00:00:00 Changements de catégories pendant la pandémie et introduction des invités.
00:01:14 Explication du Centre of Excellence d’Estée Lauder et de son rôle dans les transformations stratégiques.
00:02:12 Différences entre la résilience de la supply chain et le firefighting et leurs implications.
00:05:01 Le concept de « poly crisis » et l’importance de construire la résilience pour une planification à long terme.
00:07:11 Discussion sur diverses classes de chocs et leur impact sur les supply chains.
00:09:54 Discussion sur la complexité de la gestion de la supply chain et les incitations des fournisseurs.
00:10:56 Transition de phase dans les supply chains et l’impact des perturbations post-pandémie.
00:12:33 Importance de la résilience de la supply chain et ajustement face aux évolutions du marché.
00:14:07 Utilisation des technologies digitales pour aligner la demande et l’offre pendant les perturbations.
00:16:36 Automatisation dans la prise de décision pour une meilleure efficacité et pour traiter les angles morts.
00:19:47 Discussion sur l’automatisation des processus et son rôle dans la réduction des tâches monotones.
00:20:24 Importance de l’automatisation stratégique et de la planification de scénarios pour anticiper les perturbations futures.
00:21:28 Évaluer l’efficacité des initiatives de résilience et la difficulté à mesurer la préparation.
00:24:01 Point de vue des fournisseurs sur la vente de solutions de résilience et la tentation de surpromettre.
00:27:00 Importance de l’humilité et du scepticisme lors de l’évaluation du potentiel de la technologie pour atteindre la résilience de la supply chain.
00:29:54 Discussion sur la nécessité d’une préparation intentionnelle et de stress tests dans les supply chains mondiales.
00:30:41 Comment imiter des événements systémiques comme le COVID pour tester la résilience de la supply chain.
00:32:33 Importance d’une perspective financière à long terme et des aspects intangibles dans la résilience de la supply chain.
00:35:02 Précision dans les prévisions en haute dimension et les outils de simulation pour la résilience de la supply chain.
00:37:01 Importance d’un horizon temporel de 3 ans pour la résilience de la supply chain et la croissance du marché.
00:39:27 Discussion sur les défis de la prévision et de la planification pour l’avenir.
00:40:37 Mises à jour logicielles longues et leur impact sur la gestion de la supply chain.
00:41:49 Le rôle de l’intervention humaine et de l’automatisation dans la résilience de la supply chain.
00:43:10 Cultiver une culture de résilience par la sélection et la formation des employés.
00:45:01 Complexités de la projection des états de la supply chain et de la gestion des perturbations.
00:49:53 Réaliser des investissements stratégiques dans la technologie pour la résilience.
00:50:07 Remarques de clôture et remerciements aux invités.

Résumé

Conor Doherty a interviewé Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Jay Koganti, VP de Supply Chain chez le Centre of Excellence d’Estée Lauder, au sujet de la résilience de la supply chain. Ils ont discuté de l’anticipation des perturbations, de la planification stratégique et de l’investissement dans la technologie, l’analyse de données et la formation des employés. Vermorel a mis en avant les stress tests et prévisions précises en simulations, tandis que Koganti a souligné l’importance de la réflexion à long terme et de la formation en résilience. Tous deux ont convenu de la nécessité d’un changement culturel vers un état d’esprit axé sur l’action et la résilience, en utilisant des technologies telles que l’automatisation et les simulations pour se préparer à d’éventuels scénarios.

Résumé Étendu

Lors de l’interview, Conor Doherty, l’animateur, aborde la résilience de la supply chain et le firefighting avec Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Jay Koganti, Vice President de Supply Chain chez le Centre of Excellence d’Estée Lauder. Koganti explique qu’il est dans l’entreprise depuis 17 ans et qu’il est passionné par la transformation digitale de la supply chain depuis deux décennies.

Le Centre of Excellence a été créé il y a environ huit ans pour pérenniser les améliorations issues d’une grande transformation d’entreprise de manière continue. Le centre se concentre sur les transformations stratégiques de l’entreprise, y compris la transformation digitale, les nouveaux systèmes de planification et les nouveaux centres de distribution.

Koganti distingue entre la résilience et le firefighting, expliquant que le firefighting est héroïque et motivé par la crise, mais qu’il est épuisant et insoutenable. La résilience, quant à elle, consiste à réagir à un choc ou une crise et à se rétablir rapidement. Elle est plus structurelle, systématique et durable. Vermorel ajoute que, bien que le fait d’avoir des employés prêts à sauver la situation soit un signe positif, de nombreuses urgences auraient pu être anticipées et évitées.

La pandémie a entraîné des changements significatifs de catégories, les gens restant à la maison et utilisant davantage de produits de soin au lieu de maquillage. Cette situation souligne la nécessité de se concentrer sur des stratégies à long terme et d’anticiper plusieurs années à l’avance les perturbations potentielles. Koganti et Vermorel soulignent tous deux l’importance de la réflexion stratégique et de la résilience dans la gestion de la supply chain.

L’objectif de la résilience de la supply chain devrait être de se préparer aux chocs susceptibles de perturber l’ensemble de la supply chain, plutôt que de simplement réagir au fur et à mesure qu’ils surviennent. Cela nécessite réflexion stratégique et planification, en anticipant les risques potentiels et en développant des plans de contingence. Pour construire une supply chain résiliente, les entreprises doivent avoir une vision à long terme et investir dans de nouvelles technologies, l’analyse de données et la formation des employés.

Jay Koganti, en tant que Vice President de Supply Chain au Centre of Excellence d’Estée Lauder, a souligné l’importance de la transformation digitale pour construire une supply chain résiliente. En adoptant de nouvelles technologies et l’analyse de données, les entreprises peuvent avoir une meilleure visibilité et un meilleur contrôle sur leur supply chain, et répondre rapidement aux perturbations.

Globalement, construire une supply chain résiliente requiert une approche proactive, plutôt que de simplement réagir aux chocs au fur et à mesure qu’ils surviennent. Cela nécessite d’investir dans de nouvelles technologies, l’analyse de données et la formation des employés, ainsi qu’une vision à long terme et une planification stratégique. Ce faisant, les entreprises peuvent non seulement survivre, mais prospérer dans un environnement commercial de plus en plus complexe et imprévisible.

Lors de l’interview, l’animateur, Conor Doherty, a interrogé Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Jay Koganti, Vice President de Supply Chain au Centre of Excellence d’Estée Lauder, sur les défis de l’optimisation de la supply chain. Vermorel a identifié deux grandes catégories de perturbations de la supply chain, à savoir les problèmes internes et les chocs externes. Les chocs externes peuvent inclure des problèmes avec les fournisseurs, le transport ou l’intervention gouvernementale, tandis que les problèmes internes peuvent comprendre des défauts au sein d’une organisation qui se propagent et affectent l’ensemble du système. Vermorel a également noté que les supply chains sont des systèmes complexes et que même des dysfonctionnements mineurs peuvent entraîner des problèmes majeurs en raison du couplage étroit entre les différentes zones. Il a ajouté que les fournisseurs peuvent inventer des problèmes de manière convaincante, créant encore plus de complexité. Koganti a accepté et ajouté que les entreprises doivent se préparer aux perturbations en créant des marges de manœuvre et en investissant du capital dans des approches résilientes. Il a donné l’exemple d’un fabricant de médicaments disposant de marges de manœuvre et ayant pu répondre à la demande pour un médicament particulier durant une pandémie. Koganti a également évoqué comment les technologies digitales pourraient aider les entreprises à réaligner la demande à l’offre lors des changements de catégories. Vermorel a noté que la technologie de predictive optimization rencontre des défis pour gérer des perturbations absentes des données historiques. Finalement, Vermorel a mis en garde contre la surestimation des capacités des statistiques modernes à gérer les écarts par rapport aux données historiques.

Dans une interview récente, Conor Doherty a parlé avec Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, une entreprise de logiciels spécialisée dans l’optimisation de la supply chain, et Jay Koganti, Vice President de Supply Chain au Centre of Excellence d’Estée Lauder. La discussion s’est centrée sur la construction de la résilience dans les supply chains. Vermorel a expliqué que des approches statistiques sont largement utilisées pour prendre des décisions dans la gestion de la supply chain, en particulier lorsqu’il s’agit d’opérer à grande échelle avec des centaines de sites et de produits. Il a également souligné que la technologie statistique ne peut pas anticiper ou atténuer les crises, mais que l’automatisation peut libérer les équipes pour se concentrer sur les angles morts. Koganti a accepté, ajoutant que l’automatisation des activités banales libère la capacité intellectuelle et que l’automatisation stratégique peut être utilisée pour la planification de scénarios afin de préparer d’éventuelles perturbations. Lorsqu’on lui a demandé comment mesurer l’efficacité des initiatives de résilience, Koganti a expliqué que c’est difficile à quantifier, mais que le temps de réaction et le temps de récupération sont des indicateurs importants. La discussion s’est conclue en reconnaissant que l’évaluation de la résilience opérationnelle est un défi, mais demeure essentielle.

Il est difficile de simuler un événement systémique comme le COVID-19 dans un vide pour mesurer la résilience d’une supply chain. Cependant, les entreprises peuvent adopter des méthodologies de stress test similaires à celles des software vendors pour se préparer aux perturbations de pointe. Il est important d’être intentionnel dans l’intégration de la résilience dans l’ADN culturel d’une entreprise et de ne pas se concentrer uniquement sur l’efficacité. Être résilient signifie savoir faire face à des situations préjudiciables, survivre et se rétablir rapidement. En tant que fournisseur de technologie, il est crucial d’être réaliste quant à ce que la technologie peut ou ne peut pas faire pour renforcer la résilience de la supply chain. L’humilité est essentielle dans l’approche des solutions, car les enjeux sont élevés et concernent la survie des entreprises. La fragilité des supply chains peut être significativement accentuée par la technologie seule, et bien qu’elle puisse contribuer à la résilience dans une certaine mesure, les enjeux vont bien au-delà de la supply chain. Globalement, l’objectif devrait être de réduire les vecteurs potentiels de faiblesse dans la supply chain, et non pas nécessairement de la renforcer.

Lors de l’interview, l’animateur, Conor Doherty, a posé des questions à Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et à Jay Koganti, Vice President de Supply Chain au Centre of Excellence d’Estée Lauder, sur la résilience de la supply chain. Joannes a souligné l’importance des stress tests et des simulations pour se préparer aux perturbations imprévues dans les supply chains, telles que les fermetures de marché dues au COVID-19. Il a également mentionné le défi d’adopter une perspective financière intégrant les investissements à long terme et la valeur des actifs incorporels, tels que le goodwill.

Jay a souligné l’importance d’un horizon temporel de trois ans pour évaluer la résilience des supply chains, puisque la plupart des actions, telles que la mise en place de nouvelles usines et DCs, peuvent être réalisées dans ce délai. Joannes a fait remarquer qu’il était nécessaire de penser à plusieurs décennies à l’avance pour se préparer aux grandes crises, dont la probabilité d’occurrence est d’environ 4 pour cent. Il a insisté sur la nécessité de prévisions précises dans les simulations, car une illusion de résilience pourrait conduire à des imprécisions arbitraires. La discussion s’est centrée sur l’importance d’anticiper et de se préparer aux perturbations imprévues de la supply chain par le biais de stress tests et de simulations, ainsi que sur les défis d’adopter une perspective financière à long terme et de prévoir avec exactitude les événements futurs.

Ce qui se passait dans le monde réel. Lors de l’interview, l’animateur, Conor Doherty, a discuté avec Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Jay Koganti, VP de Supply Chain au Centre of Excellence d’Estée Lauder, de l’optimisation de la supply chain et de sa résilience. Ils ont abordé les défis de la projection de l’état futur des supply chains, de l’expression d’une intention et de la nécessité d’automatiser les processus. Vermorel a évoqué la difficulté de projeter l’état futur d’une supply chain dans une perspective à haute dimension. Il a également souligné le besoin d’exprimer une intention et le manque d’outils mathématiques pour y parvenir. Koganti a insisté sur l’importance d’une réflexion intentionnelle à long terme, d’une pensée stratégique et de l’allocation de capital. Il a également souligné la nécessité de former et de perfectionner les compétences en résilience, notamment par le biais de simulations et d’expérimentations. Tous deux ont convenu de l’importance d’un changement culturel vers un état d’esprit axé sur l’action et la résilience. Koganti a également évoqué la possibilité de cycles de vie plus courts avec des améliorations incrémentales, plutôt que des projets s’étalant sur des décennies.

Dans cette interview, Conor Doherty, l’animateur, interroge Joannes Vermorel, fondateur de Lokad, et Jay Koganti, Vice President de Supply Chain au Centre of Excellence d’Estée Lauder, à propos de l’optimisation de la supply chain et de sa résilience. Vermorel souligne l’importance de modéliser correctement des scénarios complexes de la supply chain et de répondre aux questions fondamentales de management afin d’éviter des erreurs de programmation pouvant conduire à des conclusions erronées. Il note également qu’il manque dans la littérature des instruments mathématiques capables de fournir les propriétés souhaitées pour la supply chain de demain. Koganti insiste sur l’importance d’intégrer intentionnellement la résilience dans la supply chain et d’utiliser la technologie, telle que l’automatisation et les simulations, pour créer de véritables substituts aux scénarios potentiels. Il encourage à investir temps et énergie pour faire de la résilience le pilier de la coopération.

Transcription Complète

Conor Doherty: Bienvenue à nouveau sur LokadTV. Je suis votre animateur Conor, et comme toujours, je suis accompagné par Joannes Vermorel, fondateur de Lokad. Aujourd’hui, nous allons parler de la résilience de la supply chain tout en faisant du firefighting, et pour nous aider dans ce débat, nous avons invité Jay Koganti. Il est le Vice President de Supply Chain au Centre of Excellence d’Estée Lauder. Jay, bienvenue chez Lokad.

Jay Koganti: Merci.

Conor Doherty: Euh, Jay, juste pour me présenter, tu sais, je suis dans l’entreprise depuis près de 17 ans, je réalise beaucoup de transformations stratégiques pour l’entreprise, et la transformation digitale de la supply chain est ma passion et mon métier depuis deux décennies. Très heureux d’être ici. Merci. Et, pour démarrer, je suis curieux : qu’est-ce exactement que le Center of Excellence ? Qu’est-ce que vous y faites ? Quelles sont vos missions ?

Jay Koganti: Oui, je pense que le Center of Excellence, nous l’avons formé il y a presque, euh, maintenant 8 ans. Nous sommes sortis d’une grande transformation d’entreprise à l’époque. Je pense que notre intention initiale était de trouver comment maintenir réellement les améliorations de façon continue. Dans une grande entreprise, on peut réaliser une énorme transformation, puis revenir à la normale. Mais nous voulons nous assurer d’une continuité et innover sans cesse. Ainsi, dans ce cadre, nous avons formé le Center of Excellence. Nous menons des transformations stratégiques pour l’entreprise, que ce soit une transformation digitale ou la mise en place de nouveaux systèmes de planification ou de nouveaux centres de distribution. Vous savez, beaucoup de ces choses viennent du Center of Excellence.

Conor Dohert: Oui, donc il semble que tu sois la personne idéale à qui poser cette question. En termes de résilience et de firefighting, quand tu l’expliquais aux autres dans le cadre de ces transformations, que leur dis-tu exactement en termes simples ?

Jay Koganti: Oui, non, je pense qu’intuitivement, beaucoup de gens vont penser que le firefighting, c’est la résilience. Je veux dire, clairement, la distinction est la suivante : même en Amérique, on appelle cela soit le firefighting soit des interventions héroïques. C’est comme sauver la situation, non ? Une crise survient et quelqu’un saute héroïquement pour sauver la situation. Mais nous savons que c’est épuisant, pas soutenable, c’est ponctuel, alors que la résilience consiste à répondre réellement à un choc ou une crise et à se rétablir rapidement jusqu’à l’état initial. C’est plus structurel, plus systématique. C’est une différence fondamentale, car on éteint des incendies tous les jours, mais la résilience, c’est quelque chose que l’on peut pratiquer de manière quotidienne.

Joannes: Mes pensées ? Oui, je veux dire, ce qui est intéressant quand je pense à la résilience, c’est qu’auprès de nos clients et des entreprises qui opèrent dans la supply chain en général, il y a des tonnes d’urgences accidentelles, vraiment imprévues. Donc, oui, il est tout à fait normal d’avoir dans l’entreprise des personnes prêtes à tout pour sauver la situation. C’est une chose très positive, cela montre que les gens se soucient des choses. Mais là où, je dirais, cela peut refléter une réalité qui n’est pas si bonne pour l’entreprise, c’est ce que je constate :

Joannes Vermorel: Désolé, laissez-moi recommencer. Il y a des choses qui auraient pu être évitées dès le départ et qui n’auraient pas nécessité de geste héroïque pour être résolues. Le problème aurait pu être réglé, et surtout, si vous regardez de près, nous sommes une société de logiciels. Ainsi, nous interagissons avant tout avec la plomberie informatique des entreprises. Du point de vue IT, je vois des systèmes qui font face à une crise par jour, parfois plusieurs, pour des raisons qui auraient dû être évitées dès le début. Qu’il s’agisse de problèmes de compatibilité lors de la transition d’une version à une autre ou du fait que ces supply chains sont très complexes. Vous avez des tonnes de personnes, évidemment, mais également une multitude de logiciels, de couches. Vous vous retrouvez, du moins du côté logiciel, avec une multitude de problèmes purement artificiels. Des problèmes qui ne reflètent pas un défi d’envergure. Ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est une catastrophe d’origine humaine, et c’est très accidentel. Ce qui est assez intéressant, c’est que je constate que, par exemple, en cas de catastrophe, comme un warehouse prenant feu, les gens font d’énormes efforts pour éviter ce genre d’accidents, mais il existe d’autres domaines où les incidents se répètent, et il semble que les entreprises apprennent très lentement de leurs erreurs. Elles apprennent, la situation s’améliore, mais il semble que ce soit un processus assez lent. De plus, je pense qu’on peut dire que ces deux ou trois dernières années, il y a eu de fortes perturbations dont nous avons tous connaissance, le COVID, le rebond post-COVID. Il y a aussi beaucoup de petites perturbations. C’est une poly-crise, comme quelqu’un l’a nommé. Il y a toujours plusieurs crises qui émergent, se renforçant mutuellement. C’est un thème récurrent pour la plupart des supply chains depuis environ un an. C’est là que la résilience devient un sujet majeur. Comment la construire réellement ? Et, comme tu l’as souligné, je ne pense pas qu’il s’agisse simplement d’incidents accidentels et d’y répondre. Pour moi, c’est plus structurel. Il faut presque réfléchir à ces choses en amont. Il faut planifier, anticiper et se préparer sur un horizon stratégique. Il faut envisager un horizon de deux à trois ans. Comment te préparer à ce genre de situation de poly-crise ?

Conor Doherty: Cela m’amène parfaitement à ce dont je voulais parler, et Joannes, je m’adresse d’abord à toi, car quand on parle de résilience et de firefighting, il semble que ce soit la réponse. Ainsi, la résilience est une réponse à quelque chose. Le firefighting est assurément une réponse à un événement, et ces événements sont, je crois, des chocs. Et il existe plusieurs catégories de chocs, et tous ne représentent pas des menaces existentielles pour une supply chain. Alors, d’abord Joannes, et ensuite Jay, pourrais-tu développer un peu sur les catégories de chocs et nous indiquer sur lesquelles nous devrions vraiment nous concentrer du point de vue de la supply chain ?

Jay Koganti: La catégorisation des chocs est très difficile car il en existe tellement. De manière générale, on peut dire qu’il y a des chocs de demande où votre client, pour une raison ou une autre, disparaît, soit parce qu’il cesse d’être intéressé par vos produits, soit parce qu’il n’a plus les moyens, soit parce qu’il se tourne vers un concurrent. Cela relève du côté demande. Du côté de l’offre, il existe une multitude de types de chocs, comme les catastrophes naturelles, les grèves, les troubles géopolitiques, les fermetures de ports, ou les pandémies comme le COVID-19. Il y a aussi des chocs technologiques, tels que les cyberattaques ou les défaillances de systèmes IT critiques. Enfin, il existe des chocs financiers, comme les fluctuations monétaires ou le marché du crédit.

Conor Doherty: Peux-tu nous parler un peu des différents types de chocs qui peuvent survenir dans une supply chain ?

Joannes Vermorel: Du côté de l’offre, il y a des chocs qui vous empêchent de servir vos clients. Cela peut être parce que votre usine ne fonctionne pas correctement, que votre fournisseur ne fonctionne pas correctement, ou que vous ne pouvez pas transporter les marchandises. Il existe donc deux grandes catégories de chocs. Mais il peut aussi y avoir énormément d’autres chocs. Par exemple, cela peut être un problème lié à des litiges, ou une nouvelle réglementation qui vous empêche simplement de faire les choses comme vous le faisiez auparavant. Même pendant la pandémie, le problème était les confinements, et dans ce cas, vous faites face à une intervention gouvernementale musclée qui décide simplement de mettre votre entreprise à l’arrêt. Peut-être que c’est dans l’intérêt général, mais le résultat est que votre activité est stoppée du point de vue de la supply chain, ou l’un de vos fournisseurs critiques, et cela vous crée un problème.

Joannes Vermorel: Ce n’est qu’une catégorisation, mais comme nous l’avons vu, par exemple avec Southwest Airlines, parfois il s’agit simplement d’un problème logiciel qui paralyse votre entreprise. Parfois, c’est quelque chose de purement interne, qui reflète votre organisation ou certains défauts de celle-ci qui se magnifient au point de faire caler l’entreprise dans son ensemble. Simplement parce que, encore une fois, les supply chains sont des systèmes. Lorsqu’un élément commence à fonctionner, il tend à se ramifier et à se propager dans d’autres domaines. Quand vous avez une entreprise fortement optimisée, les choses ont tendance à être très étroitement couplées, et le revers de l’efficacité, c’est que lorsqu’un dysfonctionnement survient d’un côté de votre système, cela peut se ramifier et impacter de nombreux autres systèmes. Vous pourriez aisément tout découpler, mais vous perdriez les économies d’échelle et bien d’autres avantages.

Joannes Vermorel: En fin de compte, vous êtes confronté à une multitude de choses qui peuvent potentiellement mal tourner, et même des fournisseurs comme moi, Lokad, un éditeur de logiciels, sont enclins à inventer des problèmes parce que cela permet de vendre toujours plus de solutions. Vous vous retrouvez donc avec des problèmes qui ne sont pas seulement difficiles en raison de la diversité, mais aussi parce qu’il y a beaucoup de gens dans le secteur qui ont un intérêt direct à inventer des problèmes, car s’il y a un nouveau problème, c’est qu’il y a potentiellement une solution à vendre. Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de problèmes. Je dis simplement que cela rend le paysage encore plus complexe lorsqu’il y a des personnes capables d’inventer des problèmes de manière très convaincante.

Jay Koganti: Est-ce que je pense que tout cela est parfaitement exact ? À mon avis, il se passe beaucoup de choses au sein de la supply chain. Je crois qu’il y a une grande transition de phase. Ainsi, dans l’après-pandémie, nous pourrions voir de nombreuses perturbations structurelles continuer à se produire. Et je pense que, du moins selon moi, cela va durer encore quelques années. Qu’il s’agisse de défis macroéconomiques liés à l’inflation, d’une entreprise qui ferme, de la crise énergétique que nous observons, et de tous ces facteurs qui ont un effet amplificateur. Mais je pense aussi que de nombreuses entreprises ne sont pas préparées à cela. Qu’il s’agisse d’une perturbation majeure, je vais te donner un exemple. Même récemment, aux États-Unis, il y a eu une trifecta de virus.

Conor Doherty: Alors Joannes, peux-tu nous parler de ton expérience avec l’optimisation de la supply chain pendant la pandémie ?

Joannes Vermorel: Bien sûr, Conor. Pendant la pandémie, nous avons vu une résurgence de virus, et les gens manquaient de médicaments de base comme le sirop contre la toux. J’ai donc pensé : pourquoi ne pas se préparer à de telles situations ? J’ai parlé à un ami qui m’a dit qu’un seul fabricant de médicaments, Claritin, était préparé parce qu’il disposait d’une capacité tampon pour soutenir la production. Cela m’a fait réaliser que nous devons réfléchir à comment mettre en place des tampons et investir notre capital au bon endroit pour créer de la résilience dans la supply chain. Historiquement, ce n’est pas le point fort des supply chains, car nous sommes tous conduits par l’efficacité.

Jay Koganti: Oui, Joannes a raison. Nous devons nous préparer et anticiper en créant des tampons, afin de pouvoir aborder les choses de manière plus résiliente. Pendant la pandémie, nous avons vu de grands changements de catégories, avec les gens utilisant davantage de produits de soin de la peau en restant chez eux, et davantage de maquillage lorsqu’ils sortaient. Cela a posé le défi de réduire les actifs de fabrication d’une catégorie et d’augmenter la production de manière agile pour une autre.

Conor Doherty: Et comment as-tu relevé ce défi ?

Jay Koganti: Au début, cela nous a un peu surpris, mais nous avons rapidement compris qu’il fallait le faire quotidiennement de manière manuelle. Pour une grande entreprise disposant de 300 à 400 actifs à l’échelle mondiale, nous avons dû tirer parti des technologies digitales pour comprendre comment la demande évoluait et la réaligner avec l’offre. Cela a nécessité une approche systémique que nous avons construite et que nous sommes désormais prêts à utiliser pour tout futur changement de catégorie ou rebond.

Conor Doherty: Et Joannes, peux-tu nous parler des défis auxquels sont confrontées des entreprises comme Lokad pour prédire et optimiser la supply chain lors de tels événements ?

Joannes Vermorel: Oui, Conor. L’un des principaux défis est que les éléments nécessitant une capacité de résilience n’existent pas dans les données. Cela est particulièrement vrai pour les événements cygnes noirs ou les événements qui s’écartent de la norme. Les statistiques modernes ne peuvent pas extrapoler très loin, et nous devons faire attention à ne pas surestimer ce qu’elles peuvent accomplir. Ainsi, le défi pour des entreprises comme la mienne, qui s’appuient principalement sur des données historiques, est de construire des technologies d’optimisation prédictive capables d’anticiper de tels événements et de rediriger les ressources en conséquence.

Conor Doherty: Alors, Joannes, peux-tu nous parler un peu de l’optimisation de la supply chain et du rôle des données dans ce processus ?

Joannes Vermorel: Bien sûr, Conor. Ainsi, dans l’optimisation de la supply chain, les données jouent un rôle crucial. Cependant, les données en elles-mêmes sont très mécaniques, et elles ne possèdent aucune intelligence. Même si quelque chose semble évident pour des humains qui examinent le processus, cela peut ne pas apparaître dans les données. Les données ne montrent que des cyclicités et des motifs qui se répètent. C’est pourquoi les approches statistiques sont encore largement utilisées, surtout lorsqu’on opère à grande échelle, avec des centaines de sites, de produits, et des milliers de SKUs.

Jay Koganti: Je suis d’accord avec Joannes. Lorsqu’on opère à une aussi grande échelle, nous avons besoin de mécanisation pour nous aider à prendre des décisions, car il n’est pas pratique d’employer des milliers d’employés pour gérer les stocks manuellement. Cependant, cette approche présente des limites, car les données ne reflètent pas toujours ce qui se passe en temps réel, et il peut falloir des semaines pour qu’elles rattrapent la situation réelle.

Joannes Vermorel: Exactement, Jay. Chez Lokad, nous abordons ce problème en automatisant les décisions quotidiennes, telles que celles liées à la fabrication et à d’autres domaines de la supply chain. Cela libère du temps pour que les gens puissent se concentrer sur ce que notre recette numérique ne va pas capturer. Les équipes doivent avoir la marge de manœuvre pour réfléchir aux angles morts de notre automatisation et à ce qui n’est même pas pris en compte par nos recettes numériques.

Conor Doherty: Donc, tu dis que l’automatisation peut réellement aider les équipes à consacrer plus de temps à réfléchir sur ce qui n’est pas capturé par les données ?

Joannes Vermorel: C’est exactement ça, Conor. L’automatisation peut véritablement libérer du temps pour que les gens réfléchissent aux angles morts de nos recettes numériques. C’est crucial, parce qu’aucune technologie statistique ou basée sur les données ne peut anticiper ou atténuer tous les chocs. Cependant, en libérant les équipes, nous leur offrons le luxe de pouvoir réfléchir longuement à ces crises qui se produisent, et d’appliquer des corrections basées sur leurs intuitions humaines en complément du système.

Jay Koganti: Je suis entièrement d’accord. L’automatisation ne remplace pas des personnes intelligentes et dévouées qui peuvent prendre le temps de réfléchir aux crises en cours et à ce que cela impliquerait de faire quelque chose dans l’intérêt de l’entreprise sur le long terme. Agir dans l’intérêt de l’entreprise sur le long terme est un problème difficile, et il existe de nombreuses voies et décisions potentielles qui peuvent rester incertaines.

Conor Doherty: Jay, est-ce que cela correspond à la manière dont tu aborderais la construction de la résilience, un mélange d’automatisation mais avec une supervision par la direction ?

Jay Koganti: Ouais, je suis totalement d’accord sur la partie automatisation des processus. Toute activité banale, l’automatisation offre beaucoup de bande passante. Je pense que c’est définitivement une grande part de la conversation sur la lutte contre les crises. Si vous faites face au quotidien à des situations de crise, votre capacité intellectuelle est épuisée et vous ne vous concentrez plus sur l’essentiel. Donc, je pense que c’est exactement sur ce point que se concentre une grande partie de la transformation digitale. Mais j’ajouterai une dimension supplémentaire. Il y a une grande opportunité d’automatisation stratégique autour de la planification de scénarios, par exemple. C’est comme une forêt et ses arbres, non ? Vous pourriez donc traiter de nombreux arbres chaque jour en vous basant sur de petites activités banales. De plus, comment pouvez-vous anticiper deux ou trois ans à l’avance en termes de ce à quoi pourrait ressembler une perturbation de pointe ? Quels pourraient être les changements majeurs de la demande qui pourraient se produire, non ? Quels scénarios pourraient vraiment vous préparer en tant qu’entreprise, qu’il s’agisse de nouveaux centres de distribution ou de nouvelles usines ? Nos changements démographiques et toutes ces choses nécessitent également un degré élevé d’automatisation. Vous ne pouvez pas réellement gérer des centaines de feuilles Excel et tenter de simuler ces éléments. C’est très difficile à réaliser. Je pense que l’une des choses dans lesquelles nous devons tous investir – et dans laquelle nous avons déjà beaucoup investi – ce sont définitivement les capacités de planification de scénarios. Cela vous permet de préparer et de construire une résilience structurelle au sein de votre organisation.

Conor Doherty: Eh bien, cela mène à ma prochaine question, qui est essentiellement : comment évaluer l’efficacité des initiatives de résilience ? Pour cette question, supposons qu’un choc ne se soit pas produit. Il y a eu une période prolongée d’activité normale, mais vous voulez savoir : est-ce que je dépense mon argent judicieusement ? Ai-je réellement mis en place, ou maintenu, un modèle d’affaires résilient ?

Joannes Vermorel: Oui, je pense que c’est une question très difficile, n’est-ce pas ? Pour de nombreux clients, vous ne savez pas ce qui va arriver et vous frapper, et comment vous allez réagir, n’est-ce pas ? Il est très difficile d’anticiper cela. De plus, petit point anecdotique, beaucoup d’entreprises ont du mal avec ça parce que nous n’allouons pas de budget de capitaux pour cela, n’est-ce pas ? Vous préférez investir de l’argent dans la croissance du marché via des promotions. Vous ne voulez pas ajouter une capacité tampon supplémentaire car, vous savez, vous ne savez pas si ce sera vraiment utile ou pas, n’est-ce pas ? Je pense donc que, parmi les indicateurs que nous jugeons très importants, le temps de réponse est primordial. Lorsque la crise survient – qu’elle soit petite ou grande – la rapidité de votre réaction, que ce soit au niveau des personnes, de la technologie, etc., est déterminante. Le second indicateur tout aussi important est le temps de récupération ou de rebond. Il ne s’agit pas seulement de réagir, mais de ramener le système à son état initial ou à sa phase d’origine. Je pense que ce sont les deux mesures essentielles. Encore une fois, il est très difficile de le faire pour chaque petite crise, mais pour les crises majeures, nous regardons assurément : « Hé, cette crise est arrivée, à quel moment avons-nous réagi ? À quel moment sommes-nous passés à l’état stable ? » C’est une bonne mesure de la préparation de vos systèmes et de vos équipes. Ça vous parle ?

Conor Doherty: Absolument, absolument. Et d’ailleurs, quand vous dites que c’est difficile parce qu’il s’agit d’évaluer ce type de résilience musculaire et pourquoi je l’ai trouvé…

Conor Doherty: C’est très intrigant et assez amusant que beaucoup de mes pairs – je parle ici des fournisseurs de logiciels d’entreprise – éludent largement la question. Du point de vue d’un fournisseur, c’est un avantage considérable. Vous vendez quelque chose, et si cela ne fonctionne pas, l’entreprise fait faillite et disparaît. Vous vous retrouvez alors avec le témoin, et si cela fonctionne, vous pouvez prétendre que c’est grâce à vous. Ainsi, en tant que fournisseur, il existe une sorte d’asymétrie : si vous échouez, personne ne remarquera votre échec. Et oui, vous êtes complètement protégé. Mais si vous réussissez, vous pouvez alors revendiquer que c’est, au moins en partie, grâce à vous, ce qui, pour moi, est essentiel pour déterminer si ce genre de choses fonctionne ou non. Mais en effet, c’est très, très difficile. Et pour un fournisseur, il est très tentant de simplement prétendre que vous avez quelque chose qui marche, parce qu’en raison de cette asymétrie, même si ce n’est pas le cas, vous êtes largement à l’abri du fait que ce que vous proposez ne fonctionne pas.

Joannes Vermorel: Mais voyez-vous, en fin de compte, ma démarche est la suivante : il y a des sujets globaux qui sont tout simplement incroyablement difficiles et évasifs à aborder, comme le bien-être au travail. Ce genre de sujet est extrêmement ardu à traiter directement. Donc, ma manière d’aborder cela consiste à me demander ce que je pourrais faire qui aggraverait la situation, et à éviter cela. C’est une ambition beaucoup plus modeste, vous savez ? Il ne s’agit pas de rendre les clients plus résilients. Il s’agit de commencer par déterminer ce que je peux arrêter de faire ou d’arrêter de vendre qui ne ferait qu’accroître la fragilité de l’entreprise cliente. En effet, vous mentionniez la dimensionnement des tampons. Si, en tant que service d’optimisation de stocks, vous optez pour le plus « lean » des approches, avec une perspective extrêmement myope, vous pouvez donner à votre client l’impression que vous avez libéré une énorme quantité de fonds de roulement. Et si vous regardez, par exemple, les entreprises de logiciels, elles affirment toutes avoir réduit leurs stocks de 30 % voire 50 %. Mais si, deux fois par décennie, à cause de cela, toute la supply chain explose, était-ce judicieux ? Oui, à court terme, vous économisiez beaucoup de fonds de roulement. Mais si, deux fois par décennie, vous faites exploser tout votre Goodwill auprès de vos clients simplement parce que vous avez adopté une stratégie ultra court-termiste, ce ne serait vraiment pas judicieux. Quant au fournisseur, vous savez, la technique est « Take the Money and Run ».

Jay Koganti: Alors, si je peux résumer cela avant de revenir vers toi, Conor, parce que je veux m’assurer d’avoir bien compris, est-ce que tu affirmes que démarrer la résilience consiste essentiellement à réduire les vecteurs potentiels de fragilité – ou vecteurs de faiblesse, pardon – et non pas nécessairement à se renforcer ? Il s’agit simplement d’éliminer les zones de faiblesse de la supply chain ?

Joannes Vermorel: Non, je pense que les indicateurs donnés par nos interlocuteurs étaient en fait très pertinents. Il s’agit de votre capacité à faire face à quelque chose de très préjudiciable, à survivre à ce préjudice, puis à revenir à l’état initial. Je pense donc que c’est à peu près cela, la résilience, vous savez ? Ne pas mourir et ensuite se rétablir, idéalement très rapidement. Mais le défi, c’est que littéralement, lorsqu’un requin arrive, ce n’est pas seulement la supply chain qui est en jeu. Vous savez, les finances, partout.

Conor Doherty: Le marketing est toujours un levier pour les ventes, etc. C’est donc évidemment un problème qui touche l’ensemble de l’entreprise. Et, de mon point de vue, en tant que fournisseur, il faut faire preuve d’humilité. Parce que si vous promettez une solution et que vous ne la livrez pas, c’est très grave. Vous savez, c’est le serment d’Hippocrate : d’abord, ne pas nuire. Ainsi, en tant que fournisseur de technologie, vous devez être réaliste quant à ce que votre technologie peut réellement faire. Je suis très sceptique qu’à elle seule, grâce à la technologie, on puisse rendre une supply chain résiliente. Je dirais même que c’est loin d’être le cas. Mais ce que je constate, c’est qu’avec la technologie seule, vous pouvez rendre la supply chain assez fragile. J’en suis très convaincu. Dans l’autre sens, la technologie peut pousser la fragilité très loin. Pour la résilience, dans une certaine mesure, la technologie peut aider. Mais je crois que pour être véritablement résilient, les enjeux sont bien plus élevés et bien plus larges que la seule supply chain. C’est mon point de vue. Et c’est pourquoi, d’un point de vue solutionnel, nous devons aborder cela avec humilité, car les enjeux sont extrêmement importants. Au final, il s’agit de la survie des entreprises. Pour ces entités, les enjeux ne pourraient être plus élevés.

Jay Koganti: Oui, non, je pense que ce sont tous de bons points. Pour moi, c’est exactement ça. Mais il faut aussi que ce soit intentionnel. Cela doit faire partie de l’ADN culturel. Cela ne se fera pas automatiquement. Il faut être délibéré quant à la manière d’investir correctement le capital, car bien souvent, les supply chains se concentrent uniquement sur l’efficacité – la gestion du fonds de roulement, le taux de service, et tout le reste. Souvent, ces aspects des tampons ne sont que des réflexions secondaires, et c’est du capital gaspillé. C’est ainsi que les gens le pensent. Mais compte tenu du changement global – qu’il s’agisse de régionalisation, de reconfiguration de la supply chain, de contraintes de ressources ou de problèmes climatiques – si l’on additionne toutes ces choses, je pense que, pour la prochaine décennie, il faut être très intentionnel à cet égard. La préparation passe également par des tests de résistance. L’une des choses dans lesquelles je crois personnellement, c’est de tester la résistance de votre système face à une grande perturbation.

Conor Doherty: C’est justement ce que j’allais te demander.

Jay Koganti: Oui, je pense que c’est aussi une grande partie de ce sujet.

Conor Doherty: Parfait débordement, en fait. Comment, exactement – si je peux rebondir là-dessus avec Jay – mimet-on ou crée-t-on, dans un vide, un événement systémique comme le COVID, par exemple ? Comment peut-on créer cela dans un vide, soumettre notre supply chain à cette situation, puis mesurer notre résilience ? Je veux dire, je n’arrive pas à concevoir ça, donc je suis juste curieux. Comment cela fonctionnerait-il ?

Jay Koganti: Oui, je pense que la meilleure façon – enfin, je ne pense pas que nous soyons très performants dans les supply chains globales – c’est en partie le problème, n’est-ce pas ? Ou, vous savez, en période de pandémie et post-pandémie. Je pense que les meilleures entreprises à mettre cela en œuvre sont probablement les fournisseurs de logiciels. Ils disposent alors d’une méthodologie de test de résistance traditionnelle qui prépare aux perturbations de pointe. Du moins, je pense que certaines parties de la supply chain prennent conscience et tentent de développer des capacités en adoptant ces méthodologies et techniques, par exemple.

Conor Doherty: Il est très difficile de simuler une perturbation majeure comme le COVID, n’est-ce pas ? Vous ne pouvez pas arrêter votre activité pour faire des tests. Mais ce que vous pouvez faire, c’est anticiper, n’est-ce pas ? Si un important centre de distribution (DC) est fermé, vos lignes d’approvisionnement sont coupées. Quelles sont vos routes alternatives d’où provient le flux de stocks ? Si la demande subit un changement majeur, si le marché est complètement paralysé, comment réagissez-vous ? Ces aspects ne doivent pas forcément être purement réactifs. Vous pouvez en fait anticiper, n’est-ce pas ? Et il faut simuler, vous savez, simuler pour vérifier si vous êtes prêts ou non. Ce type de test de résistance est, à mon avis, un investissement indispensable.

Jay Koganti: Eh bien, cela enchaîne sur un point que tu as évoqué auparavant. Oui, et en rebondissant sur ce que tu viens de dire, deux éléments me viennent en tête. D’abord, sur le volet financier, puis sur la simulation aux fins des tests de résistance. Pour ce qui est de l’enjeu final, ce qui est intéressant et représente le défi auquel je fais face, c’est que, de manière générale, je suis fermement partisan d’une approche financière. Mais historiquement, ce genre d’approches avait, je dirais, une mauvaise image, surtout dans les années 80 et 90, où l’on voyait dans de nombreux films hollywoodiens que le méchant adoptait une approche financière incroyablement myope, réalisant des actions terribles avec une perspective extrêmement court-termiste. Vous savez, diviser les entreprises en petits fragments juste pour gagner un peu d’argent sur un horizon très, très court. Je pense donc que, véritablement, si nous voulons être efficaces, nous devons comptabiliser ces dollars, mais avec une perspective à long terme, ce qui est un exercice très difficile, car soudainement, vous ne pouvez plus vous fier à vos instruments financiers habituels, ce que j’appelle les instruments financiers de premier ordre, c’est-à-dire ce qui figure dans vos comptes. Si vous êtes Estée Lauder, par exemple, vous possédez une marque mondialement reconnue. Il a fallu des décennies pour la bâtir. Sa valeur est, dans une large mesure, à la fois complètement intangible et très réelle. Ainsi, pour comptabiliser ces dollars, il y a de nombreuses choses qui n’apparaîtront jamais dans les comptes, mais qui resteront bien réelles et devront être prises en compte. Voilà, je dirais que, sur le plan financier, le principal défi auquel je fais face est d’amener mes prospects et mes clients à adopter cette approche financière, qui inclut une multitude d’éléments à la fois très rationnels et très élaborés. C’est également, c’est un paradoxe, parce que l’on pense littéralement sur des décennies. Il y a donc des éléments fictifs dans la mesure où, si l’on considère le Goodwill, il n’existe aucune mesure scientifique du Good Will des clients, surtout quand on pense à deux décennies d’avance. Néanmoins, c’est très important, donc cela doit être fait.

Joannes Vermorel: Et en revenant sur ce type de simulation pour les tests de résistance, euh, du point de vue d’un fournisseur, une chose qui m’intéresse, c’est que, par exemple, quand vous faites une simulation, vous réalisez une sorte de prévision. Et ce qui est intéressant, c’est que lorsque vous effectuez cette prévision en haute dimension, quelle est votre précision ? Regardez, je dirais que nous avons développé des techniques intéressantes concernant la signification même d’une simulation précise.

Conor Doherty: Nous avons beaucoup à déballer ici. Commençons par toi, Joannes. Tu as évoqué plus tôt la précision des simulations de supply chain. Peux-tu expliquer pourquoi cela constitue un problème non trivial ?

Joannes Vermorel: Oui, Conor. La précision des simulations de supply chain est un problème très difficile car il ne s’agit pas d’une seule dimension. Ce n’est pas seulement la précision d’un élément individuel. Il faut projeter l’état futur de la supply chain, qui comporte une multitude de facteurs inter-dépendants. C’est donc une question très délicate à résoudre.

Conor Doherty: Je vois. Et tu as également mentionné que la plupart des personnes qui promeuvent ces technologies ne remettent pas en question la précision sous-jacente de ces simulations. Peux-tu développer ce point ?

Joannes Vermorel: Oui, Conor. Si vous ne disposez pas d’instruments mathématiques dédiés pour évaluer la précision de ces simulations, vous ne savez même pas si elles sont précises ou non. Vous pourriez donc être arbitrairement imprécis et nourrir une illusion de résilience, ce qui est encore pire. Vous pourriez avoir une illusion de résilience fondée sur des outils qui produisent des prévisions fabriquées sans aucune évaluation de leur précision.

Conor Doherty: C’est un bon point. Jay, plus tôt, tu as mentionné un horizon temporel de deux à trois ans en parlant de résilience. Peux-tu expliquer pourquoi cela est significatif et comment tu mesures la résilience sur ce laps de temps ?

Jay Koganti: Oui, Conor. Lorsque nous examinons la croissance du marché, les opportunités de vente, les mutations démographiques et d’autres indicateurs, nous devons envisager un horizon bien plus long. Mais lorsqu’il s’agit de supply chain, nous pouvons pratiquement tout faire dans un horizon de trois à quatre ans. Nous pouvons installer une nouvelle usine, un nouveau DC, de nouvelles lignes, etc. De plus, il est très difficile de prévoir un horizon plus long car les possibilités sont trop nombreuses. Ainsi, un horizon de trois ans est un indicateur suffisant pour que nous puissions réfléchir à l’allocation de capital et aux actifs.

Conor Doherty: Je vois. Joannes, tu as mentionné penser à des décennies à l’avance. Peux-tu expliquer pourquoi c’est important et comment cela est lié à la prévision probabiliste ?

Joannes Vermorel: Oui, Conor. Le paradoxe est que si l’on pense aux grandes crises se produisant, disons, quatre fois par siècle, et que l’on prend le XXe siècle, qui a connu deux Guerres mondiales plus d’autres événements, nous devons aborder cela en pensant à la prévision probabiliste. C’est juste…

Conor Doherty: Tu sais, la résilience découle de cet état d’esprit axé sur l’action, de cette orientation, de la manière dont tu y réagis de la façon la plus agile possible. C’est aussi une question de culture, n’est-ce pas ? Il faut vraiment créer cet ADN culturel, et cela prend beaucoup de temps.

Jay Koganti: Eh bien, il y a deux points là. Si je peux intervenir, je te poserai également la question, Joannes, mais quand tu parles d’inculquer ou de cultiver ce type d’ADN, comme tu l’appelles, comment procèdes-tu ? Parce que, encore une fois, il s’agit avant tout d’un changement d’esprit et de culture.

Jay Koganti: Je pense que, tout d’abord, il faut être très sélectif quant aux personnes que l’on intègre, n’est-ce pas ? C’est un point. L’autre point est de savoir comment les former davantage. Une grande partie de la préparation provient en réalité de la simulation. On pose la question : “Hé, ton Distribution Center va fermer pour la semaine prochaine, comment ferais-tu ? Dis-moi.” Ainsi, c’est le genre de choses pour lesquelles tu formes et développes les compétences des équipes. Ce type de situation peut se produire, n’est-ce pas ? Tu construis donc véritablement une résilience dans le cadre d’un programme de formation pour les équipes. Voilà ce que je voulais dire par là : il faut créer cela de manière très intentionnelle, que ce soit par la formation, la simulation ou même par des expérimentations conceptuelles. Il faut tout faire de manière très intentionnelle.

Joannes Vermorel: Et la façon dont je peux rebondir sur la manière d’aborder la résilience, encore une fois, de mon point de vue de technologue, qui est une vision très limitée, c’est qu’il existe des défis extrêmement difficiles. Littéralement, la littérature scientifique en manque cruellement. C’est ce qui me motive et qui motive nos recherches. La première chose est que, littéralement, si tu souhaites projeter l’état futur d’une supply chain sous un angle à haute dimension, c’est un problème incroyablement difficile, il est même ardu de définir ce que signifie la précision.

Joannes Vermorel: Ainsi, vous avez ce problème fondamental : si je veux projeter un produit, c’est une perspective de séries temporelles que je connais, et la littérature regorge de métriques. Il existe de nombreux instruments pour vous indiquer si votre projection est précise ou non. Mais si vous commencez à jouer à ce jeu avec, littéralement, l’état d’un système complexe, c’est extrêmement difficile. Et ici, il n’existe littéralement aucun instrument, à ma connaissance, qui vous permette de le faire de manière propre. Il y a donc un problème fondamental dans le sens où nous manquons même des outils mathématiques pour y parvenir. C’est la première catégorie de problèmes.

Joannes Vermorel: Deuxièmement, si nous voulons introduire un choc, cela signifie que nous voulons être capables d’exprimer une intention et une sorte de perturbation qui va arriver dans le système. Ainsi, nous voulons d’abord projeter le système dans le futur, mais parallèlement, nous voulons pouvoir exprimer une intention. Et c’est là qu’intervient la question de savoir si nous pouvons le faire de manière explicite. La syntaxe, soit dit en passant, quand je dis “exprimer cette intention”, se fera au moyen d’outils de programmation. Vous programmerez vos comportements, spécifierez la perturbation, et la question sera de savoir si cela vous confère une certaine rigueur par conception pour bien capter votre intention.

Joannes Vermorel: Je sais que c’est une question très abstraite, mais regardez simplement le problème sous l’angle du fournisseur. Je suis censé construire une technologie capable de projeter l’état d’un système, ce qui est déjà très difficile. Et ensuite, je dis que si vous faites une sorte de “what if” par-dessus cela

Conor Doherty: …que notre simulation “what if” reflétait fidèlement ce qui serait arrivé pour quelque chose qui ne s’est jamais produit, et qu’elle capturait ainsi correctement l’intention de la personne exprimant ce scénario. C’est un problème très difficile, mais une approche très intéressante, et il existe des outils qui peuvent rendre ces exercices plus corrects par conception.

Joannes Vermorel: Ce qui me semble vraiment intéressant, c’est que les professionnels de la supply chain doivent faire face à de nombreux problèmes, et ils doivent donc être capables de trouver potentiellement des réponses à de nombreuses préoccupations qui pourraient être soulevées par la direction. Ma démarche consiste à ce que, oui, nous voulons disposer d’une perspective multidimensionnelle permettant de projeter l’état futur de la supply chain, mais nous voulons également être capables de répondre à une multitude de questions fondamentalement simples : plus d’installations, moins d’installations, d’autres emplacements, cannibalisation, perturbation par un concurrent. Ces questions ne sont pas véritablement d’une complexité extraordinaire, mais la façon dont je les aborde est de vouloir concevoir des outils qui offrent un certain degré de rigueur par conception, dans le sens où ils permettent d’éviter des erreurs de programmation très basiques. Car, encore une fois, l’un des dangers que je constate est de gagner une fausse confiance. Vous faites quelque chose, vous vous dites, “Oh, c’est bon, nous avons fait le ‘what if’, tout est parfait,” mais en réalité, il y avait un bug dans la simulation et tout n’est pas parfait, et vous arrivez à la conclusion opposée à ce que vous auriez dû conclure. C’est justement ce genre de situation qui me tient éveillé la nuit, en me demandant comment nous pouvons disposer de ces outils. Et encore, ce sont des questions très ouvertes en termes d’instruments mathématiques. La littérature ne connaît pas grand-chose qui offre les propriétés que nous rechercherions pour la supply chain de demain.

Conor Doherty: Eh bien, messieurs, merci. Je suis conscient du temps de nos invités, donc je pense, en tant que client, que nous allons laisser la dernière parole à Jay. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez partager avec le public, un appel à l’action en matière de résilience qui vous tient à cœur ?

Jay Koganti: Oui, la résilience est déjà un sujet majeur dans les réunions de direction à travers toute la supply chain. Naturellement, la pandémie a vraiment amplifié ce sujet. Je pense qu’il faut simplement être intentionnel à ce sujet. Il y a une grande opportunité du côté de la technologie. Je constate clairement, même si nous avons parlé de l’état d’esprit, de l’investissement en capital, qu’il y a également un rôle important pour la technologie. La technologie pourrait vraiment aider, que ce soit en matière d’automatisation ou même grâce aux simulations, en faisant un véritable indicateur de ce qui pourrait se passer et qui pourrait même favoriser une résilience mentale. Donc, je pense qu’il faut être sélectif quant aux technologies que vous choisissez et investir réellement beaucoup de temps et d’énergie pour faire de la résilience l’épine dorsale de l’entreprise. C’est tout ce que je pouvais dire.

Conor Doherty: Sur ce, messieurs, je crois que je vais conclure. Joannes, merci beaucoup pour ton temps. Jay, merci beaucoup pour le tien. Et merci à vous d’avoir regardé. Nous vous disons à la prochaine fois.