Gonflage de prix
Le gonflage de prix peut être considéré comme une forme de discrimination tarifaire. Lors du lancement d’un nouveau produit, un prix très élevé est fixé au départ afin de maximiser le profit en vendant le bien aux “early adopters”. Le prix diminue lentement avec le temps afin de maximiser les profits en vendant le produit à d’autres types de clients.
Apple est bien connue pour sa tarification par gonflage. Alors qu’un nouvel iPhone est très cher, son prix diminue progressivement avec le temps. Et tandis que les consommateurs disposant d’un pouvoir d’achat très élevé seront prêts à acheter le nouvel iPhone à son prix initial, la plupart des consommateurs potentiels ne pourront pas se le permettre aux premiers stades du lancement du produit. Toutefois, un an après la sortie, le prix de l’iPhone sera réduit et un plus grand nombre de consommateurs sera donc en mesure de l’acquérir. Le prix continuera de baisser chaque année, signifiant que de plus en plus de consommateurs opteront pour l’iPhone.
Principe économique
Chaque consommateur a un « prix de réserve » pour chaque produit. Le prix de réserve est le montant maximum qu’il est prêt à payer pour le bien. Si un consommateur n’est pas intéressé par l’achat d’un produit donné, son prix de réserve tend à être nul. Avec le gonflage de prix, tous les consommateurs seront facturés à leur prix de réserve, maximisant ainsi le profit de l’entreprise qui vend le bien.
Supposons qu’Apple compte trois types de clients : les “early adopters” (catégorie 1), les “mid adopters” (catégorie 2) et les “late adopters” (la catégorie restante de clients qui tendent à attendre la baisse du prix avant d’acheter). Le prix de réserve des trois types de clients est respectivement p1, p2 et pc, avec p1 > p2 > pc (voir le graphique ci-dessous).
Supposons maintenant qu’Apple fixe un prix unique et invariable qui ne change pas avec le temps, c’est-à-dire qu’elle n’utilise pas le gonflage de prix. Si Apple fixe son prix au niveau de p1, seuls les early adopters (catégorie 1) achèteront le produit. S’ils décident de fixer le prix à p2, les catégories 1 et 2 achèteront le bien, mais la catégorie 1 l’achètera à p2. Enfin, s’ils fixent le prix à pc, tous les types de clients achèteront le téléphone à ce prix, y compris les catégories 1 et 2.
Ci-dessous, le graphique à gauche illustre l’excédent du producteur et l’excédent du consommateur dans une situation où le gonflage de prix n’est pas appliqué et où Apple opte pour fixer le prix pc dès le départ. Dans ce cas, Apple ne maximise pas son excédent du producteur.

Avec le gonflage de prix, Apple vendra d’abord son iPhone à p1, maximisant ainsi son surplus sur la catégorie 1. Ensuite, Apple vendra son produit à p2 ; la catégorie 1 l’ayant déjà acheté à p1 et puisque la catégorie 2 achètera maintenant le bien à p2, Apple maximise alors son profit sur la catégorie 2. Enfin, Apple vendra son iPhone à pc, ce qui incitera la catégorie 3 à acheter le téléphone. Avec le gonflage de prix, Apple maximisera son excédent du producteur en prélevant une partie de l’excédent du consommateur. Ceci est illustré par le graphique à droite.
Gonflage de prix vs. Tarification de pénétration
Le gonflage de prix et la tarification de pénétration sont deux stratégies à long terme opposées. Le gonflage de prix consiste à fixer des prix élevés et à les réduire progressivement afin de maximiser le profit à long terme, tandis que la tarification de pénétration consiste à fixer des prix bas et à les augmenter au fil du temps.
Selon une étude de Spann et al. sur les méthodes de tarification utilisées sur le marché de l’appareil photo allemand, le gonflage de prix est utilisé plus fréquemment par des marques de fabricants établies, sur des marchés à faible intensité concurrentielle et dans des segments industriels à prix moyen ou élevé.
Pour utiliser le gonflage de prix, il est nécessaire de disposer d’une marque bien établie et reconnue afin que les early adopters puissent rapidement prendre connaissance du nouveau produit. Si les early adopters ignorent l’existence du produit lors de son lancement, ils ne l’achèteront pas à son prix initial élevé.
Faible intensité concurrentielle du marché est également un facteur déterminant pour le gonflage de prix, car dans un marché très concurrentiel où de nombreuses options de produits sont disponibles, l’early adopter achètera un produit moins cher (mais équivalent) chez un concurrent, rendant la demande pour le nouveau produit au prix de gonflage pratiquement inexistante.
Enfin, il est important de prendre en compte que le gonflage de prix fonctionne mieux dans les segments industriels à prix élevés. Cela s’explique par le fait qu’avec des produits à bas prix, la différence entre le prix initial élevé et le prix réduit subséquent sera trop faible pour en tirer des avantages profitables significatifs.
Comme illustré par l’exemple d’Apple ci-dessus, le secteur des hautes technologies est un bon exemple d’une industrie où toutes les conditions nécessaires au gonflage de prix tendent à être remplies. Dans ce marché, on trouve de nombreuses marques de fabricants établies (Apple, Samsung, Sony, etc.), une faible concurrence (aujourd’hui, il n’y a qu’environ 10 marques de smartphones sur le marché au total) et ce segment industriel est en effet connu pour ses prix élevés (le dernier iPhone est proposé à environ 1000 $).
Limites du gonflage de prix
Le gonflage de prix est essentiellement limité de cinq manières différentes :
Au niveau institutionnel : le gonflage de prix est une forme complexe de discrimination tarifaire. Dans la plupart des pays, la discrimination tarifaire est illégale et le gonflage de prix pourrait donc être une stratégie risquée à adopter pour les entreprises.
Au niveau du marché : le gonflage de prix aboutit souvent à des marges élevées. Comme des marges élevées sont évidemment très attrayantes, les concurrents voudront entrer sur le marché avec un produit identique ou très similaire, faisant ainsi disparaître lentement l’effet du gonflage. Le gonflage de prix est une stratégie temporaire.
Au niveau de la marque : si les consommateurs constatent trop clairement qu’une entreprise recourt à une stratégie de gonflage de prix pour un produit donné, ils attendront soit que le prix baisse avant d’acheter, soit seront déçus s’ils ont déjà acheté ce produit à un prix très élevé. Dans les deux cas, cela engendre une mauvaise publicité pour la marque. Un autre problème pouvant découler de l’utilisation de tactiques de gonflage de prix concerne la création de marges très élevées. Cela peut en effet poser problème, car avec des marges élevées, l’incitation à maîtriser les coûts est moindre, par exemple.
Au niveau du détaillant : le gonflage de prix implique la vente d’un produit à un prix qui est abaissé à plusieurs reprises, en commençant par un prix très élevé et en le réduisant progressivement. Le taux de rotation des stocks pourrait en pâtir puisque seule une petite proportion de la clientèle totale est ciblée à chaque fois (par exemple, à chaque baisse de prix). Par exemple, un très faible volume de produit peut être vendu lors de la phase de lancement d’un produit, car son prix est trop élevé pour la grande majorité des consommateurs au moment de sa sortie.
Au niveau du client : le gonflage de prix est associé à une discrimination tarifaire dans le temps, et implique donc qu’un produit sera distribué plus lentement.
Références
- Dean J, “Pricing policies for new products”, Harvard business review, 1976
- Gebhart G. F., “Price skimming paradoxes”, Avances in consumer research, 2006
- Spann M., Fischer M. & Tellis G. J., “Skimming or penetration? Strategic dynamic pricing for new products”, 2014