L'analyse ABC (Stocks)
Dans la gestion des stocks, l’analyse ABC est une méthode de catégorisation des stocks utilisée comme un mécanisme de priorisation rudimentaire pour concentrer les efforts et les ressources sur les articles qui importent le plus pour l’entreprise. Cette méthode repose sur l’observation empirique qu’une petite fraction des articles ou SKU représente généralement une grande partie de l’activité. Avant que les systèmes de stock perpétuel ne deviennent répandus, l’analyse ABC était utilisée pour réduire le nombre d’opérations administratives associées à la gestion des stocks. Depuis les années 2000, cette méthode est principalement utilisée comme méthode de visualisation de données et comme moyen de prioriser l’attention des praticiens de supply chain, qui doivent régulièrement revoir les paramètres de réapprovisionnement dans leur système de gestion des stocks, tels que les paramètres Min/Max ou les taux de service.

Réaliser une analyse ABC
L’analyse ABC est une méthode de catégorisation des stocks qui attribue une classe à chaque article - ou SKU, ou produit - généralement désignée par A, B et C, où A (resp. C) est la classe associée aux articles les plus (resp. les moins) vendus ou consommés. Il peut y avoir plus de trois classes (par exemple D, E, F, …), bien que, généralement, le nombre de classes soit limité à un chiffre.
Pour calculer les classes, le praticien de supply chain doit choisir une série de paramètres qui caractérisent l’analyse ABC :
- le nombre de classes
- une unité pour mesurer le “poids” de chaque article
- la période historique de la mesure
- un pourcentage utilisé comme seuil pour chaque classe.
Les pourcentages sont liés à l’unité choisie pour mesurer le poids sur la période historique. Ces pourcentages sont généralement liés au chiffre d’affaires mesuré en dollars ou en unités vendues.
Bien que des recommandations puissent être fournies quant au choix de ces paramètres, ils restent fondamentalement quelque peu arbitraires. Comme l’analyse ABC se veut accessible à un public diversifié au sein de l’entreprise, les paramètres sont habituellement choisis parmi des nombres ronds plus faciles à mémoriser.
Par exemple, le gestionnaire de stocks d’un e-commerce de niche vendant un assortiment de 10 000 T-shirts pour un chiffre d’affaires annuel de 50 millions d€ décide de réaliser une analyse ABC avec les paramètres suivants :
- 3 classes (A, B, C)
- chaque unité vendue compte comme ‘1’
- les 3 derniers mois de ventes sont considérés
- les seuils sont de 60 % (A), 30 % (B) et 10 % (C).
En utilisant une feuille de calcul, le gestionnaire classe par ordre décroissant tous les articles en fonction de leurs volumes de ventes sur 3 mois - mesurés en unités vendues. Ensuite, les seuils sont appliqués à la part cumulative des poids des articles. On s’attend à ce que la classe A comporte beaucoup moins d’articles que la classe C. Dans l’exemple ci-dessous, les classes A/B/C comptent respectivement 4/7/14 articles.

Téléchargez la feuille de calcul Excel : abc-analysis.xlsx
Comme illustré par la feuille de calcul Excel ci-dessus, réaliser une analyse ABC est simple. De plus, de nombreux logiciels de gestion des stocks proposent l’analyse ABC - et souvent ses variantes - car sa mise en œuvre est un élément de génie logiciel relativement trivial.
La mesure peut être exprimée en pièces (c’est-à-dire en unités vendues) si, comme illustré dans l’exemple précédent, tous les articles vendus ou servis ont tendance à avoir des prix similaires. Toutefois, si certains articles sont considérablement plus chers que d’autres, il a alors généralement plus de sens de les pondérer en fonction de leurs prix d’achat ou de leurs prix de vente.
La période historique doit être suffisamment longue pour que les quantités moyennées soient statistiquement significatives. Habituellement, les classes sont plus stables lorsqu’un multiple de la cyclicité courante est utilisé, comme une année, afin de neutraliser l’effet de la saisonnalité, ou un nombre entier de semaines pour neutraliser les effets du jour de la semaine lorsque la période est courte.
Les seuils sont généralement ajustés de sorte que chaque classe comporte au moins 5 fois plus d’articles que la précédente. Cela permet qu’un petit nombre de classes couvre même un catalogue important. En partant d’une classe A de 100 articles, et en supposant des incréments de 5 fois, le détaillant de T-shirts présenté ci-dessus aurait besoin de 4 classes pour couvrir l’intégralité de son catalogue (100x5x5x5 = 12 500).
Principe de Pareto et lois de puissance
L’analyse ABC repose sur l’observation empirique, connue sous le nom de principe de Pareto ou règle du 80/20, que les 20 % des articles les plus importants représentent généralement 80 % du volume des ventes, quelle que soit l’unité de mesure choisie. Ainsi, dans de telles circonstances, il est logique de segmenter les éléments d’intérêt - les articles en stocks - en fonction de leur “ampleur” d’importance, c’est-à-dire les classes ABC.
D’un point de vue plus mathématique, une analyse axée sur la magnitude comme l’analyse ABC est intéressante chaque fois que la distribution sous-jacente (des probabilités) présente une “queue grasse”, c’est-à-dire des valeurs qui s’écartent considérablement de la moyenne1. Ces situations se produisent fréquemment tant dans les phénomènes naturels que dans les activités humaines. Par exemple, les distributions suivantes sont généralement à queue grasse :
- les effectifs de l’entreprise dans un pays
- la biomasse (en tonnes) des espèces dans une zone
- les recettes au box-office des films pour une année donnée
- les rappels (en unités) dans l’industrie automobile
- …
Il existe tout un “bestiiaire” de distributions mathématiques connues pour correspondre à ces situations. Les distributions les plus largement utilisées sont probablement la loi de puissance et la distribution de Zipf. Ces fonctions mathématiques varient principalement dans leur capacité à accorder du “poids” à la queue de la distribution, c’est-à-dire dans leur capacité à refléter la probabilité d’occurrence de situations très rares.
Dans le cas spécifique des supply chains, de simples forces économiques interviennent généralement pour limiter artificiellement l’ampleur des valeurs aberrantes. Par exemple, pour les articles revenant dans les stocks, on peut constater que les moins performants sont généralement retirés de l’assortiment. Ainsi, les articles qui se vendraient, disons, seulement une fois par an ne sont pas observés parce que l’entreprise a cessé de les vendre bien avant d’atteindre ce niveau de vente.
Inversement, si un article se vend extrêmement bien, l’entreprise a alors intérêt à introduire des variantes - en couleur, en taille ou dans tout autre attribut technique - afin d’augmenter encore son volume total de ventes. Encore une fois, des articles qui se vendraient à des dizaines de millions d’unités peuvent ne jamais être observés, car au moment où l’article aurait atteint ce volume, des variantes auraient été introduites qui cannibalysent les ventes de l’article original.
Pratiques courantes basées sur l’analyse ABC
L’analyse ABC est utilisée pour soutenir des décisions courantes liées aux stocks, telles que la transmission des bons de commande aux fournisseurs. Bien qu’il soit discutable de savoir si les pratiques basées sur l’analyse ABC peuvent être considérées comme de bonnes pratiques (voir la section ci-dessous sur les limites de l’analyse ABC), certaines pratiques sont répandues telles que :
- l’attribution de taux de service en fonction de la classe des articles - les premières classes ayant les cibles les plus élevées, tandis que les dernières classes ont les plus basses.
- l’attribution d’une main-d’œuvre uniforme (attention) à chaque classe - par exemple, le praticien de supply chain consacre 1 heure à passer en revue la classe A (100 articles), puis 1 heure à passer en revue la classe D (10 000 articles).
- la segmentation de tous les indicateurs clés de performance par classe, et de même la segmentation de tous les tableaux de bord ou rapports selon la classe d’intérêt.
- établir des revues de performance, pour les équipes supply chain, basées sur des règles qui dépendent des classes ABC elles-mêmes.
En effet, comme les classes ABC sont faciles à produire et à maintenir, ces classes tendent à s’intégrer aux pratiques supply chain de l’entreprise, car il y a généralement peu de résistance face à ce qui semble être une manière intuitive de raffiner une analyse liée aux stocks.
Perspective historique de la gestion des matériaux
Historiquement, l’analyse ABC est apparue dans une optique de gestion des matériaux visant à minimiser la charge administrative associée aux stocks. Chaque classe d’articles disposait de son propre ensemble de processus spécifiques :
- articles de type A avec un contrôle très strict et des relevés précis,
- articles de type B avec des relevés moins rigoureux et précis,
- articles de type C avec les contrôles les plus simples possibles et des relevés minimaux.
En effet, avant les années 70, les relevés de stocks devaient être inscrits manuellement dans des registres par des clercs, ce qui était à la fois lent et coûteux. Ainsi, dans la plupart des situations, il était plus efficace d’adopter des méthodes de gestion des stocks qui ne nécessitaient aucun type d’enregistrement, comme le Kanban.
Cependant, avec l’avènement des systèmes de stock perpétuel à faible coût et des lecteurs de codes-barres, cette pratique a progressivement disparu. En effet, les risques associés aux mouvements de stocks dépourvus d’enregistrements (numériques), tels que les pertes, dépassent désormais largement les coûts administratifs liés à leur tenue. Ainsi, tous les articles bénéficient d’un contrôle strict et de relevés précis, c’est-à-dire du traitement des articles de type A, quelle que soit leur importance.
Cependant, il convient de noter que la plupart des entreprises différencient toujours les stocks - les articles en cours de traitement et de vente - qui doivent être suivis, des fournitures générales (par exemple, le matériel de bureau) qui ne le sont pas.
De manière intrigante, de nombreuses sources citent encore cette perspective historique comme la motivation principale derrière l’analyse ABC, alors que cette pratique a essentiellement disparu des processus de la plupart des entreprises de taille moyenne et grande depuis le début des années 2000.
Les limites de l’analyse ABC
L’analyse ABC est une méthode de catégorisation des stocks rudimentaire et présente de nombreuses limitations. Ces limites tendent à exacerber de nombreux problèmes préexistants de supply chain tels que les ruptures de stock, les surstocks, l’absence de fiabilité et une faible productivité.
Instabilité. Lorsqu’on utilise des paramètres « raisonnables », tels que ceux donnés dans l’exemple ci-dessus, l’analyse ABC aboutit fréquemment à ce qu’entre un quart et la moitié des articles changent de catégorie chaque trimestre dans de nombreux secteurs. Pire encore, puisque l’évaluation de la stabilité de l’analyse ABC est plus compliquée que sa réalisation même, la plupart des entreprises ne sont même pas conscientes du problème. Ces instabilités compromettent une grande partie des mesures correctives, dictées par la classification ABC, qui finissent par être appliquées aux mauvais articles.
Stationary-only. L’analyse ABC est en contradiction avec les schémas de demande fondamentaux tels que les lancements de produits : un nouvel article a un volume faible par conception, car son volume de ventes n’est pas encore observable. Bien qu’il soit possible d’atténuer l’effet de nouveauté, d’autres schémas, comme la saisonnalité, compliquent le processus. Par exemple, en octobre, des jouets lancés 6 mois auparavant sont classés comme articles de type C alors que les ventes de Noël se profilent à l’horizon. L’analyse ABC est une perspective stationnaire de la demande et, par conséquent, générera des inefficacités de stocks dès que la demande ne sera pas stable.
Faible signification. En ce qui concerne les indicateurs, la quantité d’information extraite de l’historique de la demande et intégrée dans les classes ABC est extrêmement faible. Par exemple, même un indicateur trivial comme “total units sold last year” a tendance à fournir plus d’information sur un article donné que sa classe ABC. De plus, tout modèle statistique accomplissant une quelconque tâche sur les données historiques des stocks peut, en interne, réimplémenter une analyse ABC si cela s’avère utile - bien que, en pratique, ce ne soit pas le cas.
Bikeshedding. L’analyse ABC implique un choix arbitraire de paramètres. Comme l’analyse ABC présente des lacunes évidentes, notamment en ce qui concerne les lancements de produits (voir ci-dessus), davantage de paramètres sont généralement introduits pour atténuer ces lacunes. Ensuite, étant donné que l’analyse ABC est facile à comprendre, beaucoup de personnes ressentiront invariablement le besoin d’être impliquées dans le choix de tous ces paramètres et/ou de demander leurs propres variantes. En conséquence, sous couvert d’une méthode rapide et facile, l’analyse ABC se transforme généralement en une entreprise bureaucratique gourmande en ressources qui ne fournit pas de résultats tangibles.
Aveuglement. La fréquence ne se confond pas avec l’importance économique. L’analyse ABC attribue l’importance d’un produit en fonction de sa fréquence d’utilisation ou de son chiffre d’affaires. Cependant, dans de nombreux cas, l’indisponibilité d’un article peu consommé ou de moindre valeur peut avoir les conséquences les plus dévastatrices, et des niveaux de stocks élevés, ainsi qu’une grande importance, devraient être accordés à cet article. Un exemple tiré du commerce de détail pourrait être l’effet de marchandise où des articles brillants sont placés en vitrine, alors qu’ils se vendent rarement, mais sont cruciaux pour attirer les clients. En fabrication ou en aéronautique, une pièce spécifique qui pourrait être utilisée rarement et qui a peu de valeur d’achat pourrait empêcher un avion commercial de décoller.
Le point de vue de Lokad sur l’analyse ABC
L’analyse ABC a été introduite au début du 20e siècle, dans un monde où les lecteurs de codes-barres n’existaient pas et où les méthodes de suivi des stocks étaient à la fois coûteuses et peu fiables. Étonnamment, cette méthode est restée répandue alors que la plupart des problèmes qu’elle tente de résoudre sont désormais révolus. Notre point de vue général sur l’analyse ABC est le suivant : tout ce que permet l’analyse ABC, même des méthodes plus simples fonctionnent mieux, comme l’évaluation par scoring des articles plutôt que leur classification. Naturellement, toutes ces méthodes plus simples requièrent l’utilisation d’ordinateurs pour être exécutées, ainsi ce qui peut être considéré comme “simple” dépend dans une certaine mesure du contexte global.
Pour une perspective purement de reporting, l’analyse ABC pourrait être acceptable. Les classes ABC peuvent aider à obtenir rapidement des informations sur les catégories de produits, par exemple en rapportant les fractions respectives d’articles A/B/C au sein de la catégorie. Cependant, comme indiqué ci-dessus, l’analyse ABC est sujette au bikeshedding. Ainsi, nous suggérons d’éviter soigneusement de concevoir des indicateurs et des KPI sur les classes A/B/C, car ces initiatives ne délivrent presque jamais les avantages initialement escomptés.
Notes
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Une distribution à queue épaisse est une distribution de probabilité qui présente une forte asymétrie ou un kurtosis élevé, par rapport à celle d’une distribution normale ou d’une distribution exponentielle. Intuitivement, c’est une distribution qui ne suit pas la courbe en cloche habituelle associée, par exemple, aux tailles (en cm) de la population humaine. ↩︎