Le leure tarifaire
Le leure tarifaire est une méthode de tarification qui a pour but de “forcer” le choix du client. Lorsqu’un client effectue un achat, il doit souvent choisir entre des produits ayant des prix et des attributs différents. Et lorsqu’une entreprise décide de maximiser les ventes d’un produit en particulier, elle opte souvent pour ce qu’on appelle une structure de leure tarifaire afin d’influencer le consommateur dans sa décision d’achat. Dans ce cas, le “leurre” consiste soit en un prix de produit légèrement inférieur mais avec un produit de bien moindre qualité, soit au contraire, un prix bien plus élevé avec un produit de qualité légèrement supérieure.
La stratégie de leure tarifaire repose sur deux effets spécifiques : l’effet d’attraction et l’effet de compromis.
Effet de compromis
Selon Simonson et Tversky, l’effet de compromis indique que les consommateurs préfèrent les produits « médians », ou en d’autres termes, il repose sur l’hypothèse d’une “aversion à l’extrême”. Par exemple, face au choix entre trois produits différents, les consommateurs ne sont pas susceptibles d’opter pour le moins cher, car ils supposent qu’il est de qualité inférieure aux deux autres. Ils ne choisiront pas non plus le produit le plus cher, estimant que ce produit possède des caractéristiques non essentielles et superflues. Ils opteront donc pour le produit médian, car ce type de produit est susceptible d’avoir un niveau de qualité acceptable et ne comporte que les fonctionnalités nécessaires pour le consommateur. Par conséquent, dans ce cas, une stratégie tarifaire pertinente consisterait à introduire un produit haut de gamme à un prix très élevé (et à marges bénéficiaires importantes) afin de créer un effet de compromis sur les autres produits déjà coûteux, ou d’introduire un produit de très basse qualité à un prix très bas, rendant ainsi les autres produits plus attractifs.
Inspiré par les travaux de Simonson, l’exemple suivant concerne le marché de l’informatique et celui des cafetières. Les deux exemples sont fictifs et simplifiés.

Ci-dessus se trouve une représentation graphique de l’effet de compromis. Sur le marché de l’informatique, les netbooks ont tendance à être le produit le moins cher, mais leur puissance est très limitée. Les produits les plus coûteux sont les ordinateurs de bureau, qui ne sont pas très portables et sont souvent inutilement trop puissants pour l’utilisateur moyen. Dans ce cas, les ordinateurs portables constituent un bon compromis ; ils sont transportables et suffisamment puissants sans être aussi chers que les machines de bureau. Il n’est donc guère surprenant que les ordinateurs portables soient privilégiés par le consommateur moyen.
Prenons un autre exemple, en tenant compte cette fois de la méthode de leure tarifaire. Une entreprise vend deux types de cafetières : A et B. Le prix de la cafetière A est de 20 $ incluant une marge de 5 $. Le prix de la cafetière B est de 50 $ incluant une marge de 25 $. Une troisième cafetière (appelons-la D pour leurre) est lancée sur le marché par la société et la méthode de leure tarifaire est appliquée à ce produit. Le prix de la cafetière D est de 100 $ incluant une marge de 60 $. L’entreprise est consciente du fait qu’elle vendra à peine des cafetières D en raison de ce prix élevé. Néanmoins, la décision de l’entreprise d’introduire la cafetière D sur le marché est justifiée, car ce produit haut de gamme stimulera les ventes de la cafetière B en créant un effet de compromis entre A et D.

En utilisant le tableau ci-dessus, si l’on examine la marge nette pour 100 articles vendus, on constate que le profit s’élève à 1875 $ avec la méthode de leure tarifaire. En revanche, lorsque la méthode de leure tarifaire n’est pas utilisée, le profit n’atteint que 900 $. Cela démontre qu’il est possible de réaliser des profits nettement supérieurs en utilisant la stratégie de leure tarifaire, même si les ventes réelles du produit “leurre” sont très faibles.
Pour illustrer ce point davantage, prenons l’exemple de la société technologique Apple qui utilise l’effet de compromis de deux manières différentes. L’Apple Watch de la firme a été introduite comme une montre à très haut prix (vendue à plus de 10 000 $) afin de maximiser les ventes de l’Apple Watch standard, perçue comme un compromis entre la montre à haut prix et l’édition sportive “la moins chère”. En ce qui concerne l’iPhone, Apple utilise la méthode de leure tarifaire de manière légèrement différente en proposant aux consommateurs un produit moins cher avec des fonctionnalités plus limitées (l’iPhone 8Gb) afin de maximiser les ventes des versions plus sophistiquées et richement équipées de 16Gb ou 32Gb du même téléphone.
Utilité et leure tarifaire
Selon la théorie du choix rationnel, l’effet de leurre ne devrait pas réellement exister en pratique. Mais cette théorie repose sur l’hypothèse que les décisions d’achat des consommateurs sont parfaitement “rationnelles” et prennent en compte toutes les “bonnes informations”. Cependant, dans de nombreux cas (y compris les exemples décrits ci-dessus), le consommateur ne dispose pas du niveau “parfait” d’information sur l’utilité d’un produit. En conséquence, les décisions d’achat des consommateurs sont souvent prises sans tenir compte de l’information complète sur un produit donné. Cela incite les entreprises à choisir judicieusement leurs stratégies marketing et tarifaires, en s’assurant que des informations imparfaites soient parfois délibérément fournies aux consommateurs afin de maximiser à la fois les ventes et les marges.
En fait, les consommateurs ne sont souvent pas très aptes à comparer des produits très différents les uns des autres et ayant des usages très distincts. Au contraire, ils sont généralement capables de comparer des produits proches les uns des autres et connaissent donc assez bien les différences pouvant exister dans l’utilité d’articles étroitement liés. En d’autres termes, les consommateurs préfèrent faire un choix rationnel vis-à-vis d’une gamme limitée de produits plutôt que de se perdre dans une gamme de produits très étendue. En termes mathématiques, ils préfèrent atteindre un maximum local plutôt que de chercher un maximum global.
Effet d’attraction
Pour illustrer l’effet d’attraction, prenons l’exemple de The Economist, un célèbre journal qui a mis en place une méthode de leure tarifaire pour ses éditions imprimée et numérique. L’édition imprimée coûte 150 $ par an, l’édition numérique coûte 50 $, tandis que la vente liée (voir aussi vente liée) contenant à la fois les éditions imprimée et numérique coûte également 150 $, tout comme l’édition imprimée seule. L’édition imprimée vendue isolément (sans la version numérique) peut être considérée comme une méthode de leure tarifaire visant à encourager les clients à acheter l’ensemble de la vente liée. Dans le cas où l’option de vente liée ne serait pas disponible, on peut supposer que 80 % des clients achèteraient uniquement la version numérique, et les 20 % restants opteraient pour la version papier. Cependant, suite à l’introduction de l’option de vente liée, 50 % des clients ont choisi l’ensemble, 50 % se sont limités à la version numérique, ce qui signifie que 0 % des clients ont opté pour l’édition imprimée. Le 0 % n’est pas une anomalie tarifaire dans ce cas. En effet, cette méthode de leure tarifaire vise à maximiser les ventes de l’ensemble. L’édition numérique est perçue comme “gratuite” lorsqu’elle est incluse dans le bundle et les clients aiment les choses gratuites.
L’exemple de The Economist démontre clairement l’“effet d’attraction” ; un effet qui peut être considéré comme l’un des principaux phénomènes associés au leure tarifaire (tel que décrit par Simonson). Il est en effet difficile de comparer deux produits aux attributs extrêmement différents, tandis qu’il est considérablement plus facile de comparer deux produits aux caractéristiques très similaires. Supposons que l’objectif d’un détaillant soit de maximiser les ventes de l’un de ses produits, appelons-le produit A. En utilisant des tactiques de leure tarifaire, le détaillant lance un autre produit (produit B) dont la qualité est légèrement inférieure à celle du produit A, bien que les deux produits soient très proches en termes d’utilité. Dans ce cas, les consommateurs peuvent facilement comparer les deux produits proposés par le détaillant (puisque les deux produits sont similaires dans leurs caractéristiques) et choisiront donc le produit A plutôt que le nouveau produit B. Dans cet exemple, le choix est plutôt simple pour les consommateurs, car les deux produits sont comparables et la baisse de qualité du nouveau produit est facile à détecter. En conséquence, le consommateur opte pour le produit A au lieu de B pour éviter d’acheter un produit de moindre qualité.

Ci-dessus se trouve une représentation graphique de la méthode de leure tarifaire utilisée par The Economist. Les consommateurs ont du mal à comparer la différence entre les versions uniquement numériques et uniquement imprimées du journal. Mais ils peuvent facilement comparer la version uniquement imprimée avec l’ensemble de la vente liée. Dans ce cas d’information produit imparfaite, les clients choisiront l’ensemble, car c’est le seul produit qui fournit une information complète sur le produit en question, et les consommateurs sont assurés de disposer de toutes les fonctionnalités du journal grâce à l’obtention des versions papier et numérique.
Références
- Dhar R. & Simonson I., “L’effet du choix forcé sur le choix”, Journal of marketing research, 2003
- Simonson I., “Un choix basé sur des raisons : le cas des effets d’attraction et de compromis”, Journal of consumer research, 1989
- Simonson I. & Tversky A., “Le choix en contexte : contraste des compromis et aversion à l’extrême”, Journal of marketing research, 1992