prise en amont par un nombre restreint de personnes. Et là, ma contre-proposition est que je perçois – et c’est là que je repère un anti-modèle – que la réunion sert à diluer la responsabilité de la décision. Vous voyez, il y avait environ deux ou trois personnes qui défendaient vraiment quelque chose, mais avec une grande bureaucratie, une grande entreprise et tout le tintouin. Alors, ils tiennent cette réunion. Beaucoup de participants sont mal informés, ne suivent pas vraiment, passent leur téléphone en revue pendant la réunion, etc. Et ensuite, la décision est prise en commun parce qu’en réalité, trois personnes la poussent et le reste s’en fiche essentiellement.

Et maintenant, le problème que je vois, c’est qu’en raison du fait que cette réunion a eu lieu et que la décision y a été, en quelque sorte, validée, nous assistons à une grande dilution de responsabilité où, au lieu d’avoir un nom unique pour soutenir cette décision, nous en avons 10, voire possiblement 20. Et c’est pourquoi je dis que je ne suis vraiment pas convaincu que ces réunions – qui sont l’une des caractéristiques principales du S&OP tel qu’il est pratiqué par la plupart des entreprises, c’est-à-dire une série programmée de grandes réunions – contribuent réellement à prendre de meilleures décisions. Parce que j’ai constaté que lorsqu’il y a une décision stratégique, elle est prise en amont, et ce qui ressort de la réunion n’est qu’une dilution de la responsabilité. La même décision, mais non améliorée, au contraire aggravée par cette brume d’opacité sur qui est réellement responsable.

Conor Doherty: Pour être juste, Eric, juste pour signaler que dans la section “Efficient Decision-Making” de ton livre, tu identifies la définition de la responsabilité décisionnelle comme une caractéristique d’une prise de décision efficace. Peut-être pourrais-tu en dire plus en faisant référence au défi que Joannes vient de mentionner ?

Eric Wilson: Oui, parce que je veux dire, mieux vous définissez les rôles et les responsabilités, mieux je comprends ce que j’apporte aux comités et réunions. Mieux je comprends ce que j’en retire, mieux je peux définir les rôles et responsabilités. Ainsi, les réunions et le processus décisionnel sont plus efficaces. C’est à cela que je faisais référence.

D’après mon expérience, ce sont généralement quelques individus qui mènent la plus grande partie de la décision. Est-ce que c’est une dilution ? Je ne suis pas sûr. Ce que j’ai constaté, c’est que le consensus crée en réalité plus de responsabilité. Lorsque vous avez des plans et des décisions individuels portés par chacun, vous vous retrouvez avec moins de responsabilité parce que, si quelque chose tourne mal, on finit par se rejeter la faute. “Ils ne m’ont pas prévenu.” C’est généralement ce que j’ai observé dans la plupart des organisations.

Le consensus, cette mentalité d’un chiffre qui ressort des revues facilitées et des comités, renforce en réalité la responsabilité. Les gens sont désormais engagés. Vous avez les porteurs, mais maintenant, nous avons tous un consensus. Ce qui en résulte, c’est plus de responsabilité plutôt que moins. C’est typiquement ce que j’observe.

L’autre chose que facilitent ces revues, c’est une meilleure communication. Les entreprises rencontrent des problèmes de communication, et ces revues contribuent à y remédier. Non seulement vous avez le responsable qui conduit la décision, mais vous avez aussi celui qui approuve, ainsi que les personnes consultées et informées lors de la réunion. C’est cela qui constitue le comité. Vous avez le responsable chargé de porter et de piloter la décision. Vous avez la personne qui approuve, qui n’est parfois pas la même que celle devant valider la décision. Vous avez les consultés, dont la voix doit être entendue avant de finaliser la décision ou la stratégie. Et vous avez les informés, qui comprennent ce qui est fait et comment cela les impacte. Cela constitue vraiment le comité.

Conor Doherty: Eh bien, encore une fois, merci, Eric. Cela touche un point sur lequel je voulais faire la transition, qui concerne davantage les affirmations spécifiques. Joannes, tu as précédemment dit – et certains de ces propos sont des citations, d’autres des paraphrases – que le S&OP est inefficace par conception car il repose sur le flux d’informations à travers les personnes. Essentiellement, la communication, comme vient de le décrire Eric. Tu as qualifié cela de moyen obsolète de transmettre l’information dans une entreprise moderne. Alors, deux questions : premièrement, peux-tu développer ce que tu entends par là ? Et quand tu le feras, merci de préciser de quelles catégories d’information il s’agit.

Joannes Vermorel: L’information à laquelle je fais référence, c’est en fin de compte toute l’information transactionnelle. Tout d’abord, disons qu’il n’y a pas de source d’information sur l’entreprise plus importante que son historique transactionnel. Si l’on considère l’information selon la théorie de l’information, qui est relativement moderne, celle-ci peut être quantifiée. On peut quantifier la quantité d’information que l’on possède, tout comme on peut quantifier combien de kilogrammes de quelque chose on a. En termes de masse d’information, l’information transactionnelle représente 99,9 % de l’information que l’on détient sur une entreprise. C’est énorme.

Je ne parle pas d’une boulangerie qui fonctionne avec un seul propriétaire et trois produits. Je parle d’une entreprise de plusieurs milliards de dollars avec une supply chain étendue, de nombreux sites, de nombreux produits et de nombreuses personnes. Nous parlons de quelque chose qui opère à grande échelle. L’information est bel et bien présente. Quelle que soit l’opinion que les gens peuvent avoir et quels que soient les éclairages supplémentaires qu’ils apportent sur l’état de l’entreprise, ce n’est qu’une infime fraction de cette information.

Les logiciels que nous avons de nos jours n’ont pas la capacité de réaliser des analyses d’intelligence générale vraiment élaborées. Ce que nous avons, c’est la possibilité d’écrire des recettes numériques à usage spécial pour résoudre des problèmes étroits, tels que le contrôle des stocks reapprovisionnements. Avoir un point de vue complètement différent sur la manière dont je devrais même appréhender mes données de ventes dépasse encore ce que nous pouvons faire avec un logiciel. Selon moi, si nous voulons envisager ce flux d’informations et l’organiser de manière moderne, nous devons reconnaître que l’information est sous forme numérique pour la quasi-totalité. Il est inutile que des personnes se penchent sur les détails. Elle va simplement circuler.

Les gens vont interagir avec cette information de manière indirecte via des couches de recettes numériques. Certaines de ces recettes numériques génèrent des décisions, d’autres des rapports, et d’autres encore produisent toutes sortes d’instruments nécessaires aux humains. Il y a une médiation. Techniquement, il est possible de consulter le reçu ligne par ligne, mais c’est inutile à grande échelle. Une vision moderne que je préconise, qui est plus axée sur le logiciel, accepterait le fait que ce flux d’information va circuler à travers des instruments logiciels que nous concevons nous-mêmes. Ces instruments ne tombent pas du ciel ; ils sont créés parce que l’on a réfléchi au type d’instruments logiciels nécessaires, au pourquoi et au comment de leur fabrication.

Si nous nous réunissons, vous ne devriez même pas être autorisé à dire, “Je n’étais pas au courant que les ventes de ce produit explosaient.” Cette information est accessible à tout le monde. Si vous ne le savez pas, c’est que vous ne faites pas attention. Il n’incombe pas à un autre département de vous prendre la main pour que vous consultiez les données accessibles à tous. Tout le monde a accès pratiquement à toutes les données de l’entreprise. C’était le point essentiel du mémo de Bezos en 2002, où il déclarait, “API partout.” Bezos affirmait que toutes les données d’Amazon devaient être accessibles à toutes les autres personnes chez Amazon, point final. Votre seule responsabilité, lorsque vous faites partie d’une division, est de vous assurer qu’aucune donnée ne soit gardée pour vous afin de renforcer votre pouvoir politique au sein de l’entreprise. Bezos disait que quiconque jouerait ce jeu se verrait licencier en deux semaines.

Maintenant, vous avez un paysage où les données sont accessibles. Évidemment, il y a plein de problèmes. Ce ne sont pas nécessairement des données propres, ni complètes, mais les rendre accessibles n’est que le début. Si les gens doivent se réunir, c’est pour discuter, non pas pour prendre une décision quelconque, mais pour améliorer leur compréhension globale de l’entreprise. La réunion n’est pas chargée de l’idée qu’il doive y avoir un quelconque livrable.

D’après mon expérience, lorsqu’on atteint le niveau du comité, il est préférable que cela soit limité à quelques heures et que le format soit très libre. L’information devrait circuler sans entrave autant que possible. Quand les gens ne sont pas en réunion, ils peuvent assumer leur propre responsabilité et décider ce qu’ils allaient décider de toute façon. Cette fois, ils n’ont pas l’excuse du comité pour retarder, reporter ou diluer la responsabilité.

Conor Doherty: D’accord, eh bien, Eric, je veux te donner l’occasion de répondre. Il y avait beaucoup de choses, alors je vais identifier quelques points clés pour la réponse. Un oui ou un non suffit. Il semblait que tu affirmais qu’une approche plus axée sur le logiciel représenterait essentiellement 99,9 % du flux d’information au sein d’une entreprise. Est-ce déjà le cas ?

Joannes Vermorel: Oui, c’est déjà le cas de facto. Dans aucune réunion les gens ne commencent à simplement… J’ai lu des documents historiques sur l’émergence de General Electric. À la fin du 19e siècle, les gens n’avaient d’autre choix que de lire à haute voix, en réunion, combien avait été vendu, en faisant ci et ça. Cela prenait des heures et des heures rien que pour réviser. À l’époque, ils avaient environ 150 produits, et cela leur prenait des jours pour tout passer en revue manuellement, faute d’autre solution. C’était l’ère pré-numérique. Aujourd’hui, une entreprise comme General Electric n’a pas 150 produits ; elle en a probablement 150 000, voire un demi-million. Nous avons largement dépassé le stade où cette information peut même circuler dans l’esprit humain. Elle est d’une ampleur incompréhensible. C’est déjà le cas, que les gens le reconnaissent ou non.

Conor Doherty: Donc c’est un oui. Merci. Et le second point était que le S&OP offre essentiellement l’opportunité de magnifier l’autorité politique au sein d’une organisation. Un élément de celui-ci donne aux gens la possibilité de signaler leur position.

Joannes Vermorel: Oui, vous savez, c’est quelque chose qui ne fera qu’encourager davantage la bureaucratie. La bureaucratie engendre simplement toujours plus de bureaucratie ; il est très difficile de la contenir. C’est également l’une des lois de Parkinson : les bureaucraties ne cessent de croître. Salesforce ne croîtra que si les gens vendent davantage ; les usines ne croîtront que si elles doivent produire plus. Mais les bureaucraties à l’intérieur d’une entreprise croîtront quoi qu’il arrive, même si l’activité décline.

Eric Wilson: Sur ce point, je suis d’accord. Je partage cette affirmation. Maintenant, pour ce qui est de son premier point, j’adhère à environ 90 % de ce dont il parlait. Je vais en fait raconter une histoire pour appuyer ce qu’il a dit. L’autre partie, c’est intéressant ce que tu disais à propos du but des réunions et des comités. Je vais en tenir compte pour la suite. Je vois d’autres usages pour cela, donc nous en parlerons également un peu. Tout d’abord, pour la première partie de ce que tu as dit, je suis d’accord à 90 % et je vais te raconter une histoire pour étayer cela. C’est une histoire qui figure dans mon livre, donc si quelqu’un veut se procurer mon livre, il peut le lire par lui-même. Elle se trouve dans la section Vanguard, où l’on discute de la direction que prend le S&OP et de la manière dont l’IA, les données et l’information peuvent être utilisées pour permettre un meilleur processus S&OP.

Cela vient d’une femme nommée Kim, et c’est elle qui a raconté cette histoire. Dans une réunion exécutive S&OP en salle de conseil, ils utilisaient une sorte d’IA générative, en se servant de données internes et de certaines données externes. Ils l’ont intégrée dans leurs systèmes en S&OP exécutif. Le dirigeant a posé la question, “Que devons-nous faire ?” Il y avait de nombreux cadres dans la salle. Ils l’ont saisie dans le système, et le système a répondu en disant, “Voici vos options. Voici ce que je ferais. Voici pourquoi je ferais cela.” Le dirigeant a regardé autour de la salle les autres personnes. Ils se sont simplement regardés, et il a dit, “D’accord, nous allons faire cela.” Nous avons interrogé ce PDG et lui avons demandé, “Pensez-vous que c’est la meilleure solution ?” Il a répondu, “Je ne sais pas.”

Donc, la question de suivi fut, “Pourquoi avez-vous choisi cela ?” Il a répondu, “Eh bien, premièrement, cela parlait mon langage. Cela était capable d’utiliser le langage que je comprenais en tant que dirigeant et au niveau opérationnel, et cela m’a fourni une solution qui avait du sens.” Il a ajouté, “Deuxièmement, cela a retenu mon attention. Généralement, dans ces réunions, je posais ces questions, et nous avons beaucoup de personnes intelligentes qui gagnent beaucoup d’argent autour de cette table. Elles quittaient la salle, accomplissaient certaines tâches, revenaient des heures ou des jours plus tard, et disaient, ‘Voici ce que nous devrions faire.’ Or, à ce moment-là, j’étais déjà confronté à deux ou trois problèmes supplémentaires. Cela a retenu mon attention.”

C’est vraiment l’essentiel. Je pense que vous évoquez la synthèse des informations, le traitement de l’immense quantité d’informations disponibles pour prendre des décisions presque en temps réel, afin de suivre la vitesse des affaires ; nous devons être capables de permettre aux systèmes et à la technologie de le faire pour nous, même dans les salles de conseil. Je constate un besoin évident à cet égard, et nous disposons de cas d’usage pour cela. J’en souligne un dans le livre également, donc je comprends tout à fait ce dont vous parlez. Maintenant, l’autre point que vous soulevez est que, si nous en venons là, il s’agit simplement d’un compte rendu ou d’un flux d’informations, ou encore de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde quant à la direction à suivre afin qu’ils puissent prendre leurs décisions individuelles. C’est un concept intéressant, et j’y réfléchirai. Mais d’après ce que j’ai pu observer chez les organisations matures, elles comportent généralement trois aspects dans une réunion aboutie et efficace.

Premièrement, “Voici ce que tout le monde a décidé, les décisions que nous mettons en œuvre,” ce qui revient à dire, “Oui, consensus, tout le monde est d’accord, c’est la voie que nous allons suivre.” C’est exactement de cela dont vous parlez, que ce soit piloté par un système ou par des personnes. C’est la première partie.

La deuxième partie est qu’il n’y a pas toujours consensus. Il existe certaines questions qui doivent être élevées, soit parce que les systèmes, soit parce que les personnes ne peuvent pas prendre la décision. Nous avons besoin d’un comité pour examiner cet aspect. Ainsi, il y a une prise de décision basée sur les exceptions. C’est un volet intéressant ; vous ne prenez pas chaque décision en tant qu’exception. Je constate que, même dans le monde vers lequel nous nous dirigeons, nous sommes tous deux d’accord pour dire que cela évolue dans ce sens.

La troisième partie consiste ensuite à être capable d’articuler tout changement à apporter à la stratégie pour l’avenir. Cela peut être aussi simple que, “Nous devons être plus axés sur la trésorerie parce que nous avons ces engagements, et nous constatons ce ralentissement de l’économie. Je sais donc que les stratégies étaient telles, mais nous devons désormais être plus centrés sur la trésorerie dans nos stratégies futures.” Considérez cela avec les décisions qui vont être intégrées soit par les personnes dès maintenant, soit par les systèmes plus tard.

Les trois aspects sont donc les suivants : voici notre plan, voici les décisions basées sur les exceptions que nous devons prendre, et voici les changements que nous devons opérer. Maintenant, quant à savoir si ces décisions sont pilotées par des systèmes et la technologie ou par des personnes, je concède ce point. Mais je pense que les deux autres volets restent une question humaine.

Conor Doherty: Merci. Si je peux intervenir, et je m’adresserai à toi, Joannes, dans un instant. J’ai noté les trois points que tu as mentionnés. Encore une fois, je paraphrase, mais d’une part : consensus ; d’autre part : résolution des conflits ; et troisièmement : articulation des changements de stratégies. C’est un point intéressant et quelque chose auquel j’allais revenir plus tard, mais c’est une belle transition vers ce que Joannes avait dit. Mais je te poserai d’abord une question, Eric. Précédemment, Joannes avait affirmé que les plans S&OP sont inefficaces compte tenu de la lenteur avec laquelle ils sont actualisés ou révisés. Par exemple, les gens ne se réunissent peut-être qu’une fois par mois ou, pour certaines stratégies, une fois par trimestre. Cela rend les processus inefficaces dans des environnements commerciaux au rythme effréné où les conditions peuvent changer en un clin d’œil.

Donc, ma question pour toi, et ensuite pour Joannes, je vous poserai la même question. D’après ce que tu viens de décrire, je comprends les étapes une et deux, concédons-les pour la discussion. Mais l’étape trois, si tu articulés des changements de stratégies une fois par mois ou environ 10 à 12 fois par an, quelle efficacité cela a-t-il lorsque les choses peuvent changer, comme lorsqu’un porte-conteneurs chavire dans le canal de Suez ? Nous avons besoin de cette décision aujourd’hui. Nous devons savoir ce que nous faisons désormais. Nous ne pouvons pas attendre encore trois semaines et demie. Eric est en vacances, c’est un jour férié pour nous. Que faisons-nous maintenant ?

Eric Wilson: Je pense que cela revient à ce dont il parlait. Même si nous disposons d’un système ou de la capacité de créer, “Voici l’information, voici ce que nous devrions faire,” ensuite ce sont les individus qui prennent des décisions. Ce n’est pas différent lorsqu’il s’agit d’une stratégie. Celle-ci ne devrait pas changer quotidiennement en raison des nuances d’une grève portuaire ou d’un événement dans une autre région qui vous impacte. Ce sont des décisions individuelles que les personnes ou les systèmes devraient être capables de prendre. Il s’agit de décisions opérationnelles ou de gestion.

Là où le S&OP fonctionne le plus efficacement, c’est dans la hiérarchie de planification, où vous disposez d’un horizon de planification étendu dans lequel les décisions peuvent être prises, pas uniquement des trade-offs, c’est-à-dire des décisions commerciales sur un horizon de planification étendu. Celles-ci ne devraient pas changer quotidiennement. Elles sont réellement guidées par les stratégies à long terme de notre organisation. Nous avons une stratégie de trésorerie, nous avons une stratégie d’intimité client. Quelles sont les stratégies de notre organisation qui pilotent réellement ces décisions à horizon étendu ?

Pendant la COVID, nous avons constaté qu’il y avait beaucoup de chaos, beaucoup d’incertitude. Que s’est-il passé ? Plus de 60 % des entreprises que nous avons étudiées ont adopté une sorte de mentalité de “war room” hebdomadaire avec des cadres dans ces war rooms parce que les choses changeaient si rapidement, et elles cherchaient à prendre de l’avance. Mais ce qu’elles ont découvert, c’est que cela était inefficace. Comme tu l’as signalé, on ne pouvait pas changer aussi vite. Ainsi, la plupart de ces organisations sont revenues aux cycles mensuels avec le S&OP. Par ailleurs, beaucoup d’entre elles ont maintenu un cycle hebdomadaire pour le S&OE ou la planification principale. Si nous voulons parler d’automatiser cela, je suis entièrement pour. C’est la hiérarchie de gestion, ce sont les décisions qui devraient être prises lorsque les nouvelles informations sont présentées. Ce sont des décisions que l’on ne devrait pas prendre en comité. Je suis d’accord avec cela.

Cependant, beaucoup de ces entreprises ont maintenu un S&OE ou une planification principale, mais la plupart d’entre elles sont revenues à un cycle mensuel car c’est là qu’elles ont trouvé des gains d’efficacité. Nous avons toujours une stratégie, nous devons maintenir ce qu’est notre stratégie, puis exécuter ou gérer ces stratégies dans le cadre de ce que nous faisons au jour le jour.

Conor Doherty: Eh bien, merci, Eric. Et Joannes, la même question pour toi.

Joannes Vermorel: Si je peux rebondir sur ce qui a été présenté, je pense qu’il existe une différence subtile de perspective. Je n’aborde même pas les décisions de la même manière. Pour donner un exemple de la méthode traditionnelle et de celle employée par Lokad : nous discutions du coût de l’argent. Dans une réunion traditionnelle, il y aurait une discussion sur la question de savoir si nous devrions réduire notre fonds de roulement ou le laisser s’étendre.

Lokad adopte une approche radicalement différente. Nous disons simplement qu’il y a un coût de l’argent, une variable économique, et dans les décisions que Lokad génère pour le renouvellement de stocks ou les ordres de production, c’est l’un des nombreux leviers économiques qui est encodé implicitement. Cela signifie que, dès que ces variables changent, toutes les décisions générées reflètent automatiquement la nouvelle réalité de cette variable économique.

Si nous décidons que la Finance sera chargée de maintenir cette valeur, ils peuvent modifier le coût de l’argent chaque jour, et toutes les décisions générées le même jour en tiennent compte. Ils n’ont pas besoin de s’entretenir avec la production ou les achats pour en obtenir l’effet. La synchronisation est assurée par le logiciel. Il n’y aura qu’une seule discussion concernant le fait que nous devons convenir que le coût de l’argent est un levier économique à l’échelle de l’entreprise et qu’il doit être reconnu par tous. Une fois cela établi, certaines discussions deviennent superflues. Si la Finance décide d’augmenter ou de diminuer le coût de l’argent, cela relève uniquement de leur ressort. Les autres départements suivront la règle établie par la Finance. Si la Finance fixe un taux d’intérêt élevé, alors naturellement, les stocks seront sacrifiés en conséquence de cette hypothèse économique. Ils peuvent le réviser aussi fréquemment qu’ils le souhaitent.

La grande majorité des sujets évoqués peut être isolée en tant que levier économique. Ensuite, chaque département contrôle ces variables stratégiques de manière indépendante. Le logiciel élimine la nécessité que des personnes se réunissent pour discuter de ces questions, car la synchronisation et la coordination se font via la couche logicielle. Ce n’est pas exactement en temps réel, mais la latence est extrêmement faible, de l’ordre de quelques minutes, et cela suffit amplement. La plupart des comités restent enfermés dans l’idée que de nombreuses choses doivent transiter par l’humain, alors qu’en agissant de manière plus précise, on peut éliminer le besoin d’en discuter dès le départ.

Eric Wilson: Lorsque l’on examine des décisions telles que le coût de l’argent et la détention de stocks, on prend en compte les implications en termes de coût. Si nous nous dirigeons vers une récession et que les taux d’intérêt vont augmenter, nous devons décider quoi faire du coût de l’argent. Inversement, nous pourrions souhaiter gagner des parts de marché durant cette période parce que nous pensons qu’il existe une demande refoulée. Nous pouvons constituer des stocks et assurer une proximité client afin d’augmenter notre part de marché. Lorsque nous sortirons de la récession, nous serons bien positionnés sur le marché. Alternativement, nous pourrions décider de protéger notre trésorerie et de nous concentrer sur les marges. Ce sont des décisions du type l’un ou l’autre qui nécessitent souvent que ce soit une personne ou un comité qui les pilote. Le système peut gérer les calculs et l’efficacité, mais l’aspect stratégique requiert toujours une contribution humaine.

Joannes Vermorel: Je ne suis pas d’accord. Restons sur l’exemple que tu as donné concernant la part de marché. Comme nous le faisons, nous disons que 1 $ provenant d’un nouveau client vaut plus qu'1 $ d’un client existant. Voilà.

Conor Doherty: Pourriez-vous détailler cela ? Je comprends ce que tu veux dire, mais d’autres ne le comprendront peut-être pas.

Joannes Vermorel: Si vous introduisez une variable économique qui stipule que 1 $ provenant d’un nouveau client vaut plus qu’un simple dollar d’un client existant, vous orientez effectivement vos processus de prise de décision vers tout ce que vous pouvez faire pour faire émerger ces nouveaux clients. Et lorsqu’ils apparaîtront, ils auront des dollars supplémentaires associés, car c’est une manière de modéliser le fait que vous investissez pour gagner des parts de marché supplémentaires.

Et cela, c’est parfait. Mais vous voyez, la manière dont vous pouvez résumer de façon extrêmement concise tout cela en indiquant simplement combien vaut 1 $, quel est le bonus supplémentaire qu'1 $ d’un nouveau client apporte pour quelle période, et c’est tout. Et vous voyez, c’est justement ce point où l’on dit qu’il faut opter pour l’un ou pour l’autre. Je dis non. Lorsque vous disposez de leviers économiques, vous pouvez avoir un levier pour le coût de l’argent, un levier pour la valeur des nouveaux clients, et ces leviers existent. Différents départements peuvent orienter ces leviers de manière indépendante. Ils n’ont même pas besoin de se concerter, et la décision qui en résulte n’est que l’équilibre de tous ces leviers, coûts et récompenses.

Et encore, vous éliminez le besoin, même pour stimuler, d’élargir votre part de marché, ce qui ne requiert pas que les gens se parlent de chaque moindre détail. Vous voyez, c’est ça le problème. C’est exactement le genre de choses pour lesquelles je dis que les gens passent leur temps à discuter de sujets qu’ils ne devraient même pas aborder s’ils disposaient de la bonne configuration avec ces leviers économiques. Ainsi, les personnes pourraient assumer la responsabilité de déterminer exactement combien chaque élément vaut. Et lorsque vous dites qu'1 $ de chiffre d’affaires d’un nouveau client vaut plus qu'1 $, ce n’est pas virtuel. Cela signifie que le marketing dépensera réellement cet argent d’une manière ou d’une autre, ou par le biais d’autres fonctions, et cela signifie que vous engagerez un coût supplémentaire parce que vous aurez généré, disons, 50 millions de dollars de revenus supplémentaires. Mais pour ce faire, vous aurez généré 20 millions de dollars de coûts additionnels.

Donc, vous voyez, l’élément intéressant est que vous n’avez besoin que des leviers économiques. Les détails de ces 20 millions de dollars supplémentaires investis pour acquérir ces clients vont être ventilés sur potentiellement des millions de décisions, et cela vous importe peu. Vous comprenez ainsi la structure de la mécanique qui va se mettre en place. Il n’est pas nécessaire de passer en revue chaque ligne pour voir exactement ce qui se passe. Vous distinguez un peu où se situe la différence.

Et je pense que c’est là toute ma frustration. Dans la plupart de ces discussions, j’ai assisté à ces comités, et ils abordent des sujets qui, avec une configuration adéquate – et par configuration adéquate, j’entends une configuration logicielle moderne pour piloter ce type de décisions – correspondent principalement à des choses dont il ne serait même pas nécessaire de discuter catégoriquement. Cela serait pris en charge. Donc, c’est une énorme perte de temps.

Conor Doherty: Eric, il y a beaucoup à aborder ici. S’il te plaît, ta réponse.

Eric Wilson: Je pense que cela remonte à une partie antérieure de notre discussion à laquelle je n’avais pas vraiment touché à l’époque, parce que j’ai parlé de maturité et de parcours, et tu avais dit être opposé à tout ce qui est incrémental. Mais c’est véritablement ce que nous constatons dans un processus S&OP. L’ensemble de mon livre est construit comme un parcours que traversent les organisations. J’ai parcouru ce chemin avec diverses organisations. J’ai travaillé avec d’innombrables entreprises qui ont suivi ce parcours. C’est véritablement un processus incrémental, et nous le déployons tout en mesurant les entreprises selon leur niveau de maturité. Nous pouvons ainsi quantifier leur position dans ce parcours, et nous observons des résultats mesurables au fur et à mesure. Je pense sincèrement qu’il y a une incrémentalité à ce processus. C’est un véritable parcours.

À ce moment, j’ai dit que 60 % des entreprises, et vous voyez de nombreuses recherches qui montrent exactement la même chose. Vous savez, 60 % des entreprises, je suis d’accord, font des choses inefficaces ou, vous savez, elles pourraient s’y prendre autrement lors de leurs réunions, mais elles n’ont pas les facilitateurs. Elles n’ont pas d’autres processus, et elles utilisent donc cela comme levier pour prendre les décisions qui doivent être prises. Ainsi, au fil de leur parcours, elles comblent un manque ou bien elles suivent un cheminement, et cela fait partie de cette amélioration incrémentale pour parvenir à un niveau où elles pourront être plus stratégiques, en se concentrant sur des actions plus efficaces et les bonnes choses lors des réunions à venir.

Conor Doherty : Merci, Eric. Et pour faire suite à ce point, et pousser cela un peu plus loin, vous avez utilisé certains termes en disant que le processus S&OP est en fait un parcours, un processus de maturité, qu’il y a un degré de croissance incrémentale. Disons cela pendant un moment. Encore une fois, nous en avons déjà parlé, alors ne revenons pas en arrière. Mais en allant de l’avant, je suis curieux d’évoquer ou de relier ce que vous venez de dire sur l’incrémentalisme à votre discussion sur les coûts, et d’aborder quelque chose que vous avez mentionné auparavant, à savoir le coût d’opportunité potentiel du S&OP. Donc, précédemment, lorsque vous évoquiez évidemment l’automatisation des décisions en supply chain, comment c’est fondamentalement la seule voie pour que les supply chains survivent et pour que les entreprises prospèrent, et que le S&OP représente un coût d’opportunité à cet égard, de quelle manière, en supposant que vous pensiez toujours ainsi, ou veuillez expliciter, les coûts d’opportunité du processus d’évolution incrémentale du S&OP dont Eric parle.

Joannes Vermorel : Le problème, c’est que la direction générale d’une entreprise ne peut pas courir après un nombre infini de projets, d’initiatives, ou d’autres choses. Elle doit donc se concentrer. Par nécessité, elle ne peut pas vraiment poursuivre plus de quelques dizaines de priorités, et c’est tout. Vous savez, il y avait cette vieille blague sur Microsoft qui voulait tout faire. Mais la réalité, c’est qu’il est très, très difficile pour une équipe de direction de mener plus de deux douzaines d’initiatives. Ce qui signifie que le S&OP va occuper l’un de ces créneaux. Voilà mon propos.

Et ce que je dis, c’est que, malgré le fait que ce que je propose – l’alternative au S&OP que je préconise – consiste en une réduction massive de la main-d’œuvre en col blanc, parce que l’alternative que je propose consiste simplement à mécaniser à l’extrême, la mécanisation et les économies de personnel ne représentent qu’une infime partie de l’ensemble. Le véritable avantage est de disposer d’une version supérieure de la supply chain pour votre entreprise, ainsi que d’une version supérieure de ce que signifie la stratégie dans un environnement digital-first. Voilà ce que je veux dire.

Et là, je perçois ces réunions comme une sorte d’antithèse, car elles ne le sont pas – vous voyez, des dispositifs comme le S&OP existent depuis des décennies. Ils ne seront pas 10 fois meilleurs dans dix ans. Ils sont fondamentalement limités par ce que les gens peuvent accomplir. Je pense que ces pratiques sont matures ou bien connues. Elles ne sont pas révolutionnaires. Il n’y a rien de radical ; et contredisez-moi si vous pensez que je déforme ce qui est présenté, mais je dirais qu’aujourd’hui, après avoir lu plusieurs livres sur le S&OP, il existe un consensus général, avec diverses nuances, sur la façon de le réaliser. Ce n’est pas radicalement différent. C’est plus une question de préférences.

Et quels que soient les avantages que nous pouvons espérer, ils demeurent malheureusement relativement plafonnés. Le meilleur S&OP ne va pas engendrer le prochain SpaceX. Il ne va pas produire le prochain Amazon. Ces systèmes auront, dirais-je, des bénéfices limités. Et j’ai dit que le coût d’opportunité de s’orienter vers un paradigme alternatif, résolument axé sur le logiciel, c’est que cela peut vous offrir le 10x. C’est une situation dans laquelle vous pouvez, avec deux personnes, réaliser ce qui, autrement, nécessiterait mille personnes, tout en obtenant une réactivité qui vous permet de réagir dès le lendemain au lieu de le faire le mois suivant.

Et je sais, par exemple, que le simple fait que le S&OP puisse réagir d’une semaine à l’autre figure à l’ordre du jour de toutes les entreprises depuis, autant que je sache, au moins deux décennies. Elles n’ont jamais réellement réussi à atteindre ce niveau, et se retrouvent donc bloquées. Beaucoup d’entre elles se contentent de plans trimestriels, incapables même de passer au mensuel, étant coincées ainsi depuis une ou deux décennies. Vous voyez, je considère que les alternatives sont crédibles car elles peuvent fonctionner et vous offrir des avantages que nous savons déjà que le S&OP n’atteindra jamais, que ce soit en termes de réactivité, de capacité à traiter des quantités illimitées d’informations, ou de capacité à tirer avantage de toutes les belles innovations de l’informatique, des LLM, etc. Vous voyez, c’est là mon point de vue.

Et le fait est que ce coût d’opportunité est énorme, et qu’en poursuivant ce S&OP classique, vous vous empêchez de réaliser de véritables percées vers des options alternatives. C’est l’essence même de l’argument lorsque j’ai dit que les coûts d’opportunité éclipsent les économies réalisables en réduisant simplement la main-d’œuvre.

Conor Doherty : Donc, Eric, pour résumer cela pour tout le monde, les coûts directs et indirects du processus. Les coûts directs correspondent à ce qu’il en coûte réellement en termes de salaires, et les coûts indirects représentent le temps, l’effort, et ce que vous auriez pu faire d’autre. Quelle est votre réponse ?

Eric Wilson : En ce qui concerne les coûts, nous pouvons les quantifier. Nous les avons quantifiés. D’ailleurs, c’est dans le livre. J’y aborde ce que sont réellement les coûts de mise en œuvre d’un S&OP, quels sont les bénéfices mesurables du S&OP, le ROI. Cela fait d’ailleurs partie du livre que j’ai. Nous pouvons donc quantifier, nous avons mené des recherches à ce sujet chez IBF. Nous avons examiné environ 23 attributs différents concernant la structure, la cadence, les personnes impliquées, le niveau d’agrégation, l’horizon temporel, l’horizon de planification. Nous regardons différentes approches – comme vous l’avez mentionné, les gens nomment cela différemment – mais il s’agit des éléments standards d’un processus S&OP. Nous mesurons leur cohérence et nous étudions également la performance des entreprises au fur et à mesure de leur parcours.

Et nous avons constaté que nous pouvons désormais classer les entreprises en quatre grandes catégories : émergentes, débutantes ; essentielles, qui représentent la première moitié ; niveau supérieur, au-dessus de 50 % ; et enfin pionnières, le top 15 %. Ce que nous avons trouvé, c’est que les entreprises de niveau supérieur et au-delà améliorent leur résultat net de 2 à 3 % grâce au parcours S&OP. Cela représente de l’argent réel pour les organisations. Une croissance du chiffre d’affaires de 1 à 2 %. Elles constatent une réduction de l’incertitude – qu’il s’agisse de l’approvisionnement ou d’autres types d’incertitude – pouvant être baissée de 15 points. Nous constatons une amélioration des marges. Nous voyons une amélioration de la trésorerie liée aux stocks. Globalement, elles obtiennent des résultats mesurables. 2 à 3 % sur le résultat net pour les entreprises de niveau supérieur et plus. Il y a un coût réel, et pour être totalement honnête, la plupart des entreprises émergentes perdent de l’argent en le mettant en œuvre. La plupart des entreprises essentielles n’en retirent qu’un bénéfice minimal, voire aucun, puisqu’elles représentent la moitié des entreprises.

Je suis donc entièrement d’accord, la moitié des entreprises n’obtiennent pas de bénéfices significatifs d’un processus S&OP. Mais ce que nous constatons, c’est que les entreprises qui suivent le parcours obtiennent généralement un retour sur investissement initial d’environ 18 à 24 mois dès qu’elles atteignent ces niveaux supérieurs et commencent à en percevoir les bénéfices. Vous obtenez effectivement un retour sur investissement, et j’ai d’innombrables cas d’utilisation pour le démontrer.

Conor Doherty : Donc, juste pour clarifier, je ne veux pas déformer cela. Avez-vous dit que 50 % des entreprises ne bénéficient pas actuellement de leurs processus S&OP ?

Eric Wilson : 15 % ne bénéficient définitivement pas, et une grande majorité des 35 % restants non plus. Beaucoup d’entreprises dans les catégories émergentes et essentielles n’atteignent tout au plus que le seuil de rentabilité.

Conor Doherty : Joannes, est-ce que cela correspond à votre point de vue ?

Joannes Vermorel : Mon sentiment, encore une fois, est que je reste bien plus pessimiste, car, encore une fois, le problème c’est que, quand vous me parlez de ROI, c’est… revenons à cette vieille analogie, vous savez, des chevaux contre des voitures. Oui, vous pouvez améliorer votre cheval en en prenant soin, en lui fournissant une meilleure selle, etc. C’est le problème de ces améliorations incrémentales. Elles sont réelles, mais le coût d’opportunité est tellement élevé. Vous voyez, c’est comme quand des gens disent : « Regardez, nous avons amélioré la selle du cheval et nous obtenons 5 % d’amélioration sur la charge transportée », ou « le cheval est moins fatigué, moins sujet aux blessures », etc. C’est réel, mais à côté, vous avez une voiture, et c’est ce qui change véritablement la donne.

Vous voyez, les gens ont du mal à comprendre, mais imaginez, pour donner une anecdote rapide que j’ai déjà mentionnée sur cette chaîne, qu’au cours des confinements, l’un de nos clients, une grande entreprise européenne avec plus d’un milliard d’euros de stocks, comptait 900 utilisateurs, et que toutes ces personnes sont parties en vacances payées par l’État, parce que, vous savez, les États européens étaient très généreux, payant les gens pour rester chez eux et ne pas travailler pendant 14 mois. Nous avions donc des personnes confinées pendant 14 mois, se voyant interdire de travailler, car sinon l’État ne leur accordait pas de subventions pour rester chez eux. Si vous restiez à la maison, vous ne pouviez pas travailler à distance ; vous étiez véritablement en vacances.

Et ensuite, nous nous sommes retrouvés dans une situation d’automatisation. Nous avons constitué une équipe d’environ trois personnes du côté de Lokad, et de cinq du côté du client, au lieu des 900, pour gérer un stock de plus d’un milliard d’euros, avec tout le flux de fabrication en plus, pendant 14 mois. Vous voyez, je perçois cela tel quel. L’ordre de grandeur du changement est tout simplement énorme, et l’idée de courir après quelques pourcentages supplémentaires alors que vous n’êtes même pas sûr d’atteindre le seuil de rentabilité, ce n’est, pour moi, pas le niveau d’ambition approprié.

De même, nous avions un autre client qui, en raison du confinement, – littéralement, c’était une entreprise de mode – a fait faillite selon l’équivalent international du Chapter 11. En 2020, ils sont donc passés sous Chapter 11, et lorsqu’ils en sont sortis, nous avons robotisé plusieurs de leurs fonctions, et leur effectif a été réduit de 90 %. Et vous voyez, cela a véritablement transformé leur mode de fonctionnement. Vous pouvez en faire plus.

Encore une fois, si vous voulez voir à quoi ressemble une réduction de 90 % de l’effectif, regardez Twitter l’année suivante. Vous savez, avec cette réduction de 90 %, Twitter a introduit les vidéos, ils ont lancé une demi-douzaine de fonctionnalités qui manquaient depuis plus d’une décennie, parce qu’ils ont réduit de 90 % leur effectif d’ingénieurs logiciels. Et il y a vraiment une causalité. Vous voyez, je pense que les gens ne réalisent pas à quel point il est toxique d’avoir trop de personnes sur certains problèmes.

Et je pense, au contraire, que ma conviction profonde est de se demander : peut-on avoir une personne capable de faire ce que 10 % faisaient auparavant ? Et si vous y parvenez, d’après mon expérience, le résultat est tout simplement exceptionnel. Ce n’est pas seulement une question d’économies réalisables en regroupant ce qui serait fait par 10 personnes, mais vous obtenez également quelque chose de qualitativement supérieur dans l’ensemble. C’est assez étonnant. Soudainement, vous gagnez en liberté, en réactivité, et vous réduisez la bureaucratie. C’est plus simple, etc., etc. Donc, encore une fois, c’est un peu mon point de vue. Et oui, il est possible d’obtenir des améliorations, mais vous renoncez à ce coût d’opportunité massif, c’est-à-dire, que pensez-vous de la réinvention de votre entreprise avec 10 fois moins de cadres ?

Eric Wilson : Quand vous considérez le coût d’opportunité, j’ai mentionné plus tôt une grande entreprise CPG située aux États-Unis qui a suivi un processus et a décidé d’éliminer plus d’une centaine de ses planificateurs de la demande. Ils n’en avaient pas besoin ; ils pouvaient piloter cela par système. Ils avaient compris, en prenant cette décision, que leur précision serait très probablement moindre, mais que le coût de toutes ces personnes, en fin de compte, représenterait un avantage pour l’organisation. Ils réembauchent désormais la plupart d’entre elles. Ils ont fini par perdre des millions de dollars à cause de cette moindre précision due à l’absence de personnel. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas mis en œuvre certaines choses correctement ; la technologie n’est pas encore au point pour réaliser une planification totalement autonome pour ce type d’organisation – ou pour la plupart des organisations, d’ailleurs. Nous n’y sommes donc pas encore. Actuellement, moins de 3 % de tous les projets d’IA sont effectivement mis en œuvre. Il existe d’innombrables cas d’utilisation, mais les entreprises ne les mettent pas encore en place. Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés.

Une autre réalité à laquelle nous devons faire face actuellement, c’est celle des recherches d’IBF montrant que 42 % des entreprises utilisent Excel comme principal système de planification de leurs opérations. Elles ne feront pas le saut immédiat vers l’endroit où nous devons aller. Je sais que le terme incrémental ne vous plaît pas, mais on ne peut pas simplement dire : « Voici cette IA, nous allons commencer à l’utiliser. » Il faut y transiter progressivement. À l’heure actuelle, le S&OP est une opération à un milliard de dollars. Je travaille actuellement avec Microsoft ; ils développent leurs processus S&OP. De grandes organisations comme P&G ont établi (le S&OP) et y investissent de plus en plus chaque année. Autrefois, 15 % des entreprises adoptaient le S&OP ; aujourd’hui, ce chiffre dépasse les 20 % en post-COVID.

Ainsi, davantage d’entreprises adoptent désormais plus de processus S&OP. Ce n’est pas seulement un marché à un milliard de dollars, c’est aussi un marché en expansion. La réalité à laquelle nous faisons face, c’est que c’est un processus – qu’il s’agisse de combler un vide ou d’apporter des bénéfices de 2 à 3 % au résultat net. Il s’agit de réelles économies et d’une véritable valeur pour les organisations matures. Il est viable actuellement, et dans les prochaines années, nous ne serons pas en mesure de l’éliminer.

Conor Doherty : Merci, Eric, car vous avez présenté une transition parfaite que j’ai gâchée en la reconnaissant. C’est la question que j’attendais d’aborder, à savoir, Joannes, vous avez historiquement affirmé que les entreprises pouvaient éliminer le S&OP sans conséquences négatives et qu’elles devraient simplement se concentrer sur l’amélioration du flux de données via le logiciel. Pour vous citer, “J’ai rencontré de grandes entreprises qui ont décidé de mettre fin à leur division S&OP entière ; rien de grave ne s’est produit.” Alors maintenant, Eric vient de mentionner Microsoft. Ils disposent de capitaux ; ils sont assez importants. Si, ce soir, ils eliminaient le processus S&OP, vous me dites qu’il ne se passerait rien de grave ?

Joannes Vermorel: Microsoft est une entreprise tellement étrange à bien des égards. Elle possède une rentabilité presque sans précédent dans l’histoire. C’est probablement la seule entreprise en dehors du luxe matériel qui affiche une marge nette supérieure à 50 %. C’est une entreprise très bizarre. Ils produisent d’excellents logiciels, mais ils utilisent encore SAP, qui est un concurrent pour leur propre ERP. C’est insolite.

Donc, je ne prendrais pas Microsoft comme référence puisqu’il s’agit d’une entreprise de logiciels. 90% de leur chiffre d’affaires provient d’actifs numériques qu’ils vendent, et non d’actifs physiques. Ils disposent néanmoins d’une supply chain assez importante avec l’Xbox et tout le matériel Microsoft, donc même si cela reste minime du fait de la taille de Microsoft, ces actifs représentent probablement une affaire de plus de 10 milliards chaque année. C’est donc tout de même une très grande entreprise. Mais sur le point essentiel, je suis très sceptique quant à l’idée que cela puisse réellement entraver quoi que ce soit de leurs actions. Je ne vois pas une grande avancée chez Microsoft, même en ce qui concerne le matériel, provenir d’une innovation vraiment remarquable, de produits très bien présentés, généralement dotés de technologies logicielles supérieures, et meilleurs qu’eux.

Prenons par exemple la Surface qui a été créée du jour au lendemain. Une affaire à milliard de dollars il y a environ cinq ans lorsqu’ils ont lancé Surface, celles grand format pour les réunions d’entreprise. Donc, vous voyez, ma façon de voir les choses est que ce n’est pas un jeu où ces réunions génèrent réellement de la valeur. Je ne vois pas une exécution nettement supérieure à cet égard. C’est plutôt qu’ils disposent d’une gamme très étendue, et de technologies logicielles suffisamment correctes. Je sais que les partisans de Linux seraient horrifiés et diraient que tout ce que Microsoft produit est de la pure camelote, mais je dirais que c’est assez bon. L’équivalent des choses sous Linux n’existe généralement pas, ou lorsqu’il existe, ce n’est pas aussi bon. Encore une fois, l’équivalent d’Excel sur Linux n’est que de la pacotille.

Conor Doherty: Mais encore une fois, juste pour vous presser un peu sur le point global concernant toute autre entreprise d’un milliard de dollars ou plus…

Joannes Vermorel: Encore, j’ai constaté que, bien que les conditions fussent relativement extrêmes, c’était généralement là où le Chapter 11 ou quasi-Chapter 11 obligeait les entreprises à agir ainsi. Mais encore une fois, j’ai vu des entreprises réembaucher des personnes après en avoir licencié un grand nombre. Comme vous l’avez mentionné dans votre anecdote, elles embauchaient des planificateurs et des personnes chargées des décisions quotidiennes concernant les stocks et autres. Cela, je l’ai également observé. Je ne dis pas que ces entreprises peuvent simplement se passer des personnes qui gèrent réellement les stocks ou la planification de la production. Je parle d’éliminer les personnes qui se concentrent uniquement sur le S&OP, celles dont la fonction est de soutenir ces réunions, de soutenir les prévisions à l’échelle de l’entreprise, et qui ne font que cela. Si vous supprimez quelqu’un qui gère quotidiennement le calendrier de production de l’usine, vous vous retrouvez avec un gros problème si vous ne disposez pas d’une solution de remplacement complète au niveau de la production.

Eric Wilson: Même les entreprises qui n’ont pas de processus S&OP structuré finissent par avoir quelque chose. Des décisions vont être prises, donc ils ne l’appelleront peut-être pas S&OP. Ils pourraient choisir de l’appeler autrement. Nous avons plein d’acronymes que les gens aiment, mais il y a des réunions qui ont lieu même au sein de ces organisations. Vous n’éliminez pas le processus ; vous éliminez le processus S&OP structuré. Je garantis que vous le remplacerez par autre chose. Maintenant, vous préconisez de le remplacer par un support décisionnel, un flux de données et un flux d’informations. S’ils arrivent à faire cela, merveilleux. Mais revenons à la réalité, 42% sont sur Excel. La plupart des organisations n’ont pas cette maturité. Elles remplacent un processus structuré, éprouvé et bénéfique, par autre chose.

Conor Doherty: Merci. Juste pour clarifier, Joannes, comme Eric l’a suggéré, prônez-vous le remplacement du S&OP par autre chose ? Je n’en étais pas tout à fait sûr.

Joannes Vermorel: Je suis d’accord sur le fait qu’il y aura autre chose, mais mon point de vue est que la structure n’est pas intrinsèquement bonne. Ce n’est pas parce que vous avez un processus en place que vous obtiendrez un bon résultat. Parfois, l’absence de processus et le laisser-faire permettent d’obtenir les meilleurs résultats. Ce que je constate, c’est que vous imposez beaucoup de rigidité, et ce n’est pas le type de rigidité propice à l’obtention des meilleurs résultats.

Il existe de nombreux secteurs, par exemple l’industrie musicale, où l’on n’obtient pas une chanson fantastiquement réussie en suivant un processus très méticuleux depuis l’idée originale jusqu’au produit final. C’est généralement extrêmement chaotique. Ces personnes mènent des vies très étranges, et cela tend pourtant à produire de bons produits. Je crois qu’il s’agit d’un rationalisme en action, lorsque l’on veut ajouter une structure pour que cela ne paraisse pas absurde, pour donner une apparence de sens en rangeant les choses dans des cases nettes afin que tout semble sous contrôle.

Pour moi, il faut supprimer le S&OP, laisser ces managers gérer leur temps intelligemment. S’ils ne gèrent pas leur temps intelligemment, licenciez simplement les personnes qui ne font rien. Ces personnes finiront par découvrir ce qui leur sert réellement et ce qui ne leur sert pas. Il n’est pas nécessaire d’avoir ce processus uniforme à travers l’organisation pour imposer ces réunions. Je ne crois pas beaucoup en ces infrastructures qui garantissent des résultats supérieurs.

Eric Wilson: Vous êtes généralement pessimiste. Vous êtes optimiste quant au fait que les gens, par eux-mêmes, peuvent comprendre comment travailler et agir. Cela me semble un peu optimiste. Ce que nous avons constaté, c’est qu’il existe une corrélation entre la structure et les résultats obtenus. Elle crée plus d’efficacité et permet de meilleures décisions avec plus de structure. Maintenant, je reconnais qu’il y a une différence entre structure et rigidité. Il ne faut pas être si rigide qu’on ne dispose d’aucune flexibilité. Vous avez besoin de flexibilité, mais vous pouvez tout de même avoir de la structure et de la flexibilité. Je pense que ces deux aspects peuvent coexister.

Joannes Vermorel: Oui, je veux dire, pour vous donner à nouveau un exemple qui vient d’un petit frère qui travaille pour une très grande entreprise danoise. Je ne vais pas révéler le nom de l’entreprise, mais les gens peuvent le consulter sur LinkedIn s’ils le souhaitent.

Voici à quoi ressemblait le processus de S&OP : il s’agissait, encore une fois, d’une grande entreprise industrielle de 40 000 employés. Il faisait partie des ventes. Chaque année, le processus S&OP avait lieu. Ainsi, chacun donnait ses prévisions de ventes. Chaque commercial débutant donnait sa prévision. C’était un exercice super fastidieux qui prenait deux semaines pour chaque membre des équipes de vente.

Et ensuite, évidemment, parce qu’ils veulent dépasser les attentes, ils abaissaient leurs objectifs. Ainsi, ils sous-estimaient massivement. Puis le responsable agrège. La première couche agrège, puis ils constatent que c’est un sous-échantillonnage, si incroyablement bas qu’ils vont devoir réviser le chiffre beaucoup à la hausse, mais pas trop, sinon ce serait simplement ridicule. Ils ne vont pas perdre 30% de leur part de marché sur chaque marché qu’ils desserviront l’année prochaine.

Et donc, ils remonteraient simplement les chiffres, mais toujours, voulant dépasser les attentes, ils les ramèneraient tout de même vers le bas. Ensuite, cela passerait à travers les différents niveaux, et les gens répéteraient ce processus d’agrégation. C’est trop bas, on le relève, mais pas trop haut. Vous obtenez alors des chiffres vraiment étranges. Et à la fin de ce processus, qui prenait des mois et se répétait chaque trimestre, vous aviez ces prévisions de ventes qui étaient totalement absurdes.

Et puis, les personnes en production faisaient la même chose, mais dans l’autre sens. Ils gonflaient leurs chiffres car s’ils prévoyaient une production plus élevée, ils obtiendraient plus d’argent pour disposer de plus de capacité de production. C’était donc le processus opposé, complètement absurde, également truqué. Et ensuite, tout en haut, il y avait une série interminable de comités qui mettaient ces chiffres les uns contre les autres. Puis, après de longues discussions, ils finissaient par se mettre d’accord sur quelque chose.

Et puis, les équipes revenaient à la normale. Les ventes choisissaient d’ignorer totalement ce qui avait été convenu, car c’était complètement absurde, et la production faisait de même. Et vous voyez, c’était le genre de situation qui se produit avec un S&OP mature. Ils avaient un S&OP mature qui avait atteint sa maturité il y a au moins 10 ans. Vous diriez peut-être que c’est mal fait, comme une très mauvaise version de cela. Mais mon point de vue est que c’est là le problème de la bureaucratie, qui tend à se dégrader. Ainsi, même s’il était bien fait au début, la compréhension générale des bureaucraties est qu’elles se détériorent, et cela très rapidement. Il est extrêmement difficile d’empêcher une bureaucratie de se dégrader. Voilà, vous savez, c’est mon point de vue à ce sujet.

Eric Wilson: Je pense que vous avez écouté l’un de mes podcasts car j’en ai fait un entier exactement sur ce dont vous avez parlé, notamment pendant le cycle budgétaire. S’y engager coûte énormément d’argent à l’entreprise. Il y a tant de gaspillages exactement comme vous l’avez décrit, car cela mobilise les ressources et le temps des gens sans aucun bénéfice. Ils ne cherchent pas à élaborer un véritable résultat stratégique ; ils viennent jouer à des jeux et passer par les cycles de ce plan de jeu pour arriver à ce qui va leur bénéficier. C’est absolument un gaspillage de temps et d’efforts sans même essayer d’en tirer une quelconque valeur. Je suis entièrement d’accord, et je l’ai vu. J’ai vu exactement le cas dont vous parlez dans le processus de S&OP, mais même en dehors du processus S&OP, j’ai vu la même chose se dérouler. Donc, je suis d’accord, ce que vous décrivez est inefficace et mal fait. Oui, ce n’est pas la bonne manière de procéder.

Mais ce que vous constatez dans les organisations qui disposent de processus S&OP plus matures, j’ai mentionné Dr. Pepper, j’ai mentionné Coca-Cola, ces organisations ne passent pas par ce cycle budgétaire ou ce cycle annuel dont vous parlez. Il est désormais intégré dans le cycle mensuel, et tout repose sur la collaboration, sur le fait que les bonnes personnes travaillent ensemble, que le consensus s’instaure à travers cette approche du chiffre unique, au moins les gens sont alignés. L’autre élément clé est la transparence. Il existe un processus transparent, et c’est ce qui fait réellement la force d’une organisation mature. Quand on commence à tricher, à faire des choses pour soi-même, cela se dégrade rapidement.

Conor Doherty: Je vais insister un peu à partir de ce point parce que je crois que le producteur me signale que nous voilà à environ 90 minutes. Mais c’est amusant, c’est absolument amusant, et je suis sûr que nous avons tous des choses à faire également. Donc, encore une fois, en vous écoutant, Eric, je suis vraiment heureux que vous soyez venu, et merci d’être venu. Premièrement, vous êtes agréable à qui parler, et deuxièmement, vous êtes assez ouvert d’esprit et avez fait allusion à plusieurs reprises durant la conversation à l’avenir du S&OP. En fait, vous en avez parlé plus tôt. Je pense que vous avez mentionné la migration inévitable, ce qui pourrait être les mots que vous avez employés, vers l’automatisation, la mécanisation et la robotisation. Vous avez dit que Joannes était très optimiste quant à ce que les gens peuvent faire, et je suis curieux, comment conciliez-vous ces deux pensées simultanément ? Que le S&OP est excellent, qu’il faut l’utiliser, et êtes-vous également optimiste quant à l’avenir du S&OP, au vu de votre appréciation de la trajectoire générale de la technologie et de la mécanisation ?

Eric Wilson: Oui, je reste optimiste. Les choses vont fondamentalement changer, absolument. Je ne nie pas cela. Je serai en Europe la semaine prochaine pour donner une keynote, et ce sera l’essence de ce dont je parlerai. Les choses vont fondamentalement changer par rapport à leur état actuel, donc nous ne pouvons pas continuer avec le processus et la trajectoire actuels en pensant que cela nous maintiendra à l’avenir. À mesure que la technologie permet plus de choses, que nous acquérons de nouvelles capacités, nous devrons fondamentalement changer et instaurer de nouveaux processus et de nouveaux aspects. Ceux-ci émergeront absolument. Quant à leur apparence, je n’en suis pas entièrement sûr.

Ce que je prévois, c’est que nous allons passer, même à partir des stratégies, des stratégies plus spécifiques à chaque fonction dans lesquelles nous nous trouvons actuellement, vers une approche davantage axée sur le côté business, sur l’efficacité commerciale plutôt que sur les efficacités fonctionnelles. Je pense que nous allons évoluer dans ce sens car nous avons la capacité de synthétiser et de voir comment les choses vont davantage s’interconnecter à l’avenir. Donc, je pense que nous aurons davantage de ces aspects.

L’autre point dont j’ai parlé, c’est que lorsque quelque chose devient banalisé, autre chose devient premium. La programmation des données va devenir de plus en plus banalisée. Ce qui deviendra premium, c’est alors la communication, l’objectivité qui se situe en dehors des systèmes et que nous devons commencer à apprécier. Pouvoir examiner les choses et interroger même ce que disent les résultats, comment poser des questions, quoi remettre en question et quand le faire, voilà les compétences qui seront intégrées, à l’avenir, dans une sorte de planification de l’efficacité commerciale ou dans le S&OP du futur. Ce sera vraiment ce vers quoi nous serons orientés. Mais absolument, je pense que nous sommes en train de migrer. Nous voyons clairement que le changement se produit, et je ne vais pas faire l’autruche. Cela ne se produira pas dans les prochaines années, mais nous le verrons migrer, et nous constaterons une différence fondamentale dans ce que nous aurons à l’avenir.

Conor Doherty: Merci. Et Joannes, avant que vous ne répondiez, je voudrais revenir sur un point mentionné précédemment. Eric, vous avez parlé du fait que naturellement, de nouveaux processus émergeront avec le temps, c’est la tendance générale. Mais quelque chose que vous avez dit plus tôt, Joannes, c’est qu’il y a une limite à l’innovation de la communication humain à humain, ou à la qualité du flux d’informations entre les personnes. Ainsi, en tenant compte de ce que vous avez dit, quelle est votre réponse à ce qu’Eric vient de dire concernant l’avenir du S&OP ?

Joannes Vermorel: Mon point de vue est que lorsque l’on adopte une perspective incrémentale, on ajoute toujours. Vous le voyez comme étant fondamentalement un processus additif. Et là où je vois la véritable disruption et le véritable bond en avant, c’est lorsque l’on soustrait. C’est, vous savez, une manière de penser très abstraite, mais si vous voulez un bel exemple, regardez les trois moteurs-fusées, première génération, deuxième et troisième, conçus par SpaceX.

Je veux dire, j’invite le public à jeter un œil de la génération un à la génération trois pour voir où elles en sont. La Generation 3 est nettement plus simple. C’est littéralement un ordre de grandeur de tuyaux et de tubes en moins. La première version ressemble à une expérience de savant fou – elle comporte des centaines de tubes – tandis que la troisième génération n’en montre qu’une demi-douzaine. Celle-ci dégage une sorte d’ambiance d’aspirateur Dyson, vous voyez, très élégante, simple, avec tout ce qui était superflu supprimé. La première se rapprochait d’expériences de science folle avec une touche steampunk et une telle complexité.

Alors, vous voyez, mon propos sur cette évolution est le suivant… je ne sais pas vraiment où nous nous dirigeons. Vraiment, je n’en ai aucune idée. Je dis simplement que la solution facile est d’ajouter, mais le véritable bond en avant, celui qui permet un progrès massif, c’est lorsqu’on soustrait. Ma question est donc de réfléchir longuement et sérieusement à ce qui sera supprimé et comment, dans S&OP 2.0, même si, vous savez, mon point de vue est peut-être erroné. Peut-être que le constat serait que S&OP 2.0 ne comportera pas plus d’éléments, mais moins, parce qu’il sera réalisé de manière plus intelligente, différemment, autrement.

Conor Doherty: À ce stade, je n’ai rien à ajouter. Y a-t-il un point que vous souhaiteriez aborder directement, sans passer par moi ? Y a-t-il quelque chose qui vous brûle les lèvres et que vous voudriez demander, Joannes ?

Eric Wilson: Eh bien, en ce qui concerne Joannes, je pense que nous sommes parvenus à un accord. Aucun de nous ne sait vraiment. Cela pourrait être une version plus simple. Je suis totalement d’accord avec cela, mais il s’agira d’une version différente à l’avenir. Je pense que nous avons trouvé un consensus. Nous avons bâti ce consensus. Ainsi, nous sommes d’accord là-dessus. Lorsque vous évoquiez l’avenir de la planification de la demande, vous disiez que 90 % pouvaient être éliminés. Pensez-vous réellement que nous pourrons éliminer un grand nombre de personnes et automatiser une plus grande partie de l’activité à l’avenir ? Et, dans ce cas, comment gérer l’équilibre entre les salaires et le consommateur ? Car il faut encore des gens pour acheter des choses, et les entreprises n’achètent pas, mais elles ne sont pas des consommateurs. Comment trouverons-nous cet équilibre à l’avenir ?

Joannes Vermorel: Ici, je tiens à dire que je suis tout à fait en accord avec la vision schumpétérienne de l’économie, c’est-à-dire la destruction créatrice. Vous savez, il y a 200 ans ici à Paris, le métier numéro un – qui représentait un quart de la population – était celui des porteurs d’eau. C’était un quart de la population. Évidemment, l’arrivée de l’eau courante a supprimé ces emplois, et ces personnes, cette partie de la population n’est tout simplement pas morte de faim malgré la disparition de leur métier.

Vous savez, dès qu’un processus se mécanise complètement, ces personnes se retrouvent libérées sur le marché du travail, et le marché finit toujours par trouver sa voie. Il n’y a aucune limite à… J’ai une fille à l’école. Ils ont des classes de 30, parfois 35 élèves. Je serais vraiment content s’ils pouvaient avoir des classes de seulement 15 élèves à la place. Et quand on va à l’hôpital, il faut parfois attendre des heures à Paris parce qu’il manque de personnel. Vous savez, il n’y a pas de pénurie d’infirmières, de professeurs, de tout le reste.

Les entreprises qui gèrent des supply chains où, de nos jours, le nombre de cadres dépasse celui des ouvriers, c’est très étrange. Vous savez, la mécanisation a tellement bien fonctionné que les usines sont presque vides. À présent, j’ai de nombreux clients pour qui une usine peut fonctionner avec 20 personnes, tandis qu’il faut 100 personnes pour réaliser des tableaux Excel en périphérie de l’usine afin de la maintenir en activité. C’est vraiment étrange.

Il y a un siècle, les gens auraient été complètement abasourdis. Ils auraient dit : « Oh, il nous faut trois ingénieurs pour 100 ouvriers », alors que de nos jours, c’est l’inverse. On voit littéralement des cohues de personnes s’occupant de feuilles de calcul. Je suis tout à fait d’accord : les feuilles de calcul gouvernent les supply chains. En revanche, la main-d’œuvre ouvrière a été largement mécanisée.

Nous avons donc toutes ces personnes qui effectuent des tâches de back-office. Mon point de vue est que, pour ces emplois – je précise, il s’agit d’emplois administratifs de back-office – c’est-à-dire des postes où l’on ne rencontre ni client ni fournisseur, où l’on ne réalise aucune action physique pour l’entreprise – ces emplois seront, selon moi, dans 20 ans réduits jusqu’à 90 % grâce aux technologies logicielles. Cela représenterait des millions de personnes.

Le marché trouvera son chemin. Ne considérez pas ces scénarios dystopiques dans lesquels ces personnes seraient laissées à mourir de faim, sans ressources. Elles finiront par trouver une solution. Car, encore une fois, c’est toute la beauté de l’économie en général, du marché libre, qui n’impose aucune limite à la demande. Donc, si vous disposez de ressources inutilisées, le marché trouvera un moyen d’affecter ces personnes aux emplois les mieux rémunérés, qui ne seront qu’autre chose.

Je pense que l’élément intéressant, pour conclure, est que c’est la première fois que cela arrive aux cadres. La digitalisation a commencé à la fin des années 70 et n’a jamais éliminé les cadres. Nous avons plus de cadres que jamais. Mais je pense maintenant que nous vivons dans une société en bulle de cadres, où l’on estime normal que 90 % de la population reste assise derrière un bureau au lieu d’effectuer une activité physique. Je trouve cela très étrange. C’est un peu comme la phase inaugurale de la vision du 21ᵉ siècle. Historiquement, cela n’a jamais été le cas.

À mon avis, la situation pourrait évoluer vers une société différente, beaucoup plus équilibrée, où les ouvriers – et je le dis sans aucune connotation péjorative, sachant qu’aux États-Unis, des plombiers peuvent gagner jusqu’à 150 000 $ par an – retrouveraient leur place. Ces personnes ne sont pas pauvres ; elles gagnent très bien leur vie. Le tout se rééquilibrera vers un modèle où il y aura beaucoup moins d’emplois bureaucratiques de back-office clerical. Voilà, c’est mon opinion pour les 20 prochaines années.

Conor Doherty: Cela satisfait-il votre curiosité ?

Eric Wilson: À moitié. Je vois cela un peu différemment, car je ne suis pas sûr qu’en automatisant les emplois de cadres, nous soyons en train de mécaniser. Nous innovons de nouvelles formes de prise de décision et d’IA. Je pense que l’avenir sera radicalement différent, avec des innovations potentiellement bien plus marquantes que celles que nous avons pu observer historiquement.

La mécanisation de certaines tâches et processus que les gens réalisent nous oblige peut-être à repenser la structure de nos effectifs. Nous pourrions aborder des questions philosophiques, voire envisager des scénarios de revenu minimum, car les entreprises deviennent plus efficaces, gagnent plus d’argent et disposent d’une assiette fiscale. Il existe de nombreuses façons d’envisager la situation, mais je ne suis pas certain que la société de demain sera celle que nous avons connue par le passé.

Joannes Vermorel: Les pays ont beaucoup changé, et je pense que les États-Unis ne font pas exception. Ils ont évolué de façon spectaculaire au cours des deux dernières décennies.

Conor Doherty: En 24 heures.

Eric Wilson: Avez-vous vu notre élection il y a quelques jours ?

Conor Doherty: Tous ont lancé la même blague en même temps.

Joannes Vermorel: Je pense qu’attendre du changement est normal. Depuis le tout début de la Révolution industrielle, le changement a été constant. Il y a 300 ans, c’était similaire à ce qui se passait il y a 3 000 ans. Voilà ce qui est intéressant.

Jusqu’à 300 ans en arrière, si vous remontiez les 3 000 dernières années, tout serait pour la plupart resté le même. Puis, avec la Révolution industrielle, nous avons entamé une spirale d’accroissement de connaissances qui a amélioré absolument tout. Donc oui, je pense que nous pouvons tous nous attendre à du changement. Le pire que l’on puisse espérer, c’est une stagnation pure. C’est probablement le pire scénario pour un pays.

Conor Doherty: Alors, Joannes, pour donner une sorte de symétrie narrative, si vous deviez résumer tout cela dans une note – et je sais que vous adorez ça – quelle serait la note pour ce long podcast avec Eric ? Et Eric, je vous poserai ensuite la même question.

Joannes Vermorel: Si l’on veut résumer et être juste vis-à-vis de la position d’Eric, ce serait : il existe des méthodes pour atteindre une synchronisation et un consensus à l’échelle de l’entreprise qui sont moins gaspillards que ce que vous faites probablement. Sur ce, je suis d’accord. Mon contrepoint, qui constitue une affirmation – et je n’entrerai pas dans les détails pour la défendre – est que, tout en bénéficiant de ces avantages, il existe des bénéfices et des opportunités encore plus grands en remettant en cause l’idée de fonctionner uniquement par le biais des personnes, en adoptant un paradigme médiatisé par logiciel. Mais je laisse cette affirmation non étayée, car autrement, je prendrais encore une heure pour en parler.

Conor Doherty: Merci. Et Eric, quelle est votre note à la Jerry Maguire ?

Eric Wilson: Ma vision à la Jerry Maguire de notre situation actuelle, c’est que l’adoption du S&OP est en hausse. Il comble un vide dans ce que nous avons aujourd’hui. On constate des bénéfices à mesure que l’on améliore progressivement le processus. Si vous voulez comprendre ce que c’est, embarquez dans ce voyage et progressez pas à pas… achetez mon livre.

Conor Doherty: Joannes, merci pour votre temps. Et Eric, merci infiniment de nous avoir rejoints aussi longtemps. Ce fut un réel plaisir de vous avoir avec nous.

Joannes Vermorel: Merci beaucoup, ce fut un plaisir.

Conor Doherty: Et merci à tous de nous avoir regardés. On se retrouve la prochaine fois.